L’adieu de Steve Jobs : Soyez insatiables, soyez fous !

Apple vient de perdre Steve Jobs, un créatif visionnaire. Et le monde, un homme qui a changé notre façon d’écrire et de communiquer. Grâce à lui, j’ai quitté la machine à écrire en 1985 pour mon premier Mac et sa souris, moins puissant que mon iPhone actuel, mais révolutionnaire pour l’époque ! En souvenir de cet homme exceptionnel, je vous propose de lire l’un de ses discours dans une université, lors d’une remise de diplômes. C’est un peu long, mais croyez-moi, ces quelques minutes de lecture sont bienfaisantes.

« C’est un honneur de me trouver parmi vous aujourd’hui et d’assister à une  remise de diplômes dans une des universités les plus prestigieuses du monde. Je n’ai jamais terminé mes études supérieures. À dire vrai, je n’ai même jamais été témoin d’une remise de diplômes dans une université.  Je veux vous faire partager aujourd’hui trois expériences qui ont marqué ma carrière. C’est tout.
Rien d’extraordinaire. Juste 3 expériences.

Pourquoi j’ai eu raison de laisser tomber l’université ?

La première concerne les incidences  imprévues. J’ai abandonné mes études au  Reed College au bout de six mois, mais j’y suis resté auditeur libre pendant 18 mois avant de laisser tomber définitivement.

Pourquoi n’ai-je pas poursuivi ?

Tout a commencé avant ma naissance. Ma mère biologique était une jeune étudiante célibataire, et elle avait choisi de me confier à des parents adoptifs.Elle tenait à me voir entrer dans une famille de diplômés universitaires, et tout avait été prévu pour que je sois adopté dès ma naissance par un avocat et son épouse. Sauf que, lorsque je fis mon apparition, ils décidèrent au dernier moment qu’ils préféraient avoir une fille. Mes parents, qui étaient sur une liste d’attente, reçurent un coup de téléphone au milieu de la nuit :  « Nous avons un petit garçon qui n’était pas prévu. Le voulez-vous ? » ils répondirent : « Bien sûr. »

Ma mère biologique découvrit alors que ma mère adoptive n’avait jamais eu le moindre diplôme universitaire, et que  mon père n’avait jamais terminé ses études secondaires. Elle refusa de signer les documents définitifs d’adoption et ne s’y résolut que quelques mois plus tard, quand mes parents lui promirent que j’irais à l’université.

17 ans plus tard, j’entrais donc à l’université. Mais j’avais naïvement choisi un établissement presque aussi cher que Stanford, et toutes les économies de mes parents servirent à payer mes frais de scolarité. Au bout de 6 mois, je n’en voyais toujours pas la justification. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire dans la vie et je n’imaginais pas comment l’université pouvait m’aider à trouver ma voie. J’étais là en train de dépenser tout cet argent que mes parents avaient épargné leur vie durant. Je décidai donc de laisser tomber.

Une décision plutôt risquée, mais rétrospectivement c’est un des meilleurs choix que j’aie jamais faits. Dès le moment où je renonçais, j’abandonnais les matières obligatoires qui m’ennuyaient pour suivre les cours qui m’intéressaient.

Tout n’était pas rose. Je n’avais pas de chambre dans un foyer, je dormais à même le sol chez des amis. Je ramassais des bouteilles de Coca-Cola pour récupérer le dépôt de 5 cents et acheter de quoi manger, et tous les dimanches soir je faisais 10 kilomètres à pied pour traverser la ville et m’offrir un bon repas au temple de Hare Krishna. Un régal.
Et ce que je découvris alors, guidé par ma curiosité et mon intuition, se révéla inestimable à l’avenir.

Laissez-moi vous donner un exemple : le Reed College dispensait probablement alors le meilleur enseignement de typographie de tout le pays. Dans le campus, chaque affiche, chaque étiquette sur chaque tiroir était parfaitement calligraphiée. Comme je n’avais pas à suivre de cours obligatoire, j’ai décidé de m’inscrire calligraphie. C’est ainsi que j’appris l’empattement des caractères, les espaces entre les différents groupes  de lettres et les détails qui font la beauté d’une typographie. C’était un art ancré dans le passé, une subtile esthétique qui échappait à la science. J’étais fasciné.

Rien de tout cela n’était censé avoir le moindre effet pratique dans ma vie. Pourtant, 10 ans plus tard, alors que nous concevions le premier Macintosh, cet acquis me revint et nous l’incorporâmes dans le Mac. Ce fut le premier ordinateur doté d’une typographie élégante. Si je n’avais pas suivi ces cours à l’université, le Mac ne posséderait pas une telle variété de polices de caractères ni ces espacements proportionnels. Et comme Windows s’est borné à copier le Mac, il est probable qu’aucun ordinateur personnel n’en disposerait.

Si je n’avais pas laissé tomber mes études à l’université, je n’aurais jamais appris la calligraphie, et les ordinateurs personnels n’auraient peut-être pas cette richesse de caractères. Naturellement, il était impossible de prévoir ces répercussions quand j’étais à l’université. Mais elles me sont apparues évidentes dix ans plus tard.

On ne peut pas prévoir l’incidence qu’auront certains événements dans le futur. C’est après, seulement, qu’apparaissent les liens. Vous pouvez seulement espérer qu’ils joueront un rôle dans votre avenir. L’essentiel est de croire en quelque chose : votre destin, votre vie, votre karma, peu importe. Cette attitude a toujours marché pour moi, et elle a régi ma vie.

Pourquoi mon départ forcé d’Apple fut salutaire ?

Ma deuxième histoire concerne la passion et l’échec. J’ai eu la chance d’aimer très tôt ce que je faisais. J’avais 20 ans lorsque Steve Wozniak et moi avons créé Apple dans le garage de mes parents. Nous avons ensuite travaillé dur et, 10 ans plus tard, Apple était une société de plus de 4 000 employés dont le chiffre d’affaires atteignait 2 milliards de dollars. Nous venions de lancer un an plus tôt notre plus belle création, le Macintosh, et je venais d’avoir 30 ans. C’est alors que je fus viré.

Comment peut-on vous virer d’une société que vous avez créée ? C’est  simple, Apple ayant pris de l’importance, nous avions engagé quelqu’un qui me semblait avoir les compétences nécessaires pour diriger l’entreprise à mes côtés et, pendant la première année, tout se passa bien. Puis nos visions ont divergé, et nous nous sommes brouillés. Le conseil d’administration s’est rangé de son côté. C’est ainsi qu’à 30 ans je me suis retrouvé sur le pavé. Viré avec perte et fracas. La raison d’être de ma vie n’existait plus. J’étais en miettes.

Je restais plusieurs mois sans savoir quoi faire. J’avais l’impression d’avoir trahi la génération qui m’avait précédé. D’avoir laissé tomber le témoin au moment où on me le passait. C’était un échec public, et je songeais même à fuir Silicon Valley. Puis j’ai peu à peu compris une chose : j’aimais toujours ce que je faisais. Ce qui m’était arrivé chez Apple n’y changeait rien. J’avais été éconduit, mais j’étais toujours amoureux. J’ai alors décidé de repartir de zéro.

Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, mais mon départ forcé d’Apple fut salutaire. Le poids du succès fit place à la légèreté du débutant, à une vision moins assurée des choses. Une liberté grâce à laquelle je connus l’une des périodes les plus créatives de ma vie.

Pendant les 5 années qui suivirent, j’ai créé une société appelée NeXT et une autre appelée Pixar, et je suis tombé amoureux d’une femme exceptionnelle qui est devenue mon épouse. Pixar, qui allait bientôt produire le premier film d’animation en trois dimensions, Toy Story , est aujourd’hui la première entreprise mondiale utilisant cette technique. Par un remarquable concours de circonstances, Apple a acheté NeXT, je suis retourné chez Apple, et la technologie que nous avions développée chez NeXT est aujourd’hui la clé de la renaissance d’Apple. Et Laurene et moi avons fondé une famille merveilleuse.

Tout cela ne serait pas arrivé si je n’avais pas été viré d’Apple. La potion fut horriblement amère, mais je suppose que le patient en avait besoin. Parfois, la vie vous flanque un bon coup sur la tête. Ne vous laissez pas abattre. Je suis convaincu que c’est mon amour pour ce que je faisais qui m’a permis de continuer. Il faut savoir découvrir ce que l’on aime et qui l’on aime. Le travail occupe une grande partie de l’existence, et la seule manière d’être pleinement satisfait est d’apprécier ce que l’on fait. Sinon, continuez à chercher. Ne baissez pas les bras. C’est comme en amour, vous saurez quand vous aurez trouvé. Et toute relation réussie s’améliore avec le temps. Alors, continuez à chercher jusqu’à ce que vous trouviez.

Ma troisième histoire concerne la mort. À l’âge de 17 ans, j’ai lu une citation qui disait à peu près ceci : « Si vous vivez chaque jour comme s’il était le dernier, vous finirez un jour par avoir raison. » Elle m’est restée en mémoire et, depuis, pendant les 33 années écoulées, je me suis regardé dans la glace le matin en me disant : Si aujourd’hui était le dernier jour de ma vie, est-ce que j’aimerais faire ce que je vais faire tout à l’heure ?  Et si la réponse est non pendant plusieurs jours à la file, je sais que j’ai besoin de changement.

Avoir en tête que je peux mourir bientôt est ce que j’ai découvert de plus efficace pour m’aider à prendre des décisions importantes. Parce que presque tout, tout ce que l’on attend de l’extérieur, nos vanités et nos fiertés, nos peurs de l’échec, s’efface devant la mort, ne laissant que l’essentiel.

Se souvenir que la mort viendra un jour est la meilleure façon d’éviter le piège qui consiste à croire que l’on a quelque chose à perdre. On est déjà nu. Il n’y a aucune raison de ne pas suivre son cœur.

Il y a un an environ, on découvrait que j’avais un cancer. À 7 heures, un matin, le scanner montra que j’étais atteint d’une tumeur au pancréas. Je ne savais même pas ce qu’était le pancréas. Les médecins m’annoncèrent que c’était un cancer probablement incurable, et que j’en avais au maximum pour six mois. Mon docteur me conseilla de rentrer chez moi et de mettre mes affaires en ordre, ce qui signifie : Préparez-vous à mourir…

Ce qui signifie dire à ses enfants en quelques mois tout ce que vous pensiez leur dire pendant les 10 prochaines années. Ce qui signifie essayer de faciliter les choses pour votre famille. En bref, faire vos adieux. J’ai vécu avec ce diagnostic pendant toute la journée. Plus tard dans la soirée, on m’a fait une biopsie, introduit un endoscope dans le pancréas en passant par l’estomac et l’intestin. J’étais inconscient, mais ma femme, qui était présente, m’a raconté qu’en examinant le prélèvement au microscope, les médecins se sont mis à pleurer, car j’avais une forme très rare de cancer du pancréas, guérissable par la chirurgie.

On m’a opéré et je vais bien.

Ce fut mon seul contact avec la mort, et j’espère qu’il le restera pendant encore quelques dizaines d’années. Après cette expérience, je peux vous le dire avec plus de certitude que lorsque la mort n’était pour moi qu’un concept purement intellectuel : personne ne désire mourir. Même ceux qui veulent aller au ciel n’ont pas envie de mourir pour y parvenir. Pourtant, la mort est un destin que nous partageons tous. Personne n’y a jamais échappé. Et c’est bien ainsi, car la mort est probablement ce que la vie a inventé de mieux.

C’est le facteur de changement de la vie. Elle nous débarrasse de l’ancien pour faire place au neuf. En ce moment, vous représentez ce qui est neuf, mais un jour vous deviendrez progressivement l’ancien, et vous laisserez la place aux autres. Désolé d’être aussi dramatique, mais c’est la vérité. Votre temps est limité, ne le gâchez pas en menant une existence qui n’est pas la vôtre. Ne soyez pas prisonnier des dogmes qui obligent à vivre en obéissant à la pensée d’autrui. Ne laissez pas le brouhaha extérieur étouffer votre voix intérieure. Ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. L’un et l’autre savent ce que vous voulez réellement devenir. Le reste est secondaire.
Dans ma jeunesse, il existait une extraordinaire publication The Whole Earth Catalog, l’une des bibles de ma génération. Elle avait été fondée par un certain Stewart Brand, non loin d’ici, à Menlo Park, et il l’avait marquée de sa veine poétique. C’était à la fin des années 1960, avant les ordinateurs et l’édition électronique, et elle était réalisée entièrement avec des machines à écrire, des paires de ciseaux et des appareils Polaroid. C’était une sorte de Google en livre de poche, 35 ans avant la création de Google. Un ouvrage idéaliste, débordant de recettes formidables et d’idées épatantes.

Stewart et son équipe ont publié plusieurs fascicules de The Whole Earth Catalog. Quand ils eurent épuisé la formule, ils sortirent un dernier numéro. C’était au milieu des années 1970, et j’avais votre âge. La 4e de couverture montrait la photo d’une route de campagne prise au petit matin, le genre de route sur laquelle vous pourriez faire de l’auto-stop si vous avez l’esprit d’aventure.

Dessous, on lisait : « Soyez insatiables. Soyez fous. »

C’était leur message d’adieu. Soyez insatiables. Soyez fous.

C’est le vœu que j’ai toujours formé pour moi. Et aujourd’hui, au moment où vous recevez votre diplôme qui marque le début d’une nouvelle vie, c’est ce que je vous souhaite.

Soyez insatiables. Soyez fous.

Merci à tous. »

Steve Jobs 1955 – 2011

3 réponses

  1. Brigitte dit :

    Pour compléter ce magnifique discours, une citation récente alors qu’il s’exprimait sur la possibilité d’une mort proche : « Etre l’homme le plus riche du cimetière de m’intéresse pas. Aller au lit en se disant que l’on a fait quelque chose de magnifique… c’est ce qui m’importe ».

    Pour lui, la mort offre un renouvellement nécessaire des générations, des idées et des innovations.

    Une formidable leçon de vie que je médite d’autant plus que je suis née le même jour que lui, un certain 24 février 1955 …

  2. CENEC dit :

    Pourquoi faut-il que les génies meurent jeunes ?
    J’ai eu le privilège de travailler avec les pionniers du Mac en France en tant que journaliste d’entreprise pour Polygone Informatique et l’IPECI, son centre de formation à la PAO.
    Le Mac a bouleversé ma vie professionnelle. J’ai rencontré parmi les utilisateurs de cette machine, tant d’individus qui étaient en rupture, en recherche d’une autre voie professionnelle, tant de créatifs… Les débuts du Mac en France étaient une période géniale. Toute devenait possible.
    Ayant dû travailler dans un environnement Windows pour gagner ma vie, quand je rentrais le soir chez moi et que j’ouvrais mon iMac, je me disais tout le temps : « Comme c’est beau ! »
    J’ai pu constater aussi parmi les utilisateurs de PC Windows, un mépris à l’égard des utilisateurs de Macintosh. J’ai compris que ceux qui avaient souffert pour apprendre le DOS, (qui devaient s’y reprendre à trois fois pour copier simplement un texte sur disquette), qu’ils ne pouvaient admettre la convivialité de la machine à la pomme.
    Ne soyons pas naïfs, Apple c’est aussi du marketing et du business, mais aujourd’hui on se sent tous un peu orphelins.
    J’ai retrouvé ce texte d’une campagne d’Apple de 1997 (lire ci-dessous).
    Merci Steve !

    Gérard Cénec

    « Les fous,
    les marginaux, les rebelles,
    les anticonformistes, les dissidents…

    Tous ceux qui voient les choses différemment,
    qui ne respectent pas les règles.

    Vous pouvez les admirer,
    ou les désapprouver,
    les glorifier,
    ou les dénigrer.

    Mais vous ne pouvez pas les ignorer.
    Car ils changent les choses.

    Ils inventent, ils imaginent, ils explorent.
    Ils créent, ils inspirent.
    Ils font avancer l’humanité.

    Là où certains ne voient que folie,
    nous voyons du génie.

    Car seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde, y parviennent. »

    (texte en voix OFF tiré de la Campagne Apple 1997 « Think different »)

    P.-S. : Le texte de Steve Jobs en page 1 a été prononcé à l’université de Stanford en 2005.

  3. Caroline Basciani dit :

    Bonjour,

    Quel commentaire pourrais je avoir après tant de choses si importantes, si fortes, si sensibles et si pleine de vie et de vie…Juste dire que je garde, que j’imprime, que j’affiche tout ça et qu’a chaque jour nouveau, tous ces mots,
    m’ accompagneront.

    J’ai souvent pensé la même chose, mais qui sait pourquoi dernièrement, j’avais tendance à oublier l’essentiel et il était temps qu’un ange….Passe.

    En pleine réflexion pour mille raisons de travail, et de surcroît de vie,j’ai d’un seul coup le sentiment, qu’un ange vient souffler tout ce que j’avais besoin d’entendre et en particulier aujourd’hui…Alors, merci, oui, aux anges qui survolent nos vies…On devrait toujours être dans l’attention de ceux ci, qui se donnent tant de mal, si généreusement, pour nous envoyer des signes, nous dessiner, nous écrire, des sourires à la vie.

    Belle journée !
    Caroline B.

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