La mort a toujours le dernier mot
Hommage à Alain Rey
Alain Rey, linguiste et lexicologue inspirateur des dictionnaires Le Robert, vient de mourir.
Il enchanta mes matins sur France Inter avec son mot du jour. Une chronique toujours érudite et fine.
« Victime », le texte ci-dessus, est l’un de ses nombreux billets écrits entre 2000 et 2005, il
est malheureusement d’actualité.
Victime
» Devant une situation extrême, insupportable, les mots paraissent oit insuffisants, soit mal orientés. Dans le spectacle tragique du terrorisme – le vocable exprime la terreur, mais n’en dit pas l’origine -, de la guerre – qui peut ressembler à un terrorisme d’État – , des attentats, on peut retenir la violence, c’est trop peu dire, le sang, le carnage, la mort, ou bien insister sur le sort de ceux et celles qui ont subi le pire, les victimes.
C’est un mot qui exprime le sacrifice. La victime, être vivant tué pour satisfaire les dieux, était en principe un animal. Est-ce le soupçon de sacrifices humains ou une simple comparaison qui a fait passer le mot des animaux aux humains ? Toujours est-il qu’on à nommé victimes celles et ceux qui souffrent et meurent par la violence d’autrui et, en particulier, ceux qui furent injustement condamnés et exécutés par le régime de la Terreur révolutionnaire.
Les victimes de violences individuelles, dans les périodes troublées, s’effacent devant le grand nombre des victimes de la guerre, du terrorisme ou des catastrophes « naturelles ». On ajoute souvent que les victimes sont innocentes et que le terrorisme est aveugle. La guerre aussi est aveugle, et ses instruments, bombes, missiles. Si les pires attentats suscitent des ripostes, au nom de la justice, mais aussi pour venger les victimes, cela amorce une spirale de violence et produit de nouvelles victimes, sans ressusciter les morts ni consoler leurs proches.
Victime, qui évoquait déjà une volonté divine cruelle, vient d’acquérir une nouvelle ambiguïté : avec les attentats suicide ou, comme on dit, les bombes vivantes : les victimes, tuées, déchiquetées, incluent désormais les bourreaux, promus sacrificateurs dans une parodie du sacré. Parler de martyr n’explique rien, car ce terme exprime un « témoignage » de foi par sacrifice de sa propre vie.
Ces martyrs-bourreaux que sont les kamikazes se croient les vengeurs d’autres victimes, dont la plupart étaient elles aussi innocentes. Si les notions de guerre et de terrorisme sont en train de se confondre, celle de victime semble stable : les victimes souffrent, saignent, meurent, quel que soit l’instrument du carnage : couteau ou bombe, explosifs militaires ou aériens, bombes humaines. Et le mot va plus loin, dénonçant des armes plus sournoises : l’appauvrissement massif d’une partie du monde, par exemple. On détruit des vies humaines, parfois, et c’est le pire, au nom de Dieu : il est étrange que le mot victime, qui suscite aujourd’hui des sentiments humains, la compassion, l’amour de sympathie — ce mot qui signifie « souffrir avec » porte en lui un message de fureur sacrée. »
Alain Rey 3 décembre 2001 – À mots découverts, Chroniques au fil de l’actualité, Edition Robert Laffont 2006
NOUVEAU !
Vivre un sursaut créatif
Alain Rey donnait une âme non seulement à la langue française mais aussi à cette station de radio qui n’a pas jugé utile de pourvoir à son départ.
Merci Pascal d’avoir rendu hommage à ce grand monsieur de la langue française
Oui, il nous enchantait sur France Inter.
C’était un moment précieux, savoureux… que je ne risquais pas de louper.
Merci Pascal pour cet hommage
Merci Pascal pour ce partage.
Principe animal de départ qui s’ouvre finalement sur le fait de souffrir avec et d’y intégrer quelque part le Divin.
Merci pour cet hommage rendu à ce grand amoureux de la langue française.
Soyons nombreux à la défendre, à la faire vivre, à en goûter la quintessence !
Merci monsieur Perrat pour ce bel hommage
Cet écrivain fut notre quotidien.. encore une page qui se tourne.
Souris-verte 🐁