778e exercice d’écriture très créative créé par Pascal Perrat

Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
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Vacances, vacance de vacances !
Ce devait être comme cela, c’est autrement. Une alerte météo en a décidé autrement. Me voilà coincé, comme d’autre, dans le hameau, seul avec mon grand Père. Il n’’est pas désagréable, mais c’est un grand-père. Il vit au présent et au passé de ses souvenirs. C’est amusant, parfois, de l’écouter, mais je ne comprends pas tout, c’est un drôle de monde que le sien.
Ce qui est moins drôle, c’est que la tempête à tout arraché. Plus de wifi, plus d’électricité, et, comble du comble, mon smartphone n’a plus de batterie. Il va falloir faire avec, plutôt sans, avec un retour à la normale prévu dans quelques jours ! Me voilà bien !
Et on fait quoi maintenant ?
De son œil malicieux, il m’a invité, d’un petit crochet fait avec son index, à le suivre dans la chambre du haut. Chambre qui n’avait rien d’une chambre, mais plutôt d’un amoncellement disparate, d’objets hétéroclites et de livres, poussière comprise. ‘
Et c’est quand, que cela deviens intéressant ? Me suis-je demandé.
Devant mon incrédulité, d’un petit mouvement de son index, il m’a dit ‘’viens voir, il fait des choses merveilleuses celui-là’’. Il s’est approché d’un des nombreux livres soigneusement rangés, toujours avec l’index, il l’a attrapé par le dos de la couverture et l’a fait basculer, pour que celui-ci tombe en s’ouvrant dans son autre main.
D’accord, joli tour de jonglerie, mais on fait quoi maintenant ?
Il s’est mis à faire tourner les pages, une à une, toujours avec son index, parfois en l’humectant d’un coup de langue. Quelle drôle de pratique ! D’un coup, il m’a regardé, droit dans les yeux, m’a tendu un livre et ’’tu veux essayer ?’’. Le temps de bredouiller une réponse, je me suis retrouvé avec un premier livre sur les genoux, quelques instants plus tard, je tournais une page avec mon doigt, puis une autre, et, et un autre livre a suivi.
Grand-Père a raison, ce doigt-là fait des miracles, au grès de ce tourne-page, je me suis retrouvé à traverser la Sibérie en pleine révolte, le temps d’après à caracoler sur un cheval fou dans des plaines désertiques. Après avoir humecté mon doigt, comme Grand Père, je me suis retrouvé à explorer le fond des océans, avant de participer à la conquête de l’Himalaya, tout en ayant transité par les plaines du Gange.
Chaque page est une découverte ou une évasion. Le fait d’humecter le doigt à systématiquement ne change pas grand-chose à l’affaire, mais amène un petit goût de dégustation. Chaque page, chaque livre a son vécu, son histoire, et dans le pire des cas sa poussière. Elles-mêmes, les pages, ont peut être voyagé, elles ont ‘’une histoire avec leur lecteur’’ et peut-être qu’elles cherchent à me la faire partager.
Celle-ci m’a appris que blé en herbe n’était pas si tendre que cela, c’est un peu dur ! Cette autre m’a initié à la théorie de l’art moderne alors que d’autres ne juraient que par l’ordonnancement de la composition et du nombre d’or. Sans tout comprendre à leur débat, rien ne m’a pas empêché, au fil des pages, de visiter les plus beaux musées et autres réalisations architecturales exceptionnelles.
Un peu de repos ? Mais non, au détour d’une nouvelle page, me voilà reparti pour de folles aventures dans des sortes de pyramides située en Amérique du Sud.
Quelle épopée !
J’en étais à chercher comment percer le mystère de l’aiguille creuse, quand j’ai entendu du bruit dans le chemin du hameau. Cela fait déjà trois jours ? Il y a du monde dans la rue ? Des travaux, il y a de la lumière, de l’électricité !
Zut, je vais retrouver mon smartphone !
– Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
– Eh oui mon petit Louis c’était un livre avec de l’encre et du papier. Des livres il y en avait par milliers si bien que les bibliothèques ne pouvaient pas tous les accueillir. Parfois on les passait au pilon
– Au pilon ?
– Oui on les détruisait. Le problème c’était le papier. La pâte à papier provenait du bois et on nous a reproché de décimer la forêt amazonienne.
– Mais il y avait combien de pages dans un livre ?
– Il pouvait y en avoir plusieurs centaines, les plus volumineux on les appelait des pavés.
– Tourner toutes ces pages, ce n’était pas fatigant ?
– Non ce qui était fatigant c’était parfois le contenu du livre. Au contraire ceux qui vous captivaient on les appelait en anglais des «page turner ».
Tourner la page est aussi une expression qui signifie oublier le passé. Sais-tu aussi qu’être à la page c’est être à la mode ?
– Oui ben ça se dit plus comme ça.
– Et maintenant que l’histoire est finie, au page !
– ???
– Au pieu si tu veux
– ???
– Au lit quoi. Bonne nuit petit Louis
– Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
– Oui, mon petit. C’est vrai. Les livres de mon enfance avaient, le plus souvent, une couverture épaisse rouge très belle. Les titres étaient écrits en lettres dorées. Ils m’étaient offerts à la fin de l’année scolaire pour récompenser mes bons résultats. J’en étais très fière ! Je m’asseyais par terre, posais le livre sur mes genoux, mon chat ronronnant à mes côtés. Les pages étaient très fines, il était difficile de les tourner et je ne voulais pas les abimer. Alors je mouillais mon majeur pour attraper la page suivante et je découvrais avidement la suite de l’histoire. Cela faisait partie du plaisir de la lecture. Aujourd’hui encore, quand je lis « Les veillées des chaumières » ou « Féminin Senior Santé », je tourne les pages avec délicatesse et je me surprends à mouiller mon doigt pour faciliter la manœuvre. Mon plaisir est toujours le même : découvrir ce qu’il se cache de l’autre côté. Tu veux venir avec moi jusque dans le grenier ? Nous allons chercher mes beaux livres rouges et je vais te montrer comment faire. Les livres méritent le respect, mon petit. Il faudra t’en souvenir.
– Oui, mamie, je viens avec toi et je m’en souviendrai. Dommage que je ne puisse pas mouiller mon doigt pour tourner les pages sur mon téléphone. Cela m’aurait plu !
Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
Si tu savais le plaisir de tourner les pages, doigt mouillé ou pas, !! Prendre un livre en mains, toucher, caresser la couverture, glacée ou pas , parfois illustrée, colorée, parfois très sobre , blanche ou noire …. Formats différents, pour les poches, les sacs, paires de types variés,, et on pouvait laisser des notes en marge , en bas de page, souligner, cocher certains passages . En page de titre, dédicaces d’auteur, plus ou moins personnelles ou les petits mots d’amis …
On laissait des marque-pages, rappelant les moments de lecture, tillets de musées, de voyage . Association émouvante de passages de vie…
Toute une histoire personnelle autour des livres d’autrefois ….
Le livre version papier a quelque chose de beaucoup plus sensuel que l’e-book, sur le plan visuel et tactile.
Il est plus facile de se l’approprier, en cornant les pages, en les tournant avec le doigt mouillé. Il appartient à ce temps des lettres manuscrites — de l’attente — du désir — quand le facteur tardait à venir. Un temps qui trainait encore le pas, alors qu’il faut lui courir après aujourd’hui. 🙂
Baptiste, assis en tailleur sur le canapé, à coté de sa sœur ainée, la regarde lire sur sa tablette, avec étonnement. Il a joué au foot tout l’après-midi, il retrouve ici cette douceur qui le calme.
Tout à coup, la fillette, sort de sa lecture et questionne :
« Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ? »
Coquin, Baptiste commence à se lécher tous les doigts avec avidité, pour faire rire son public. Marine, se vexe, croit qu’il se moque : « Arrête, ce n’est pas drôle ! »
Et Baptiste en remet une couche, se cache sous le plaid, sort de temps en temps son petit minois les yeux grands écarquillés et les doigts dans sa bouche.
Mamie intervient : « Baptiste, tu ne crois pas si bien faire, effectivement quand j’étais petite, je lisais avec une lampe de poche, cachée sous une couverture. On économisait sur la lumière. Si on se mouillait le doigt ? oui pour certains livres, c’était pour que le doigt adhère au papier un peu rêche et mieux prendre la page suivante ».
Tout à coup, Papi farceur apparait sur le seuil du salon : « Moi, je léchais toute la tranche du livre une fois avant de le commencer, comme ça, c’était fait une fois pour toute ! »
Baptiste, fatigué, part dans un grand éclat de rire, se roule en boule et son rire très communicatif les entraine tous les 4 à rire à l’unisson. Quelques larmes coulent même sur ses joues.
Papi a fait sensation, il est très fier de lui. Alors, il s’autorise à raconter ses escapades à la bibliothèque.
« Le mercredi, quand votre grand-mère est avec ses amies, j’enfourche mon vélo et hop, la rue Mirepoix, tout droit jusque derrière la Mairie où je gare mon vélo. Et de là, j’épie les fenêtres du bâtiment. J’attends mon pote Fabrice, féru de mécanique. On rentre, on passe dans la réserve des livres papier, on choisit ensemble un livre qui lui convient et comme il ne comprend pas toujours bien quand il lit, je lui fais la lecture et parfois, je dois lui redire avec d’autres mots pour que ça rentre dans sa caboche. Je crois que j’aurai bien aimé être instituteur. »
Baptiste l’interrompt : « C’est comme à l’école, Bernie, il ne comprend pas du premier coup. »
Papi reprend : « Et j’adore faire la lecture ! Après, on va boire un coup chez lui, puis on s’extrait de la réalité habituelle, on s’enferme dans son atelier tous les 2, on sort tout le matériel nécessaire et on fait des essais sur ses moteurs. Et là, c’est lui qui m’en met plein les yeux, il les connait bien ses moteurs, il cherche des adaptations, il cherche à simplifier sa machine, il voudrait qu’elle utilise moins d’énergie. Un réel défi !
Tu vois petit, ça sert de savoir lire ! »
Baptiste est parti dans ses pensées, la mécanique, c’est certain, ça ne lui dit rien du tout, il veut que ça marche, un point c’est tout. Mais une crainte se pointe, si sa trottinette électrique ne marchait plus, peut-être qu’il y réfléchirait.
C’est Marine qui se réveille : « Papi, il y a aussi des livres en papier sur la couture, dans la réserve de ta bibliothèque ? », déjà en train de se projeter une après-midi avec sa meilleure copine, dont la mère sait coudre.
Le papi étonné : « Oh sûrement, il y a de vielles revues ».
Marine a relâché sa tablette, déposé sa tête sur l’accoudoir et les yeux grands ouverts, elle crée à partir de son rêve. Elle voit la mère de Lili venir la chercher, les accompagner pour les guider à choisir un modèle dans une revue. Il ne faudrait pas choisir quelque chose de trop compliqué pour nous. J’aimerai tant savoir coudre, utiliser plein de tissus différents et faire des vêtements colorés, beaux comme des bijoux. Son esprit est parti ailleurs. Dans ce monde où la joie donne des ailes et permet tous les possibles, rien ne peut arrêter le processus de création poussé par tant d’amour de la vie.
…Un mois s’est écoulé depuis leur dernière semaine chez leurs grands-parents.
Marine revient un soir de semaine fièrement, elle a hâte de montrer sa création. Elle pose son sac d’affaires d’école et en sort une sorte de doudou/peluche en tissu. Il a de grands yeux et un grand sourire qui vous fixe jusqu’à vous traverser le cœur. Elle annonce : « C’est mon porte-bonheur, je l’ai appelé Talice ».
Mamie s’épanche sur le nouveau petit être qui vient de faire irruption dans sa vie. « Qu’il est beau. Pourquoi Talice ? »
Marine : « Ben talisman : C’est un garçon qui me porte bonheur ».
Mamie : « Ah, je vois encore une fois, que la soif du prince charmant n’a pas disparue, elle a juste muté. Ce désir n’a pas pris de rides. »
Béatrice (j’ai placé 4 anagrammes, hi hi).
Oups ! Ce désir n’a pas pris de rides.
– Mamie, c’est vrai qu’autrefois …
La gamine n’en revient pas
Elle observe ses doigts
Qui n’ont jamais servi à « ça »
Mais « ça », c’est quoi ?
Mamie lui a expliqué
Qu’il fallait délicatement humecter
Le doigt d’une main
Pour arriver à la saisir sans la déchirer
Quoi donc ?
Mais la page, ma chère !
Lui répond-elle d’un ton sévère
Pour tourner les pages de l’OBJET
– Mamie, que veux-tu dire ?
Eh bien, cet OBJET était fait de papier
Avec des feuilles imprimées
Qui racontaient plein d’histoires
La gamine peine à la croire
Aussitôt elle demande à l’IA confirmation
Des propos de sa grand-mère
Et l’IA lève le mystère
Lui raconte tout depuis Gutenberg
Et lui révèle le nom de l’OBJET
Un livre ! Un bouquin !
Que l’on tient dans ses mains
Qu’on ouvre avec respect
Parfois même avec gourmandise
Qu’on se le dise
Il arrive aussi qu’on le dévore
– Dis Mamie, tu me racontes encore
L’histoire de ce vieux trésor ?
Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
C’est en partie vrai. Tu sais, ce n’était pas une obligation. Rien ne t’empêchait de les tourner sans avoir à mouiller les doigts, mais c’était hyper pratique. Deux pages collées l’une à l’autre comme si elles ne souhaitent pas être lues, c’est énervant. Alors tu emploies les grands moyens. Tu te mouilles les doigts et la magie opère.
Moi j’avais aussi une petite boîte ronde en plastique avec une petite éponge à l’intérieur. Il me suffisait de mouiller l’éponge et plutôt que de mettre constamment mes doigts dans la bouche, je les mouillais en touchant la petite éponge. Mais je dois reconnaître que c’était un peu dégueu.
– Mamie ! Comment tu parles ? C’est pas beau !
– Je sais mon cœur, mais c’est vrai, c’était dégueu car après quelques jours, l’éponge schlinguait. Tu ouvrais la boîte et une odeur de pourriture s’incrustait dans les narines.
– Beurk ! Maman dit toujours que les éponges sont des nids à microbes. Elle les lave tout le temps. T’as pas été malade ?
– Non ! J’étais coriace comme mes petits camarades. En plus on s’amusait à les mettre sous le nez des copains et copines qui braillaient comme des veaux. Ça nous valait quelques punitions, mais c’était pas grave, on rigolait bien.
– Mais ça ne se fait plus maintenant. C’est à cause des microbes des éponges qu’on a des ordis ? Pour ne pas être malades ?
– Mais non, mon petit lapin. Les livres existent toujours. Tu sais il y a encore les inconditionnels du doigt mouillé, du doux bruit des pages qui se tournent, de l’odeur qui s’en dégage.
– Papa et maman ont des livres derrière une vitre. J’ai pas le droit d’y toucher. Ils disent que c’est du décor vintage et chic.
– Tu sais quoi, je vais te donner un livre rien que pour toi. Comme ça tu pourras découvrir comment c’était avant. Tu es d’accord ?
– Oh oui mamie !
Je lui ai donné l’histoire de Babar, le petit éléphant. Il prit le livre avec appréhension et fierté. Il s’installa, mouilla tous ses doigts et ouvrit le livre. L’odeur du vieux papier lui fit pincer le nez mais il continua sa lecture. En l’observant, j’ai constaté qu’il se détendait et prenait plaisir à tourner les pages avec ses petits doigts.
– Mamie ! J’ai fini ! Trop cool ! Sens mes doigts, ils sentent le vieux. Et tu sais quoi ? J’ai mieux aimé que ma tablette. C’est plus facile de lire et c’est trop marrant de mouiller les doigts, mais ça donne soif. Tu pourras m’en montrer d’autres ?
– Autant que tu veux. J’en ai plein ! En attendant vient prendre ton goûter, mais lave toi les mains d’abord.
– Oh non ! Je ne veux pas me laver les mains. Je veux garder l’odeur et la faire sentir à mes copains. Ils vont être jaloux car eux ne connaissent pas. Mais pourquoi on lit sur des machines maintenant ? À cause de l’odeur des livres ou à cause des doigts mouillés ?
– J’imagine que la raison est ailleurs. Va savoir. Tu sais, il y a des gens qui ont des idées loufoques. Peut-être qu’ils en avaient marre de porter trop de livres, de cahiers. Et puis d’un clic avec un doigt bien sec, tu as ce que tu veux. Fastoche, non ? Le hic, c’est en cas d’une longue coupure de courant. Là, ils sont coincés. Les livres ne s’éteignent pas faute de batterie. Donc, c’est qui les super champions ?
– Le livre et les doigts mouillés !!
– Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? C’est pas des blagues ?
– Tu sais, avant d’être ici, j’avais des livres dans mon chez-moi.
– C’est quoi des livres ?
– Tu n’en as jamais vus ! Pourtant, je t’en avais offert un l’an dernier pour tes 4 ans.
– Ah bon, je me rappelle pas.
– Ça, c’est extraordinaire, ce que tu me racontes là. Je me rappelle que sa couverture était décorée d’un lion, d’un éléphant et de toutes sortes d’animaux de la jungle.
– Ah oui ! Ce truc, chais pas où je l’ai mis. Moi, je préfère quand les animaux bougent comme dans les dessins animés sur ma tablette.
– Je vais t’en montrer quelques-uns, dit l’aïeule en prenant appui sur les accoudoirs de son fauteuil pour s’en extraire. J’ai pu en sauver une dizaine, mes préférés, parce qu’ici c’est tellement étroit avec ce lit qui prend toute la place que ça ne risquait pas que je les apporte tous. Quand ils ont vendu ma maison, ma famille les a enfermés dans des cartons et je préfère ne pas savoir leur triste sort.
Mamie, la petite Zélie sur ses genoux, ouvre un livre et montre à son arrière-petite-fille comment on lisait dans son temps.
– Beurk ! Tu vas attraper tout plein de microbes, s’écrie la fillette. On doit pas sucer nos doigts, tu sais pas ça à ton âge ?
– Justement, avant on ne craignait pas les microbes, les bactéries, que sais-je encore ! Ils ne m’ont pas tuée, la preuve je suis encore là à bientôt 96 ans et je lisais durant des heures.
– Ouais, n’empêche que c’est trop nul ton livre, y a même pas des images. Tu dois avoir mal à la tête de lire sans arrêt.
– Une bonne histoire ne donne jamais mal à la tête, au contraire, elle nous fait voyager et réfléchir.
– Eh ben, moi, j’aime pas réfléchir, ça donne trop mal à la tête, justement.
─ Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
─ Mais pas du tout mon petit Louis. Il fallait humidifier légèrement le bout de ses doigts, soit sur une éponge prévue à cet effet dans les bibliothèques, soit en passant le bout de nos doigts sur nos langues, pour mieux agripper la page. Le papier était assez épais dans l’temps.
─ Beurk, c’est dégoûtant. Ça colle la salive.
─ Je t’ai dit légèrement humidifier, pas inonder les doigts. Ah, si tu savais comme j’aimais ces moments de lecture, quand on ouvrait un vrai livre. Le bruit des pages qu’on tourne, l’odeur du papier, parfois jauni, et même certaines fois on pouvait sentir l’encre d’impression.
─ Tu tournais les pages ? Mais t’avais pas une liseuse ?
─ Non Louis, cela n’existait pas quand j’avais ton âge. De toute façon mes parents n’auraient pas eu les moyens de me l’offrir. Nous n’avions juste de quoi nous nourrir et nous habiller. Nous nous prêtions un livre qui passait de frères à sœurs puis de cousin en cousine.
─ Il arrivait même qu’un courant d’air ne tourne une page pour nous. Je me souviens que cela faisait râler ma mère. Mais ça c’était avant Louis, du temps où on collait aussi des timbres sur les enveloppes de nos courriers. Maintenant tout est par écran, sans odeur, sans émotion.
─ Vous étiez bizarres, mamie, quand tu étais enfant. Moi, de toute façon je trouve que lire c’est perdre du temps pour jouer à mes jeux sur le téléphone de maman.
– Raconte-moi mamie, c’est vrai qu’autrefois il fallait tourner les pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? C’est pas une blagues ?
– Non c’est pas une blague. Pourquoi tu me demandes ça ?
– Parce que je l’ai vu faire dans un dessin animé. Je me demandais si c’était vrai. C’était une mamie comme toi, qui lisait un livre.
– Ah bon ! Dans quel dessin animé ?
– Je ne sais plus, ça fait longtemps, longtemps ! C’est trop vieux, je ne me souviens plus.
– Elle était toute seule ?
– Non, elle était avec un petit garçon dans la forêt.
– Ah ! Dans la forêt, elle lisait un livre !
– Ils étaient dans une maison bien sûr ! Il y avait même du feu dans la cheminée.
– Et qu’est-ce qu’elle lisait cette mamie ?
– Une histoire avec des animaux.
– Une fable !
– C’est quoi une fable ?
– C’est une histoire avec des animaux qui parlent.
– Ca n’existe pas des animaux qui parlent.
– Ils ne parlent pas. Mais souvent, ils disent plus de choses que les humains, tout en ne parlant pas.
– Les humains, des fois, ils en font des tonnes !
– Ah ! Tu crois ? Ca fait beaucoup des tonnes.
– C’est pour frimer !
– Ah ! Et ça veut dire quoi frimer ?
– Ca veut dire qu’ils ont oublié la simplicité.
– Tu en sais des choses !
– C’est parce que je regarde sur internet. Mais je préfère lire un livre de mon âge.
Geste perdu…
— Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
— Non mon petit, ce n’est pas du tout une blague. Avant l’arrivée du numérique et que les livres se changent en lumières et en écrans lisses, ils existaient en papier. Du vrai papier, qui craquait, se froissait, exhalait un peu la poussière et l’encre. Pour tourner les pages, il fallait en effet humecter son doigt.
— Mais maman me dit toujours de ne pas mettre mes doigts à la bouche, parce qu’à cause des microbes, je pourrai attraper une maladie.
— Oui… ta mère a raison, mais c’était différent. Le papier glissait, vois-tu. Trop lisse pour qu’on le saisisse, du fait que le bout des doigts n’a pas suffisamment d’adhérence, tandis qu’un peu de salive donne une adhérence humide qui aide à « coller » légèrement au papier. Cela est tout simplement dû au frottement cutané.
— Cul tanné ? Que viennent faire les fesses ici ?
— Mais non grand nigaud… c’est un terme qui désigne tout ce qui est relatif à la peau.
— Ah d’accord ! C’est un mot que je connais pas. Faut que je le note dans mon carnet.
— Fais attention à l’orthographe. Ça s’écrit en un seul mot et avec un seul « n »… il y en a suffisamment dans le monde comme ça… pas la peine d’en rajouter… Attends, donne-moi ton carnet, je te montre. Regarde… pour tourner la page, je mouille encore un peu mon doigt, comme avant. C’est presque un réflexe, un vieux geste de mémoire. Regarde bien : sans salive, ça glisse ; avec, ça accroche, juste ce qu’il faut, hop ! C’est bien mieux non. Tu veux essayer ? Non… pas l’index… avec le majeur… tu l’appuies sur ta langue et ensuite, sur le bord de la page… ici, en bas et au coin… voilà, tu vois ce n’est pas difficile, allez recommence.
— Beurk ! Ça a un drôle de goût le papier !
— Ce n’est pas celui de la pâte à tartiner, c’est sûr… Ton grand-père lui, il appelait son majeur de la main droite ; « le doigt de la volupté »…
— Et pourquoi mamie ?
— Il aimait sentir la texture du papier, la douceur du monde encore réel. Je le revois les yeux brillants, humectant son doigt avec un petit sourire au coin des lèvres, et prendre plaisir à compter et recompter, la liasse de billets qu’il cachait sous le matelas… Aujourd’hui, tout cela tient dans une carte de plastique. On ne compte plus, il suffit de passer devant un robot, de taper un code et des billets sortent d’une trappe, comme on te tire la langue…
— Mamie, c’est quand même un peu sale ton histoire de tourner les pages de cette façon… Parce qu’il est possible de poser son doigt à l’endroit où quelqu’un l’a déjà fait… et si la personne a laissé des microbes… eh bien tu les attrapes toi aussi !
— Peut-être, oui. Mais autrefois, on partageait tout sans trop s’en rendre compte : les microbes, les miettes, les pages, les histoires. C’était une façon de toucher le monde.
— Moi, j’aime bien tes livres dans la bibliothèque, ça sent bon, un peu comme la poussière du temps. J’aime sentir l’odeur du papier, mais pas de le goûter… je préfère une belle tranche de pain avec de la pâte à tartiner… Mamie, tourne encore tes pages comme on caresse un souvenir. Moi, je fais défiler les miens du bout du doigt…
— Oui, ce n’est pas mal non plus, c’est juste… plus lisse. Et il te manque le bruissement du papier… la résistance du réel, c’est un peu comme l’adhérence au monde, tout ce qui empêche la vie de « glisser » trop vite…
— Tu es nostalgique mamie !
Ben oui mon petit, j’ai toujours mouillé mon doigt, généralement l’index droit pour tourner les pages plus rapidement.
Du journal le matin ou de mes livres de papier le reste du temps, je lisais souvent.
Le fait de mouiller son doigt ça permettait de tourner juste une page et non pas deux.
Pour suivre le fil de l’histoire de mon roman préféré c’est facile, tu n’as jamais essayé mon chéri ?
Non mamie, moi je swappe sur mon portable ou ma tablette, mon doigt glisse de haut en bas ou de gauche à droite sur l’écran, c’est selon.
C’est bien pratique une liseuse numérique aussi, je peux grossir les lettres, changer de police, mettre de la couleur et pour mes cours je peux surligner les passages importants.
C’est beau aussi une liseuse la nuit, mais ma liseuse preférée c’est toi mamie, j’adore te voir lire avec ton doigt mouillé comme si tu voulais deviner d’où vient le vent et comment va se terminer l’histoire.
T’es belle mamie !
Il en a eu de la chance papy de t’avoir à coté de lui.
Il lisait aussi avec son doigt papy ?
Oui mon petit, il me manque ton papy et de temps en temps je lève le doigt au ciel et fait comme ET pour retourner maison là haut au ciel avec lui.
Ah non mamie, tu sais il t’attend et moi je veux te garder longtemps, j’ai besoin de toi et que tu me racontes encore des belles histoires.
Bien sûr mon poussin je reste avec toi, allez viens je vais te lire un conte de Noël avec mon doigt. Viens vite.
Oui mamie chouette, t’es trop top mamie chérie.
Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
Non, ce n’est pas une blague ! Mais ce n’est pas une question d’époque tu sais ! Observe bien les gens qui lisent autour de toi et tu verras que la pratique a de bons jours devant elle !
Moi, je ne le fais pas…
En es-tu sûr…C’est une pratique assez étrange que l’on ne conscientise pas ! Bien des gens ne s’en aperçoivent même pas !
Mais pourquoi fait-on cela ?
A ton avis mon ange ? Pour avoir le goût de lire pardi ! Et ce goût, une fois que tu le connais justement, tu n’as qu’une envie, c’est de le retrouver ! Alors tu mouilles ton doigt, et tu savoures chaque page comme une bouchée de ton gâteau préféré. Le livre est une vraie nourriture. Ne te prive jamais de celle-là, elle ne te fera jamais aucun mal. Tu noteras qu’elle s’accommode très bien du grand air ! Tu peux donc te nourrir du livre et te dépenser, t’aérer la tête avant de te rasseoir sur un banc pour reprendre une petite part de ton meilleur festin.
J’espère que tout mon cœur que la « pratique de lire a de bons jours devant elle », quel que soit le médium utilisé – papier – ou tablette. Il me semble que cela est possible si le « goût » de lire est cultivé très tôt, encouragé, pour devenir « nourriture » et « festin » pour l’esprit. Merci Iris 🙂
Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ?
Ce n’est pas une blague ?
– Non, ce n’est pas une blague mon chou !
– Tu faisait ça toi ?
– Bien sûr que non… Pas folle la guêpe …
Par contre, à toi je peux bien le dire, c’est moi qui ai eu l’idée d’utiliser cette habitude pour mener à bien certaines de mes missions.
– Raconte Mamie… Raconte…
– Ah ! Si tu savais mon chou ce que les hommes sont naïfs !!!
Oui, il m’est arrivé de répandre un peu de cyanure sur les coins de certains documents.
Mais c’est pas de ma faute si des hauts fonctionnaires mouillaient leurs doigts pour tourner les pages n’est-ce pas ?
– C’est vrai Mamie, c’est pas de ta faute ?
– On est bien d’accord !
– Et ils sont morts alors ?
– Pas tous… pas tous… Mais certains oui ! (ça dépendait de la qualité du cyanure que j’arrivais à me procurer)
– T’a fait ça longtemps ?
– Bof !…je faisais ça entre deux spectacles.
C’était une autre époque.
L’époque où on m’appelait « Mata Hari »
Sacrée Camomille !
Il y a prescription…
Bien à vous.
Raconte mamie, c’est vrai qu’autrefois il fallait tourner les pages et mouiller son doigt quand on lisait ? Ce n’est pas une blague !
Oui mon bonhomme, on tournait les pages mais défendu de mouiller son doigt car ça les abîmaient et les livres coûtaient cher.
Un livre était un rectangle composé de feuilles protégées par une couverture J’ai même connu ceux dont il fallait couper les pages au fur et à mesure car elles étaient pliées avant d’être reliées entre elles.
Wouahou, dis donc, ça devait être casse pied
Pas vraiment, tu t’installais confortablement avec ton bouquin et un coupe papier. Il y avait deux écoles, les coupe-tout- de- suite , les coupe-au-fur-et-à-mesure.
T’étais de quelle école mamie ?
La deuxième, imagine : tu en es au moment où Paul, un ouvrier, va demander à Louise de l’épouser, mais il sait que celle ci hésite, un autre lui plait aussi, c’est René le fils du directeur de l’usine à papier.
Alors, s’il fallait interrompre ta lecture pour couper les pages !!!
Ben dis donc
Oui, ben dis donc mon garçon
Mais alors avec lequel elle s’est mariée ?
Ca mon petit Guillaume, tu vas le découvrir toi même, j’ai gardé beaucoup de mes vieux compagnons de lecture, je vais te le prêter. Et attention au doigt mouillé
Ils rient tous les deux
Tu crois que je vais y arriver ?
Bien sûr, tu pourra en parler à ta maîtresse d’ailleurs
Trop la classe, s’il y a des mots que je ne comprends pas tu m’aideras?
Mais oui, je suis trop heureuse d’encourager un nouveau lecteur et comme on disait au siècle dernier :
bienvenue au club.
J’ai connu un gars qui salivait énormément, rien qu’à l’idée de plonger, tête baissée, dans le futur livre qu’il s’était choisi. Les sueurs froides n’arrangeaient rien quand il reluquait la couverture de l’œuvre, bâche sobre de la notoriété ou tartan enluminée de l’esthétique commerciale .Les quatrième de couverture entraînaient d’indescriptibles baves d’impatience. Il se fondait dans l’œuvre et vice et l’autre versant.
Le plus souvent, le fait d’humidifier son doigt pour tourner les pages suffisait à achever les traces de mots et à rendre la quasi-totalité des lectures inachevables.
Il était fort apprécié des libraires.
Forcément, cette voracité incontrôlée, imbibée des liqueurs les plus humaines l’obligeait à acheter chaque livre en, au moins, 10 exemplaires.
Je viens de me souvenir. Dans le nom de la rose, le doigt mouillé sur un coin de page imprégné de scianure était un moyen de tuer sans laisser de trace.
Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
C’est la dernière question que tu m’as posée en partant, Iris, alors j’y ai réfléchi pour te répondre le plus complètement possible.
Nos ancêtres de la préhistoire pouvaient lire les scènes de chasse, qui constituaient leur quotidien. Ils utilisaient le relief des grottes, la flamme vacillante des torches donnait une impression de mouvement.
Dans l’Égypte antique, la lecture était possible pour les gens instruits, par des hiéroglyphes, gravés dans la roche. Ils constituaient comme une bande dessinée, à la gloire du pharaon.
Par la suite, en Europe médiévale, la religion catholique avait un rôle central. La population lisait l’enseignement de la bible, via les dessins en couleur qui ornaient nos églises. À la gloire de Dieu et de sa morale.
A l’ombre des monastères, les premiers livres étaient rédigés à la main. Une recopie laborieuse par des moines qui ont le temps et le goût du travail bien fait. La bible est le premier livre à être ainsi démultiplié, dans une richesse de détails.
Et puis est arrivé Gutenberg et la révolution de l’imprimerie. Cela permettait de multiplier la fabrication de livres et journaux à l’infini, sur tous les sujets possibles. Alors oui, j’ai connu et aimé les livres. Je lis tous les jours, comme tu dis, en tournant les pages, au besoin après avoir mouillé mon doigt. Toi aussi tu as aimé les livres que je te lisais quand tu étais petite.
Bien sûr, aujourd’hui, il y a internet, l’intelligence artificielle et on peut désormais agréger l’ensemble des connaissances du monde, en un instant. Je l’utilise aussi, quand j’ai besoin d’informations. Pour l’imaginaire, en revanche, j’aime retrouver mon livre, hors de toute lumière artificielle, avant de faire de beaux rêves.
Peut-être aurais-tu apprécié quelques livres de ma bibliothèque, à l’ancienne. Ils sont directement accessibles sans téléchargement et c’est gratuit !
Si seulement tu n’avais pas lu avec tes iris connectés, tout en traversant la rue. La voiture aux mille capteurs capables de lire et d’anticiper l’avenir, n’a pas eu le temps de freiner et ce n’est pas une blague !
778e/ MOUILLER SON DOIGT AVANT DE TOURNER LES PAGES !
Ceci explique peut être pourquoi les livres deviennent des ‘reliques’ ! Parce qu’ils sont dépositaires de la salive de tous les lecteurs me précedant.
Et l’odeur ! ? L’odeur particulière des bibliothèques qu’il ne faut surtout pas trop aérer pour éviter que l’humidité imprégne les précieux bouquins… Toute une histoire !
Ça sent le vieux, le papier jauni, et en plus je suis persuadée qu’aussi précieusement que leurs lignes ils gardent les microbes. Rien que d’imaginer qu’un de ces vieux livres vient de l’hôpital j’ai la ‘g..be’ comme disent les jeunes.
Mais pourquoi offrir des livres à des malades je vous demande ? Le temps qu’ils chaussent leurs lunettes et remontent leur plumard il est l’heure du bouillon… ou alors mettre des gants pour tourner les pages et un bout de collant pour leur fermer la bouche. Comme ça ils ne seront pas tentés de lècher le doigt. Il y a ça à l’hosto du sparadrap, ça ne manque pas. Ils en font un usage effréné.. Presque c’est leur signature, ainsi ils marquent leur passage. Les chats font pipi eux c’est le collant…
Pour y aller souvent je sais de quoi je parle. Et encore un petit ‘urgo’ la souris !
– Tenez, ça va vous plaire c’est le 22 qui nous a quitté qui l’a laissé…
Je n’ai pas demandé de quoi…
Et l’infirmière me montre un livre noir avec un fantôme qui écarte les bras comme une invite à le rejoindre.
j’ai interdit l’entrée du livre dans ma chambre. Je ne mettrai pas mon doigt où il a traîné le sien. C’est dit. 🐀
Mamie mouilla instinctivement son majeur droit et balaya sa tablette avec.
— Argh ! Qu’est-ce que tu me fais faire ? Ça ne veut pas tourner la page.
— Mais, mamie, euh ! Je viens de te dire qu’il ne faut pas mouiller ton doigt sinon ça ne marche pas. Mais pourquoi vous faisiez ça, autrefois, dit ?
— Que je faisais quoi, ma chérie ? On la finit cette histoire ou bien ? Il est temp que tu te mettes au lit.
— Je la connais déjà, mamie. Elle est nulle, cette histoire de petit chaperon rouge. Raconte-moi plutôt comment tu tournais les pages d’un livre. C’est rigolo.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. C’était juste pour éviter que deux pages se collent.
— Et pourquoi elles se collaient, dit ?
— À cause de la crème.
— Il y avait de la crème dedans ?
— Bien sûr. Mais seulement dans les bons livres. Un bon livre c’est comme un mille-feuilles. Oh ! il n’y a jamais vraiment mille feuilles, cinq cents tout au plus. Surtout à notre époque, ils sont de moins en moins épais et coûte de plus en plus cher. Surtout en pâtisserie.
— On pouvait manger le livre, mamie ? s’émerveilla la petite-fille à sa mamie. J’adore le mille-feuilles. Et les éclairs au chocolat aussi.
— Parfois tu pouvais avoir les deux. Mais sache qu’un livre ne se mangeait qu’avec les yeux. On dépaquetait alors chaque page avec son doigt que l’on mouillait délicatement pour décoller la crème de la page suivante et ne pas laisser une miette du feuilleté si croquant.
— Mmmm ! Ça avait l’air délicieux !
— Ma chérie, le moment où on mouillait son doigt avant de reprendre une bouchée de crème, c’était une manière de faire durer cet instant délicieux, comme toi avant de croquer ta pâtisserie préférée à pleines dents. Tu ne peux pas savoir comme c’est jouissif !
— Ça veut dire quoi jouissif ?
— Ça veut dire que tu es si heureuse que tu as envie de pleurer de joie.
— Oh ! Mamie, je veux manger un livre, moi aussi.
— Demain, promis, ma chérie. Nous irons à la librairie en acheter un très très bon. Bonne nuit et fais de beaux rêves !
J’aime beaucoup la métaphore : un livre c’est comme un mille feuilles. Il n’y a jamais mille feuilles mais que c’est bon 😊 bravo et merci
Le mille feuilles… mon gâteau préféré ! Difficile de le manger sans qu’il s’écrase en faisant déborder la crème… et hop… un coup de doigt et l’affaire est réglée…
– Raconte-moi mamie. C’est vrai qu’autrefois, il fallait tourner des pages et mouiller ses doigts quand on lisait ? Ce n’est pas une blague ?
– Non, mon poussin, c’est la vérité. Maintenant, plus besoin de mouiller les doigts pour tourner les pages d’un livre numérique
– Et vrai, que la télé-commande n’existait pas qu’il fallait se lever pour changer les chaînes de la télévision ?
– C’est également vrai mais la plupart du temps on demandait au petit frère ou à sa femme de le faire à notre place. Tu ne peux pas savoir combien j’ai béni l’inventeur de cet ustensile
– Et le stylo-plume et l’encrier, tu les as connus ?
– Bien sûr ! Ils nous faisaient apprendre à bien écrire, notre écriture était belle, les pleins et les déliés hélas ont disparu
– Il paraît qu’avant les professeurs avaient toujours raison même quand ils avaient tort, c’est vrai ?
– Oui, nul n’aurait songé à mettre leur parole en doute même quand ils affirmaient, par exemple, que Casablanca était la capitale du Maroc. Personne en leur aurait manqué de respect
– Dis, Mamie, c’est vrai qu’avant la pilule n’existait pas et que les femmes pouvaient avoir un bébé tous les ans
– Et même parfois deux. Si l’un naissait en janvier, un autre pouvait naître en décembre. Tu ne peux pas savoir combien j’ai béni l’inventeur de la pilule
– C’est vrai Mamie, que tu as connu l’arrivée de la télévision ?
– C’est vrai et tu ne peux pas savoir comment mes soirées pouvaient être ennuyeuses et combien j’ai béni l’inventeur de cet appareil qui a sauvé mes après-dîners
– Un copain m’a dit que vous tous aviez vécu dans des grottes, que vous étiez habillés de peaux de bête et que vous tourniez un bâton sur une pierre pour avoir du feu. C’est pas vrai ? Il a dit cela pour m’embêter n’est-ce pas ?
– Tiens voilà la maman de ton papa qui nous fait encore une fois la bonne surprise d’arriver à l’improviste. Pose-lui des questions. Elle a bien connu le temps des dinosaures.
Heureuse de votre retour sur ce blog Françoise. Je me souviens combien j’avais de plaisir à vous lire… et encore aujourd’hui. 🙂
Intéressant développement sur les autres progrés techniques, aui révolutionnent notre monde 😊
« Absolument pas ma chérie, ce n’est pas une blague. Mes parents m’avaient interdit de mouiller mon doigt pour tourner les pages, ils disaient qu’un livre se respecte et que je devais prendre le haut de la page à droite, au coin, entre le pouce et l’index pour la tourner. Parfois, c’était difficile, alors je désobéissais et je mouillais mon doigt. Mais tu sais, nous n’y pensions pas. C’était normal.
D’ailleurs, tu me poses une question qui me fait réfléchir. Lorsque je lis un livre papier maintenant, je ne sais même pas comment je fais. Attends, je vais en prendre un pour voir. Mes gestes sont si automatiques… C’est bien ça, je prends la page dans le coin à droite entre mon pouce et mon index et il n’y a rien de plus facile. Tu vois, c’est drôle, je serais curieuse de savoir s’il existe encore des personnes qui mouillent leur doigt. Une petite enquête que je vais mener auprès de mes amis.
En revanche, ce que tu ne sais peut-être pas, c’est qu’à l’époque, les pages de certains livres n’étaient pas coupées. Lorsque nous lisions, nous avions besoin d’un coupe-papier. Tu veux que je t’en montre un ? »
« Non mamie, je sais ce que c’est ».
« Donc il fallait toujours avoir cet objet pour pouvoir séparer deux pages, ce qui rendait la lecture plus excitante, car un laps de temps était nécessaire pour savoir la suite de l’histoire. ».
Ha!ha! je viens de me rendre compte qu’en feuilletant un magazine à la maison je mouillais mon doigt !
L’idée de mon exercice d’écriture est venue quand j’ai vu ma femme tourner les pages de mon prochain livre.
Mais oui, j’ai connu cette époque où les imprimeurs, pour résuire leur coùts sans doute, nous laissaient faire le travail de découpe. Merci pour le rappel d’une époque. Moi qui suis impatient, je me souviens qye ça m’aggaçait 🤣
L’enfant s’était rapprochée de l’aïeule, endormie dans son fauteuil. Elle observa longuement ce visage à la peau parcheminée, puis ces mains qui avaient tourné tant de pages de la vie — et de tant de livres.
Les étagères de la bibliothèque en étaient si chargées qu’elles semblaient prêtes à craquer à tout moment. Alors qu’il aurait suffi, songeait l’enfant, d’une mince liseuse.
Ses parents disaient que les ouvrages de Mamie étaient des nids à poussière, et que son asthme chronique provenait sûrement de cet entêtement à conserver toute cette compilation de pages jaunies. Avec, assurément, des virus en dormance — mais pour combien de temps encore ? — pour les avoir tournées, le doigt mouillé de salive. Un geste ancestral dont on comprenait mal aujourd’hui le sens.
L’enfant était inquiète. Il fallait sauver Mamie. La questionner. La raisonner. Lui interdire cette pratique dégoûtante. Et si elle s’obstinait, lui demander au moins de porter une combinaison intégrale et des gants de protection imbibés de gel désinfectant.
C’est alors que Mamie se réveille et que l’enfant lui expose l’affaire. Troublée par ce vaillant discours, l’aïeule est secouée d’un terrible fou rire, puis d’une furieuse quinte de toux.
Prise de panique, l’enfant s’écrie :
— Tu vois ! Je te l’avais dit, c’est dangereux ici ! Il faut évacuer !
Excellent cette proposition. Idée qui cause la mort d’un individu dans « En vert et contre toux ». Bravo! J’ai bien aimé.