Question de style : faire passer le langage parlé en écrit
« Ni grand écrivain, mais styliste, je crois l’être. Louis-Ferdinand Céline »
« Le fait que vous me trouviez styliste me fait plaisir. Je suis cela avant tout – point penseur nom de Dieu ! ni grand écrivain, mais styliste je crois l’être.
Mon grand-père était professeur de Rhétorique au Havre. Je tiens de lui sans doute cette adresse dans le » rendu » émotif, un mitron de mots comme disent mes ennemis. Je suis bien l’émotion avec les mots, je ne lui laisse pas le temps de s’habiller en phrases… Je la saisie toute crue, ou plutôt toute poétique – car le fond de l’Homme malgré tout est poésie. Le raisonnement est appris – comme il apprend à parler, le bébé chante, le cheval galope – le trot est d’école. Encore est-ce un truc pour faire passer le langage parlé en écrit. Le truc c’est moi qui l’ai trouvé personne d’autre. C’est l’impressionnisme en somme. Faire passer le langage parlé en littérature, ce n’est pas la sténographie. Il faut imprimer aux phrases aux périodes une certaine déformation un artifice tel que lorsque vous lisez le livre il semble que » l’on vous parle » à l’oreille.
Cela s’obtient par une transposition de chaque mot qui n’est jamais tout à fait celui qu’on attend… une menue surprise... Il se passe ce qui aurait lieu pour un bâton plongé dans l’eau, pour qu’il apparaisse droit il faut avant de le plonger dans l’eau que vous le cassiez légèrement (…) Pour rendre sur la page l’effet de la vie parlée, spontanée, il faut tordre la langue en tout rythme, cadence, mots, et c’est une sorte de poésie qui donne le meilleur sortilège – l’impression, l’envoûtement, le dynamisme, et puis il faut aussi choisir son sujet. Tout n’est pas transposable – Il faut des sujets » à vifs « . D’où les terribles risques. »
Louis-Ferdinand CÉLINE – Lettre à Milton Hindus, Copenhague, le 16 avril 1947, Lettres Pléiade, 2009.
Merci Jean-Marc
Jean-Marc Durand, abonné au blogue, m’a adressé cet extrait par le biais de Facebook, j’ai pensé qu’il « parlerait » certainement aux abonnées, même si ce génial auteur est très contesté.
Je suis hors-n’homme. Un neuroatypique à dominance dyslexique atteint d’aphantasie : incapable de fabriquer des images mentales et de se représenter un lieu ou un visage. Mes facétieux neurones font des croche-pieds aux mots dans mon cerveau et mon orthographe trébuche souvent quand j’écris. Si vous remarquez une faute, merci de me la signaler : blog.entre2lettres(at)gmail.com
C’est comme ça qu’il écrit, le Ferdinand ! Le ventre tout gonflé de la laideur du monde, il aurait pu tout vomir sur les pages. Mais non, lui il montre la petite fleur sur le tas de purin pour qu’on sente mieux le vent qui la menace, il montre le pauvre bourrin qu’on traîne dans les tranchées, pour que, comme le cheval, on n’y comprenne rien. Toute la sainte journée il soigne de vieilles carcasses d’humanité toussotante, qui se traînent sur une terre rugueuse avant que d’y gésir; Il sait regarder l’homme, avec ses morceaux de haine et d’amour mélangés, avec la rage qui rend con, ça fait comme dans son stéthoscope, les battements de cœur sont parfois couverts par les borborygmes, il faut bien que la merde descende.
Merci Christophe. On ne peut mieux dire et écrire.
Céline un grand écrivain même si sa lecture est parfois difficile, rude et dérangeante. Un médecin qui ne faisait pas payer ses patients les plus pauvres. Et un homme complexe, antisémite qui pourtant n’a pas dénoncé les Juifs qui vivaient cachés dans la cave de l’immeuble où il vivait
Pas grand, mais géant.
Merci pour ce partage qui arrive fort à propos dans un atelier d’écriture créative. Céline, un personnage complexe, tout emprunt de générosité quand il avait choisi d’exercer la profession de medecin dans un dispensaire. Parfois même, les soins restaient gratuits. Il est indéniable que ses idées l’ont mis au ban de la société mais il n’en demeure pas moins que son œuvre nous livre quelques pépites littéraires.
Et un style inimitable
A part le voyage au bout de la nuit…
« Ce à part », relève du génie
Merci Pascal! Je ne pensais pas que tu partagerai ce message, ne le croyant pas à la portée de tout le monde. Si Céline a fait de très mauvais choix « politiques »et rédigé certains écrits bons à se torcher le fond, il a par ailleurs et surtout dans « Le Voyage » invité les gens à un autre langage. Certains le trouvent trop cru, moi je le sens poétique, touché par une « grâce » d’un ressenti authentique, une sorte de perpétuel premier jet (alors qu’il travaillait énormément ses manuscrits) et qui m’ont souvent emporté très loin dans l’émotion. Oui, Céline me parlait à l’oreille, contrairement à d’autres pompeux du texte. Allez y, tordez la langue, il en sortira un bon jus. Tout est, peut être à votre portée, si vous vous permettez de jongler avec les lignes et les notes.
Le tempo de ses mots, on ne l’oublie jamais
Merci du partage. Louis Ferdinand Céline est un de mes auteurs favoris 🙂
Après avoir publié, en mai dernier, un inédit de Céline intitulé Guerre, (200.000 exemplaires déjà vendus), voilà que les éditions Gallimard sortent un pavé de 550 pages intitulé Londres. Ne serait-ce pas une affaire plus commerciale que littéraire ?
Le commerce est aussi le métier des éditeurs non ?
L’opposition entre le vil commerce et les sphères éthérées de l’Art, peuplées de poètes écorchés et miséreux, harcelés par leurs logeuses et ravitaillés par les muses et typiquement française. J’y vois un héritage de l’aristocratie emperruquée qui, contrairement aux protestants, ne souffrait de déroger aux vils arts mécaniques. Mais je peux me tromper 😉