On ne sait plus s’ennuyer
Quand un vin mis en fût repose pour vieillir en cave, « quand il s’ennuie » comme disent joliment les vignerons, la part de l’ange s’envole.
Une partie de son alcool s’évapore au fil du temps. On dit que le vin rêve. De devenir un grand cru peut-être ?
Nous, contrairement au vin « on ne sait plus s’ennuyer ».
Dernièrement, tandis que j’attendais mon tour dans la salle d’attente d’un docteur, j’observais les patients.
Six personnes étaient là, avant moi.
L’une somnolait en feuilletant Gala, les cinq autres jouaient avec leur téléphone portable.
Elles tuaient le temps avec une béquille électronique.
On ne sait plus laisser notre esprit se perdre dans nos pensées.
Il faut trouver de quoi remplir son « vide mental », sinon on risque de s’ennuyer.
Pas question de « faire cerveau-libre », défense de « rêver à sa faim » il faut s’occuper.
Comme on occupe les enfants, le mercredi ou pendant les vacances, avec des occupations sportives ou culturelles.
Il ne faut surtout pas qu’ils s’ennuient ces petits !
L’être humain a la fabuleuse capacité de rêver. Même éveillé. D’atteindre les étoiles sans bouger de sa chaise. Même dans une salle d’attente…
Méfions-nous de cette société où l’Homme tue le temps avec des hochets de peur de s’ennuyer.
Pour ne jamais s’ennuyer c’est facile. Il suffit de mettre son cerveau en état d’alerte permanente, de façon à ne jamais laisser passer
la moindre petite idée exploitable par écrit.
Et de noter tout ça sur un carnet ou sur son smartphone…
Quand j’étais enfant, parfois je m’ennuyais.. Mais pas très longtemps car j’ai très vite trouvé refuge dans les livres, où je pouvais passer un temps infini.
Aujourd’hui, je ne m’ennuie plus, je vis le moment présent, quel qu’il soit, je vis les moment d’inaction qui me sont donnés, j’en profite : écouter, regarder, réfléchir, voir, admirer, méditer. J’aime les longs trajets, ce sont des moments pour moi, ne rien faire que profiter du temps qui passe. Et j’ai toujours, un, voire deux ou trois livres à proximité, pour m’évader.
C’est devenu une sorte de snobisme de ne pas s’ennuyer. Combien de personnes j’entends dire avec gloriole « Moi je ne m’ennuie jamais » comme si s’ennuyer était une tare. Du coup j’ai l’impression d’être une extra-terrestre et je rentre dans leur jeu. Je réponds comme un mouton de Panurge : « Moi non plus ». Mais c’est fini à partir d’aujourd’hui je dirai » A bon, moi cela m’arrive de m’ennuyer, je suis comme le vin qui se bonifie ! » j’ajouterai même « c’est la part de l’ange qui s’en va » !!
Il y a de la ressource dans l’ennui, il n’est qu’une recherche, parfois douloureuse de doutes menant au frère désespoir. L’ennui quand il m’habite, je l’accepte sans qu’il ne m’abatte. S’il se pointe, c’est un message qu’il m’apporte, et je sais alors que je dois profiter de cet ennui, ne pas le fuir par n’importe quel moyen, non ; pour le gouter cherche et enfin trouver ce qui m’occupera avec entrain et envie, le contraire de l’ennui. Se remplir de fadaises me mènerait à une falaise ou finalement, je chercherai l’ennui en faisant demi-tour. J’ai appris à m’ennuyer car l’ennui est un guide, un couloir sombre et étroit qu’il faut que je parcoure avec patience et attention pour trouver la porte ou la fenetre lumineuse.
Parfois on n’a pas le temps de noter tout ce qui se déroule dans notre tête, au risque de rater une image à se pencher sur ses notes.
Cela m’est arrivé dans le train récemment. Un vrai régal d’écriture de scénario dans ma tête, sans la volonté de sortir une feuille et un stylo pour ne rien rater du film que je mettais en scène. J’étais scénariste-spectateur ! … Je tournais et visualiser en une prise, sans caméra, ni bobine, ni montage pour un coût de zéro euro.
Chaque personnage semblait dans un rôle évident, le coupable, l’innocent, le complice, la victime. ils avaient les têtes de l’emploi que je décidais de leur donner. Au fur et à mesure que le train roulait, chaque attitude de l’un ou de l’autre alimentait mon histoire, mon enquête pour être précis, tel un roman d’Agatha Christie. Je jubilais tout en étant frustré de ne pouvoir continuer une fois arrivé. Si seulement j’avais pu filmer la scène pour me replonger plus tard dans mon scénario et mes personnages… Car une fois rentré chez moi, les traits physiques et comportementaux de mes acteurs s’étaient envolés. Impossible de retrouver l’atmosphère qui m’avait stimulé.
Juste pour dire qu’au delà de l’écriture même, il y a un réel plaisir à se plonger dans ces personnages qui nous entourent et les faire jouer à leur insu un rôle qu’ils n’ont pas choisi. Peut-être qu’un jour tout ces personnages reviendront à mon esprit et alors … telle une évidence les scènes s’écriront sous mes yeux et sur une page blanche cette fois !
Voilà, j’avais envie de vous raconter ça !