Exercice inédit d’écriture créative 132
Un manuscrit s’est encore immolé hier,
dans le hall d’une grande maison d’édition à…
Racontez la suite de ce fait divers
Un manuscrit s’est encore immolé hier,
dans le hall d’une grande maison d’édition à…
Racontez la suite de ce fait divers
Un manuscrit s’est encore immolé hier, dans le hall d’une grande maison d’édition à…
Ma très chère Mireille,
Au moment où tu liras cette lettre, je ne serai plus que cendres hélas.
Sans vraiment savoir ce que l’avenir nous réserverait, j’ai eu l’idée de cette lettre post-mortem. Je l’ai rédigée et confiée immédiatement à notre notaire.
Je voudrais te dire, ma chère Mireille, combien mon bonheur a été immense chaque matin lorsque tu venais t’asseoir à table, face à ce champ de lavandes.
J’aimais me baigner dans tes yeux bleus, j’aimais me noyer avec toi dans les méandres de tes souvenirs.
J’aimais entendre tes soupirs, j’attendais avec impatience ce léger sourire qui effleurerait tes lèvres. J’espérais ce haussement de sourcil qui donnerait le « la » de ton récit quotidien.
J’aimais voir ta main voyager sur la table, placer ou déplacer crayons, gommes, porte plume et flacon d’encre.
J’aimais sentir ta main si douce caresser mes feuillets. Je savais que, ces rituels accomplis, tu étais prête à « écrire ». Tu étais si seule, Mireille, alors, ta plume courrait , courrait…
Je me suis senti orphelin le jour où tes mains m’ont abandonné dans une grande maison d’édition du pays d’Aix. Et pourtant, Mireille, je voulais convaincre les éditeurs de la valeur de ton trait de plume.
J’ai fait de mon mieux, mais à chaque fois, la réponse était la même :
« Nous vous informerons de la suite… »
Aujourd’hui, Mireille, je suis fatigué. Fatigué d’avoir été retourné, trituré, malmené, écrasé sous d’autres manuscrits (peut-être aussi malchanceux que moi). Je sens que je suis arrivé au bout de mon chemin.! Et en même temps, je me sens animé d’une impertinente espièglerie!
Écoute, Mireille, rapproche toi, je vais te faire une confidence….
Cette septième immolation – la mienne- dans le hall de cette grande maison d’édition (ingrate selon mon avis), défrayera la chronique ! Et pas simplement pour le geste, mais pour la suite qu’il réserve !
Je crois que les lecteurs sont prêts !
Face à cette série de suicides , ils ne croiront plus à la déception d’un de nous. Une idée germera. Ils imagineront un complot ourdi pour taire des secrets incendiaires…et, bien sûr, ils voudront en connaître la teneur! Tu peux imaginer la suite…
Écoute… J’ai pris soin de me faire recopier par une main bienveillante. Mon jumeau t’attend chez notre ami Cornille de Callas. Vas le voir avec cette lettre. Alors, tu te feras aider par un de ces jeunes adolescents, doués en informatique. Tu verras, Internet peut être un allié redoutable !
Ton fidèle manuscrit,
Frédéric .
Un manuscrit s’est encore immolé hier, dans le hall d’une grande maison d’édition à 13h30, l’heure à laquelle les salariés prennent généralement leur pause déjeuner.
Personne donc n’a pu venir en aide à temps à ce malheureux manuscrit, même si la réceptionniste, seule présente non loin du lieu du drame, dit s’être demandé d’où provenait cette si forte odeur de brûlé. Seule à son poste, celle-ci n’a pas pu se déplacer pour en savoir davantage. Le manuscrit a donc brûlé dans l’indifférence générale dans une maison d’édition bien connue des milieux littéraires parisiens.
Le manuscrit en question aurait été très dépressif ces derniers temps, selon son entourage. En effet, l’enquête de police révèle que l’éditeur refusait de l’éditer en l’état et avait demandé à son auteur de retravailler quelques parties, notamment la fin, ce que ce dernier aurait refusé de faire estimant que son récit étai parfait tel quel. Las de cette guerre entre les deux protagonistes de sa vie, le manuscrit aurait décidé de mettre fin à ses jours pour mettre fin à cette querelle. Les enquêteurs de police ont retrouvé une note laconique laisée par le manuscrit, qui fait état de son désespoir de se voir un jour exposé dans les rayons de librairies et stipulant qu’il ne pouvait accepter davantage de subir pareille humiliation.
Cette immolation relance la question de la relation entre éditeur et auteur. C’est la cinquième immolation de manuscrit à ce jour depuis le début de l’année pour les mêmes raisons. D’aucuns se posent la question de savoir à qui revient la responsabilité. Faut-il blâmer les éditeurs qui feraient preuve de trop d’exigences ou l’es auteurs dont on accuse l’égo démesuré ?
La vigilance a été désormais renforcée dans les maisons d’édition pour empêcher que pareil drame ne se reproduise. De son côté, le Syndicat des Manuscrits non-Edités ( SME) a fait état de sa consternation et a demandé à ce que les auteurs ne soient plus indifférents au sort des manuscrits que les éditeurs refusent d’éditer. Enfin, il a été convenu d’un commun accord que ni liquide inflammable, ni objets pouvant dégager une flamme ne seraient désormais acceptés dans les maisons d’édition. Bien évidemment, si un manuscrit décide de se donner la mort, il trouvera probablement un autre moyen de le faire, mais l’immolation reste certainement le moyen le plus radical de se réduire en cendres.
Le ministère de la culture et les Comités de Lecture avant Publication ( CLP) sont en pourparlers pour trouver une issue favorable à la crise sans précédent que traversent actuellement les manuscrits. L’Union des Mots et des Phrases ( UMP) espère, pour sa part, cette immolation sera la dernière de cette longue série. La famille du manuscrit brûlé n’a pas souhaité s’exprimer sur la question.
Halima BELGHITI pour PIPO PRESS
Un auteur qui a été publié (à compte d’éditeur) après avoir été refusé cent-soixante fois…
Un manuscrit s’est encore immolé hier,
dans le hall d’une grande maison d’édition à…
Lyon. Il est passé dans je ne sais combien de main, a être lu, relu, corrigé… tout ceci pour que le comité de lecture décide si oui ou non il sera édité…Que de stress, et son auteur y a mit tellement de coeur ! J’ai entendu dire, qu’un sortilège avait été jeté à ce dernier, si cette fois il ne passait pas l’étape suivante, la fin serait torride.
Chaque membre du comité trouvait quelque chose à redire, trop ceci, pas assez cela… et les feuillets n’en pouvait plus de cuire ! S’en était trop… ils veulent quelques choses de nouveau et bien soit !
Pendant la commission, chacun vidait son sac et le manuscrit était là… attendant son heure… à brûle pourpoint, il ne put s’empêcher de s’enflammer ! ras le bol de tout ce déballage… il y avait une vie dans ces brûlants écrits…
On dit que les membres ont essayés d’éteindre l’incendie… le manuscrit fut récupéré en partie, il sera édité dans quelques mois car certains passages sont torrides et le bouquin étant bouillant, il faut le manipuler avec grand soin.
Un manuscrit s’est encore immolé hier, à Paris, dans le hall des Editions Robert Laffont, la grande maison d’édition.
Les premiers informations donnaient à penser qu’il s’agissait du manuscrit d’un jeune auteur désespéré de ne pas être publié. Mais, nous venons d’apprendre le nom du désespéré : il s’agit du grand roman « Fahrenheit 451 ».
Depuis peu, une vague de suicides a lieu devant le siège des Editions Robert Laffont. De grands ouvrages écrits pas les géants de la littérature ont ainsi mis fin à leurs jours :
« Le grand sommeil » et « Voyage au bout de la nuit ont tous deux a succombé à l’ingurgitation massive de somnifères ;
« De sang-froid » s’est taillé les veines ;
« L’adieu aux armes » s’est tiré une balle de révolver dans la tête ;
« Le Ventre de Paris » s’est fait hara-kiri ;
« Sur la route » a lancé son véhicule à 120 km/h contre un platane ;
Le roman-fleuve « À la recherche du temps perdu » s’est noyé » dans la Seine ;
« La corde raide » s’est pendue ;
« Zazie dans le métro » s’est jetée sous une rame à la station Bobigny- Raymond Queneau
« L’herbe rouge » a mis fin à ses jours suite avec une overdose d’héroïne
« Le Pont de la rivière Kwaï » s’est précipité dans le vide
Le dernier suicide en date a suscité une intense vague d’émotion : « Le Coran » a péri en effet dans un attentat-suicide
La raison officielle de ces actes de désespoir demeure inconnue. Cependant, une rumeur commence à se répandre dans les cercles littéraires les mieux informés. Selon celle-ci, tous les suicidés auraient été profondément déprimés par les courbes de ventes des livres d’un certain Marc Lévy.
Un manuscrit s’est encore immolé hier, dans le hall d’une grande maison d’édition à New York. A l’aune du troisième millénaire, le phénomène est clairement en recrudescence et inquiète les intellectuels. Nous avons à ce propos, interviewé récemment James Ellroy, enfant terrible de l’Amérique et historien acharné du jeune Continent. Selon lui, les explications demeurent complexes mais procèdent clairement de la lente déliquescence de la production littéraire, polie et lustrée au politiquement correct. Si l’on revient un court instant sur les précédents, le constat est sans appel. Les manuscrits sacrifiés sont des monuments de la littérature américaine, de Faulkner à Auster, en passant par Easton Ellis, du classique au plus subversif. Le phénomène a été étouffé au départ, un simple entrefilet dans les lignes du New Yorker, un incendie banal attribué au délire d’un pyromane. Mais force est de constater, que l’incident s’est reproduit à plus de vingt reprises, dans les plus grandes maisons d’éditions aux quatre coins des USA. Les principaux témoins de ces « combustions spontanées » ne se sont pas montrés diserts au départ, craignant de passer pour des illuminés. Mais depuis dix jours, les langues se délient sur les réseaux sociaux. C’est ainsi que notre enquête a débuté. Nos envoyés spéciaux d’Asie et du Moyen Orient viennent de faire une découverte stupéfiante. Des centaines de manuscrits ont subi un sors similaire dans la plupart des grandes villes. L’information est manifestement un sujet brûlant. Nos journalistes ont subi des pressions et des menaces explicites de la part des gouvernements concernés qui tentent désespérément de museler l’affaire. Nous avançons l’hypothèse que le Verbe mondial a amorcé sa propre révolution et choisi le martyre comme symbole d’une libre pensée qui se meurt. Tel le Phénix, nous pensons qu’il aspire à renaître de ses propres cendres. Par le présent article, nous tentons d’attirer l’attention, au nom de la liberté fondatrice de notre peuple et de nos valeurs, sur ce suicide collectif de la pensée. Les hommes et les dictatures se sont nourris des autodafés depuis la nuit des temps. Mais jamais l’humanité n’a été confrontée à la puissance d’un tel symbole. Nous assistons, aveugles incrédules, à l’autodestruction de nos propres productions. Avant le triomphe accompli des prévisions nihilistes, le message adressé à la civilisation semble clair.
Un manuscrit s’est encore immolé hier, dans le hall d’une grande maison d’édition dans le quartier St Supplice.
Les uns après les autres, les manuscrits se livrent, corps et graisse, en offrande à leur divinité, sous les incantations : « stockez-moi ! ».
De feuille et d’encre (qui tâche parfois les doigts), ils rêvent de se désintégrer en purs points, immatériels mais réels, se reflétant élégamment sous une dalle de verre que le lecteur effleure d’un doigt léger (en perdant, au passage, sa manie dégoutante de se lécher le doigt).
Les liseuses sont tellement séduisantes qu’elles font perdre la tête aux manuscrits qui ne rêvent que de se réincarner en pixels d’encre électronique, sous leur écran froid. C’est dur de rester à la page !
Un manuscrit s’est encore immolé hier, dans le hall d’une grande maison d’édition, à Houilles. Interrogé ce matin par la police, son auteur a déclaré :
« Mon manuscrit avait une épouse, Océane. Mais celle-ci lui a toujours été infidèle. Fréquentant un jour un manga, un autre jour un livre de cuisine…sa réputation était faite ! L’année dernière, Océane finit par se remarquer par un éditeur. Celui-ci ne tarda pas à tomber amoureux d’elle ; il la publia à grand renfort de publicité. Le succès fut immédiat, Océane est aujourd’hui traduite en 14 langues à travers le monde.
C’en était trop pour mon manuscrit, lui qui n’avait même pas encore de nom. Hier soir, je l’ai vu courir chez ce fameux éditeur… Le temps que j’arrive, je l’ai vu craquer l’allumette… »
©Margine
D’après un signet, très proche du défunt, il semble que le malheureux ne supportait plus d’être oublié au fond d’un tiroir. Ce que confirme une plume Sergent- Major qui lui tenait compagnie depuis plus d’un demi-siècle.
Un presse papier, employé chez un antiquaire, serait également concerné par ce drame. D’autre part, une rame de papier jauni est actuellement gardée à vue dans les locaux de la police de caractère. Nous vous tiendrons au courant de la suite de cette affaire dans notre prochaine édition. Notons qu’aucune tâche n’a été relevée contre le directeur de la maison d’édition même s’il est évidemment dans ses petits papiers.
Un manuscrit s’est encore immolé hier, dans le hall d’une grande maison d’édition à Saint Sauveur du Livre. C’est le cinquième sacrifice de ce genre en un mois à peine, après l’annonce du décret sur la création littéraire limitant le nombre de mots autorisés par roman, nouvelle et essai, pour des questions de rigueur budgétaire et de relance de la lecture : plus besoin de relecteurs qualifiés et ouverture d’un nouveau marché de livres dits « faciles à lire ». Le 4 mai dernier, un premier manuscrit, essai philosophique d’un auteur peu connu jusqu’alors, Olivier Rebel, avait pris feu subitement chez un petit éditeur du 4ème arrondissement qui venait de le refuser. L’incident eut peu d’écho. Il fut suivi par deux autres événements similaires chez des éditeurs d’Outre-Mer, les 8 et 11 mai. Le 20 mai, pendant la conférence de presse du jury du Prix Nova Novel, plusieurs candidates déboutées firent irruption parmi les journalistes, reliées entre elles par un cordon de flamme pour un suicide collectif en direct, devant l’éminent aréopage. La rébellion des manuscrits se médiatisait et les milieux du livre commençaient à prendre un sérieux coup de chaud. Mais l’échauffement fut à son comble hier après-midi, quand le manuscrit du dernier R.W. Jokling, 52ème volume tant attendu de la saga Barry Chopler, se précipita, feuilles en flamme, dans un chaudron magique, au siège de son éditeur. Les Choplermaniaques investirent aussitôt les réseaux sociaux. L’Association des manuscrits refusés et même la vieille Garde littéraire, présidée par le Pléiade des Mémoires d’Outre-Tombe, appelèrent dans un communiqué commun à une manifestation générale, place du Roman, à Saint Sauveur du Livre, dimanche prochain à 15 heures. Pompiers et forces de l’ordre sont sur les dents. On craint l’embrasement général.
©Sylvie Wojcik