571e exercice d’écriture très créative créé par Pascal Perrat
Écritsanthème
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
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Si on accorde trop de répit à son imagination, notre cerveau se met d’abord en veille. Puis, il passe en cerveau-éponge, absorbant toute idée banale exprimée avec des termes stéréotypés. C’est le début d’un déclin cognitif. Mais rassurez-vous, sauf maladie, cette érosion se fait imperceptiblement et il y a moyen de la retarder.
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Lettres mortes
Phimoléon a une belle petite vie tranquille. Le matin il regagne tranquillement son emploi de bureau. Il passe par des petites rues calmes. Il aime humer l’air du matin ou regarder la lumière naissante du jour. Arrivé au coin du square, il profite d’une dernière inspiration, tourne, prends garde en traversant la rue principale et arrive au travail.
Ce matin le coin du square est en effervescence, c’est l’épicentre de toute une activité. Cela creuse, pioche, cogne. Phimoléon n’aime pas ce bruit et traverse la rue principale, tout aussi prudemment que d’habitude, sans remarquer une grande boite rectangulaire qui gît sur le sol.
Une fois au travail, il pose sa veste et endosse sa fonction d’employé aux écritures 2éme échelon. Il a la charge de répondre aux courriers des clients. Cela relève d’une agilité rédactionnelle, d’une intelligence toute particulière : accéder positivement à leurs demandes tout en leur montrant qu’ils ne répondent pas à tous les critères, qu’ils ont potentiellement tort, et que de fait ils ne peuvent bénéficier de ce droit légitime … au grand dam de la compagnie naturellement.
Au terme de la journée, il aspire à rentrer chez lui, apprécie les bienfaits du même chemin puis profite de sa soirée. Mais ce soir surprise au coin du square. Là se dresse fièrement une boite à livre, certainement le fruit de l’effervescence du matin. Il n’a rien contre, mais comme il a suffisamment de lecture chez lui et chez son libraire, à quoi bon ? Néanmoins, poussé par la curiosité il pose un regard sur les ouvrages. Stupeur un des ouvrages s’intitule Lettre à Helga (a), lui qui croyait être le seul à rédiger des lettres qui vaillent ! Il se plonge dans cette lecture. C’est l’histoire de Bjarni un fermier islandais. Au seuil de sa fin de vie il décide de rompre le silence et d’écrire une longue lettre à son grand amour perdu, Helga, sa belle voisine. Il y raconte l’existence qui s’est écoulée, évocation d’un monde révolu : celui d’une vie paysanne traditionnelle islandaise qu’anime une âme pétrie de lectures bibliques et de légendes, entre mer et glace. C’est beau pensa-t-il, mais ce n’est pas une lettre, pas comme les miennes.
En fait l’activité de Phimoléon consiste à rédiger des lettres mortes, parfois il le regrette. Plus elles sont réussies plus elles sont inutiles, sans effet constructif, sans intérêt. La partie plus élaborée, la plus précise est le nom du client, son adresse, voir son numéro de dossier. Dans le meilleur des cas, un courrier bien réussi entraîne le doute ou la confusion et désespère le récipiendaire. De toute façon à peine réceptionnées par le client ces lettres mortes ont pour vocation d’être froissées de hargne, piétinées de colère, déchirées en mille et un morceaux.
Remettant l’histoire de Bjarni dans la boite à livre un autre titre l’interpelle, encore une lettre : Lettre à un jeune parent (b) . L’arrivée d’un enfant est un grand bouleversement familial où se succèdent des grands moments de joie et des moments plus compliqués. Bien qu’il n’ait pas connu cela Phimoléon imagine très bien la situation. Dans l’ensemble de l’ouvrage l’auteure, docteur de son état, met à la portée des parents les neurosciences affectives et sociales qui permettent de mieux comprendre les jeunes enfants. Elle invite ses lecteurs à changer de regard sur l’enfant. C’est intéressant en conclue Phimoléon mais pourquoi dénommer ces recommandations comme une lettre ? Cela n’a rien à voir avec les miennes !
Phimoléon dispose d’une agilité toute particulière pour maintenir la correspondance avec le client. Il utilise différentes astuces pour répondre factuellement au client, tout en le mettant dans l’expectative. Par exemple en usant d’un argument qui ne corresponds pas à la situation du client, ce qui amène ce dernier à faire une réponse circonstanciée. Son astuce préférée est de dénommer un document autrement que son titre officiel ou, en plus, de le faire réclamer à un service qui n’en est pas l’émetteur. Cela met le client dans l’embarras et occasionne une nouvelle correspondance. Cet enchaînement produit des pages et des pages de littérature succulentes.
Encore un titre, une lettre, une lettre à Antonietta (c) cette fois. C’est un autre univers d’amour et de respect que Phimoléon découvre. L’auteur parle à sa femme, et de sa femme. « Elle » qui n’est plus tout à fait là, emportée par la maladie d’Alzheimer. Comment retrouver son chemin lorsque la vie y sème les graines de la maladie ? Il livre les étapes de l’acceptation de la maladie, et celles de la vie qui se reconstruit une fois cette étape accomplie. La maladie permet à leur amour de se renouveler, de prendre une nouvelle forme mais est ce vraiment une lettre se demanda Phimoléon, mes lettres sont si différentes ?
Quand Phimoléon a un peu de temps au bureau, ou à la maison, il aime se plonger dans la lecture. Il se délecte du glossaire des sigles avec des expressions comme RLPi, à ne pas confondre avec RLP, ou le Ln (d). A défaut il se plonge dans le dictionnaire des acronymes, mais la palme de sa satisfaction revient aux 204 pages du Lexique des termes administratifs qu’il tourne une à une avec autant de délicatesse que de délectation.
Espérant trouver ce qu’il cherche, mais que cherche-t-il, Philémon fait un nouvel échange dans la boite à livre. Le titre est simple, et pour une fois il s’agit bien d’une correspondance, celle écrite ou dictée par Ossip Mandelstam (e), l’un des grands poètes russes du XXe siècle. Enjouées ou poignantes, tragiques ou implacables, ces lettres, sont souvent de magnifiques déclarations d’amour adressées à Nadejda Mandelstam, son épouse. Ce sont des correspondances, des vraies lettres mais aucune comparaison avec les vraies lettre que moi j’écris. Trouverai-je autre chose dans la boite à livre s’interroge Phimoléon ?
Lors de la rédaction de ses lettres Phimoléon affectionne trouver et rédiger ce qu’il estime être la bonne formulation. Il éprouve une fierté toute particulière d’être l’auteur d’un certain nombre d’entre-elles que d’autres, à l’esprit médisant, appellent des perles. Par exemple pour clore une situation de contestation : « S’il y a litige, c’est que nous sommes d’accord et nous considérons que votre dossier est clôt ». Ou encore « Votre demande de délai du paiement n’a pu être prise en considération, nos services n’ayant pas eu le temps d’examiner votre demande dans les délais. Nous en sommes désolés ». Il trouve aussi intéressant d’impliquer un autre service « Veuillez nous envoyer vos données par courrier électronique. Nous n’avons pas reçu votre premier formulaire, puisque nos systèmes informatiques ne fonctionnent pas, rapprochez vous de ces derniers ». Ses excès de précision ne sont généralement pas appréciés par les destinataires car ce sont des lettres mortes, elles finissent broyées et la poubelle.
Un nouvel ouvrage s’offrit à Phimoléon. L’auteure (f) y présente l’écriture comme si elle était vivante, avec des lettres qui se rencontrent et dansent ensemble, des signes de ponctuation qui se saluent, des mots qui s’écrivent et des pages qui se complètent comme par magie ? Non, pas de hasard mais une grande harmonie où les personnages sont les lettres. Elles se groupent en mots, entrent en scène, restent un instant, passent et puis sont remplacées par d’autres, comme dans une ronde incessante. Cette immersion mystique dans l’univers de l’Écriture accrue encore les interrogations de Phimoléon.
A force de lire toutes ces productions littéraires dénommées lettres, parfois avec un L majuscule, Phimoléon ne sait plus trop ou il en est. Pourtant, depuis de longues années c’est son rôle de rédiger des lettres, mais jamais comme cela ! Son métier serait il un trompe l’oeil ? Dans un sursaut d’orgueil il se sent prêt à graver sur la boite à livre, « le rédacteur, le spécialiste des lettres c’est MOI, ce n’est pas Catherine, Gérard ou Thérésia ».
Face à la boite à livre Phimoléon est dépité, plongé dans ses réflexions et ses doutes il cherche vainement dans la boite à livre ce qui pourrait le raccrocher à sa réalité. La sienne, sa vrai réalité ! Soudain ses yeux se heurtent à un titre, l’Abécèdaire des mots en perte de sens (g) ou comment écrire avec des mots qui ne veulent plus rien dire ? Ce collectif d’auteurs se base sur le fait que les mots sont le fondement même d’une société et de ses valeurs. Ils permettent aux individus de communiquer, d’échanger, de bâtir ensemble un réseau de sens. Arme à double tranchant le mot peut aussi se révéler être un outil de manipulation massive. Chaque jour, l’usage de certains mots est détourné sans vergogne par les mondes politique, médiatique, publicitaire, artistique. Voici donc 26 mots, confiés à 26 auteurs qui adressent 26 lettres aux destinataires de leur choix. Enfin des vraies lettres. Phimoléon est tout heureux. Dans chacune des ces lettres il trouvera peut être les mots pour redonner du sens à ses lettres.
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(a) Lettre à Helga ; Bergsveinn Birgisson ; Traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfson
(b) Lettre à un jeune parent ; Docteur Catherine Gueguen
(c) Antonietta, lettres à ma disparue ; Gérard Haddad
(d) Règlement local de publicité intercommunal ; Règlement local de publicité ; Indicateur de niveau sonore moyen pour la période de nuit, utilisé pour l’élaboration des cartes de bruit stratégiques.
(e) Lettres ; Ossip Mandelstam
(f) Lettre à livre ouvert ; Thérésia Saint-Val
(g) Abécédaire des mots en perte de sens ; Olivier Choinière
Je viens tout juste de lire votre texte. J’ai l’impression d’avoir fait un long voyage épistolaire. Très agréable.
J’ai commencé à découvrir Thérésia Saint-Val dont j’ignorais l’existence. Merci !
Bonjour Anne.
Merci pour ce commentaire.
A l’occasion vous me direz ce que vous avez apprécié de l’ouvrage de Thérésia Saint-Val
Bonne fin de journée
@Laurent.Vies.Sereines
Longtemps, j’ai été employé de bourreau. Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps. Leurs cadavres s’entassaient dans un énorme bidon en fer couleur croque-mort. Un charnier d’encre et de mots mêlés.
La pendule avait rendu l’âme depuis longtemps. Aussi, tel un élastique, le temps s’étirait jusqu’à me briser les neurones.
Quand le bidon fut plein, je mis le feu au produit de mon travail macabre. L’incinération s’éternisa. Des syllabes se sont débattues. Les verbes ont fait de la résistance. Un mot, resté entier, appelait à l’aide Sauvez-moi sinon le monde va périr ; sans moi, il n’y a plus que la haine. Les adjectifs prirent un malin plaisir à danser dans le brasier, indifférents à la chaleur. Ils étaient ignifugés. J’étais le spectateur pétrifié de cette opération de destruction massive que j’exécutais sur ordonnance, docile, obéissant et inconscient.
Dans un sursaut, au péril de ma vie – je risquais la sanction suprême – je courus chercher un extincteur pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Je vis alors, soulagé, que la pendule avait repris des couleurs. Elle sonna midi d’une mélodie guillerette. Le temps reprit sa marche en avant. Je m’installais à mon bureau pour y rédiger ma lettre de démission. Bien vivante celle-là !
J’aime bien les syllabes qui se débattent… cela ma ait penser aux travaux de Thérésia Saint Val
Merci pour ce retour sympathique !
ongtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
J’étais d’un naturel joyeux avant de tenir ce poste
Et je ne sais trop ce que je serais devenu tant mon moral était affecté
Quand je fus tiré d’affaire par une rupture de stock de feuilles mortes
Le bourreau bouleversé se demanda comment on allait tuer le temps désormais
Ne te tracasse pas c’est une façon virtuelle de parler
çà veut dire quoi « virtuelle »
sur wikipedia on y lit une fonction virtuelle est une fonction définie dans une classe qui est destinée à être redéfinie dans les classes qui en héritent
je ne comprends toujours pas
c’est normal ! Nous allons vivre désormais en « virtualité »
et tu sais si on n’a plus de lettres mortes à rédiger pour tuer le temps on nous assignera d’autres tâches mais virtuelles désormais.Je crois que ce sera formidable.
J’ose l’espérer.
BOURREAU DES COEURS
Longtemps, j’ai été employée de Bourreau, Monsieur Bourreau. Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
Un jour, alors que mon patron sortait de son bureau, l’air triste, comme d’habitude, je fus prise d’empathie pour lui.
Il avait repris l’entreprise familiale “Bourreau et fils” après la mort de son père, qui l’avait lui-même reprise après la mort du sien.
Chez les Bourreau, il n’y avait que des fils, uniques à chaque fois. C’était le dernier de la lignée et il avait décidé que cette lignée s’arrêterait là. Ce serait le dernier Bourreau.
J’en étais là de mes pensées, quand une femme entre dans la boutique. Elle organise les funérailles de son regretté mari, décédé accidentellement lors d’un coït interrompu par un infarctus impromptu dans les bras d’une jeune femme que la veuve éplorée ne connaissait même pas…
Je la conseille sur les modalités de la cérémonie et remarque que mon patron est planté au milieu des cercueils ; il ne quitte pas du regard la dame qui n’avait d’yeux que pour son mari.
J’assiste en direct à un coup de foudre !
La dame se dirige vers le plus beau cercueil à côté duquel est planté Monsieur Bourreau qui rougit au passage de la veuve. C’est là qu’elle le remarque. Coup de foudre réciproque ! La pièce est électrisée, attention danger ! Ça ne loupe pas, je prends une décharge en décrochant le téléphone qui sonne.
Quelques jours plus tard, c’est un Bourreau enjoué qui entre dans la boutique, accompagné de la veuve joyeuse ; il m’annonce que je viens d’avoir une promotion puisque, si je l’accepte, j’allais devenir responsable de la future agence matrimoniale “Bourreau des coeurs” qui allait bientôt remplacer l’entreprise familiale.
J’ai accepté avec joie et depuis je rédige des lettres d’amour pour nos clients.
Ce qu’est devenu Monsieur Bourreau ? Il s’est marié et a eu des jumeaux : deux garçons. Puis a décidé de prendre une retraite anticipée et de vivre la vie qu’il avait toujours souhaitée…
Petite précision : il s’agit de l’entreprise familiale de pompes funèbres « Bourreau et fils »
Pour tuer le temps, en ce jour maussade de Toussaint où le soleil ne faisait que de timides apparitions, elle avait ouvert cette vieille malle, couverte de poussière, entreposée depuis des années au fond du grenier. Une odeur légèrement âcre s’était insinuée dans la pièce. Au milieu des papiers jaunis, elle avait trouvé une ordonnance royale. Etonnée, elle en avait déchiffré les caractères anciens. Les motifs étaient obscurs mais le jugement clair : « La Cour condamne le dit Louis de Montagny avoir la tête tranchée sur un échafaud qui pour cet effet sera dreffé en la place du Trahor… » Louis, alors âgé de vingt ans, était son lointain aïeul, le premier sur l’arbre généalogique familial. L’ordonnance était restée lettre morte, la sentence n’avait jamais été exécutée. Par quel mystère cette décision avait-elle pu échapper à la justice et se retrouver au fond de cette malle ? Elle continua de fouiller… Caché dans un précieux coffret de bois ouvragé, un rouleau de lettres manuscrites était ceint d’un ruban de taffetas. Elle les déroula précautionneusement. Des lettres d’amour, échangées avec une certaine Héloïse. Louis lui avait fait une cour assidue, qui semblait avoir trouvé quelque écho. Sentiment sincère ou intérêt déguisé ? Ses recherches établirent qu’elle était la fille du Président du Tribunal de l’époque. Était-ce elle qui avait réussi à subtiliser cette condamnation pour sauver son amoureux ? Elle l’avait épousé quelques années plus tard, ainsi qu’en attestait la lignée familiale qui s’était, depuis, inscrite dans le temps.
Personne ne lui avait jamais raconté cette histoire romanesque… Etrangement, elle aussi se prénommait Héloïse !
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps
Cette nuit j’ai fait un rêve que j’ai vraiment envie de mettre à « exécution ». Tuer mon chef qui est bourreau de son état pour tout le mal qu’il a fait sur Terre : les nombreuses têtes qu’il a tranchées.
Bon on peut dire qu’il n’a fait qu’appliquer des décisions de justice. En ce sens, il n’a été qu’un instrument au service d’une autorité supérieure.
Tout cela est vrai. Mais j’ai quand même le fort désir de lui couper la tête. De faire ainsi justice aux pauvres âmes décédées par sa faute.
Et moi qui étant son employé a effectué des tâches vraiment bizarres : écrire des lettres déjà mortes pour tuer le temps qui passe et repasse.
Justement ce matin c’est en débarrassant ma pelouse de nombreuses feuilles mortes d’un arbre planté en son milieu et gros producteur de feuilles, que j’ai pensé à ces lettres.
Ah ah quelle liaison j’ai pu faire : feuilles m. et lettres m. …Très fort.
De plus, avec ce job d’employé de bourreau, je me suis dit que jusqu’à présent ma vie n’a été qu’une période jonchée de morts. Une situation assez triste en effet.
Oui je n’ai pas changé d’avis. Je veux faire justice. Me débarrasser de ce bourreau. Et même si cela serait possible de tous les bourreaux en vie. Qu’ils n’y en aient plus sur la planète. Qu’ils soient exterminés et décimés par ma seule volonté.
Utopique que tout cela.
Mais l’espoir paraît-il fait vivre.
Tiens mes chiens qui gardent l’entrée de ma grande maison aboient.
Un intrus a dû entrer dans ma propriété.
Qui est-ce à cette heure tardive ?
Ah ah qui vois-je dans le parc en train de marcher à vive allure, avec un air méchant !
Mon chef tenant un long sabre encore ensanglanté.
Où va-t-il ? Certainement vient-il pour me décapiter. Ah le bougre.
J’ai l’impression que cette nuit tous deux nous avons fait un rêve similaire : l’un voulant tuer l’autre.
Je vais l’attendre de pied ferme.
Hi hi viens vite à mon secours petite kalachnikov qui ne me quitte jamais.
Je le sens : mon chef va avoir un bel accueil !
Salé et poivré à volonté avec une bonne rasade de whisky chantilly à la vanille fraise.
Plutôt une bonne sauce de tomates napolitaines bien rouges. C’est plus ressemblant avec de l’hémoglobine.
Il n’y a pas photo : plus jeune et plus rapide je vais l’aplatir comme une crêpe au Nutella banane et emmental râpé.
Ouah quelle rapidité !
J’ai fait du Mach 3 au moins pour l’abattre froidement et rapidement.
Maintenant qui vois-je sur le beau tapis d’Orient de ma salle à manger.
Mon chef raide mort, en position crucifix. Des trous partout. Ça souffle là-dedans : çà fait déjà des courants d’air.
Ah ne criez pas, n’hurlez pas. J’étais en légitime défense. C’est lui qui est venu chez moi, armé, avec l’intention de m’assassiner. Moi je me suis simplement défendu. Comme j’ai pu.
Faut-il appeler la police !
Non non pas la peine. J’ai aussi été apprenti boucher. Désosser un corps çà me connaît.
Je vais le réduire en petits morceaux, marinés dans du champagne. Ça servira de manger aux chiens errants du village, lorsque le matin j’irai au pain.
J’en prendrai un peu chaque jour dans un sac plastique.
Ah vous trouvez que c’est méchant. À mon tour je suis devenu un bourreau.
Lui mon chef n’est plus. Je vais en profiter pour faire autre chose. Devenir cantonnier pour balayer les rues et surtout ramasser les feuilles mortes en automne. Ou bien garde champêtre pour apporter les bonnes nouvelles aux villageoises et villageois, et aussi pour faire boum boum sur un tambour.
Je jouerai aussi du clairon : taratata taratata …
Longtemps, j’ai été employé de bourreau. Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
Enfin, quand je dis bourreau, je devrais plutôt dire Bourreau, avec un B majuscule. Oui, j’étais l’employée de Maître Hubert Bourreau, notaire à Limoges, au 11 bis de la rue des Affligés, dans une ancienne maison qui ne voyait jamais le soleil.
Posée là comme une plante en pot, je travaillais six jours par semaine et parfois même certains jours fériés. J’étais secrétaire dans cette étude depuis tellement d’années que les clients ne me voyaient plus. Je faisais partie du décor. Toujours vêtue d’un tailleur gris indémodable, je me fondais totalement dans cette atmosphère ouatée et routinière.
Ça, c’était ce que tout le monde voyait et croyait. C’était l’extérieur. Le personnage fade et sans histoire que j’avais créé pour être tranquille. Mais à l’intérieur, c’était bien autre chose. En vérité, je détestais, j’exécrais ce métier. Devoir, chaque jour, rédiger ces lettres et ces documents juridiques, tellement froids et conventionnels, me rebutait au plus haut point. Tout cela pour moi n’avait aucun sens.
Alors, tout en tapant sur mon clavier d’ordinateur, je m’évadais dans mes rêves. J’étais loin, très loin de Maitre Bourreau et de sa sinistre vision de la vie.
Dans ma tête, c’était des flon-flon, des feux d’artifices, des fiestas, des cavalcades, de la salsa, de la samba, de la musique et des éclats de rire à n’en plus finir, jusqu’au bout de la nuit. J’imaginais un grand-père dresseur de puces savantes dans un cirque international ou une grand-mère chercheuse d’os de dinosaures au Guatemala. Je m’inventais tout un monde.
Alors, bien sûr, comme j’avais l’esprit ailleurs, je faisais souvent des erreurs et mon travail était loin d’être impeccable. Jusqu’à ce fameux matin où, sans m’en rendre compte, j’ai commis « la boulette » de trop. Dans un formulaire archi-officiel, à la rubrique « Profession du propriétaire », j’ai inscrit « Pétomane de père en fils depuis 1515 ».
Maître Bourreau l’a très mal pris. Mais, vraiment très mal. Il m’a convoqué dans son bureau et, avec sa voix solennelle de notaire très conscient de la grande importance de sa fonction, il m’a annoncé que j’étais remerciée.
Depuis, heureusement, ma situation a bien changé et j’ai enfin repris goût à l’existence. Je travaille avec l’équipe d’Eric Antoine, le magicien. C’est carrément génial !
Les journées et les semaines passent tellement vite que j’ai l’impression d’avoir changé de planète.
– Longtemps, j’ai été employé de bourreau. Je rédigeais la mort dans l’âme des lettres mortes pour tuer le temps.
– C’est triste.
– Ben, non ! Je gagnais beaucoup d’argent.
– Du coup, ça compensait.
– Qu’est-ce qui t’a amené à faire ce boulot, un peu particulier quand même !
– La révolution licenciait à tour de bras. Roro me l’a proposé, j’ai pas osé refuser.
– Ca ne t’ennuyait pas de les raccourcir pour des questions d’égalité ?
– Non, pourquoi ? A chacun, chacune sa chance.
– Et tu sélectionnais comment ? A la tête du client ?
– Un peu. Celui ou celle qui avait une drôle de tête ou qui paraissait avoir une forte tête ou bien encore qui avait la tête près du bonnet, hop ! Au panier !
– Et tu les faisais chanter ?
– Non, Roro ne voulait pas. C’est lui qui s’en chargeait.
– Tu n’as jamais été embêté par tes camarades ?
– Non, si tu n’empiètes pas sur leur territoire, ce sont de bons citoyens, en général.
– Tu disais quoi dans tes lettres ?
– Rien de spécial pour ne pas alerter les familles. Je parlais à mots couverts. Par exemple, je disais qu’on lui avait trouver une autre filière,…
Il y a une semaine à peine, j’étais sur une plage en train de me faire dorer au soleil. Mais je me suis vite aperçu que je m’adaptais très vite à un nouveau vocabulaire : les gens sont dociles. Tu dis : « Au suivant ! » Après faut les mettre en condition pour que leur exécution soit la plus parfaite possible.
– Tu leurs dis quoi ?
– Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer.
– Après la révolution numérique, tu vas faire quoi ?
– Je me lance dans les origamis. J’ai acquis beaucoup d’expérience.
– Ca va pas être la même chanson.
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps,
Qui n’en finissait pas d’agoniser,
De gémir, de pleurer,
Qui n’en finissait pas de mourir.
Eternellement.
Depuis, j’écris sans thème.
J’ai fleuri les tombes de mes absents
Avec des chrysanthèmes.
Pour ne pas les oublier.
Pour encore les pleurer.
Eternellement.
Je suis un corps vide.
Un esprit égaré.
Une âme blessée.
Il me reste un peu de temps.
Pour rire, chanter, danser.
Brièvement.
Le temps m’a tué.
Inéluctablement.
Bonjour , j’aime bien la première partie. Je trouve que la seconde se détache des lettres mortes c’est . ?!
A l’époque où j’étais employé de bourreau, je rédigeais à longueur de journée des lettres mortes pour tuer le temps.Il ne se laissait pas faire le bougre et parfois, il s’allongeait si démesurément que je manquais me noyer dans des baquets d’ennui. J’avais beau le supplier, rien n’y faisait . Les lettres s’entassaient et moi, je m’ennuyais….
Les journées étaient longues et moroses, une brume grise les submergeait…
Et puis un beau jour, un grand vent s’est levé, il a tout balayé, les feuilles mortes, la grisaille et le reste.. Le temps s’est accéléré, enfin ! A peine une journée avait-elle commencé, que déjà le soir arrivait. Je ne rédigeais plus rien, je galopais, je dansais, je volais, c’était grisant !
Ainsi passèrent les jours, les mois, les années….
A présent, je suis fatigué, mes ailes sont usées, mes jambes sont lourdes. Assis au coin du feu, j’écris le récit de ma vie. Et le Temps, enfin apprivoisé, ronronne à mes pieds…
Longtemps, j’ai été employé de bourreau. Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
Après avoir envoyé des dizaines de CV qui restèrent sans réponse, et à bout de patience, j’acceptai ce boulot ô combien motivant ! Tous les matins, je me levais du pied gauche pour satisfaire mon boss et remplir ma tâche de mon mieux. Elle consistait à découper des lettres dans des magazines puis les coller sur du papier. Le contenu des missives m’interpellait, mais bon, j’étais super bien rémunéré. Pourtant, la nuit, dans mon lit, je cogitais à n’en plus finir sur ce type complètement fou. Il menaçait, dénonçait, demandait des rançons en échange de son silence.
Dans cet antre qui ne voyait jamais la lumière du jour, je subissais le temps à consulter sans cesse la pendule qui me semblait avoir une fâcheuse tendance à reculer comme si elle passait à l’heure d’hiver tous les quarts d’heure.
Un matin, à six heures, des grands coups portés sur ma porte me réveillèrent en sursaut. Je fus plaqué au sol, menotté et traîné au poste de police. Mon tort était d’avoir oublié de porter mes gants sur une lettre anonyme destinée au roi d’une cité perdue et à qui mon patron réclamait quelques diamants.
J’eus beau expliquer à mon avocat, incrédule, qu’il s’agissait de mon emploi, il ne trouva nulle trace de mon embauche ni du véritable corbeau plus noir que ceux qui glanent du blé dans les champs.
Je fus condamné à dix ans de prison et prenais patience en bouquinant Dumas et en découpant les pierres de mon cachot à l’aide d’une petite cuillère.
Depuis, je suis planqué sur une île paradisiaque vivant comme un pacha grâce à un sac de pierres précieuses barboté dans le coffre-fort de mon patron.
571e/Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
🐀 UN ARTISTE
Engagé sur ma bonne mine et mes traits fins j’exerce les métier artistique d’employé de bourreau.
Accroché à une corde à noeuds, il m’appartient de dessiner des croix à chaque exécution.
Je pars du haut du mur alternant les pleins et les vides des créneaux… Un vrai chemin de croix.
Je festonne de couleurs ce mur gris-froid, certaines sont de sang bleu ça change un peu. Je descends pour admirer mon œuvre. Elle plaît et suis très applaudi par les badauds qui apprécient et le spectacle et le dessin qui suit.
Le mur est rempli.
Le roi est mort.. Plus de vive le roi…
Il y a du mou dans les cordages et j’arrive en fin de vie.. Qu’adviendra-t-il de moi et de mon chef-d’œuvre ?🐀
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
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PEINE PERDUE
C’était un p’tit gars qu’avait pas choisi. Garçon de bourreau, aide ! Il n’y a pas de sot métier, toute peine mérite salaire. Quand on remplaça la peine de mort, on la commua. Peine à perpète, ça vous apprendra ! En attendant, à quoi je sers, moi ? Se demandait le petit gars. Il rédigeait des procès-verbaux, la mort dans l’âme, qui restaient au placard. Ça tue le temps, c’est lettre morte. Ne m’a-t’on pas dit que gardien de prison, c’est aussi un métier ; le dernier qu’on propose à pôle emploi, si on a un casier vierge.
A-t-on déjà vu une prison se faire la belle ? J’ai revu mon patron. On est à tue et à toi. Je ne peux rien pour toi, je n’ai plus le permis, sinon, je t’aurais fait ça, proprement. Couoic ! Peut-être nous retrouverons-nous dans un monde meilleur. Moi, j’ai l’âge de la retraite. Je vais écrire mes mémoires. Toi, tu peux faire marchand de marrons ça tient chaud l’hiver et remplir des cornets de glace le reste du temps. Avec le réchauffement climatique, tu ne chômeras pas. Il disparut. Pas le crime, si on en croit les journaux… 🐻
Je tapais des lettres pour que les mots finissent par avouer. Je les mettais à la question jusqu’à ce que j’obtienne des points d’exclamation. Il n’y avait point d’interrogations auxquelles elles ne puissent répondre. J’étais l’exécuteur des basses œuvres. Je servais de tampon entre l’ordre et l’anarchie pour suivre les instructions. Derrière une fenêtre sale j’ouvrais les Windows de mon ordinateur. Mon ordonnateur voulait que j’excelle dans les tableurs. Mais parfois je me retrouvais à l’accueil pour ne pas être à l’écueil dans l’écume des jours difficiles. Je restais à l’écoute même lorsque je ne disposais que d’une modeste écoutille pour voir le lendemain. Je jouais de patience bien que je n’avais guère de cartes en main. J’avais la maitrise de mon travail même si je n’avais pas de licence ni aucun autre bagage scolaire. Dans le monde de l’emploi je voyageais léger. Pour cet emploi public j’avais été recrutée grâce à un concours de circonstance. Moi qui n’avais réussi jusqu’alors que des examens d’urine je n’étais pas fière en face de leur questionnaire. J’étais embêtée car on m’avait demandé mon profil alors que je ne possédais qu’une photographie de face. Comme l’examinateur avait un sal air je n’osais parler de rémunération, encore moins de salaire. Une fois que je fus recrutée je me rendis compte que je gagnais le salaire de la peur. Il n’était ni trop, ni glycérine. Il glissait entre mes doigts à peine perçu. Il fallait que je me donne l’ambition de le faire progresser. Je décidais de prendre les choses en mains lorsque mon chef de service ouvrit sa braguette. Ce fut une braguette de pains que je pris dans ma fierté et ailleurs mais j’obtins une promotion en fermant ma gueule et en ouvrant ma bouche, une bouche dégoût que je lavais à grands coups de dentifrice. Le travail est parfois une torture, une peine corporelle qui blesse le corps et l’âme, une lame qui guillotine chaque jour une parcelle d’envie, une tranche de vie pour celle qui n‘est qu’une employée de bourreau.
Longtemps, j’ai été employé de bourreau. Je rédigeais la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps. Mon maître se croyait seigneur dans son domaine mais il ne parvenait qu’à faire saigner. Trop sûr de son charme d’assaut, il bousculait les gentilles dans leurs perpétuels retranchements. Mon maître s’avérait incapable d’aligner quelque tournure poétique pour ensorceler ses proies. Il ne savait que trancher dans le vif, se laissant même aller parfois à bichonner la trépassée. Que de mièvreries n’ai je pas du rédiger pour faire perdre la tête à plus d’une jouvencelle. Que de mensonges, de bouquets d’épineuses illusions plantés sur d’affriolantes dentelles. Que de temps tué à esquinter des vies.
Et puis, un jour, ce jour où un soleil d’or se leva tel un vaillant poussin de sa coquille, mon maître tomba sur une oscillante. C’était une sorte de Pénélope balançant entre son tricot et l’attente de son marin pêcheur en haut fond du majestueux thon rouge. Face à l’agression du malotru, elle ne se démonta pas comme auparavant la plupart des fines mécaniques de la féminité. Elle lui planta son aiguille en plein cœur et c’en fut fini du bourreau.
Depuis, j’ai gardé la plume, je rédige à ma mode, l’histoire de ce barbacole. Un opéra est en vue.
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres « mortes » non pas dans le sens courant de l’expression ni pour tuer le temps, mais parce qu’il m’était demandé de préparer, dans le cadre de plans sociaux, les courriers motivant le licenciement de membres du personnel.
Les bourreaux étaient les dirigeants de Comités de Direction qui prenaient la décision de diminuer le nombre de salariés des Compagnies, en fonction d’événements tels que les crises du pétrole des années 70, le désir de transférer, dans les années 90, la fabrication de leurs produits à l’autre bout du monde où, la main d’œuvre et les taxes étaient moins onéreuses ; ou parfois également, pour des raisons de plus value, sur les terrains occupés, afin de les vendre à des promoteurs intéressés par la transformation de quartiers industriels en quartiers résidentiels dans la petite couronne de la capitale de ce pays-là.
Je parle de lettres « mortes », tant l’incidence et les conséquences s’avéraient désastreuses sur la vie des destinataires.
À un moment donné, j’ai fait une overdose de ces taches mortifères et ai décidé de proposer mon propre licenciement, après avoir rédigé les motifs concernant la suppression de mon poste.
Je me suis alors retrouvée dans la situation de ceux que j’avais mis sur le marché du travail. J’étais inquiète pour mon avenir mais déterminée à trouver un nouvel emploi dans un secteur au dynamisme plus positif.
Je me suis fait engager dans un établissement de soins. Là, enfin, j’ai recherché les médecins, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, infirmiers et tous ces personnels, assez rares sur le marché, pour lesquels je rédigeais, la joie au cœur, des contrats de travail, des descriptions de poste et toutes ces lettres « vivantes » qui assuraient le devenir de ces professionnels et de cet établissement.
En dépit des années qui passent, mes cauchemars sont empreints du souvenir douloureux de ces décennies lointaines, mais au réveil, j’ai la joie de constater que le travail n’est plus à l’ordre du jour. Maintenant, je suis maître de mon temps, de mes écrits, sans avoir à en référer au code du travail ni à quelque bourreau que ce soit.
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
J’écrivais d’une pièce sans fenêtre dans les entrailles de la terre. C’est du sous-sol de ce lieu glauque que je me donnais à ma tâche. C’était monotone, sans relief, prévisible et ennuyeux.
Mon quotidien me plongeait dans la torpeur de journées grises toutes identiques. Logé et nourri sur place, je n’étais animé d’aucune envie, d’aucun souci d’aucune menace. Mon bourreau payait bien mais je ne préférais pas le voir. J’avais toujours autant peur de sa mine patibulaire et de ses longs manteaux noirs.
Un jour il me convoqua pour me dire « c’est fini, j’arrête ». Je quittais donc mon tombeau, cet espace qui n’avait plus lieu d’être.
Je pris mes affaires et quittait cet endroit. Je montais les marches pour retrouver le rez-de-chaussée. Le chemin était long, je n’avais pas jusqu’ici mesuré à quel point j’étais enterré. Je parvins, essoufflé, devant une grande porte. Je posais ma main sur la poignée, un peu effrayé par ce que j’allais trouver derrière. J’ouvris en poussant de tout mon poids cette lourde sortie tandis qu’un bain de lumière m’aveuglait. Je clignais des yeux…
« Bonjour à tous, nous sommes le vendredi 18 septembre 1981. Au sommaire des actualités aujourd’hui, la possible adoption par l’Assemblée Nationale, après deux jours de débats, du projet de loi portant sur l’abolition de la peine de mort présenté, au nom du Gouvernement, par Robert Badinter, garde des Sceaux, ministre de la justice…. »
Au lieu d’éteindre mon radio réveil ce matin-là, je m’assis vivement sur le lit son en essayant de retrouver mon souffle. Je montai le son…
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
J’ai fait cela longtemps, oui ! Très longtemps même !
Mais bon ! Les temps ont changé.
Ah j’ai connu des temps fastueux, éreintants certes mais exaltants. Il fallait voir : on bossait jusqu’à nos quinze exécutions par jour. Il fallait avoir la tête partout, si je puis dire.
Vérifier le graissage et l’affûtage de la grande veuve. Les bons outils faisant les bons ouvriers et réciproquement !
Mais ça c’était déjà l’époque de la mécanisation. La révolution industrielle guettait !
Avant ! Oui ! Avant ! Ben c’était le bon temps ! Le temps de l’imagination au pouvoir, de la cruauté à tous les étages, de la liberté d’exécution.
Il fallait voir tous les outils à fabriquer, à réviser, à entretenir, à tester …. Enfin là, je cédais volontiers ma place !
La meilleure époque fut certainement pour moi, celle de l’Inquisition. Il fallait bosser dur, c’est vrai mais quelle variété dans mes activités : du simple interrogatoire un peu orienté au barbecue géant des cathares, par exemple ! De l’estrapade à l’écartèlement ; de la roue au pilori ; je pourrais vous en citer … mais je ne veux pas vous assassiner de détails.
Que de bons souvenirs !
Maintenant ? Oh maintenant, je chôme.
C’est pas la faute à Rousseau, non ! C’est la faute à Badinter !
Pôle emploi n’a pas voulu me faire faire un bilan de compétences. Secteur d’activités trop étroit ! tu parles !
Mais, après réflexion, je crois que les hommes n’ont vraiment plus besoin de moi : ils sont leurs propres bourreaux, désormais.
Sanson
Longtemps j’ai été employé de bourreau. Captain Tordudelatête qu’il s’appelait mon bourreau. Il était là tout le temps, chaque minute, chaque seconde. Tout le temps sur mon dos à me houspiller. Même la nuit je le retrouvais dans mes cauchemars. Avec lui pas de manège, pas de flonflons, c’était la mort à petites gouttes.
J’ai consulté un psy qui m’a conseillé d’écrire pour reprendre possession de ma vie. Alors la mort dans l’âme, je rédigeais des lettres mortes pour tuer le temps et je continuais de mourir à petit feu.
Et puis il y a eu la énième crise, et la énième sortie de crise. Là ils ont lâché les euros pour former, recruter. J’ai obtenu une formation de bourreau des cœurs.
Ah merveille, merveille ! Mes journées se sont ensoleillées, mes nuits ont scintillé de millions d’étoiles. J’étais excellent car motivé à mort. J’enchaînais les conquêtes féminines. Il me les fallait toutes. J’étais séducteur, dragueur, cavaleur. Bourreau et tombeau des cœurs, je faisais trembler les belles gambettes et vibrer les passions.
Plus, plus, plus, il m’en fallait toujours plus. Incapable de doser, je me suis épuisé. J’y ai perdu mon âme, mes cheveux et mes dents ! Puis j’ai perdu la boule.
Et me voici dans cette triste maison de retraite où à nouveau je subis. Je suis redevenu employé de bourreaux avec un X car ils sont plusieurs. Ils me réveillent à six heures. Ils me lavent, me frottent, m’habillent tout dépareillé. Je mange à heures fixes du mouliné, du mixé insipide, inodore et sans saveur. Le pire c’est la gelée tremblotante, verte ou rose des après midi d’été. Beurk, beurk, beurk ! À dix huit heures je suis à table, à vingt heures au lit. Y a plus de soleil, plus d’étoiles.
J’attends.
Six heures dix, voilà Gros René qui rentre avec fracas dans la chambre. Il va me récurer, me transformer en homard bien cuit : la couleur mais pas la saveur.
Pas folichon tout ça.
Mais qu’est ce que j’ai fait au bourreau là haut ?
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
Mais le temps, lui, ne se laissait pas prendre si facilement.
Il passait comme mes lettres à la poste sans que personne ne lui mette la main dessus. Pourtant il était cerné par la brigade des horloges suisses, impuissante. La bombe atomique tenait sa seconde en joue. Peu importait, le temps se jouait du monde qui lui courait après, tels des sujets dans sa cour se conjuguant au plus que parfait pour gagner les faveurs du roi.
Seulement son heure devait un jour arriver. La révolution de la terre était en marche autour du roi soleil depuis des milliards d’années. Un trop long règne qui ne pouvait plus durer.
Moi, mon job, c’était d’écrire des lettres à mourir, d’amour, de chagrin ou de rire, à en perdre la tête, jusqu’à ce que le temps ne compte plus, jusqu’à ce qu’on ne compte plus le temps, jusqu’à ce que l’instant reprenne le pouvoir et libère les consciences.
Longtemps, j’ai été employé de bourreau, à la recherche de cette lettre parfaite où pas un sujet, pas un mot ne serait soumis au dictat du verbe, tous se tiendraient la main en conjonction de coordination, flottant dans l’air du temps qui se désagrégerait de lui-même au fil d’une histoire sans queue ni tête. Perdu, il monterait alors sur l’échafaud.
Longtemps, je me suis couché tard pour enfin la trouver, cette lettre, au plus profond de mon âme, comme une évidence, le temps venait de se figer dans la matière de chaque mot, inscrit dans le marbre. Il était fait comme un roi.
Quand, sur l’échafaud, mon chef me tendit la lettre. Ce n’était pas la mienne, mais celle de mon exécution avec effet immédiat.
Car le temps, c’est beaucoup d’argent, assez pour se payer la tête du poète qui roulait à son pied, battant la mesure de milliers de Rolex jusqu’à la fin de son règne.
Longtemps j’ai été employée de bourreau.Je rédigeais,la mort dans l’âme, des lettres pour tuer le temps.Un jour,lasse de tant de morbidité,je décidais d’utiliser désormais une langue morte,car au stade où j’en étais, autant y aller gaiement .
J’avais dans ma bibliothèque un vieux Gaffiot que j’avais haïs en mes années de lycée,je choisis donc le latin.J’achetais une plume d’oie,de l’encre violette pour finir l »ambiance, et me voilà lancée à donf.
ADHUC SUB JUDICE LIS EST BEATI POSSIDENTES CASTIGAT RIDENDOMORES.ET NUNC REGES INTELLIGITE?REDDE CAESARI QUAE SUNT CAESARIS et caetera,et caetera…..
J’aurai pu continuer ainsi at vitam eternam.J’y prenais un plaisir fou.J’eus bientôt épuisé l’encre et le parchemin tant ma main courrait sur la feuille avec vélocité.
La vie avait repris ses droits,je m’amusais!
Mon patron ,me voyant joyeuse, affairée,me vira rapidement.Ce fut le plus grand service qu’il pouvait me rendre.
Au diable la mort,l’ennui,j’étais libre d’écrire ce que je voulais ,à ma façon.
J’achetais un PC,rangeais le dico et m’abonnais à un blogue d’écriture hebdomadaire où je pouvais donner libre cours à ma fantaisie.Fini les temps morts,disparue la morosité,j’étais devenue moi.
Monsieur le bourreau,merci.
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme,
Des lettres pour mesurer le temps.
Ce temps qui passe et repasse son balancier d’horloge comtoise,
Tel un couperet vertical qui hache menu-menu chaque seconde.
Longtemps, j’ai été employé du grand inquisiteur
Avec mes camarades, écran, aiguille, poussoir et barillet
Nous formions les rouages d’un cartel bien huilé.
J’étais chargé d’inscrire les lettres sur les cadrans
Des I, des V et des X, rien de bien compliqué
Longtemps, j’ai été employé d’un exécutant
Qui frappe les 12 coups et marque le temps
Un jour j’en ai eu assez de tatouer les heures
J’ai glissé quelques lettres mortes sur le grand cadran
Un S, un O, en E et un N
Qui me restaient d’une antique boussole
Les aiguilles perturbées s’arrêtèrent de fonctionner
Bloquant du même coup l’ensemble du mécanisme.
Imaginons un monde sans pendules sans cadrans
Sans rien pour mesurer le temps
Il nous faudrait observer le soleil, le rythme des saisons
Les marées de la mer, la course de la lune…
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
Mais le temps résistait,
Le bourreau s’impatientait,
et moi j’écrivais, j’écrivais, j’écrivais…
Mon travail n’étant pas rentable, le bourreau me licencia.
Je devins alors employé de bureau.
Là, je rédigeais joyeusement des lettres pour les uns, des lettres pour les autres et le temps passait vite.
En passant, il me faisait des clins d’œil.
Moi, j’essayais de l’attraper pour m’amuser, mais le malin savait s’esquiver,
et j’écrivais et j’écrivais, et il passait et il passait.
Au plus j’écrivais, au plus il s’enfuyait.
Je courrais après lui,
Je m’essoufflais,
JE N’EN POUVAIS PLUS !
– Pouce ! (lui dis-je)
Il éclata de rire et continua sa course effrénée en me narguant.
Je commençais à fatiguer,
Le temps jubilait,
– Attends moi le temps ! Criais-je… Attends moi !
Impossible de le retenir,
Il tourbillonnait, il raflait tout sur son passage.
J’eus juste la force d’attraper une dernière feuille pour écrire :
« LE TEMPS M’A TUÉ »
Ainsi se termina ma petite vie d’employé de bureau.
Longtemps, j’ai été employé de bourreau.
Je rédigeais, la mort dans l’âme, des lettres mortes pour tuer le temps.
J’etais gradé. Secrétaire comptable de défunts de classe exceptionnelle. Mon nom est Toussaint, je suis né le jour des morts.
A ma naissance, près d un cimetière, on a offert à ma mère des chrysanthèmes, croyant que j étais mort-né. Mais j ai gémi et respiré.
Depuis je vis en apnée.
Étant faible, j ai trouvé ce petit boulot auprès d un ancien bourreau au chômage.
J écris des lettres aux veuves des hommes persécutés par mon maître.
Des lettres de pardon, des lettres écrites avec la sueur de mon front.
Mon maître bourreau ne regrette pas d’avoir fait son labeur mais il se sent coupable de l’avoir fait avec plaisir.
Qu’il utilisa la guillotine ou la pendaison, il jubilait.
Il créait LA MORT ! Quelle puissance !
Pour le comprendre, il faut connaître son histoire, né avec le cordon autour du cou, il avait rencontré la mort, en personne ! Il l’a connaissait, n en n avait pas peur. Elle l’attirait.
Je comprenais…
Pour ma part, je m en fiche des veuves et leurs larmes intarissables.
Moi, je tue le temps.
Bravo Sylviane!
Merci Jean-Marc
Bonjour Pascal,
Même si je n’ai pas assez d’imagination pour écrire un texte à partir de votre proposition de ce matin, je dois dire que je suis admirative devant votre créativité.
Employé de bourreau ! Des lettres mortes pour tuer le temps !
Il fallait le trouver !
Bravo et merci. Votre message a ensoleillé mon petit déjeuner ! Amitiés