314e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque,
j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule.
Des chuchotements confus émanaient des plus vieux.
J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein…
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque, j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule. Des chuchotements confus émanaient des plus vieux, des vociférations provenaient des plus jeunes.
J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein et écouta, sans me faire remarquer, la conversation.
« Elle est toujours racoleuse » asséna Le Troisième homme
« Souvent beaucoup trop élogieuse, les lecteurs sont parfois déçus » confirma M.Ripley
« Convaincus d’avoir acheté un chef-d’œuvre, puis certains d’avoir été trompés » continua Le Chacal
« C’est une grosse paresseuse » aboya Le Chien des Baskerville
« Une grosse feignasse qui se contente de simples extraits » approuva Le Faucon maltais
« Faut lui reconnaître une chose, parfois elle présente bien » admit La Mariée était en noir
« Il fait une chaleur infernale ici. Serait-il possible d’ouvrir une fenêtre – à guilltine ? demanda facétieux L’espion qui venait du froid
« Pas question, je me gèle » retorqua L’Eté meurtrier
« Il serait temps de se prononcer, je tombe de fatigue » dit Rosemary’s baby
« C’est aussi une bavarde qui ne sait pas tenir sa langue » dit en baillant le Grand Sommeil
« Décidez-vous vite, j’ai un train à prendre » déclara L’Inconnu du Nord-Express
« Oui, pouvons-nous nous prononcer sur le verdict » émit Le Parrain d’un ton autoritaire
« Du sang, nous voulons du sang » hurlèrent les Rivières pourpres
« De l’hémoglogine » répartit imperturbable De Sang froid
« La mort » clamèrent d’une seule voix Les Dix petits nègres
« La mort ! La mort ! » renchérit Le Facteur sonne toujours deux fois
« La sentence prononcée à l’unanimité : la peine de mort » proclama, en guise de conclusion, Crime et châtiment
J’eus ainsi le fin mot de l’histoire. Ils projetaient de commettre un assassinat. Alerté par cette funeste machination, je fis mon apparition et leur demandais :
« Mais qui est la future victime » demandai-je
« La quatrième de couverture » me fut-il répondu
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque, j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule. Des chuchotements confus émanaient des livres de poche. J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein. Je me cachai et mis mon sonotone pour mieux les entendre car depuis peu j’étais dur d’oreille.
Frankenstein, du haut de ses 2m43, leur racontait son histoire et leur disait que s’il était devenu un monstre, c’était à cause de sa famille adoptive les De Lacey.C’était en tout cas ce qu’ avait écrit Marie Shelley.
Soudain il pointa son doigt vers un album de Tintin et lui demanda «c’est vrai que tu es revenu du Tibet, ce n’est pas une blague ? ».Celui-ci, Un peu effrayé, se fit encore plus petit qu’il n’était.
Miss Marple l’entendant haussa les épaules et de sa petite voix dit « la nature humaine est partout la même » c’est en tout cas ce que lui a fait dire Agatha Christie. Hercule Poirot haussa les épaules. Depuis qu’il avait perdu toutes ses petites cellules grises, il ne parlait quasiment plus ; sa croisière sur le Nil semblait l’avoir épuisé. Soudain, se joignit à ce tohu bohu, j’exagère un peu, Maigret. Chacun le salua ! N’avait-il pas été le héros de 75 romans et de 28 nouvelles écrits par Georges Simenon
Puis j’entendis Sherlock Homes dire à son ami Watson qu’ils n’avaient pas été ingrats avec Sir Arthur Conan Doyle puisque c’est eux qui lui avaient apporté la fortune.
On entendit tout à coup Fred Vargas leur dire « soyez un peu modestes ! À combien vos œuvres ont-elles été éditées ? Moi à 5.000.000 d’ex et je n’ai pas fini. J’avoue toutefois que j’éprouve un grand plaisir à être en votre compagnie et vais faire des efforts pour être plus modeste.
Soudain, j’entendis ma femme, d’une voix irritée me dire « tu n’as pas encore remis ces romans policiers à leur place ».
Ne t’inquiète pas, lui répondis je, je n’en ai plus que pour quelques minutes.
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque, j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule.
Des chuchotements confus émanaient des plus vieux. J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein…
Ce matin, je m’habillai avec le plus grand soin. Je jetai un dernier coup d’œil au miroir. Je lissai mes sourcils noirs avec mon pouce. Je glissai mes index le long de mon nez fin. Je terminai en passant délicatement mon majeur sur mes joues et mon menton. Je tirai sur mes épaules, rentrai mon ventre.
– Parfait.
Je tapotai délicatement mon vêtement et vérifiai le lustre de mes chaussures .
– Parfait.
Une dernière inspection de mes mains et de mes ongles.
– Parfait.
Un nuage d’eau parfumée combla ma suffisance.
Je pouvais quitter mon alcôve pour me rendre dans ma bibliothèque. Habituellement, il y régnait un silence de catacombes. Mais aujourd’hui, mes oreilles perçurent des chuchotements cabalistiques. Je discriminai bribes de mots et de phrases qui suintaient des quelques vieux polars coincés. Leur incompréhensible conciliabule eurent le don de m’agacer, mais aussi de m’alerter.
– Rumeur….. colporte…vérité dévoi….scandale…indé…comment personne… aucun indice et….
J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein mais ne me laissai nullement impressionner ! Il n’était pas né celui qui ferait ombrage à mon destin fabuleux. Foi de Pol Aroïd, autrement dit: moi-même.
D’un pas vif, je me dirigeai vers LA bibliothèque et poussai la porte. A chaque fois, j’éprouvais le même sentiment de puissance. D’une omni-puissance latente. Il me fallait attendre mon heure et celle-ci était une affaire d’heure.
Mes pas résonnaient sur le marbre aux dalles blanches et noires. Mes yeux s’emplissaient des beautés sublimes et délicates. Mon cœur explosait.
– Mon cœur, mon cœur, calme-toi…la fin est proche…
Au bout de la galerie, la salle secrète. Une main prévenante m’ouvrit la porte avant même que je ne pose ma main sur la poignée. Pol Arographie, dit Le vieux Polard , discret, voire invisible, disparut aussitôt. Je n’eus pas à répondre à ses salutations baveuses.
Je distinguai dans la pénombre un détail inhabituel. J’avançai avec précaution. Un cri déchira ma poitrine et l’air confiné. Une silhouette, vêtue d’une robe rouge, baignait dans une marre de sang noir.
Je me penchai et le reconnus. Pol Arité. Mon ennemi juré…le seul qui résistât, comme de l’acier inoxydable, à mes vitupérations corrosives. Occis.
Je soupirai d’aise puis excellai au jeu morbide du drame qui « frappe-là-même-où-nul-n’ose-imaginer ». Je criai, je battis des bras en l’air et me transformai en derviche-tourneur.
Le commissaire Pol Aris fut prié par les hautes instances de se fondre dans les replis de la discrétion absolue. Il releva le défi. Les vieux polards cessèrent de scribouiller. Les polars écornés tinrent leurs pages closes comme des becs cloués.
Je retournai à mon cabinet. La voie était enfin libre. Mon dessein réalisé. Mon destin en voie d’accomplissement.
Moi, Pol Aroïd, j’avais éliminé, un à un, tous ceux qui s’étaient mis sur ma route. Tous ceux qui auraient pu me trahir.
Enfin…. !
Je retirai mes chaussures rouges et mes chaussettes blanches.
Je défis les dizaines de boutons nacrés.
Avec volupté et jouissance, je déroulai la longue bande de lin blanc et laissai ma gorge se gonfler.
Je retirai le léger filet et de longues mèches blondes cascadèrent jusqu’au creux de mes reins.
Un rayon de soleil enflamma le rubis de ma bague.
Un rire diabolique surgit du plus profond de mes entrailles.
Je me précipitai vers mon secrétaire. Je saisis une feuille de vélin, une plume d’or et calligraphiai :
Annuntio vobis gaudium magnum :
habemus papam.
Eminentissimum ac reverendissimum dominum,
dominum Paula
Sanctae Romanae Ecclesiae cardinalem Roïd
qui sibi nomen imposuit Constanza
Ma plume courrait…courrait pour rattraper le temps perdu…..
© Clémence
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque recouverte d’étagères en teck, j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule, un concile à bulles. Dans quel état j’erre, me suis-je dit. De froid et d’effroi je me « décriais. Des chuchotements » confus émanaient des plus vieux. Leurs mots pleuvaient sur les maux de mon insomnie. J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein…
Des mauvais dessins, certes ma BDthéque en comportait, mais les bons étaient légion, romaine pour ALIX, légion étrangère ou française pour beaucoup, lésion des seins animés de Natacha auquel je m’attachais, et je tachais beaucoup.
Les sons, comme une leçon des sens, semblaient émaner des albums, pour s’échapper en bulles, en pré en bulles, en bandes dessinées, en bandes disséminées, que voudrait décimer un BDkiller, un mec BD, un Beigbeder LUIbrique qui voudrait anéantir le « pôle Art », rentrer dans le lard du roman noir, du Rome en noir de la BD.
A présent, comme un cadeau, je visualise ce fantasme. Ainsi se polarisent dans ce concile, tous mes héros de la BD polar, un concile des trente. Ils débattent, débattent, oui mais des PANZANI !
XIII d’entre eux se mettent d’accord et par Ric Hochet incitent les plus vieux, Arsène Lupin, Nestor Burma et Sherlock Holmes à prendre de la hauteur, à consulter leurs auteurs afin de les rejoindre. Mortimer se sent Blake et d’équerre après avoir bu son Ness café avec Eliot. Largo winch Ester, la voile qu’il veut tirer pour gagner Sin City.
L’enquête progresse sous le voile et la vapeur de mon illusion…
La suite, la suite …..cela demande incontestablement une suite….même au treizième étage….
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque, j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule. Des chuchotements confus émanaient des étagères. J’eus le pressentiment qu’un mauvais dessein se tramait contre moi. Cela venait de la gauche, de l’extrême gauche plus précisément, là où est classée la collection des « Mrs Mac Dowell ».
Mrs Mary Mac Dowell est une détective qui œuvrait dans le Londres du XXème siècle, plus exactement entre les années 20 et 30. D’origine irlandaise, elle épousa Lord Woghan, qu’on retrouva quelques années plus tard, dans une rue des bas-fonds de Londres, un couteau planté dans le dos. Ce fut la première enquête de Mrs Mac Dowell, qui repris à cette occasion son nom de jeune fille.
C’est une collection rare dont je possède tous les titres, depuis que j’ai trouvé le dernier, il y a un mois, dans une brocante de la rue Didot. Les romans policiers sont ma passion lorsqu’ils m’emmènent dans les époques anciennes, en costumes sur mesure, dans des décors art-nouveaux et des atmosphères teatime of London. Après les avoir lus, je les range par auteurs et les garde précieusement enfermés dans ma grande bibliothèque en acajou et cuivres. Avez-vous idée du nombre de livres qui se perdent lorsqu’on les prêtent ?
Mais revenons à ce matin, à ces chuchotements confus, qui le devenaient de moins en moins au fur et à mesure que montait la voix de Mary Mac Dowell, que j’avais reconnue à son accent irlandais. C’est elle qui menait la fronde, et m’approchant tout prêt , je réalisai que les mots sortaient de « La papesse de Soho » le dernier titre qui avait complété ma collection.
Elle racontait aux autres comment elle était passée de mains en mains pendant tant d’années. Elle avait connu toutes sortes d’étagères, en bois, en contreplaqué et en plastique, des meubles stylés, des Ikea et des fonds de tiroirs. Elle avait voyagé dans des sacs, entre un portefeuille et une trousse de maquillage ou un paquet de cigarettes, ou encore au fond d’une poche. Elle avait été lue dans le métro, au jardin du Luxembourg, au café Pouchkine, sous une couette épaisse. Il n’était pas question pour elle de reste coincée là, dans cette affreuse bibliothèque pour le reste de sa vie. Elle voulait revivre des émotions, le suspens et l’angoisse qui monte, sentir l’impatiente de l’attente et du dénouement. Pour cela elle était prête à accepter les pages cornées, le papier qui jaunit, la reliure qui craque et la couverture qui s’effrite.
Soudain elle lança à la cantonade « Debout camarades ! Ne faites pas le jeu de l’appropriation individuelle des moyens culturels ! Quittez cet obscur confort bourgeois et rejoignez la rue ! Les livres sont fait pour circuler, vous n’êtes pas des objets qu’on expose dans les vitrines, vous êtes faits pour être lus. Camarades descendons de nos étagères et marchons à la rencontre des lecteurs !
Ah la traitresse ! la brebis galeuse était entrée dans ma bergerie. On m’avait pourtant prévenu qu’il n’était pas sain d’acheter des livres d’occasion, que les brocantes étaient des lieux mal famés où circulaient des idées subversives. Trop heureuse de ma trouvaille, je ne m’étais pas méfiée. Et des étagères, ce fut alors une dégringolade incroyable, dans un vacarme d’enfer. J’aurais voulu les retenir, mais c’est effrayant un livre avec la bouche grande ouverte. Par la fenêtre ils ont rejoint la rue en gueulant :
« Pour l’objetisation non non non !
Pour le plaisir de lire oui oui oui ! »
Il ne me reste plus qu’une chose à faire, n’ayant plus rien à lire, demain j’irai à la médiathèque de mon quartier, il parait même que c’est gratuit.
© Madeleine Martin décembre 2016
» un livre avec la bouche grande ouverte »
Belle image.
J’ai toujours été grand amateur de romans policiers contrairement à ma défunte épouse qui ne jurait que par la collection Harlequin. Mais c’est en bonne entente que nous partageâmes la bibliothèque de l’appartement.
Tout se passait bien jusque là,même pendant les trois mois qui suivirent son décès.Mais un matin en entrant dans ma pièce préférée,j’ai surpris mes vieux polars tenant un conciliabule,un chuchotement frénétique émanant des plus anciens d’entre eux.
J’eu immédiatement un pressentiment,un noir dessein se tramait j’en étais sûr,une ignominie même, qui venait certainement d’être perpétrée! Il régnait une atmosphère fébrile, parmi mes vieux amis écornés,défraîchis, d’habitude paisibles et silencieux.
Ce matin là donc,je les trouvais penchés les unes contre les autres à comploter dans un bruit de pages feuilletées. Le silence se fit quand je m’approchais d’eux.Quelque chose clochait,plus de doute.
Je vis rapidement un certain désordre dans les titres d’habitude soigneusement rangés par ordre alphabétique de:
» A la recherche du cadavre perdu » à » Zoè- tuera-t-elle une nouvelle fois » en passant par « Y a pas de fumée sans flingue ».
Je n’y retrouvais plus rien.Certains étaient posés tête en bas,une douzaine gisait à terre.
Qui avait bien pu profaner mon sanctuaire? Je regardais autour de moi pour vérifier l’ampleur des dégâts et mon sang se glaça dans mes veines:
tout le mur consacré à » L’infirmière aux yeux bleus » et « L’amour au coeur pur » avait été lacéré, déchiqueté avec soin ne laissant qu’un pauvre tas mort sur le parquet.
Les ouvrages de Mathilde que j’avais conservé en sa mémoire n’étaient plus qu’un résidu de confettis macabres.
J’entendis, figé de stupeur,horrifié par ce spectacle,quelques sinistres ricanements qui résonnaient dans mon dos,des gloussements d’outre tombe faisant se dresser mes cheveux sur ma tête.
Ils avaient osés les voyous,au bout de toutes ces années,se rebeller contre le sentimentalisme,ils avaient détruit la collection de ma chère épouse,attendant qu’elle disparaisse pour manifester leur désaccord à partager les étagères avec un autre genre littéraire que le leur!
Cela avait du prendre du temps et demander des efforts à voir le fouillis.Certains restés en rade à terre,n’ayant pas eu le temps de remonter à leur place lors de mon arrivée,les autres ayant grimpé dans les rayons en dépit du bon sens.
Ma pauvre Mathilde,tu me l’avais toujours dit:
« A chaque fois que je rentre dans la bibliothèque pour prendre ou déposer un livre j’ai l’impression que tes polars vont se jeter sur moi.On dirait qu’ils sont jaloux. »
Je la traitais de tendre folle et continuais la lecture de l’ouvrage du moment.
Que ne l’avais-je écoutée!
Désemparé, je sortis de la pièce ravagée,sans toucher à rien, et fermais définitivement la porte à clé derrière moi.
Mais de mon point de vue et je crois de celui de la littérature, ce sont les polars qui avaient raison.
Un bruissement étrange semble sourdre de la haute bibliothèque adossée au mur. Des froissements de feuilles rompent le calme habituel, des syllabes s’échappent, des consonnes titubent, des onomatopées rebondissent ! Pages qui se tournent, polars qui déménagent, glissements d’un rayon à un autre… tout est étrange en ce soir de novembre. Des corps sanguinolents émergent des profondeurs, des masques noirs surgissent. Dans le brouhaha qui s’amplifie, s’insinue une chanson douce. Elle émane d’une sobre jaquette beige, alanguie sur le cuir du bureau. Un brassard rouge l’enlace, avec arrogance. Ses notes s’égrènent. Dans le vase abandonné, posé tout près, les pétales d’un dahlia noir s’ouvrent, un à un. D’une couverture jaune, sagement rangée dans un coin, subrepticement s’échappe… une main froide. Elle se met à ramper, jusqu’à la table. La rumeur s’interrompt, seule la chanson douce poursuit sa noire berceuse. La main froide se gante, grimpe sur le maroquin. Les chuchotements reprennent. A l’ombre du dahlia, elle s’arme d’un coutelas aiguisé. Le bourdonnement devient grondement : « Pourquoi toujours un roman ? Un roman aussi noir ? Jamais un polar ! C’est injuste ! C’est injuste ! » Un éclat sélène fait briller un instant le poignard que lève, lentement, la main froide. D’un trait, elle l’enfonce en plein cœur de la jaquette beige, puis, d’un geste rageur, arrache le bandeau rouge. La chanson douce expire ses derniers mots. « A nous le Goncourt ! A nous le Goncourt ! » rugissent en chœur les polars. Le brassard de papier s’envole. Oriflamme rouge, valsant dans un rai de lune, il s’en va effleurer, çà et là, papier glacé, photos horrifiques, couvertures jaunes et noires…
© ammk
« Anne marie » le noir à l’espoir, la poésie du mot évocateur, acteur démon et merveille, sombre et inquiétant, sobre et connotant, à l’aspiration (au milieu de ces expirations) d’une récompense pour le « pôle art ». Elle donne du prix à cet art populaire, une réussite au concours, au Goncourt.
A trois heures ce matin, entrant dans ma bibliothèque, j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule. Des chuchotements émanaient des vieux. J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein. Je réalisai que leurs murmures étaient à l’origine de mon insomnie. Des serre-livres avaient été déplacés ou ôtés. Des vidéos apparaissaient dans les rangées de bouquins. Qui s’intéressait à ma passion ? Qui se nourrissait de mes lectures ?
Une lumière jaune inhabituelle filtrait à travers les persiennes. Je me rapprochai et risquai un oeil par l’interstice d’un volet. Une limousine noire au toit gris dardait ses phares sur ma fenêtre, emplissant la pièce d’ombres insolites.
Un coup d’oeil sur les autres rangs et sur le bureau, seuls les polars avaient été touchés. Une visite inopinée avait ciblé son intérêt sur mon domicile. J’examinai autant que je pus l’intrus qui me défiait de la rue avec ses torches dans les yeux qui m’empêchaient de voir son numéro. A tâtons, j’ouvris le tiroir de la commode pour prendre ma paire de jumelles. En me retournant vers mon objectif, je faillis renverser le vase de lupins. Je le rattrapai in extremis. Un des serre-livres avait cédé sa place sur une étagère. C’était un étrier, souvenir de mon frère. Mon attention se porta sur cette disparition. L’objet avait sans doute migré pour cause de ménage. Mais pourquoi ces projecteurs si matinaux m’épiaient-ils ? Avec mes longues-vues, je tentai d’apercevoir mon surveillant nocturne. Rien ne trahissait une présence à travers les verres fumés de cette tire muette postée telle un char à l’affût. Une batterie ne pourrait tenir le choc jusqu’au lever du jour. Un distrait s’était sans doute oublié. Dans mon pyjama, je jouais les Sherlock.
Hier, je me souviens, cette place de parking, juste sous le lampadaire dans le virage, était vide. « Mon espion est arrivé récemment, ce n’est pas du pipeau, me dis-je. Une voiture dans la nuit et des qu’en dira-t-on venant des polars, ce n’était pas suffisant pour faire le 17. La police me rirait au nez ». Je devais retrouver le serre-livres qui manquait à l’appel. J’observai à nouveau mon observateur. Sur le pare-brise embué, il avait inscrit…
Je ne voyais pas très bien. Je visionnai par la lorgnette : « J’AURAI TA PEAU ». A partir de cette nuance de taille, être prudent et adopter une stratégie de contournement. Mon intuition du début se vérifiait. Je m’armai de courage et m’apprêtai à affronter mon invisible. Par la porte du garage et par la rue Morgue, je l’aurais à revers. Je pourrais lui demander ce qu’il me veut.
Mais de l’étagère à livres, j’entendis : « Ne descends pas tes trente neuf marches. Ils n’attendent que ça. Ils t’ont dans leur ligne de mire. Reste ici ». Ils étaient donc au moins deux. Ma chambre jaune fut soudain plongée dans le noir. Il y avait quelqu’un chez moi. Je me projetai vers la croisée, la berline avait disparu. Je restai un moment à guetter dans l’obscurité, aucun bruit. Je sentis le léger souffle de la porte qui grinça en fin d’ouverture.
– Qu’est-ce que tu fais là, dans le noir me dit ma femme désolée de me voir somnambule, tu viens te coucher !
– Je n’arrive pas à dormir, je crois que j’ai une idée de polar.
– Moi aussi, j’ai fait des enregistrements.
– Il manque un étrier…
– Viens dormir, il est tard.
– Tu as raison, tu es la sagesse même.
– RENDEZ VOUS, VOUS ÊTES CERNES !
Dehors, la police, dans le mégaphone avait crié l’ordre. Les carreaux avaient tremblé. L’une après l’autre, les maisons de la rue d’en face s’allumèrent. Trois grosses espaces noires barraient la route. Avec les gyrophares et les éclairages puissants et le haut-parleur, elles réveillaient le quartier du même endroit que la voiture de tout à l’heure et s’en prenaient à la maison du 21 de la rue. Cette voie montait jusque dans les bois. Après la première sommation, le commissaire déploya ses hommes bardés de gilets pare-balles, de casques et de boucliers. Une trentaine de rangers militaires résonnèrent sur le goudron. Ils assiégèrent la petite bicoque qui appartenait au garagiste installé le long du canal. Les gendarmes se positionnèrent en se protégeant. Le commissaire relança un dernier ordre avant de forcer l’ouverture.
– DERNIERE SOMMATION, RENDEZ VOUS SANS RESISTANCE, TOUTES LES ISSUES SONT BLOQUEES, hurla-t-il avec autorité.
Après trois minutes d’une longue attente, dans le silence complet de la nuit, le bélier fracassa la porte d’entrée. De la cave au grenier, la troupe inspecta les moindres recoins. La maison était vide. Avec sa lampe de poche, le commissaire découvrit alors, écrit à la peinture rouge, sur un des murs du salon cette phrase à énigmes : « L’épaulard de la belle Ambert ! « .
Tous se dévisagèrent en pensant à une plaisanterie. Le commissaire savait qu’il était sur la bonne piste. Cette phrase confirmait son premier indice. Il fallait transposer.
« Les polars de rue de l’Abbé Lambert ! »
La promesse d’une course-poursuite…
Excellent de suspense, j’ai eu peur jusqu’au dénouement, surtout qu’il m’est arrivé (réellement) d’habiter un N° 21 où j’ai toujours redouté que l’on me prenne pour vous savez qui.
Le commissaire Touvenet demanda le relevé d’empreintes à son collègue et ami. La police scientifique prit les photos des chambres et de la cuisine. Toutes étaient meublées, sauf celle de l’énigme qui était vide, mais pleine d’une odeur qui l’habitait et qui le plongea dans des souvenirs récents. Peut-être avait-il rencontré la « Belle Ambert », quelque part dans un lieu qui lui reviendrait.
Il regarda les hommes dans leurs combinaisons-cagoules blanches dérouler le protocole de recherche de sang. Pendant que leur travail minutieux avançait, il songea à ce parfum furtif, plus intenses à certains endroits confinés, qu’à d’autres très ventilés. Il tourna sur la moquette grise comme un limier discret pour ne pas déranger ses équipiers zélés. Il se flattait d’être un expert en odorat, mais sur cette qualité, il était muet, il gardait ça pour lui par superstition. il ne dévoilait jamais ses systèmes D, comme il disait, de peur qu’ils soient moins efficaces. Ses méthodes lui appartenaient. A aucun prix, il ne les céderait. Le rayon violet n’avait rien à voir et pourtant l’attirance qu’il en avait lui parlait d’un ton insistant ! D’intuition, il se dit qu’il y avait un lien. Dans l’improvisation, il en était sûr, il serait confronté à une ouverture, c’était son truc à lui. Son job lui apportait une découverte ouvrant sur une autre et ainsi de suite. Il s’appuyait sur son pragmatisme. C’est tout ce qu’on pouvait savoir de ses méthodes. Sa mémoire lui dit que, profondément caché sous un mouchoir de soie, dormait une photo d’ado, dans un temps où l’allégresse et l’insouciance étaient une manière de vivre dans cette ville aux couleurs chaudes et pastelles. Quel était le rapport avec l’épaulard ? Etait-ce le surnom d’un ancien, une anagramme ou un jeu de mots phonétique ? Il oublia cette histoire olfactive pour se concentrer sur les momies mobiles qui exécutaient un ballet fluorescent. A tête reposée, ses lumières de légende reviendraient en surface comme des nénuphars, lors d’une soirée à fumer sa pipe tranquille et à explorer les volutes. De notre perchoir protégé, on voyait les allées et venues des faisceaux zébrant l’espace de la maison comme les lasers d’une boîte de nuit. Le spectacle était fascinant. De gros insectes fourmillaient derrière des fils inquisiteurs à la recherche d’indices. J’aurais voulu être à la place du commissaire pour continuer ce polar dont je n’étais que le lecteur. Le commissaire m’autoriserait-il à le suivre ?
Je n’avais jamais rien remarqué de suspect chez ce voisin placide maintenant recherché pour une cause qui nous échappait. Quelles étaient ses actions passées qui l’avaient mis dans cette situation de border line ? C’était un grand type aux cheveux mi-longs, amoureux des belles voitures, toujours aimable, qui vivait avec sa mère. Elle était une jolie femme blonde, bien en chair, élégamment vêtue. Ils avaient une vie bien rangée, deux chiens et, de leur jardin entretenu régulièrement pointaient des thuyas libres comme le vent. J’avais seulement remarqué que la tondeuse fonctionnait la veille des jours de pluie. Il surveillait la météo comme un pro du jardinage
Nous restions collés à la vitre, médusés par le remue-ménage dont on ne percevait pas le bruit. Ces gens si tranquilles, pouvaient-ils être une menace ? Instinctivement, nous mettions une barrière au doute. Aline me prit doucement les binocles à rallonge. « On ne connaît pas nos voisins, me dit-elle. Elle est fonctionnaire, je la vois parfois en uniforme. Ca doit être une erreur, c’est sûrement eux les victimes. »
Tout était possible. Un choc sur la nuque que je reconnus comme métallique et froid m’envoya au sol. Je perdis connaissance avec un brouillard flottant au-dessus de ma tête m’empêchant d’intervenir. J’entendis la voix de mon agresseur qui m’avait à sa merci. Je ne pouvais pas bouger…
Le commissaire Touvenet me dit : « Arrête ton cinéma ! »
ET JOYEUX NOEL !
La solution de l’énigme, peut-être la prochaine fois ?
Merci à vous Grumpy. Bonnes fêtes de fin d’année !
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque, j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule. Des chuchotements confus émanaient des plus vieux. J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein.
Une info de première main ameutait les volumes : l’indic ne s’était pas méfié, coincé entre 2 homicides et une affaire louche, il n’avait pu transmettre l’info aux condés. Il devait conduire lui-même l’enquête dans ce rayon sombre sans sécurité. Que serait la décision des plus vieux détectives, des inspecteurs et des commissaires : disparaître, résister, contre enquêter? à force de subodorer un coup foireux, ils n’avaient pas suspecté un tel mobile et encore moins identifié les protagonistes. Mais le mouchard était sûr de ce qu’il avait vu : c’était la proprio … il l’avait entendue déballer un truc, c’était plat et ça s’allumait : des centaines de titres avaient défilé sur l’écran.
Ils n’avaient plus rien à faire ici, fallait déguerpir en loucedé, rejoindre une bouquinerie, une boîte à livres, un rayon chez Emmaüs ou des armoires à la maison de retraite.
Comment s’y prendre sans se faire remarquer?
Je me mis à l’écoute de mes polars… que me rappelaient-ils ? que je ne mange pas de polars ! que je déteste ça ! que cà pique trop pour mon goût et que je préfère dévorer des romans … mais on s’était acharné autour de moi à vouloir m’y faire goûter, en m’en offrant un chaque année….. allez zou ! avec la liseuse, je disposais d’un argument pour les évacuer, Je rédigeai une pancarte : Crimes, enquêtes, suspens : A donner, et flanquai les maudits bouquins dans un carton que j’abandonnai à un coin rue, lâchement….
J’ai un peu honte…mais je l’ai fait, enfin !
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque, j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule.
Des chuchotements confus émanaient des plus vieux.J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein…
Les inspecteurs, commissaires, enquêteurs débarrassés de leurs affaires habituelles, avaient décidé de discuter de leurs auteurs., brèves de bibliothèques. Certains en avaient assez de se retrouver dans les mêmes pays, m^mes décors, enquêtes, d’autres auraient préféré changer de genre, thrillers, espionnage, historique, polars ethno, Laponie, Australie
Miss Marple et Hercule Poirot en tête avaient rêvé d’autres milieux, moins feutrés, moins guindés, un peu plus fous !!
Maigret, regrettait seulement de ne pas avoir connu davantage de brasseries, de petits hôtels de province, atmosphère, atmosphère … Nestor Burma adorait enquêter dans le Paris de Tardi, la nuit dans les ruelles pavées, réverbères , silhouettes furtives, chats squelettiques, monde mystérieux, attachant.
Wallander, toujours surmené sous une épaisse brume suédoise, appréciait de chercher à comprendre avec Mankell, les obscurs changements de la société . Étant du même âge, ils se comprenaient parfaitement .
Bosch , toujours sceptique, obsessionnel, luttant pour la vérité, contre le mal à Los Angeles, aimait bien rester un flic à l’ancienne, alcool, intuition, instinct, pas un fan des nouvelles technologies !
Tous les avocats de Grisham étaient fiers de leurs affaires, dans tous les milieux de la société américaine .
Le duo de Lehane, amis, ou plus, appréciait les noires intrigues à Boston , enfance, mafias irlandaises, prisons.
Montabalno adorait la cuisine, sicilienne je dis, et les enquêtes sociétales de l’île .
Pepe Carvalho ne regrettait pas ses fines expériences gastronomiques à Barcelone, sa ville mythique.
Brunetti, le Vénitien de souche souffrait de rester ilien, des affaires sans envergure ne lui suffisaient plus.
Adamsberg le flegmatique, très à l’aise dans son équipe à Paris, appréciait ses déplacements en province ou à l’étranger, rencontres, découvertes, et ses plongées en légendes. Il attendait la prochaine évasion avec impatience.
Tous ces enquêteurs s’imaginaient, un jour, autour d’une même affaire, et d’un bon repas, chacun la traitant à sa manière, ou tous ensemble …
Ce matin-là, entrant dans sa bibliothèque, il surprit ses polars tenant un conciliabule.Des chuchotements confus émanaient des plus vieux. Il eut le pressentiment d’un mauvais dessein…
Les polars étaient aigris. Ils souffraient en silence. Alignés sur leurs étagères poussiéreuses. Ils ne présentaient plus aucun intérêt, ils ne faisaient plus peur à personne, bref, ils n’étaient plus lus.
N’importe laquelle de leurs milliers d’histoires était devenue ringarde au vu des faits-divers remplissant maintenant les journaux, le Web, les séries-crimes à la télé où les Magnum 357 et les Kalach avaient remplacé leurs vieux Colt, Smith & Wesson, et autres Beretta. Complètement dépassés en somme par la téléréalité permanente de ce vingt et unième siècle.
Ils en ont discuté entre eux : le constat était amer, le bilan désespérant. Ils n’étaient plus que des survivants racornis, ankylosés, parfois moisis, sentant le vieux papier rongé par les souris. Perclus même de rhumatismes à force d’être confinés serrés sur leurs étagères sans plus pouvoir seulement feuilleter une page, même pas celle de garde ne serait-ce que pour en relire juste une fois une dédicace enflammée.
Ne leur restait de leur gloire passée que la fierté de leur couverture noire et jaune maintenant desséchée et ternie. S’ils n’avaient pas été eux-aussi des ‘durs’ comme leur héros flics ou détectives, ils en pleureraient presque.
A la vue de leur emblème autrefois si fameux, leur référence de qualité, ce masque noir effilé à l’œil cruellement percé d’une plume acérée prometteuse d’aventure leur rendait parfois un peu de vigueur et l’envie de revivre.
Même une fameuse émission de radio avait usurpé leur nom, et quelle audience, quelle ambiance survoltée d’accrochages et de disputes mais déjà il ne s’agissait plus d’eux mais de cinéma.
Dieu sait pourtant qu’ils avaient eu leur heure de gloire, si longue qu’elle promettait d’être éternelle. Il n’en fut rien comme de bien des choses de ces temps révolus.
Maigre consolation, leur propriétaire qui était allé jusqu’à oublier qu’il les possédait, était fumeur de pipe. De pipe ? tiens tiens ? Ah, ça leur rappelait que le commissaire Maigret avait été leur collègue (soit dit entre parenthèses, Simenon, bien qu’ayant fait partie d’une autre collection, en voilà un auteur !)
Qui dit pipe, dit allumette.
Toutes les deux traînaient sur le bureau côte à côte, pour le pratique comme d’habitude.
Ils chuchotèrent l’idée de vengeance qui leur passa par la tête. Tous d’accord : on allait tirer au sort l’auteur ayant écrit le titre le plus sûr d’accomplir leur destin déjà funeste.
Qui de Jim Thompson, Raymond Chandler, Dashiell Hammett, Peter Cheyney, James hadley Chase ….. allait descendre ‘allumer le feu’ ?
Deux ex-aequo sortirent du lot : l’un tiendrait la boîte, l’autre frotterait l’allumette :
– David Goodis pour « l’allumette facile »
– et Cleve Franklin Adams pour « Voilà le travail ».
Tous périrent, la maison avec, dans une inouïe jubilation.
Beaucoup aimé votre texte. Vous êtes un sacré spécialiste des romans policiers.
Merci Peggy, je suis ‘une femme’ sensible à votre appréciation.
Hier matin, en entrant dans sa bibliothèque, je lui fis un clin d’œil.
En vain !
Il m’a ignorée, car il fut surpris par ses polars qui tenaient un conciliabule.
Il est vrai que, depuis plusieurs jours, des chuchotements confus émanaient des plus jeunes.
J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein.
Je les entendais bien
A cinq heures vingt-cinq, le livre au regard marron, a rendez-vous avec la mort.
Son but : le doigt qui tire, la plume empoisonnée, un cadavre dans la bibliothèque.
Ils savent bien que je suis la meilleure, et ces petits minus ne le supportent pas.
Et ce soir, le maître est arrivé, une flûte pétillante en main.
Il est venu vers moi, sourire charmeur, yeux pétillants, et a murmuré tout en me caressant : en route pour un meurtre au champagne.
Destination inconnue vers une nuit qui ne finit pas.
Tous ces jeunots jaloux, avec leur littérature violente et glauque, se demandent :
« Un meurtre est-il facile ? »
Ce fut leur dernière énigme.
Tant pis pour eux. Le maître a choisi.
« Le bal de la victoire »
Agatha.
La vieille maison bourgeoise ouvre sur un corridor immense, dont la porte la plus large, à double battants jamais clos, donne accès à une salle aux murs entièrement vitrés. Et derrière ces vitres, sur des rayonnages à perte de vue, des régiments de livres au garde à vous guettent le visiteur dans l’ attente d’être distingués et soustraits de leur logement par une main curieuse. Tels des grognards de Napoléon qui mendient auprès de l’empereur le privilège de se faire tirer l’oreille, distinction gratifiante qui suscitera la jalousie de leurs accolytes, ils se tiennent droits comme congelés sur place par l’hiver russe, et épient l’intrus.
Dans la pénombre de cet eldorado livresque, une pénombre commune à tout temple du livre qui se respecte, le visiteur égaré est soudain surpris par une ambiance sonore comparable à celle qui se dégage au plus profond des forêts. Ses oreilles bourdonnent, et il croit à des acouphènes. Il confond le murmure diffus des spectateurs de l’arêne, dont il est le centre inconscient vers qui convergent tous les regards, avec une manifestation de son ego.
Le visiteur s’avance, frôle le dos d’un livre, qui frémit et attend que notre personnage tourne le dos pour laisser un frisson voluptueux remonter l’échine de sa vieille peau tannée. Cependant la rumeur court et remonte tous les rayonnages : « C’est sérieux !! il a l’intention de choisir l’un de nous ! » L’espoir rosit les joues, ravive les couleurs des couvertures fanées, qui trépignent intérieurement et lissent leurs pages. Mais voilà qu’il fait glisser un gros volume de son casier poussiéreux. Il le tourne et le retourne, il caresse lentement ses flancs, inspecte son dos, gratte doucement son cuir aux teintes passées, puis, ô volupté, ouvre les pages qui s’écartent et s’étalent comme une putain ouvre ses cuisses. Il a soudain l’impression d’entendre ronronner mais précipite un doigt dans son oreille qu’il secoue violemment. Il tourne doucement les feuillets parcheminés. Il déplie avec soin les cornes des pages qui pensent retrouver leur jeunesse. On jase dans les rangs, on désapprouve cette lubricité ostentatoire, on traite le privilégié de vieille peau, d’aucuns vantent leur lifting de livres restaurés, qui devrait tout de même susciter plus d’intérêt qu’un vieux débri. D’autres mettent en avant leurs titres, qui attestent selon eux de leur noblesse. Mais notre lecteur, avec un sourire, replie et abandonne sur une étagère son flirt d’un moment.
A qui le tour ? Voilà qu’il arpente les murs. D’un pas lent et égal, il inspecte les troupes bien ordonnées comme un général la veille de la bataille.Quelle diversité ! Il y en a des grands, des petits, des épais, des tout minces, et la variété de leurs parures semble le grand tableau
abstrait d’un peintre fou de couleurs.
Un escabeau de bois à cinq marches appuyé sur le mur lui offre l’aubaine d’atteindre les hauteurs de cette caverne d’Ali Baba. Il a repéré dans le coin le plus distant des formes brunes qui n’attirent pas l’oeil au premier regard. Sur l’étagère la plus haute, un volume est écrasé sous le poids d’un atlas imposant. Il le soustrait à grand peine à son tortionnaire, et éternue plusieurs fois à la descente. En le posant sur une tablette, il perd une page qui s’échappe nonchalemment par la fenêtre ouverte. Il ouvre le document avec précaution. La peau se détache de l’os, les feuillets ne tiennent plus à la couverture que par des coutures effilées et lâches . Celui-ci a vécu. Un manque d’intérêt chronique a eu raison de sa vitalité.
Aux étages inférieurs la déception des autres est patente : Pourquoi perdre son temps avec un dossier oublié sur les services postaux au 19ème siècle ?
Déçupar son choix, notre explorateur a déjà tourné le dos. Car depuis un moment, une robe rouge, presque à raz de sol, attire son regard. Il doit se mettre à quatre pattes pour saisir le petit livre écarlate, qui résiste. Vu de près, il semble beaucoup moins neuf qu’à distance: le dos, légèrement humide, héberge même un tout petit champignon poussé au bord de la reliure, boursouflant les angles d’un furoncle étrange. Quant à la couverture, ses lettres abimées ou effacées ne dévoilent que des bribes du titre. Il déchiffre ainsi « ALI… » et « mer… »
Il éventre le volume, et le découvre parsemé de petites fleurs séchées. Mais à la page 100 un énorme trou de la largeur d’une grosse pièce de monnaie traverse la totalité des feuillets restants et interdit toute lecture de la suite. Intrigué, il l’explore en passant son doigt au travers du tunnel ainsi constitué. Il y colle son oeil et la bibliothèque lui paraît soudain minuscule et déformée. Amusé il entame les premières lignes, lit les suivantes et se sent bizarrement obsédé par l’heure qu’il vérifie sans cesse à sa montre. C’est vrai qu’il est déjà tard et il baille à répétition quand, captivé par le récit, il parvient à la page 98. Il a juste le temps de se faire la remarque que de toutes façons, à cause du trou, il ne dépassera pas la suivante et malgré lui ses yeux se ferment. La dernière ligne lisible l’expédie dans les bras de Morphée. Et voilà qu’en même temps qu’il glisse doucement dans le plus profond des sommeils, il se sent tomber, tomber, tomber….
Superbe ! Tel Alice il court après le temps et peut-être croisera-t-il le lapin ?! J’ai été captivée par votre récit, merci.
Merci Laurence! Je suis extrêmement flattée!
Ce matin, entrant dans ma bibliothèque,
j’ai surpris mes polars tenant un conciliabule.
Des chuchotements confus émanaient des plus vieux.
J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein…
On dirait une vengeance qui se préparait dans l’air toujours agréablement respirable jusque là. Mais qui a cessé de l’être ce jour-là et à partir de ce moment précis où je vois ce que je viens de découvrir. J’ai à peine surpris l’un d’eux dire à voix à peine audible » ferme maintenant la porte. l’embarquement est immédiat ». Je n’ai pas compris que je me suis trouvé enfermée, complétement isolée comme dans une île. Plus personne autour de moi. Plus de présence humaine. Avec les neuf livres anciens cela fait de nous dix. Tous de ressemblance diabolique, on dirait Deux Gouttes D’Eau. En plus tous de couverture noire, totalement noire. Et moi-même habillé, j’avoue je ne sais pas pourquoi, comme l’Espion Qui Venait Du Froid, en noir foncé. Mauvais Présage! On dirait Dix Petits Nègres. Ils me regardaient non comme Les Meilleurs Elèves. mais plutôt comme Le Diable De Velours. Je commence vraiment à « flipper » quand d’abord l’un d’eux crie « Parts Vite Et Revient Tard ». Je ne pouvait pas savoir à qui il s’adressait. La lumière d’un seul coup s’est éteinte. Le Grand Sommeil allait commencer si un autre n’avait pas hurlé « A Dieu Ma Jolie ». J’ai à peine entendu un drôle mais très drôle de bruit, on dirait Trois Cercueils Se Ferment. Un silence religieux, identique à ce qu’a été Le Silence Des Agneaux qui m’a fait penser au plus merveilleux et sordide en même temps de mes souvenirs. Vous savez ce à quoi on pense, paraît-il d’après ceux qui ont vécu ce genre de Retour De l’Au-delà. Une croisière l’été dernier dans le pays des pyramides et du Sphinx qui m’a fait voir mais vraiment Un Mort sur le Nil. Le Cœur Et La Raison en panne. Le cœur serré et la raison confuse. Et si la sécurité faisait irruption comme à son habitude, comme si elle sortait d’un bac d’adoucissant ou pas. Et si on me surprenait en train de négocier ma libération avec ces livres, qui croirait à ma version et non à un Trafic de Reliques. Je commence alors à m’imaginer Une Avalanche De Conséquences. Je prends la petite de bouteille d’eau dans mon sac pour prendre Un Dernier Verre Avant La Guerre dans Un Lieu Incertain ou plutôt bien singulier. Ni Vu Ni Connu, J’ouvre le bouchon et mets la bouteille à ma bouche sans quitter du regard ces drôles de livres et au moment de savourer la fraicheur de ma boisson, le réveil sonne et me rappelle…
En 15 titres
Ce matin, dans l’heure blafarde ; au 120, rue de la gare
entrant dans ma bibliothèque ; la chambre ardente,
j’ai surpris mes polars ; sous la lumière cruelle, tenant un conciliabule : « J’aurai ta peau, Fantomas »
Cérémonies barbares au service des affaires classées, à l’étage des morts.
Des chuchotements confus émanaient des plus vieux : la mariée rouge, Rebecca et le prince de New-York, un étrange locataire
J’eus le pressentiment d’un mauvais dessein…
Chronique d’une mort annoncée d’un méchant garçon.