744e exercice d’écriture très créative créé par Pascal Perrat


C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ?
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C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ?
Il n’en était rien. En cette période de l’année si particulière, tout le monde savait que leur maison accueillait les perdus, les désœuvrés, les malheureux. Ils ne furent donc pas surpris de voir la tristesse pointer le bout de son nez. Elle fut accueillie très chaleureusement ce qui eut pour effet immédiat de lui faire perdre toute vigueur et ce sentiment nouveau lui donna du baume au cœur. Cette nouvelle sensation la ravit et lui fit croire qu’elle avait raison d’espérer. Elle trouva du réconfort et put oublier pendant quelques jours tout le poids de sa fonction. Ses amies, arrivées avant elle affichaient des mines réjouies. Et elles savaient pertinemment qu’ici était le seul endroit où elles pouvaient être autre chose que ce qu’elles représentaient aux yeux du monde. Elles avaient tellement donné tout au long de l’année ! Leur travail avait été immense, intense. Le monde était si dur. Endosser d’autres atours même pour quelques heures faisait office de vacances bien méritées. Et elles avaient bien l’intention d’en profiter !
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ?
Elle se dit que c’était cuit. Cette porte n’allait pas s’ouvrir.
C’est sûr on ne voulait pas d’elle. La tristesse personne n’en voulait même un jour de carnaval.
Alors dans son petit sac à dos Tristesse reprit son gros masque de fourmi rouge.
Elle se plongea dans la foule du carnaval, fit comme elle dansa, chanta avec sa belle voix de soprano.
Soudain elle eut l’idée de grimper dans un char garni de fleurs qu’au cours de sa vie elle n’avait jamais vues, parfumant l’air avec d’étranges senteurs.
Elle pensa que ce char pouvait venir d’une autre planète. Collée contre plusieurs fleurs, elle y était bien.
Bizarrement personne ne la remarquait.
Sans s’en rendre compte et sans même savoir ce qu’elle faisait elle se mit à claquer des doigts. Un, deux, trois …
Oh oh que c’est drôle dit Tristesse.
Il y a une telle énergie dans ce geste. Et puis, j’ai comme l’impression que ce claquement de doigts a quelque chose de magique.
En effet, autour du char sur lequel elle était toujours collée, Tristesse vit surgir en un centième de secondes de gros animaux : de ceux qu’on voit généralement dans des pays d’Afrique et malheureusement aussi dans les zoos.
Elle pensait rêver. Non, à la façon dont ils se déplaçaient, elle se rendait compte que ces animaux étaient maintenant bien présents dans ce carnaval. Les bêtes semblaient heureuses d’être là : caracolant, gesticulant sur la chaussée, et paradoxalement sans que les nombreuses personnes qui les voyaient évoluer dans ce carnaval en soit surprises.
Il y avait notamment deux rhinocéros, quatre éléphants, trois girafes, deux antilopes, deux lions, trois autruches …
Tristesse se dit que ce qu’elle vivait dans ce carnaval lui paraissait bien étrange. Ça semblait même irréel : surtout les fleurs du char qui lui étaient jusqu’à alors inconnues, et à présent, pour certaines ces lourdes bestioles.
Touchant son masque de grosse fourmi rouge, elle pensa qu’il avait peut-être quelque chose de maléfique.
Que c’était certainement ce masque qui avait dû provoquer l’arrivée de ces ́animaux.
Oui c’était sûrement le masque ! Elle le pressentait.
Elle décida donc de le jeter le plus loin possible.
Tristesse débarrassée de son masque eut mal au ventre.
Soudain elle sauta du char et alla s’allonger sur le trottoir, juste à proximité d’une plaque d’égout, d’où sortait une fumée blanchâtre. Le dos au sol et les bras le long du ciel, les jambes bien tendues, elle regardait fixement le ciel bleu d’une grande limpidité.
Un peu fatiguée de la journée, elle s’endormit.
Dans son sommeil, elle crut entendre la voix d’un petit garçon.
Papa papa regarde il y a un livre sur le trottoir. De couleur jaune avec des points verts.
Je peux le prendre papa. Je pourrais le lire ce week-end !
Papa papa regarde il est vraiment marrant le titre de ce livre :
» Tri tri et la belle princesse partent en vacances »
Quand Madame Déni ouvrit, elle ne fut pas étonnée. Avec une moue blasée, elle fit un geste de la main qui permit à Tristesse de comprendre qu’elle pouvait entrer et rejoindre ses compères à l’intérieur.
Le soir même, elle échangea avec son compagnon et lui fit part de son avis :
– Nous ne pourrons pas les garder ici éternellement. Je commence à m’épuiser. Tu sais qui est arrivé aujourd’hui ?
– Oui, je l’ai vue discuter avec Inquiétude dans le salon. Cela m’a attristé, tu t’en doutes.
– Il va falloir que tu interviennes avant que d’autres n’arrivent. Tu sais que c’est ton rôle. Moi, je ne peux pas le faire.
– Oui chérie. Je le sais, répondit-il après un long soupir.
Le lendemain, il prit la décision de toutes les réunir pour les informer qu’elles allaient devoir partir.
– Mais je viens seulement d’arriver ! s’interposa Tristesse, un sanglot dans la voix.
– Il est temps pour vous toutes d’affronter la réalité. L’arrivée de Tristesse, hier, n’est pas anodine. On parle du chagrin tout de même ! Il y a ici un trop plein d’émotions qui doivent sortir.
– Mais non ! On ne veut pas ! cria la peur, angoissée à l’idée de quitter ce cocon dans lequel elle se lovait depuis des mois.
– Vous n’avez pas le choix. C’est moi qui décide ! conclut-il.
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. Une tristesse fulgurante s’empara de l’esprit de Claudia, ce qui, tout d’abord, l’inquiéta à peine. Madame Déni n’avait pas encore fermé la porte à clés. Ce qu’elle fit. Alors, l’angoisse se faufila dans ses pensées. La peur la fit sortir de la foule pour trouver un coin tranquille. Un endroit où elle pourrait respirer car elle suffoquait à présent. Elle pleurait aussi. Un coup de fil à sa mère et une longue conversation la rassurèrent un peu. Elle put rentrer chez elle sans trop stresser, avec sa mère au téléphone.
Elle se camoufla sous sa couette tout en pensant : maman a raison, il est temps de prendre rendez-vous chez le psy.
Madame Déni n’était pas mécontente d’être enfin débarrassée de ses hôtes. Elle avait enfin l’esprit tranquille. C’était au tour de son conjoint de travailler à présent, elle avait fait sa part.
Monsieur Acceptation s’affairait dans son bureau depuis le départ de ses protégées. Sa part du boulot n’était pas la plus facile. C’est lui qui établissait le planning de ses demoiselles et il avait intérêt à bien tout organiser s’il ne voulait pas risquer de se faire piquer le job par l’horrible Madame Dépression.
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ?
Mardi-gras, place Masséna (à Nice bien entendu), 15h, Odette et Line étaient assises sur les gradins en bambou pour assister au défilé du carnaval dont le thème cette année était, selon elles, un peu bizarre : Roi de la Diplomatie. Oui, chaque année il y avait un thème et un Roi du thème. Chaque année, depuis cinquante ans, Odette et Line allaient place Masséna. Chaque année, elles s’amusaient. Elles venaient de la rue Catherine Ségurane à la place Masséna à pied, cela leur prenaient bien vingt minutes.
– Qu’est-ce qu’ils nous ont préparé pour ce truc, la diplomatie ? C’est intello, ça, non ? s’écrie Odette, d’habitude c’est simple, la mode, le sport, les animaux !
– O-h ! Tu sais…va savoir ce qu’ils mijotent …On verra bien ! répond Line.
Elles s’emmitouflèrent bien dans leurs manteaux et écharpes car, même à Nice, les mardi-gras sont frisquets. Le premier char fit son entrée.
– T’as vu, Odette, les chars, ils ont encore plus mouligasses que d’habitude !
– Oui, t’as raison, mais qu’est-ce qu’ils ont à traînasser comme ça ?
Cette année-là, à bien y regarder, l’ambiance, comme on dit, n’était pas terrible. Etait-ce le thème, qui n’invitait pas franchement à la rigolade ? La diplomatie pouvait être traitée de manière ridicule, même au carnaval !.. Il manquait un petit quelque chose, il y avait comme une fausse note. Les chars, pourtant, défiaient avec leurs personnages grotesques, les couleurs étaient criardes, les postures tarabiscotées, le soleil au rendez-vous, les confettis voltigeaient dans l’air bleu selon une chorégraphie convenue depuis des siècles. Qu’est-ce qui clochait alors ?Un carnaval triste, ça n’existait pas, c’était un contresens, un oxymore !
Ce que Line et Odette ignoraient , c’est que les porteurs des grosses têtes pensaient avec une infinie tristesse au repas qu’ils allaient prendre le soir et qui était entièrement végane. C’en était fini des bonnes tablées où l’on dansait, chantait, exultait . On était en 2030.
Chère Avoires,
Comme le temps passe vite… il me semblait tout juste que nous avions mis un pied en 2025… que nous voilà déjà en 2030…
Prends bien soin de toi et à bientôt.
Toc…toc…toc…
Boum…boum…boum…
– Oui, oui, j’arrive !
Elle prenait son temps car elle pensait que c’étaient ces sauvages qui chantaient, dansaient, exultaient, ces carnavaleux qui bouffaient les harengs par les deux bouts, qui s’agitaient comme des pantins désarticulés. Pour oublier leur misère, leurs faiblesses, leurs inquiétudes, leurs peurs !
TOC…TOC…TOC…
BOUM…BOUM…BOUM…
– Voilà, voilà, voilà ! Je ne suis pas sourde, dit-elle, tout en entrebâillant la porte.
– Bonjour Madame, venez avec nous, on va s’amuser comme les fous que nous sommes !
– Pas question ! Allez chahuter ailleurs ! J’ai passé l’âge des cours de récréation !
– Allez Madame, il n’y a pas d’âge pour s’amuser. Ouvrez grand la porte, on va vous expliquer.
– Y’a rien à expliquer ! Et puis, d’ailleurs, je ne suis pas déguisée et…
– Vous êtes parfaite comme ça : avec votre robe de chambre arc-en-ciel, même si elle a vécu, avec vos chaussettes lie-de-vin jouant de l’accordéon sur vos mules percées, vos rares cheveux jaune paille, vos cernes violettes sous vos yeux gris larmoyants et votre nez rouge. Une chose est certaine : vous serez la reine du Carnaval.
– Eh ! Les petits gars ! Moquez-vous de moi, bande de sales garnements ! Allez, disparaissez de ma vue !
– Cool ! La vioque ! T’as plus qu’à aller au milieu du champs du Marcel ! Tu feras un bel épouvantail !
Elle leur claqua la porte au nez !
La violence ne passera pas le seuil de ma porte. Ni la tristesse ! Seul le silence peut m’apaiser des misères de la vie.
– Eh ! Marguerite, qui c’était ?
– Rien, que des petits cons, Marcel !
Rio de Janeiro. Copacabana. Avenida Atlantica. Un grand appartement avec vue sur la mer. Mardi 4 mars. 16h. Un fond de musique de Chico Buarque. Une trentaine de personnes réparties dans le salon – salle à manger, la cuisine et les chambres. Les traits un peu tirés mais tous souriants. Ils s’étaient retrouvés là quelques jours plus tôt, comme tous les ans, chez Ricardo et Sylvia, pour fêter ensemble le Carnaval.
La fête avait commencé le samedi matin dans le Centro, dès 9h du matin. Comme toujours, c’était le « cordon de Bola Preta – la boule noire » qui avait donné le coup d’envoi. Le bloc de carnaval le plus ancien de la ville. Des bébés au cou de leurs parents, aux enfants sur leurs épaules et aux vieux toujours aussi animés, tous portaient le même dessin sur leur vêtement : des ronds noirs sur un fond blanc. Tout simplement. Mais avec tant de variantes, chapeaux de toutes formes, jupes, cravates nœuds papillons, capes…Des chars de sonorisations lançaient des décibels de musiques de samba avec une telle intensité qu’il était impossible d’échanger sans devoir crier pour son voisin quand on s’en approchait. La foule s’était encore massée. Plus de 500 000 personnes annoncerait-on plus tard. On défilait aux sons des batucadas, les batteries de percussions, depuis l’avenue du 1er mars, en ce samedi 1er mars, clin d’œil du calendrier, vers l’avenue Antonio Carlos. Toute une foule qui passe devant une foule qui la regarde passer. Avec deux mots d’ordre : « Alegria et Felicidade ». Inutile de traduire. On se bouscule devant l’Opéra de la ville, la réplique de l’opéra Garnier de Paris, pour prendre la photo souvenir. Les plus malins vont la prendre avec la vue plongeante depuis les marches de la Bibliothèque nationale. De là, il faut quasi une heure et beaucoup de persévérance pour réussir à traverser l’avenue Rio Branco jusqu’aux tables jaunes du bar de « l’Amarelinho ». Quant à réussir à s’y faire servir une bière, ce jour-là, ça tient du miracle.
Les jours s’étaient succédés dans la même ambiance de folie, soit en ville, soit à la maison. En ville, on avait suivi les « blocos » des différents quartiers de la ville, de Santa Theresa à Botafogo, en passant par Ipanema et son défilé des travestis. Ces blocs de rues étaient bien authentiques et populaires et faciles d’accès, à condition d’aimer la musique ultra forte, la danse et les bains de foules. Quelle créativité dans les costumes tout simples à réaliser. Regardez donc celui-là : vêtu d’un seul peignoir de bain bleu pâle, une perruque frisée rose, rouge à lèvres à outrance, tenant à la main une frite jaune de piscine avec une boule de coton à chaque extrémité en guise de maxi coton tige ! Et se trémoussant à tue-tête. Ou cet autre déguisé en grand diablotin et son voisin en étrange angelot… Le Carnaval, fête de l’exubérance, du changement de peau, du tout est possible, tout est permis, on inverse les valeurs ou on les piétine… et peu importe, pourvu qu’il y ait musique, danse, joie, l’ivresse de l’esprit et ou du corps.
A la maison, la télévision avait retransmis tous les soirs et toutes les nuits en direct les images des défilés des écoles de seconde et de première division au Sambodrome. Des milliers de personnes défilaient dans chacune des ailes des différentes écoles. Il y avait les ailes où les « gringos » avaient acheté cher leurs déguisements et qui avançaient sous l’œil sévère des chefs de file locaux qui donnaient le tempo. Surtout bien se souvenir des paroles de la chanson qu’il avait fallu apprendre par cœur, ou bien au moins remuer les lèvres comme si, en cas de trou de mémoire. Il y avait surtout tous ces gens qui défilaient ou regardaient passer un des leurs, après un an de travail et de sacrifices pour confectionner leurs costumes et participer à cette fête hors du commun que le monde entier pouvait leur envier. Chacun encourageait l’école de son cœur, comme au football on encourage une équipe de génération en génération. Que le vainqueur du défilé soit cette année Salgueiro, ou bien l’école de Mangueira ou Beija Flor…, il serait champion de samba de Rio, donc du Brésil, donc du monde. C’était le mode de pensée carioca, toujours à exagérer…juste un peu…et une fois là-bas, on ne pouvait que l’approuver. Vers 4h du matin, dans l’appartement, quelqu’un avait poussé un cri et on avait usé et abusé du replay sur la télé : on y avait reconnu, l’image de Ana Paula dans son costume exubérant de plumes, tout blanc, balançant son corps aux plus purs mouvements de samba devant la caméra de la chaine Globo.
En ce moment, sur grand écran et par les amplificateurs, défilaient des images de danses et des musiques célèbres de Cartola, Paulinho da Viola, Gilberto Gil ou Caetano Veloso. …Les convives grignotaient des paos de queijo (pains au fromage) et sirotaient les bières ou les « caïpirinhas » les unes après les autres, se balançaient au son des musiques…et s’effondraient ensuite pour un moment sur un canapé ou un lit…ou bien partaient courageusement en cuisine rejoindre ceux qui en préparaient d’autres, à fortes munitions de citrons verts, sucre, glaçons et surtout alcool de cachaça.
Toutes les peurs, les angoisses et les inquiétudes avaient été déposées le samedi matin au Centro, et ce qu’il pouvait en rester s’était évanoui dans l’allégresse des retrouvailles rituelles avec ces jours bénis, dans les vapeurs de l’alcool et la chaleur ambiante.
La sonnette retentit et Ricardo, qui farfouillait dans l’entrée à rechercher des provisions d’alcool, l’entendit par chance et ouvrit la porte.
« Marina ? Je te croyais, cette année, à Buzios avec ton cher et tendre – et tous les cariocas « pisse-froid » qui fuient le Carnaval ? » lui demanda-t-il en la prenant dans ses bras.
– Nous venons de rompre… Je viens d’arriver. Pas le moral.
– Tu as bien fait de nous rejoindre. Viens, entre. Quitte tes habits de tristesse. Je te donnerai, pour le défilé de ce soir au Sambodrome, mon propre déguisement, on a à peu près la même taille », lui proposa-t-il généreusement, toujours égal à lui-même. « De toute façon, je sais que notre école de Portela va gagner et que je pourrai me rattraper samedi lors du défilé des champions », ajouta-t-il en riant. « Demain, ce sera Quarta-feira de cinza – mercredi des cendres. On se repose enfin. Ceux qui voudront, il en reste, iront à la messe. Les autres pourront voir encore une fois « Orfeu negro », pour rester dans l’ambiance, on ne s’en lasse jamais, tu es d’accord ? Viens. Tout à l’heure, on descend tous à la plage, histoire de se rafraichir et de se réveiller… En attendant, regarde là-bas, Félix est parmi nous cette année. Vous vous êtes toujours bien entendus. Il est seul, à croire qu’il t’attendait…Attention, il pourrait se mettre à penser…Va vite le rejoindre ».
Marina entra et déposa son sac.
Il y avait ici, elle le savait, tout un groupe soudé par des années d’amitié, de complicité, de tolérance, de soutiens inconditionnels dans les époques difficiles de la vie et de réjouissances partagées aux meilleurs moments.
Elle observa un moment la salle depuis le vestibule. Leticia, qu’elle connaissait toujours apeurée à la moindre perspective de changement dans sa vie, dansait avec Clément. Aimée, la toujours inquiète, se trémoussait avec Séréna, et Angela, l’éternelle angoissée, s’esclaffait dans les bras de son amie chilienne Esperanza.
Une chanson passait que Marina connaissait bien, de Tom Jobim et Vinicius de Moraes : « Tristeza nao tem fim, felicidade sim / la tristesse n’a pas de fin, le bonheur, si ». Elle ferma les yeux et se laissa bercer par la musique. Elle s’était appuyée sur le cadre de la porte. La vie continuait malgré tout et elle avait de la chance, elle le savait. Dans ce groupe d’amis qu’elle s’était constitué, elle était assurée de trouver la bonté, la charité, la confiance et l’espérance ; elle tritura instinctivement entre ses doigts la petite croix qu’elle portait à son cou. Oui, même pour un croyant, la vie était dure…Peut-être pour donner encore plus de relief à la vie éternelle promise ? Qu’en savait-elle ? Elle croyait juste. Et fermement. La vie avait forcément un sens. Ce sens. Demain commençait le Carême et suivraient quarante jours avant la fête de Pâques. Ce serait sa traversée du désert à elle. Mais elle s’en sortirait. Elle entendit une nouvelle mélodie : c’était Clara Nunes « Voce passa, eu acho graça / nessa vida tudo passa – tu passes et je trouve ça drôle / dans cette vie, tout passe ». Elle se mit à sourire à la pensée de ce renouveau qui l’attendait.
Une voix douce la sortit de ses pensées. Félix lui tendait la main et l’invitait à entrer dans la danse. Elle le suivit.
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ? Ils n’osèrent pas. Françoise alla même jusqu’à lui dire, tout sourire : « Bonjour tristesse. » Celle-ci s’inclina, chapeau bas.
À l’instant, l’atmosphère changea. On serait cru à une veillée funèbre. La tristesse se releva, elle avait un teint cadavérique, à faire pâlir un croque-mort. En fait, elle venait enterrer sa vie de garçon et boire pour oublier que le lendemain, c’était le mercredi des cendres avec le début du carême et ses quarante jours de pénitence jusqu’à Pâques… D’un coup, elle avala une mort-subite et manqua de s’étrangler. Mais son heure n’était pas encore venue. Elle reprit donc sa marche funèbre et quitta les lieux, au soulagement de tous.
C’était Carnaval. Dans le grand boulevard, un défilé impressionnant avait commencé. Des chars, bien sûr, mais aussi des personnages variés se succédaient, se mélangeaient…partout,les cris, les rires, la musique ; des couleurs vives éclataient sous le soleil.
Mais quand vint le soir, tout se volatilisa et il régna sur la ville un silence assourdissant…
C’est ainsi que je me retrouvai dans une rue déserte, jonchée de papiers multicolores, les trottoirs et la chaussée constellés de confettis…Ma copine Gentiane, qui m’avait accompagnée tout l’après-midi, s’était assise sur un plot et se massait les pieds. Nous étions fatiguées, assoiffées… et nous nous demandions où était passé le carnaval ! Tous les gens étaient subitement rentrés chez eux ?
Nous décidâmes de regagner notre quartier et tandis que nous cheminions, nous entendions par les fenêtres ouvertes ( la soirée était douce ) les voix nasillardes des télévisions.
« Incroyable, s’exclama Gentiane, ils sont tous en train de regarder les infos ! Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Encore une catastrophe ? »
Je sentis l’angoisse m’envahir…Et si effectivement, un séisme avait rayé de la carte la moitié de Notre-Royaume ?
Ou alors, pire encore, le cruel souverain du Royaume des Glaces avait décidé de faire exploser un gigantesque champignon atomique, et les radiations maudites n’allaient pas tarder à anéantir tout sur leur passage !
Gentiane devait partager mes craintes, car elle consulta la Toile sur son miroir magique. Apparemment, aucun séisme destructeur n’avait sévi et le Royaume des Glaces, retranché derrière ses brumes, n’avait annoncé aucune attaque.
« – Un virus m’écriai-je, c’est un nouveau virus, encore plus dangereux et contagieux que les précédents ! Notre-Roi a décidé un confinement général dès ce soir ! » Gentiane me regarda bizarrement. Je commençai à paniquer.
-C’est ça, hein, c’est un virus ?
– Ne dis pas de bêtises ! Il n’y a pas trace de virus sur la Toile magique. On pourrait arrêter d’imaginer les pires scénarios pour une fois !
– Mais on nous les sert à foison…
– ça y est, j’ai trouvé ! Tu ne devineras jamais…
– Je n’ai pas envie de jouer aux devinettes. Allez, dis-moi !
En fait, il y avait ce soir-là une joute sportive opposant l’équipe de Notre-Royaume à celle du pays voisin. Nos compatriotes, friands de ces joutes, avaient tout bonnement laissé tomber le carnaval pour suivre l’événement sur leurs petits écrans.
« Bon, dit Gentiane, dans une heure, ce sera terminé. Pour connaître les gagnants, ce sera facile ! Si ce sont les nôtres, le carnaval redémarre. Si ce sont les autres, tout le monde part se coucher. »
J’éclatai de rire. C’est bien la première fois que j’oubliais mes angoisses grâce à une joute sportive !
C’était carnaval ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte. Ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte ?
Les gens du quartier savaient d’avance qu’ils en étaient capables. Par un heureux hasard, la tristesse viendrait-elle s’immiscer chez eux ? Elle aurait du courage ! Car ils avaient fait souvent la démonstration de leurs forces. Elle serait un handicap, improductive, un frein. Ils étaient connus pour leur férocité. Elle serait vite évincée.
Ces gens n’avaient aucun scrupule. Ils vivaient en bandes organisées extrêmement hiérarchisées. Avoir affaire à un gamin de 15 ans, c’était se heurter à leur chef. Ils se sentaient très importants. Mais on ne voyait que la partie immergée. La tête se cachait on ne sait où. Personne ne voulait reconnaître qu’il s’agissait d’un clan mafieux. Impossible à démasquer. Ils avaient beaucoup d’argent. Cependant, par leur aptitude à prendre des décisions contradictoires, ils avaient cultivé la terreur dans le quartier, au quotidien. Tout le monde autour d’eux pouvait s’en rendre compte. Par leur façon d’être, en tant que classe à part, ils avaient la possibilité de l’imposer.
Chacun avait décidé que son destin serait de vivre en marge de la société. Systématiquement, quoi qu’on fasse pour eux, pour les sortir de leur marginalité, c’était gravé jusque dans leur peau. Leurs tatouages en témoignaient. Jouer contre ce qu’on leur avait inculqué, ils se seraient fait lyncher par leurs comparses.
En ce jour de carnaval, Polo, un gamin d’un autre quartier voulut rencontrer leur chef. Comment le reconnaître ? Avec tous ces masques, il n’était pas sûr de l’identifier.
On l’appelait Le Docteur parce que soi-disant, il avait fait des études de médecine. Il seraient toujours mauvais, non pas à cause de leur nature mais des couleurs de leur environnement qui avaient déteint sur eux. Alors la peur d’être suivi dans la rue, l’angoisse d’être surpris à la sortie d’un bar ou l’inquiétude de manquer d’argent, ils connaissaient à fond. Blindés jusqu’à l’os qu’ils étaient, ils ne pourraient jamais s’embarrasser d’une quelconque tristesse, fut-elle séduisante.
Polo dût jouer de finesse. Il risquait gros. L’excuse de son âge, il n’y comptait pas trop. Il confectionna lui même son masque avec des larmes authentiques, des gouttes de résine. En ce jour de rigolade, le Toubib ne le reconnaîtrait pas. Ses ruses pour déjouer les chicanes passeraient pour des farces. Les différents barrages pour parvenir au chef deviendraient perméables. Il en eut l’intuition. Tout était chamboulé, il avait des chances de le rencontrer.
Effectivement, il s’était mêlé à une troupe qui le conduisit jusque dans la gueule du loup. Un loup-garou l’accosta.
– Ne seriez vous pas Oizys ?
– Plait-il !
– La déesse de la misère. Je vous ai reconnue à cause de vos larmes;
Il l’invita à prendre un verre. Une semaine plus tard, on découvrit dans le journal local, à la une.
» UN CHEF DE GANG RETROUVE MORT A CAUSE D’UNE LARME ! »
En page 4, on pouvait lire le résultat de l’enquête. Le secret d’une larme à feu. Dans son verre on avait retrouvé une larme de curare !
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à la porte d’entrée; elles hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-elles lui claquer la porte au nez ?Elle l’ouvrit vivement et elle leur expliqua qu’elle était prête à tout faire pour pouvoir participer au carnaval de l’an prochain ; pour cela elle allait se faire soigner et pas par n’importe qui : elle irait voir le Docteur FREUD dont on lui avait dit le plus grand bien. La peur, l’angoisse et l’inquiètude – pour la lère fois – éclatèrent de rire et l’infomèrent qu’il était décédé en 1939 ; et bien nous allons regarder sur les pages jaunes, pourquoi pas sur les blanches s’énerva la peur.
Elles mirent leur manteau pour aller à la poste mais emportées par la foule , elles entrèrent dans la danse et se mirent à chanter ; jamais elles n’avaient été aussi bien et même aussi heureuses.
Toute chose ayant une fin,elles repartirent chez elles en se jurant d’y revenir l’an prochain.
C’était carnaval
Ça exultait, ça chantait, ça dansait
Rien de très original
Mais cette année-là
Allez savoir pourquoi
La tristesse frappa à la porte
Des festivaliers
Et faisait même du porte à porte
Très vite rejointe par l’angoisse et la peur
C’est la meilleure !!!
Que faisait là ce trio infernal
Au milieu de la liesse générale ?
– On veut aussi être à l’honneur
Mais quelle impudeur !
Tous leur claquaient la porte au nez
Allez vous faire voir ailleurs
Ce n’est pas votre heure
On n’est pas d’humeur
A vous supporter
Allez oust, disparaissez !
Ici, la vedette c’est la fête
Gardez, par-devers vous, vos sornettes
Remisez vos trompettes
Faites-vous discrètes
Changez de lunettes
Vous ne verrez ici
Que des gens réjouis
Votre discours est maudit
Inutile d’insister je vous dis
C’est peine perdue
Alors dépité et vexé le trio s’est fondu
Au milieu de la joyeuse cohue
Et, enfin, disparut.
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte ?
La frénésie du carnaval s’invitait. Les masques et autres déguisements transformaient les gens. Ils devenaient autres. Mais la peur, l’angoisse et l’inquiétude ne parvenaient pas à opérer un quelconque changement.
Ces différents troubles avaient pris l’habitude de trouver refuge à la SPS (société de protection des sentiments). Elle avait été fondée par un passionné de psychologie qui cherchait (désespérément) à comprendre l’être humain.
Le nombre de participants croissait d’année en année. La grande pièce mise à disposition n’était plus en capacité d’accueillir de nouveaux membres.
Un jour, un nouveau sentiment frappa à la porte. Il s’appelait tristesse. La première réaction des autres membres de la SPS fût de le laisser dehors. Ils étaient déjà trop les uns sur les autres. De plus au fil du temps, ils avaient appris à se connaître, à s’entraider. Ils se sentaient bien. Il régnait une forme de quiétude très apaisante.
Ils ne souhaitaient pas rompre cette harmonie en accueillant un sentiment dont ils ne savaient rien. A coup sûr, elle allait voler en éclats.
Mais, ils savaient aussi ce que c’était de se retrouver seuls, orphelins pendant ces jours de liesse. Ils décidèrent donc de lui ouvrir la porte non sans une boule au ventre.
Un peureux, un anxieux et un inquiet furent désignés pour ouvrir la porte à tristesse. Les autres c’étaient regroupés par familles bien au fond de la salle.
Tristesse se retrouva seul. Son taux de tristesse naturelle augmenta de plusieurs crans en observant tous ces troubles qui le scrutaient.
Dehors on entendait la musique, les rires, les chants. On entendait la joie de vivre, l’insouciance. L’air devait sentir bon le bonheur.
Par contre dans cette salle, on respirait le malheur. C’était glauque. Chacun était enfermé à double tour dans son trouble.
Tristesse était toute jeune et ne se plaisait pas. Avant elle était joie communicative. Mais un jour on lui arracha son enveloppe souriante et on la revêtit de tristesse. Cela faisait quelques jours qu’elle errait. Le carnaval qu’elle avait toujours tellement adoré, la faisait pleurer. C’est en cherchant un refuge, une épaule aimante qu’elle se retrouva avec plus malades qu’elle.
Voulant absolument se débarrasser de cette camisole de force et retrouver la magie du carnaval, elle décida de se battre non seulement pour elle mais aussi pour ses nouveaux compagnons d’infortune.
Elle leur raconta son histoire, comment au départ du corps qui l’avait toujours si bien enveloppée, elle avait perdu sa couverture de joie. Elle leur dit ne pas vouloir la conserver en mémoire de celui qui lui avait appris à voir les choses avec le sourire.
Elle leur offrit son aide. Elle leur dit que c’était un malware qui les avait vérolés. Qu’elle leur proposait d’être leur anti-virus afin qu’ils retrouvent leur fonction première : audace, bien-être, sang-froid.
Le scepticisme se lisait partout. Puis les bandes de carnavaleux se firent de plus en plus bruyantes, joyeuses, enivrantes. Petite tristesse se rendit compte que ses interlocuteurs ne semblaient pas insensibles à cette liesse festive. Sans doute qu’au fin fond de leurs tripes, des souvenirs d’avant envoyaient quelques flashs.
Ils se regardèrent et acceptèrent l’anti-virus.
La porte de la salle s’ouvrit brutalement. Les carnavaleux entrèrent en chantant. Les résidents furent entraînés vers l’extérieur. Ils se mêlèrent aux autres festoyeurs et sans même sans rendre compte oublièrent leurs troubles.
Le psy resta seul méditant sur la nature humaine.
Une nouvelle marque de gomme magique était née : carnaval. Vous la trouverez au rayon bonheur et insouciance de la chaîne de magasins : VIVONS HEUREUX
Oh non ! La revoila …. Trois fois qu’elle revient nous demander asile. On s’amuse ici, on boit, on danse, on s’embrasse. Que viendrait faire avec nous cette figure de carême. Nous en avons déjà recueilli trois de ces « cas sociaux ». Au lieu de rire et danser, les voilà déjà au bar, ronds comme des queues de pelle à s’enfiler bière sur bière.
Oui, on le sait, c’est Carnaval, et bien, justement, ce n’est pas le moment qu’une de plus vienne nous gâcher la fête.
On a une meilleure idée pour s’en débarrasser !
Personne ne nous reconnaîtra derrière nos masques sublimes.
Alors, allons-y.
A la une, à la deux, à la trois ……. PLOUF.
Venise, que ta lagune est belle !
Pas trop dégourdis, pas trop futés, pas trop courageux, ils étaient trois copains d’enfance inséparables. Au village on les appelait les Pieds Nickelés. Ils vivaient de petites magouilles et de beaucoup de retours de bâton.
Depuis quelques temps ils avaient un rêve, un rêve à leur hauteur : jeter des tonnes de harengs fumés sur les carnavaleux de Dunkerque.
« C’est fini le lancer de harengs sur la foule. Les verts l’ont interdit. C’est pour la planète » leur dit la mère de Croquignol, surnommé ainsi parce qu’il avait un long nez. Elle connaissait les lascars et n’avait aucune envie de réparer les pots cassés derrière eux.
« De quoi y se mêlent ? Peuvent pas rester dans leurs prés. Nous on est prêts et on n’aurait plus le droit rigoler ! Ah, chienne de vie et p….. d’écolos »
C’est alors que Ribouldingue, l’intello du trio eut une idée de génie. Les harengs en boîte de conserve, ça se récupère, ça se mange, pas de gaspillage. Et les verts n’ont plus qu’à fermer leur boîte à camembert.
Les voilà partis à Dunkerque avec des clet’ches multicolores, des perruques peroxydées, des bas résille et un stock impressionnant de conserves.
Les traditions du Carnaval étant le dernier de leur souci, c’est du balcon de l’hôtel qu’ils jettent leurs boites de harengs sur la foule déguisée, tout en picolant hardiment de la bière. La réprobation engendrée ne fait que stimuler leurs ardeurs. Ils rient à ventre déboutonné.
Ils se marrent moins lorsque la porte de leur chambre est enfoncée par des flics suréquipés.
Ils se marrent moins quand ils se retrouvent en garde à vue, puis sont déférés devant un juge pour dégradations et mise en danger de la vie d’autrui.
« Mais monsieur le juge, on fait rien de mal. C’est pour pas gaspiller. Nous, on les aime bien les harengs ».
« Ah oui, bris de verre, dents, nez, poignets cassés, clavicule fracturée, une oreille à moitié arrachée, hématomes divers, un traumatisme crânien… On a pas encore tout recensé. Vous réfléchirez en prison. Qu’on les embarque ! »
« Sont jamais contents. Ah chienne de vie. Croquignol, faut appeler ta mère ».
Merci Maguelonne Là vraiment on a bien rigolé ! 🐀🐻 C’était m’ hareng ! Merci vous avez égayé notre dimanche soir.

C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ? Mais non, c’était la f^te, tout était permis pour toutes et tous, fantaisie , fantasmes, décontraction, abandon des contraintes . Quand elle entra, stupéfaction, pas de triste mine, d’ allure passe muraille, une superbe silhouette souriante, épanouie tout en couleurs …. Que se passait-il dans ce travestissement ??
Elle éclata de rire en racontant son carnaval, sous les masques les personnalités s’inversent, elle pouvait enfin incarner un rôle rêvé depuis longtemps, tout est permis, excès de gestes, de paroles,
Elle pouvait se laisser aller sans craindre de conséquences .. , les soucis s’envolent pour un temps, de merveilleux instants , rencontres,
Vive les carnavaleux !!
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ?
La fenêtre hermétiquement close ne laisse filtrer aucun bruit venu de l’extérieur. Le front appuyé contre le double vitrage, Mélancolie regarde avec curiosité le défilé de chars décorés de fleurs multicolores, sur lequel se trémoussent de jeunes gens en costumes flamboyants. Cette procession évolue sous ses yeux comme dans un film muet. Nostalgie, la plus jeune des sœurs, reste en permanence accrochée à sa robe, derrière laquelle elle se réfugie au moindre regard qui se pose sur elle. Son pouce à la bouche, elle lève sur Mélancolie un regard qui semble empli du regret des temps heureux… mais, ont-elles connu par le passé, un seul jour débordant de bonheur ?
Sur le char suivant, un gros canon tire par salves des jets de confettis sur une foule en délire. Elle n’entend aucune détonation, mais par ricochets, de légers tremblements s’écrasent sur la façade, elle en ressent les vibrations se répercuter dans sa tête… « Pourquoi tous ces gens s’agitent-ils frénétiquement et font-ils d’étranges grimaces en ouvrant leur bouche qui laisse apparaître toutes leurs dents ? » S’interroge intérieurement Mélancolie.
Elle sursaute lorsque la main d’Angoisse lui saisit le bras. L’aînée des sœurs la tire vivement à l’intérieur de l’appartement, la forçant à détourner son regard d’un spectacle qu’elles ne peuvent pas comprendre… de son autre main, elle déploie un lourd rideau qui plonge la pièce dans une demi obscurité.
Angoisse retourne s’enfoncer dans le fauteuil qu’elle ne quitte pratiquement jamais. Elle s’y recroqueville puis, d’une main tremblante, remonte jusque sous ses yeux, un vieux plaid mité. Son fixe regard sombre ne peut pas distinguer leur sœur, Peur, assise à même le sol au fond du couloir, adossée contre le mur et qui enserre ses genoux repliés sous son menton. Elle tourne sa tête en tous sens, de ses yeux hagards elle scrute la pénombre, comme s’attendant à y voir surgir le diable qui pourrait bien l’emporter vers des lieux inconnus et lugubres…
Inquiétude, le front déjà barré de profondes rides pour son jeune âge, fait les cent pas dans le salon en effectuant d’incessants allers et retours. Comme à son habitude, elle marmonne des phrases inaudibles en frottant ses mains l’une dans l’autre ; un geste compulsif, parce qu’elle est toujours dans l’attente d’un évènement ou d’une souffrance, qui peut la saisir à tout moment.
Poussant de profonds et longs soupirs, Détresse, le visage marqué par la souffrance intérieure qui la ronge, observe ses sœurs, et devant son impuissance à pouvoir apporter son aide, elle sent monter en elle une vague d’émotions négatives, ce qui finira par lui faire perdre le peu d’énergie qui lui reste.
Comme la constellation des Pléiades, elles sont sept sœurs*, souvent comparées au mythe grec car l’une d’elles, Tristesse, a disparu du jour au lendemain. Jusqu’à présent, les six restantes, ont pu se regrouper pour tenter de se protéger des tourments qui composent leur individuelle et curieuse nature, et qui cependant, empêchent l’âme de chacune à s’émouvoir devant les beautés du monde, parce qu’elles comprennent trop bien les souffrances de l’humanité. Pourtant, à chaque jour qui passe, elles s’attendent à ce que la sœur, devenue invisible à leurs yeux, vienne toquer à la porte… mais la laisseront-elles entrer ? Seront-elles en capacité d’affronter une douleur supplémentaire ? Aucune d’entre elles n’a pu répondre à ces deux questions…
Néanmoins et sans savoir qu’elles partagent le même doute, la majorité des sœurs est arrivée à se demander : « Est-ce que Tristesse, ne verserait-elle pas des larmes de crocodile ? »
Et lorsque le jour tant redouté arrive… malgré les larmes, les sanglots et les lamentations de Tristesse, la porte reste fermée… Et, lorsque les cris et les supplications pour un pardon cessent, tout comme les coups et les grattements sur la porte… elles entendent des pas qui s’éloignent dans un glissement… puis, un lourd silence tombe à l’intérieur de l’appartement et sur les sœurs enlacées au centre du salon…
* Petit clin d’œil à Lucinda Relay pour sa magnifique saga « Les sept sœurs ».
743/ UN CHAR !
Pour carnaval, la ville accueille le folklore du monde entier. Des groupes ondoyent entre les chars fleuris. Les plus magnifiques créatures et les plus grotesque, chantent et dansent, les filles des îles et les charbonniers ! La kermesse bat son plein parfum sucré, odeurs chaudes. Un char de Tuparos exhibe la tête turgide de Séraphin Lampion. Les turlupins et les marmousets en ribambelle serpentent dans la foule comme des tire-laines. Fifre est tambourin entraîne une marche d’enfant, spasticité. Comme pendant la dernière manif, derrière la porte, on écoute les infos, angoissé. Les cars de CRS étaient postés, on va casser de l’étudiant, se dégourdir les jambes ! Jamais loin, des touristes sonnent à la porte du bed and breakfast ouvrez-nous pour l’amour de dieu, on n’est pas d’ici on est perdu. La sonnette retentit indéfiniment, la chandelle est morte.🐻
La joie est créatrice et féconde le mouvement de la vie. Tandis que la tristesse le met au point mort
Ce commentaire devrait se trouver sous le texte de souris verte. 🙂
Merci Béatrice… On est toujours dans l’opposition du blanc et du noir ! 🐀
Sire Carnaval et Dame Tristesse
Tristesse regardait passer le long et tonitruant défilé de chars, où prônaient des figures impressionnantes, sous les acclamations du public. Son cœur se serra. Cela avait si peu à voir avec le sens même du carnaval qui, à son origine, était lié à la fertilité et à l’arrivée du printemps. Avec nostalgie, elle se souvint des chars de son enfance, tout ornés de fruits et de fleurs.
Elle trouvait quelque chose de grotesque dans les chars qui venaient de surgir sous sa fenêtre, et ne pouvait y voir qu’une débauche de cris, de couleurs et de masques hilares. Était-ce — une espèce de catharsis — pour cette foule qui foulait, dans l’ivresse du moment, tout ce que ce monde avait de désormais de fou ?
Qui — de cette foule — ou d’elle — était la plus triste ?
Ce spectacle débridé lui donnait envie de pleurer, comme si cette foule — battue par un quotidien en crise — trouvait un peu de sens à l’école de la vie, à cause de sa cour de récré.
Dans ce carnaval à la joie sonore et surfaite, Tristesse eut le sentiment de voir passer la caravane du temps, avec son cycle des saisons, ses hivers où — ce qui meurt devient le substrat du nouveau —, du renouveau.
Quand les bruits du carnaval se furent enfin dissipés, Tristesse ouvrit sa fenêtre. Le printemps serait précoce. Les premiers bourgeons étaient là.
Elle esquissa un sourire.
Une tristesse souriante 😁 j’achète ! 🐀
C’était carnaval. Ca exultait, ça dansait, ça chantait. La tristesse frappa à leur porte, sachant qu’ils hébergeaient déjà ses copines, la peur, l’angoisse, l’inquiétude. Allaient ils lui claquer la porte au nez ? Que nenni, ils lui claquèrent plutôt deux bises sur ses joues mouillées de larmes. Cette famille avait fait le choix d’accueillir toute la misère du monde pour en faire joyeuseté et grande liesse.
Dans la cuisine, ses amies déjà attifées pour la carnaval, trempaient avec gourmandise leurs tartines de maroilles dans du chocolat chaud. Les retrouvailles furent émouvantes.
On lui trouva un déguisement : une grosse boîte de kleenex qu’elle enfila, faisant passer ses bras dans les ouvertures latérales afin de pouvoir distribuer à qui le souhaitait, des mouchoirs en papier parfumés à la lavande.
La tristesse était ravie, le carnaval obtint un grand succès, il resta à jamais inscrit au patrimoine immatériel mondial de l’ Unesco .
En Loire-Atlantique dans le beau village de Mouais, le carnaval inondait de joie les spectateurs qui
lançaient des confettis et serpentins sur les bénévoles hissés sur leurs chars décorés de mosaiques aux couleurs chatoyantes. L’effervescence fut à son comble, rires et galéjades fusaient dans les rues, les fleurs jonchaient le sol, l’odeur de crêpes et de jus de pommes se répandait, enivrant les narines des promeneurs les plus anosmiques quand soudainement le ciel s’obscurcit, l’ambiance de cette réjouissance annuelle prit un autre tournant…
Les carnavaliers surnommés les “Boute en train” au détour d’une rue, aperçurent une légion d’hommes et de femmes aux visages effrayants, grimés à l’excès et vêtus de grandes capes noires qui transportaient des cages dans lesquelles étaient blottis des corbeaux.
Les amuseurs publics s’écrièrent en choeur : “Ciel, voici ces oiseaux de malheur, qui viennent gâcher la fête !” Leurs visages se crispèrent, des larmes coulaient sur les joues des plus jeunes, le pubic ébahi décida de fuir la fête qui tournait au vinaigre car personne ne ressentait le besoin de vivre un épisode aussi macabre au cours de cette journée qui se montrait toujours sous les meilleurs auspices depuis une bonne décennie.
Mais voilà, c’était sans compter sur la création d’un groupe appelé “les Algées” qui sévissait dans la région, dont la seule mission consistait à vénérer les déesses du chagrin et de la tristesse et déclencher en tous lieux, pleurs et larmes, que toutes ces réjouissances furent gâchées.
Les corbeaux s’envolèrent, des grêlons s’abattirent sur les chars. Cris, lamentations, jurons, tout devint chaos. Même la météo semblait être sous le joug de ses esprits chagrins. Qu’importe, les festivaliers en eurent gros sur le coeur mais promirent de revenir l’année prochaine.
Le plaisir et la douleur, et ce qui les produit – le bien et le mal- ne sont-ils pas les pivots sur lesquels roulent nos passions ? John Locke “De l’entendement humain.
— Entrez entrez ! Dans quel état ils vous ont mise, ma pauvre amie ! Vous êtes trempée, des pieds à la tête. Soyez la bienvenue dans ce modeste rabat-joie. Nous accueillons tous les réfugiés qui demandent l’asile mélancolique, les persécutés du bonheur des autres, les exclus de ce monde insouciant, les pessimistes, les pisse-froid, les pisse-vinaigres, ceux qui prient à l’écart dans leur monde austère à l’abri des cris de joie et des chants diaboliques. Il est temps de leur donner voix au chapitre de l’histoire que nous sommes en train d’écrire. Regardez, ils sont tous là. Nous allions justement commencer notre séminaire. Installez-vous, sur cette chaise, à côté de La-haine. Oh ! Rassurez-vous, elle ne mord pas. Applaudissons La-peur, s’il vous plaît qui rassemble de plus en plus d’adeptes et sans qui notre mouvement resterait inaudible. Avec L’angoisse, elles font un travail formidable. Applaudissons-les ! L’insécurité n’a jamais été aussi grande. Comment osent-ils laisser entrer des flux d’insouciance et d’espoir. Ils débarquent par milliers sur les rives de l’Amour et de la Tolérance, quand ce n’est pas sur les plages de l’Océan de Joie. Ils appellent ça un carnaval, moi je dis que c’est le début de l’envahissement du bonheur et de l’insouciance. Il est temps d’ériger de hauts murs pour se protéger de ces N’êtes-vous pas d’accord, mes amis ?
Tous acquiescèrent dans un grand oui unanime qui fit écho dans la pièce qui ne brillait par aucune lumière. Pauvres esprits qui se projetaient sombrement sur le monde de demain.
— Vous ne dites rien ? Le chagrin vous en empêche, peut-être. Je comprends. Laissez-moi broyer du noir pour vous offrir un café. Je manque à tous mes devoirs.
— Je crois que je préfère partir. Excusez-moi, je ne peux pas rester ici. Je viens de comprendre mon erreur. J’étais déçue par un ami qui n’a pas compris ma peine et que j’ai laissé partir tout seul à ce carnaval. Quand je vous vois, tout s’éclaircit en moi, malgré le manque de lumière ici. C’est moi qui n’ai pas compris le bonheur qui nous comble. Je m’en vais…
— Mais, vous vous égarez, mon enfant…
— Non, c’est vous qui nous égarez… Au revoir !
Elle prit la porte, en prenant soin de retirer son masque qui découvrait un nouveau visage avec un sourire tellement lumineux qu’il éblouit cette obscure assemblée dans un flash de grand doute.
En ce début d’année, un grand évènement réjouissait les invités : Les 100 ans du doyen.
Depuis de nombreuses semaines, les préparatifs occupaient ses filles. Pour un tel évènement, rien n’était corvée. C’était comme pour Carnaval. Il y avait autant d’acharnement et d’engagement à réussir ce regroupement des différentes générations installées aux quatre coins du pays que des organisateurs de carnaval. Leur esprit exultait, chantait et dansait jour et nuit en listant tout ce à quoi il convenait de penser : lieux, repas, couchages, véhicules, déplacements, courses, spectacles, tenues…
En dépit de ce désir de réussite, la peur, peut-être pas, mais l’angoisse et l’inquiétude restaient présentes dans un coin de leur être : pourvu que le vieux monsieur ne cesse de vivre avant le jour J et qu’alors la tristesse ne frappe à leur porte. Il n’en était pas question. La joie des convives de se rassembler serait bien plus grande que tout autre évènement, même celle d’un départ inopiné de l’aïeul.
Voilà un carnaval – dont le sens – qui est d’honorer le plein de vie, grâce à l’aïeul, me plaît beaucoup. 🙂 Merci Nouchka
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ?
– Toc toc toc !
– Qui c’est ?
– C’est Tristesse
Ennui ouvre doucement la porte et murmure :
– Entre, mais ne fais pas de bruit surtout et n’ouvre pas les fenêtres. Mais tu trembles ?
– Oui ! j’ai peur… J’ai peur Ennui, Joie me poursuit! Elle me terrifie avec son carnaval : elle chante fort, elle exulte, elle danse… Elle me terrorise Ennui, Joie me terrorise !
– Bon, installe-toi à côté d’Angoisse – Il reste une place !
– Merci, merci bien.
– Toc toc toc !
– Qui c’est ?
– C’est Anti-Dépresseur !
Ennui n’ouvre pas la porte et crie à travers la porte :
– C’EST COMPLET !
Oups! Ennui n’ouvre pas et crie à travers la porte…
Qu’elle drôle de rencontre, mais de là à vivre ensemble, dans l’absolu cela pourrait être une idée en mode se serrer les coudes, sauf que :
Au fil du temps qui passe
Quand angoisse, peur et inquiétude jacassent,
Ajouter dans la besace, les traces
D’une tristesse peu loquace,
Voilà qui ferait périr
Toutes les joies sans coup férir.
Le bonheur étant en grève,
Que les cœurs ravagés en crèvent,
Même les citrons du carnaval achèvent
De leur amertume, dans les alcôves.
Si bien que l’absence de sourire abreuve,
Les plus valeureux porte-glaives,
De larmes, de désarroi et de morve.
Il pleut des sanglots de pluie,
Sur les partitions de la vie,
Où frissonnent quelques notes en graffitis
Éphémères. Les souvenirs abâtardis,
S’écrivent sur des rimes anéanties.
Donc la tristesse sans aucune chicanerie,
Rendrait bizarres et tordues nos vies.
C’est ainsi que la tristesse chemine toujours seule, à la recherche de son fiancé le chagrin pour écrire des poésies empreintes de spleen.
C’était carnaval. Ça exultait, ça chantait, ça dansait. La tristesse frappa à leur porte, ils hébergeaient déjà la peur, l’angoisse et l’inquiétude, allaient-ils lui claquer la porte au nez ?
La tristesse ? Pas facile, mais une émotion indispensable. Inconnue pour eux. En écrivant leur pièce de théâtre, ils avaient vite compris qu’ils devaient y incorporer des émotions. Raconter leur histoire familiale chronologiquement ne suffirait pas même si les faits recueillis étaient insolites. Le problème c’est qu’ils ne ressentaient aucune émotion. Et ceci depuis leur naissance ! Ils ne connaissaient ni la joie ni la peine. Diagnostiqués tous les deux : hyposensibles. A leur naissance, les jumeaux n’avaient ni pleuré, ni souri. Deux bébés neutres.
A l’annonce du carnaval dans leur ville, ils se dirent que c’était le moment d’explorer ce monde émotionnel. Ils avaient collé une affiche sur leur porte : « Toutes les émotions sont les bienvenues pour étude sérieuse ».
Le carnaval durait 5 jours. Le premier soir, la Peur frappa à la porte sous les traits d’une jeune femme. Elle était poursuivie par un groupe ivre. On l’accueillit, on l’interrogea, on la scruta. On lui prit la tension, écouta son cœur battre. Ses yeux étaient exorbités. Elle tremblait. On notait tous les détails de son état. On s’en servirait pour le scénario. Mais nous ne ressentions toujours rien… et pourtant elle pleurait. L’empathie pour nous était un mystère. Nous restions de marbre. On la plaça maladroitement dans un coin du salon. Puis on écouta l’Angoisse, l’Inquiétude. On apprenait plein de choses. Notre étude avançait.
Le 2e jour, juste après notre déjeuner sans saveur, un petit coup à la porte. Un jeune couple enlacé les yeux brillants étaient là et demandait l’hospitalité. Ils nous offraient l’Amour pour notre étude. Aucune histoire sans amour ! Dirent-ils. Tachycardie, tension plutôt haute, température normale, pupilles dilatées, légère transpiration, agitation anormale. Tous ces paramètres furent consignés. On observait une émotion exceptionnelle. Deux êtres au même moment, ressentaient la même chose. Et ils se tripotaient sans cesse, s’embrassaient avec gourmandise comme une envie de fusion. On tenait le cœur de notre histoire familiale. Ma grand-mère parlait toujours de son coup de foudre. On n’y comprenait rien. Comment un coup de foudre pouvait l’émoustiller ainsi ? A voir, notre joli couple, cette émotion semblait agréable. Pas du tout comme la peur ou la tristesse. Elle nous donnait envie. Mais comment l’atteindre ?
On proposa au couple de loger un moment chez nous pour étude approfondie. Puis, on sortit dans la rue pour observer les émotions positives. On rencontra la joie, l’enthousiasme, l’affection, la liesse. Pas si mal que ça… c’était attirant. Pour entrer dans la peau de cette fête, nous nous déguisâmes. Transformer son apparence pour se transformer, une piste. On entra dans la danse. Un petit picotement d’abord… puis un frétillement. Inconnus jusqu’alors. La danse, la joie, la foule nous emporta loin de notre hyposensibilité diagnostiquée à la naissance. Elle nous avait enfermés cruellement. Avec la joie enfin ressentie, on accepta la tristesse.
Que serait le théâtre de la vie, sans sa panoplie d’émotions ? Qui veut connaître la joie doit connaître la tristesse. et entrer, hardiment dans le jeu.
Tout en sachant que si la joie ne dure pas, la tristesse non plus.
744/Pendant le carnaval, ça chante, ça danse, ils font la nouba. C’était un faux semblant aussi pour conjurer cette angoisse qui les tenaillait, le thème fût : la tristesse.
Cette année point de liesse. Déguisés en bonnets de nuit ils défilaient sans bruit en regardant par terre. Les musiciens bien présents soufflaient dans des instruments muets. Le tracteur électrique qui tirait le char noir exhibait une reine boulotte et apathique. Le char des agriculteurs était recouvert de légumes flétris et le défilé qui suivait avançait comme des ombres ménant un cercueil à sa dernière demeure.
Mais soudain, au carrefour, les enfants -qui avaient préparé depuis longtemps cette journée de fête- déboulèrent en dansant, se tenant par la main, entourèrent les ombres qui, jetant leur bonnet de nuit entrèrent dans la ronde enfantine : chanter, danser, embrasser qui vous voudrez…
Vous aurez beau faire, vous ne m’enlèverez pas ma joie de vivre. 🐀