528e exercice d’écriture créative imaginé par Pascal Perrat
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-telle encore effacer aujourd’hui ?
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer…
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Ces exercices inédits d’écriture créative n’apprennent pas à écrire, ils enflamment l’imagination. Le but est de vous conduire vers les ressources imaginatives qui somnolent en vous. Après quoi, vous décidez de mener le projet d’écriture qui vous convient : nouvelles, roman, etc.
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Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-telle encore effacer aujourd’hui ?
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer les mots « Indice», « Preuve » et « ADN » tandis qu’un doigt accusateur la contraignait à retirer « Alibi » et « Témoin de moralité ».
Mais aujourd’hui, sa journée à la Cour d’Assises promettait d’être chargée car elle allait devoir effacer pour
– Un bras vengeur : « Rédemption » et « Acquittement »
– Un clin d’œil : « Harcèlement sexuel » et « Libidineux »
– Une dent dure : « Diffamation » et « Calomnie »
– Une langue de vipère : « Propos outrageants »
– Un pied de grue : « Prostitution » et « Racolage »
– Une oreille avertie : « Délit d’initié » et « Prise d’intérêts »
– Un corps étranger : « Entrée illégale sur le territoire français » et « Sans papiers »
Elle avait pourtant rêvé de ces deux couleurs, son ambition depuis toujours était d’effacer les fautes vénielles (les oublis, étourderies, lapsus..) avec son côté rose et les fautes graves, les péchés mortels (les mensonges, les délits…) avec son côté bleu.
Mais, ce matin, elle a pris conscience que cette tâche – absoudre les crimes en tous genres – était trop lourde pour elle et elle se prit à regretter le temps de l’école primaire où, petite gomme blanche, elle effaçait les fautes qui lui paraissent si attendrissantes aujourd’hui.
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-telle encore effacer aujourd’hui ?
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer…
Bien consciente de sa durée de vie qui s’effrite chaques fois qu’elle ne veut pas dormir…
Elle travaille jour et nuit, pour que ce soit parfait !
Tango de crayons, fins ou gras tous y ont droit.
Lorsqu’elle même se corrige, tout en s’ auto critiquant; elle efface. Elle attrape fermement la gomme, et hop!
Douceur énergique, cette main agrippe si fort que la pression se fait sentir…Et.
L’esquisse du mot apparaît, puis disparaît.
Jamais satisfaite. Des petits bouts parsèment le papier. Son grain à dessin use la gomme qui désemparée, voit ses mois de vie qui défilent pour ne se compter bientôt plus qu’en heures. A ce rythme, la gomme ne va pas durer longtemps sous cette main à la fois assassine et passionnée.
Dur devient son trait sous la fatigue et plus les crayons dansent fortement. Gommette prend perpette!
Diminué de moitié, gommette pâlit !
Oh oui! Elle déteste traîner dans un trou noir au milieu des copeaux taillés d’une trousse ; mais de la à en finir en une nuit?
Le jour se lève et la main est devenue plus douce.
Le tango à doucement fait place à un solo de danse classique. Le trait Legé tel les pointes d’une danseuse étoile, le mot est enfin inscrit.
Effacer, raturé, et même jetté avec son support sur tout les angles de la pièce…
Torturé par cette main un nombres incalculables…
La gomme en a terminé, enfin. Survivante des multiples agressions.
Elle est si petite…
Mais le résultat si grand! Si parfait !
La main peut déposer fièrement les gladiateurs empoignés toute la nuit.
La gomme à mâcher leurs boues et essuyé leurs traces que sa participation fût tout aussi éprouvante.
L’inscription sera éternelle est gravée à jamais pour toujours…
Dans quelques heures ce mot unique sera soumis à sélection.
Le juré des meilleurs graveurs de pierres du monde évaluera le travail acharné de la main exigeante pour savoir si sa nuit de labeur vallait le sacrifice…
De gommette?
Dos rond, en attente sur un coin du bureau, elle patiente…
La lumière du jour disparaît progressivement et le pupitre s’assombrit.
Des clefs! Elle rentre !
Gommette se voit avec ses camarades crayons volés au sol!
Accident de la maladresse jovial de la main qui exaltée par sa victoire ; a bien failli devenir mortelle!
Une coupe énorme fût déposer avec ferveur sur le bureau à peine éclairé par la lumière de l’entrée.
Chance que la gomme petite et ronde rebondi et que les crayons roulent .
La calligraphie et la beauté des lignes du mot ont éblouies!
Ce mot qui existe et vie grâce au combat et à la créativité…
Grâce à une main experte et sa partenaire de choc : une gomme qui à bon dos!
Èmeline Her (3:11)
Une gomme faisait le dos rond. Quelle lettre devrait-elle encore effacer aujourd’hui ? Hier, déjà une main tueuse l’avait contrainte à supprimer celle qui s’inscrivait mystérieusement sur le mur au-dessus du lit.
La dormeuse se dressa en sursaut, épouvantée par le retour quotidien de ce cauchemar. Elle se précipita sur une des gommes qui gisaient en désordre sur sa table de travail et tenta désespérément d’effacer ce graffiti étrange. Etrange aussi était le lieu où vivait cette étudiante, deux pièces sous les toits, qu’elle ne quittait pratiquement pas de la journée, ayant renoncé depuis longtemps à aller en cours. Elle ressassait aujourd’hui les derniers événements. Le 13 octobre, elle avait découvert, inscrits en rouge sang, les trois lettres F. D. R., le 14 un Z gigantesque déchirait la tapisserie, aujourd’hui, le 15, un e minuscule était caché dans un coin de l’appartement. Terrorisée, elle désespérait de comprendre un jour ce qui lui arrivait. Elle se souvint que le réduit vétuste qui était maintenant son seul univers appartenait à sa famille depuis des générations, qu’il avait été acheté, d’après ce qu’on lui avait dit, par un lointain cousin, François Derays. F. D. R., Mon Dieu ! Sur Wikipedia, elle apprit qu’il avait mené une vie aventureuse, sous le règne de Louis XIII. Il avait, semble-t-il, navigué sur toutes les mers du globe, s’était battu contre des pirates et des sauvages. On racontait même qu’il avait échoué un jour sur une ile inconnue peuplée d’hommes-singes qui chaque jour menaient des danses envoutantes autour de lui, que des sorciers lui faisaient boire des breuvages mystérieux au goût immonde. Il avait fini par leur échapper en réussissant à rejoindre à la nage, agrippé à un tronc d’arbre, un bateau qui passait à quelques encablures… Elle découvrit aussi sur le site de Picardie matin, à la rubrique Faits divers, qu’un meurtre avait été commis la nuit dans une commune toute proche. C’était, sans doute, elle en était maintenant persuadée, au pire moment de son rêve obsédant, quand une lettre venait déchirer la tapisserie de sa chambre et que trois coups de poings frappaient sa porte. Tout cela semblait suivre une logique mystérieuse comme si un être diabolique jouait avec ses nerfs. Dans quel but ?
Le lendemain, derrière une porte de placard, on avait tracé un E, puis le jour suivant un l sur un carreau de sa fenêtre. Des chats jouaient sur le toit, l’un d’eux avait tué un moineau dont les plumes étaient emportées par le vent. Tout à coup, tout devint clair, c’était son prénom ZELIA que l’être malfaisant qui l’obsédait composait petit à petit, Z. E. L. I.A. Le 17 octobre, le jour du A, serait son dernier jour à vivre, un samedi, jour de sabbat et jour de sa fête, sainte Zélie, vierge et martyre. Elle occupa les heures qui la séparaient de la nuit à compulser des livres de sorcellerie qu’elle découvrit dans une malle laissée sans aucun doute par cet aïeul dont elle connaissait si peu de choses. Il lui avait transmis, elle en était de plus en plus convaincue, une malédiction qu’il avait rapportée des îles, un mal mortel et insidieux. Elle cherchait bien sûr à se rassurer. Zelia, c’était évidemment un prénom prédestiné, sa fête était bien le 17 octobre mais personne ne la lui souhaiterait ni ne lui avait jamais souhaitée. Et puis, personne ne l’appelait Zélia, elle n’avait jamais aimé ce prénom et l’avait toujours caché. Que diable, un peu de courage ! C’était impossible, ça ne tenait pas debout.
Pourtant, pourtant toutes les recherches qu’elle avait faites, tous ses efforts pour conduire une enquête totalement objective la conduisaient bien à cette conclusion : demain, ce serait son dernier jour. Qui serait derrière la porte cette nuit ? Vint inexorablement l’heure du coucher. Les yeux grand-ouverts elle luttait pour ne pas sombrer dans le sommeil. Tout, dans cette nuit, lui semblait étrange. Aux aguets, elle entendait des bruits de pattes, des frottements sur les tôles du toit, des cris sinistres d’oiseaux, ceux d’un goéland venu d’on ne sait d’où, le hululement d’une chouette. Le disque lunaire semblait s’être installé au milieu de sa fenêtre, tel un visage qui l’observait. Malgré tous ses efforts, Zélia finit par s’effondrer, par tomber dans un sommeil profond, celui qu’on appelle une petite mort. Cette nuit-là pourtant rien ne se passa, son rêve récurrent ne vint pas la visiter.
Le samedi 17 octobre, alors que le soleil matinal éclairait en plein sa fenêtre, quelqu’un ou quelque chose frappa à sa porte. Elle entendit les trois coups fatidiques puis un martèlement ininterrompu. Tremblante, poussée par le désir d’en finir enfin, elle se dirigea en titubant vers cette porte qu’elle avait fermée à double tour. Elle déplaça l’armoire, la table, la commode qu’elle avait installée, elle défit les chaînes, tourna les deux clés de sécurité et … ouvrit.
« Et bien, mademoiselle, je crois que je vous ai réveillée. C’est bon, une petite grass’mat ! Je suis le facteur, j’ai un recommandé à vous faire signer. Là, en bas. Merci. A la revoyure ! »
Tout était fini ?
Peut-être pas… car le lendemain, Zélia reçut une carte postale signée François postée quelque part dans les Caraïbes.
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-telle encore effacer aujourd’hui ?
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer le mot ‘anticonstitutionnellement’, ce qui l’avait épuisée.
Elle avait commencé par effacer le ‘a’. Elle adorait effacer le ‘a’ Elle n’avait jamais réfléchi au pourquoi: peut-être à cause de sa rondeur. Et puis était arrivé le premier ‘t’; elle avait alors perdu pied: elle détestait effacer le ‘t’. Elle avait été obligée d’en effacer cinq en un seul mot.Cela l’avait épuisée. 25 lettres!Elle avait perdu autant de rognures. Si cela continuait ainsi, elle disparaitrait totalement en quelques jours!
Depuis, elle ruminait, angoissée à l’idée d’avoir à subir la même torture aujourd’hui.
Une main la saisit, l’approcha du papier….
et lui fit effacer un ‘à’.
C’était tout?Un simple ‘à’?
Oui.
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-telle encore effacer aujourd’hui ?
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer…
– Chéri avec ta manie d’écrire au crayon de papier et de beaucoup effacer, tu as utilisé trois gommes en une semaine. Essaye l’ordinateur !
Bon sang ! lança l’homme tu les comptes mes gommes. Mais je rêve !
– Ah ah fit la femme. Tu es devenu un vieux pépé. Ce n’est pas à 85 ans qu’on devient un auteur célèbre de polar.
– La ferme Germaine. J’y crois à mon projet. Tu verras l’an prochain je le décroche le prix du quai des orfèvres.
– Sois poli. Sinon j’appelle la police. Ah ah.
Ta manière d’écrire est bizarre. T’écris t’écris et après boum t’effaces tout.
Mets toi un peu à la place de tes gommes. Elles doivent terriblement souffrir en te voyant. Tu effaces des mots ou des passages que peut-être elles chérissent ?
– Là tu te fous de moi.
C’est notre fille Pauline, commissaire de police de son état qui t’a dit tout ça :
Que mon polar ne vaut rien. Que je n’ai aucune notion sur la police et la justice. Aucun talent, en étant un écrivassier.
Et maintenant l’histoire de ces gommes. C’est quoi ce b. !
Elles sont là pour cette fonction à ce que je sache. Effacer et c’est tout. C’est leur job. Point final.
– Ah tu t’emportes mon cher, tu t’emportes. Au fait Isabelle – notre fille comme tu dis – est commissaire divisionnaire. Je sais qu’elle y tient à son grade. Ah ah.
Et puis c’est pour ton bien que je dis tout ça. Tu restes des heures et des heures, à suer et à transpirer comme un cochon, pour écrire 3 phrases que personne ne lira.
– Arrête Germaine. Sinon tu vas être la prochaine victime de mon tueur en série.
D’abord violée, puis découpée en petits morceaux et enfin calcinée au charbon de bois.
– Ah ah. Elle est bonne celle-là. Monsieur il s’y croit, auteur, écrivain. Que sais-je.
Mais quelle mouche t’as donc piqué avec ton polar à la gomme. Ah ah.
Justement deux policiers sont passés à la maison hier après-midi. Un couple assez jeune. Tu étais au bistrot avec tes copains.
Paraît-il qu’une de tes anciennes gommes a porté plainte contre toi.
– Bon Germaine. Dégage d’ici, hors de ma vue, de ma vie. Hors de mon champ d’action.
Arrête avec ces idioties à la noix.
– Je ne plaisante pas chéri. La gomme a bien déposé plainte. Pour conditions de travail très exténuantes !
– Laisse moi Germaine. Ou bien je te trucide avec ce coupe papier.
– Ah comme tu as peur. Toutes ces gommes que tu sacrifies elles vont te porter malheur.
Tu n’auras pas ton prix du quai des orfèvres.
Bien fait pour toi. Hi hi.
Leurs fantômes à ces gommes, ils vont te dégommer en pleine nuit.
Eh chéri chéri regarde ta gomme.
– Quoi encore avec cette p. de gomme.
– Tu n’as pas vu, elle t’a tiré la langue. Ha ha.
– Ah ce que tu peux être lourde en ce moment.
– Bon bon je te laisse bosser mon très cher. Je vais promener le chien.
– C’est bien vas-y ! Et fais attention dans la rue. Surtout aux hommes qui pourraient te draguer. Hi hi.
– Ah enfin seul ! Je vais pouvoir continuer mon chef-d’oeuvre dit tout bas le vieux monsieur. Une fois sa femme sortie avec le chien …
Mystère et boule de gomme, ce dit-elle. Hier déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer du dessin les pivoines rouges de sa composition. Pourquoi Grand Dieu ? Elle ne parvenait pas à cerner le phénomène. Ses choix étaient modifiés sans qu’elle réussisse à maîtriser le résultat de son aquarelle. La nature morte qu’elle exécutait refusait maintenant la gomme-gutte, ce beau jaune du Cambodge dont elle aurait volontiers emplit les pétales du mimosa. A la place, apparaissait sur le parchemin un aspect granuleux, de type, maladie de peau.
Ayant des délais à respecter pour la galerie qui attendait la prochaine livraison de ses œuvres, elle décida de mettre la gomme pour les derniers tableaux. Elle, qui se satisfaisait de scènes consensuelles, avait soudainement envie de partir sur une idée peut-être à la gomme mais qui changerait la réputation qu’elle avait jusque-là.
Elle sortit ses encres de Chine à base de gomme-laque et sur une nouvelle feuille, exécuta le dessin d’une maison et de l’une de ses fenêtres. Elle savait qu’il y avait un concours dont le thème concernait la vue d’une, depuis, ou depuis une fenêtre. Mastiquant avec énergie des boules de gomme, elle imagina que son dessin au noir de fumée serait suffisamment particulier pour attirer le regard des scrutateurs. L’œuvre achevée, elle la recouvrit d’une couche de gomme-laque, version vernis, qui donnerait une légère teinte oxydée, un petit côté vieilli qui protègerait le dessin et lui ferait paraître d’une autre époque.
Sa détermination au changement était telle à cette heure, que sa gomme ne put que faire le dos rond…
Une gomme faisait le dos rond. Pas facile, vu son physique. D’autant plus qu’elle aimerait être ronde. Elle pensait qu’ainsi elle s’échapperait de ces doigts boudinés, sales et parfois tachés d’encre. Et rouler. Rouler sans s’arrêter. Se frotter aux aspérités de la vie. S’effriter afin de devenir si petite que plus personne ne la prendrait pour gommer.
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer le mot souvenir. Sans raison. Pas de faute. Pas de rature. Elle avait essayé de lutter, mais en vain. Le mot a disparu. Il ne reviendra pas.
Mais aujourd’hui, elle se demandait quel mot elle devrait encore effacer ?
La main hargneuse l’obligea à tuer le mot… souvenir ! L’acharnement mis pour l’effacer fit un accroc. La main coléreuse accusa la gomme de trahison et la jeta avec force. Le mur la fit rebondir et elle acheva sa course près du panier du chat.
Celui-ci, qui ne dormait que d’un œil, gicla du coussin, bondit sur la gomme et la considéra comme une proie. La gomme fit de nouveau le dos rond. Faire le mort jusqu’à ce que la bête se lasse de ce jeu. Par chance, la patte l’envoya sous le canapé. Dépité de ne pouvoir la déloger, le chat retourna s’acaniller et ferma l’autre œil.
La gomme fut retrouvée quelques mois plus tard lorsque la maison fut vidée.
– Bonjour Ma…
– Vous êtes la nouvelle directrice ?
– Maman, je suis Anna, ta fille.
– C’est pour ça que je ne vous reconnais pas !
Changer de conversation.
– Regarde Maman je t’ai apporté une gomme !
Une faible lueur éclaira son regard.
– Merci Sarah.
Une main aux doigts décharnés saisit la précieuse gomme. Direction le coin salle de bain.
Intriguée, Anna suivit sa mère. Que va-t-elle encore inventer ?
– Maman, mais que fais-tu ?
– Tu vois bien, je gomme mes rides.
Tuer cette idée. Par la douceur.
– As-tu mis des couleurs sur le dessin que tu as fait hier ?
– Le dessin ? Le dessin ?
– Prenons tes crayons de couleur…
– Les crayons, ils ont tous cassé leur mine. Et je ne sais pas comment les faire repousser.
– Demain je viendrais avec un taille-crayon et ils seront tous réparer.
– Rouge, s’il te plaît Barbara.
– Anna, Maman, Anna. Et si nous faisions un tour dans le parc ?
– Oh oui !
Puis vint l’heure du départ.
Anna reviendra demain avec un taille-crayon bleu, car sa mère a toujours détesté le rouge.
La vie gomme peu à peu les souvenirs de sa chère Maman.
Anna essuya une larme.
Anna faisait le dos rond.
La substantifique moelle
Une gomme faisait le dos rond, quel mot devrait elle encore effacer aujourd’hui ?
Hier déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer l’entête d’une lettre d’adieux. La main de Camille avait gommé, Camille qui pleurait en le faisant. A quoi bon appeler « mon chéri » un homme que l’on ne chérit plus ? Au début, la jeune femme avait juste raturé l’expression. Mais ce n’était pas satisfaisant, chéri la regardait d’un air goguenard à travers les ratures. Elle aurait bien tenté « cher connard », mais, et c’est le propre des connards, même avertis de leur état ils sont incapables de s’amender. Alors, exit l’entête !
Puis, Camille s’attaquera aux souvenirs. A quoi bon revenir en arrière, aux promesses échangées, aux projets avortés ? Pourquoi cela ferait il une différence maintenant ?
Viendra le paragraphe des reproches. Dans sa rage, hier, elle a appuyé si fort sur son crayon que le papier en est définitivement marqué. Elle gomme, tout en se réjouissant de l’empreinte indélébile de « crétin » et du trou que laissera le mot « enfer ». Qu’il sache sa rage.
Rapidement, souvenirs, regrets, projets, reproches et larmes ne sont plus que pelures de gomme éparpillées sur la table. Tout à l’heure, elle les récupèrera dans le creux de sa main en coupe et elle les jettera à la poubelle. L’exercice est cathartique, ça lui fait un bien fou !
Les « ne cherche pas à me revoir » et autres « laissons nous du temps » vont rapidement subir le même sort. Les écrire c’est encore espérer. L’espoir doit être gommé, anéanti, décapité.
Bientôt sur la feuille survivent ces seuls mots : « C’EST TERMINE ». Hier encore, elle a eu besoin de les mettre en majuscule, comme pour se convaincre elle même. Aujourd’hui, elle va les gommer et les réinscrire en minuscule, les expurger de leur passion. Clair, net, précis. La sobriété de l’inéluctable. Les rendre froids comme un coup de feu au coeur d’une forêt, lorsque l’on ne sait pas qui est la victime, que l’imagination vous taraude, que la crainte vous prend. Que la peur change de camp. Qu’il s’interroge.
Voilà, elle est satisfaite, tout est dit. L’amour n’est même plus en soins palliatifs, c’est terminé. Elle laissera la lettre sur la table, elle passera la porte de l’appartement ses valises à la main, sans même un dernier regard. Il n’y a pas si longtemps, elle aurait cherché à fixer les lieux de son amour défunt dans sa mémoire. Aujourd’hui, elle veut en effacer jusqu’au souvenir. Et elle emmène la gomme. L’exercice, elle va le refaire, parce que les nocifs sont légion dans une vie de femme. Pour chacun d’eux, elle posera des mots sur une feuille puis elle gommera, jusqu’à arriver à la substantifique moelle de sa pensée.
On dit que la nature a horreur du vide. Alors, peut être sera t’elle capable bientôt de reposer des mots d’amour, peut être oubliera t’elle bientôt la gomme au fond d’un tiroir ? « Peut être »…
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-elle encore effacer aujourd’hui ?
Hier encore, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer la seconde strophe de sa petite poésie. Dans son rêve, les gommes et les crayons étaient ses alliés ; ils l’aidaient à composer des vers magnifiques , et puis soudain, la main tueuse surgissait, elle s’emparait d’une gomme, l’obligeait à frotter ,frotter le papier et crac ! une strophe en moins !
Il suppliait, pleurait, rien n’y faisait..
Plus tard, le sommeil l’emportait vers des rivages plus calmes, mais à son réveil, une angoisse le saisissait ; il se levait, allait chercher son cahier posé sur son petit bureau et là, horreur, la strophe effacée par la main tueuse avait disparu « pour de vrai » !
Il n’en avait parlé à personne, ni à ses parents, ni à ses camarades d’école.
Il avait essayé différents subterfuges : enterrer ses gommes dans le jardin, placer son cahier dans un tiroir fermé à clé, rien n’y faisait : nuit après nuit , la main tueuse revenait et gommait sa poésie.
Un soir, le chat de la maison, un gros matou prénommé Alfred, vint s’installer sur son lit, alors qu’il relisait une strophe écrite plus tôt dans la soirée. Il avait le coeur gros et sa voix tremblotait tandis qu’il lisait à haute voix. Le chat se mit à ronronner et posa une patte bienveillante sur le cahier. Encouragé, le petit garçon relut toute le poésie d’une voix plus ferme : le chat ronronna de plus belle et sa patte caressa la page. L’enfant eut alors l’idée de glisser le cahier sous le ventre de l’animal, puis il éteignit sa lampe de chevet et tous deux s’endormirent côte à côte. Cette nuit là, les gommes et les crayons dansèrent dans ses rêves , mais aucune main tueuse n’apparut.
Le lendemain matin, la poésie était intacte.
L’enfant, ravi, offrit à Alfred une soucoupe de lait ; désormais, il l’invita tous les soirs à le rejoindre dans sa chambre pour lui confier son cahier.Sa poésie s’allongeait , s’allongeait ; elle occupait toutes les pages du cahier. Lorsqu’ Alfred, mourut, à un âge avancé, elle avait débordé sur d’autres supports. Son auteur, déjà adolescent, l’enterra dans un coffret au fond du jardin….
Plus tard, la famille déménagea et il commença une nouvelle vie. Devenu adulte,il se rappelait parfois sa petite poésie, et se demandait s’il n’avait pas rêvé tout ça.
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-elle effacer aujourd’hui ? Hier déjà, une main tueuse l’avait contraint à supprimer un mot écrit à l’encre rose. Il était pourtant incrusté dans le papier, bien décidé à s’installer pour l’éternité. Mais cette main indélicate et capricieuse lui barra la route de la postérité. Certes, elle était dans son droit de s’exprimer en toute liberté. Cependant, elle l’avait prise pour un objet sans âme, utile seulement pour ses besoins à elle. Quelle égoïste ! pourquoi gommer le sourire de l’ange ?
Cette main et sa supposée complice, on notait des manques dans leur identité. Plusieurs fois, on leurs avaient pris les empreintes. Elles ne s’en étaient jamais remises. Et elles redoublaient de prudence. Aussi, personne, jusqu’à présent n’avait réussi à les confondre. Ce que l’une insérait dans l’actualité, souvent en faits divers, l’autre la secourait pour chiffonner et embrouiller vite les preuves. Comment se débrouillaient-elles ? Une simple gomme pouvait-elle les dégommer et les dénuder devant la police d’écriture ?
La pauvre se posait beaucoup de questions. Elle n’en pouvait plus d’être le bras armé de deux semeuses de troubles qui s’amusaient de leurs contradictions. Serait-elle condamnée à suivre leurs envies sa vie durant et ainsi bannir les mots qui font plaisir de sa mémoire ? Elle se trouvait confrontée à un problème quasiment insoluble.
Autrefois elle s’arrangeait, quand elle ne se plaisait plus dans une trousse, si elle pouvait faire plaisir à un envieux, elle était vite retroussée. Mais ici dans cet espace réduit dédié à l’écriture, elle ne s’entendait plus avec ces deux mains : l’une créant et l’autre censurant à l’envi. Elle devait faire un choix. Ou continuer à s’user dans l’ennui ou bien se recycler dans une retraite dorée. Si seulement elles avaient la bonne idée de téléphoner au grand ordinateur, la semaine suivante, elle aurait un nouveau collègue spécifique à l’écriture et elle pourrait musarder.
Une gomme faisait le dos rond,quel mot devrait elle encore effacer aujourd’hui?
Hier déjà,une main tueuse l’avait contrainte à en supprimer un.
Elle se désespérait car la plupart des mots lui plaisaient,elle souffrait de les voir mis à mal ainsi.
Tenez déjà hier,elle avait vu partir « roudoudou »,un si joli mot tendre,fragile.Des frissons parcouraient encore sa surface douce rien qu’à repenser à ces particules s’envolant sous un souffle rageur,accompagnées de commentaires désagréables:
– Pff,houlala,mais ça va pas du tout Mais aussi,qu’est ce que je vais bien pouvoir mettre à la place?
La gomme en voyait partir sans trop de regrets. Agressifs,compliqués .Mais quand même,ils n’y étaient pour rien,et c’était à elle que revenait le sale boulot.
Mais les autres,les jolis,les humoristiques ou poétiques,elle ne pouvait faire autrement que de leur chuchoter pardon,pardon au rythme des va et vient inexorables de la main tueuse.
D’autres, dont elle ne connaissait pas la signification,prenaient la peine de lui expliquer, quand tout dormait dans la maison.
La nuit ça chuchotait et riait dans le bureau.D’aucuns contestaient une orthographe,un autre s’indignait d’avoir vu disparaître un ami pourtant correct.
Ce matin la gomme était là,entre le crayon,le taille crayon,un vieux buvard noirci d’encre,le cendrier plein et une tasse à café oubliée.
Neuf heures,les volets claquent,le soleil allume la pièce.Un bruit de pas feutrés.
La main entre,se frottant à son Autre.L’on entend:
– Bon,au boulot,c’est pas le tout,je dois finir cette fichue histoire.Voyons ce que je vais devoir encore gommer aujourd’hui,très fastidieux le moment des corrections.
Recroquevillée dans son coin la gomme désespère,elle est attrapée par la tueuse
– Viens là toi,je vois un flagada qui n’a rien à faire ici,mais quelle idée j’ai eut,vraiment!
OASIS, JE GOMME TON NOM.
Depuis les steppes de l’Asie centrale, la caravane, de Borodine à Ellington, chemine. Animaux de bât ou de trait, plutôt chameaux que dromadaires, la caravane achemine des tonnes de graphite.
C’est, de deux choses l’une, la matière première du crayon. L’autre, c’est du bois qu’on suce, qu’on taille, qu’on mâchouille, bout de crayon vecteur d’idées. Comment as-tu pu m’oublier, moi, la gomme qui fait le gros dos comme le chameau plein d’eau, à samarcande. Il a traversé déserts et ruines depuis des temps immémoriaux.
Je gomme la trace de ses pas sur l’erg : je suis le vent de sable, de celui dont on s’abrite sous la dune, dont la fatigue oubliée sous le rare palmier de l’oasis… renaitra demain.
En Égypte, le scribe accroupi compte et recompte, il casse la tablette d’argile durcie, et recommence encore et encore.
À la communale en 1950, moi, la gomme qui fait le gros dos aujourd’hui, j’efface, annihile au nom de l’orthographe des mots jamais encore employés, fétus d’une langue avortée.
Qui sait s’ils ne viennent de si loin qu’on les a oubliés.
🐻 LURON’OURS
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-elle effacer aujourd’hui ? Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer le mot « amitié » sur le courrier que l’épistolière écrivait à sa meilleure amie.
Depuis quelque temps, Manon s’interrogeait sur ce vocable et sur la véritable valeur de l’amitié. Ne fallait-il pas être deux pour la partager ? Elle avait laissé son brouillon en plan dans l’espoir que la nuit lui porterait conseil.
Aujourd’hui, la main attrape le crayon, le retourne et d’une main rageuse efface toute l’empathie que Manon avait prodiguée à sa correspondante qui la prend pour son psy en l’assommant de ses sempiternels malheurs. Dubitative, elle constate qu’il ne reste plus rien de sa missive. De rage, elle la met en boule. Puis elle examine son crayon à papier, si souvent taillé qu’il en est au bout de sa vie avec son moignon de gomme et, dépitée, les envoie valdinguer dans la « jaune ».
Dans le fouillis de son bureau, Manon a trouvé un autre crayon pour remplir ses grilles de mots croisés, mais cette foutue gomme, insérée dans son tube métallique, n’efface absolument rien sur ce satané papier glacé !
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-telle encore effacer aujourd’hui ?
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer
un gros mot sous prétexte que que ça choquerait le lecteur :
– Et un de plus ! Bougonna la gomme.
– A ce rythme là, cette histoire n’aura plus de saveur pense-t-elle.
Cette main tueuse m’a déjà contrainte à effacer deux mots audacieux, trois mots doux, et un mot coquin. Chaque fois moi, ça m’arrache les tripes. Après mon passage tout devient lisse et insipide. Quel ennui ! Suis
plus d’accord. Effacer les fautes d’orthographe : OUI ! Mais là, ma mission est déviée. Cette main tueuse est trop radicale et j’en ai marre d’endosser ce rôle.
Et voilà notre pauvre gomme triste, recroquevillée sur elle-même.
Mais au petit matin, la main écrit spontanément un très joli mot : « Myosotis »
– Oh quel joli mot s’extasie la gomme… c’est un mot qui s’allonge lorsqu’on le prononce. Il est doux comme du miel et tout en nuance : myosotis… myosotis : et on le termine en souriant : tisss…tisss…
Mais c’était sans compter sur l’apathie de la main tueuse qui se mit à chercher frénétiquement la gomme.
– Ah non, s’écria la gomme, pas myosotisss pas myosotisss. Espèce de main tyrannique, ignare, barbare. Trop c’est trop !
Et la gomme appuya sur sa ceinture explosive : « boum ! »
Elle partit en poussière en criant:
« Forget Me Not ! »
C’est pas fini.
La main tueuse époustouflée se ramollit, se ramollit tant et si bien que depuis ce jour elle n’eut plus jamais la force d’utiliser une gomme quelle qu’elle soit.
Alors, la main molle se résigna à écrire sans relâche, sans rectification, sans censure.
Il en résulta un magnifique conte intitulé :
HISTOIRE D’UNE GOMME QUI S’APPELAIT « FORGET ME NOT » ET QUI AIMAIT TROP LES MOTS
Et ce fut un best-seller !
🐀LA GUERRE DES GOMMES
Je suis la Rouge et m’efforce d’effacer les fautes sans remords mais en souplesse.
Je suis le ‘Bleu’, militaire de carrière et fier de l’être. J’agis dans la rudesse, une sorte de tue-mots ! Je les aligne et sans compassion les supprime. Du charnier de ces mots ne restent que quelques copeaux de caoutchouc et de papier.
Je suis ‘Blanche’ l’unique et douce qui rectifie le dessin lorsque la morphologie n’est pas conforme. Un nez à piquer des biscottes, un œil qui se rapproche un peu trop de l’autre, des mains arthrosiques avant l’âge ou des bras qui vont décrocher la lune. Je suis la gomme médecin, un chirurgien esthétique du dessin.
Je suis Celle qui menace, bien plantée en haut du crayon parfois bleue, d’autres rouge. Hissée en haut du bois je surveille quand la mine arrogante de sa pointe va traverser le papier. Comment je fais moi dans ce cas ? Je ne suis pas un bouche-trou.
Je suis ‘ la Merveille’ qu’on cache, un trésor qui donne du prix au porte-mine. Dans l’étui de métal gris, souvent accollée à l’aiguiseur nous retenons par l’autre bout la réserve de ces bonnes mines qui, sans nous iraient courir la prétentaine.
Les gommes ne sont pas toutes tueuses mais nombreuses sont celles qui, comme toutes les armes mal maniées font des trous dans le papier.
Moralité, contre la mortalité des mots prenez des mines tendres pas des mines de plomb.
🐀 Souris-bleue
J’aime beaucoup. C’est fluide rythmé et plein d’humour.
Sympa… Merci Maité🐀
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-telle encore effacer aujourd’hui ?
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer trois mots, une phrase qui pourtant devait être dite depuis trop longtemps ! Cela faisait trop de papier froissé ! La corbeille allait déborder. Le jeune homme y était depuis des semaines ! Des semaines qu’il s’était résolu enfin à tout lui dire ou plutôt le lui écrire parce que le courage lui manquait pour ce genre de choses. Il n’avait pas appris. Cette bourrasque qui l’avait soulevé et aspiré dans ce tourbillon n’en finissait plus, il fallait qu’il se libère de ses doutes, qu’il lui confie ses tourments. Qu’importe la réponse, même si elle devait lui causer le plus grand des chagrins au moins il saurait, pourrait tourner la page ou écrire un nouveau chapitre avec elle. La gomme fébrile, étouffait dans la moiteur de la main. La main n’en finissait plus de serrer et relâcher son étreinte sans savoir si oui ou non, elle devrait effacer ce qu’elle n’avait pas du tout envie de supprimer ! Elle était moite et tâchée. Elle détestait ça ! Elle trouvait que tout ce qui était écrit était parfait ! Il n’y avait rien à changer ! Rien à gommer ! Elle tremblait qu’une fois encore, il veule réduire en miettes tous ses efforts. Elle ne voulait pas voir ça, encore moins en être l’artisane ! Y laisser sa peau, c’en était trop ! Elle en était arrivée à se demander s’il ne fallait pas mieux glisser sous le bureau, se faire oublier quelque temps. Mais le projet était périlleux, elle finirait noircie et sale, ses fonctions seraient effacées à tout jamais.
Non mais après tout, ce n’était pas à elle de se sacrifier ! Tant pis pour lui !
Elle sentit tout à coup l’étreinte de la main se desserrer et la poser sur la feuille blanche aux pre-mières loges de la mine qui n’était plus de papier et qui se remettait à glisser. Elle tremblait de tout son caoutchouc…Et n’en crut pas ses yeux quand elle vit enfin les mots couchés pour de bon :
je t’aime.
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-telle encore effacer aujourd’hui ?
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer toute une phrase, froidement. Le sujet, son verbe et son complément. La raison ? Elle faisait partie de la famille des Clichés, cette communauté aux mots stéréotypés qui paraphrase haut en couleur leur droit au chapitre à marier entre eux les mots de même genre, sans se faire traiter avec des idées reçues de grand poncif, de pléonasme ou de plaie tout court.
Oui mais voilà, pour un croyant de papier, tout ce qui n’entre pas dans le dogme de l’écrit parfait, sans la moindre faute contre la morale orthographe, doit se gommer à l’état de brouillon, avant qu’il n’engendre l’irréparable, avec son complément d’objet indigeste, aux mots apparentés à des mœurs peu publiables.
La gomme faisait son travail de sape sous l’œil intransigeant de la grammaire supérieure qui la priait de s’exécuter au nom de l’esprit sain et du style unique.
« Marie entra le sourire aux lèvres » Et la gomme l’effaça.
Gomme aimait l’orthographe
« Circule, virgule ou je t’apostrophe »
Disait-elle à chaque lettre mal faite.
« Je t’efface car je te déteste »
Disait-elle aux phrases défaites.
Elle gommait tous les digrammes mal placés. Elle extrayait tous les phonèmes mal codés.
Mais un jour elle fut prisonnière d’une petite fille particulière. Cette dernière se plaisait à refaire chaque mot à sa guise. Et elle en était fière. Gomme ne savait plus quoi faire.
Les mots se transformaient sous ses yeux ébahis. « Enlève cette lettre », ordonnait-elle. « Retire cette virgule », pestait-elle.
Mais la petite fille n’avait que faire d’être grossière.
La fillette aimait lire ce qu’elle écrivait. Elle aimait car ça sonnait.
Les mots, ainsi défaits, chantaient.
Les phrases, ainsi refaites, dansaient.
Gomme exténuée de gueuler se mit à l’écouter. Elle fut si surprise d’aimer qu’elle se mit à l’aider.
Depuis ce jour, Gomme ne nettoie plus TOUT ce qui dépasse, elle ne remet plus les mots en place. Elle écoute les mots qui passent et danse les rimes fugaces.
Depuis quelques jours, l’écrivain faisait le dos rond. Il ne se sentait pas bien : plus le moral, plus envie de continuer, pourtant il avait trouvé une bonne histoire à raconter et l’écriture avait bien démarré.
Et puis, subitement, le malaise. La bonne idée avait séché, la plume aussi, plantée droit dans l’encrier. Taries toutes les deux, lui pareil. Même le crayon avait mauvaise mine et ne trouvait plus sa gomme. L’idée était morte au cours des lignes, et lui avec, il en avait bien peur.
Chez lui, on le trouvait bizarre. Il relevait tantôt ses manches jusqu’aux coudes, tantôt ses pantalons jusqu’au genoux.
– Mais qu’est-ce que tu as à te gratter comme ça ? On se moquait presque de lui : – tu as attrapé des puces ? Une attaque de fourmis ?
– Ah, foutez-vous de moi, riez, je voudrais vous y voir… vous ne voyez pas que je suis attaqué ?
– Par le héros de ton roman peut-être ?
– Non, lui il m’aimait bien, j’en faisais un portrait flatteur et lui démarrais une belle aventure où il avait le beau rôle
– Par qui alors ?
– Par sa copine, elle n’a pas aimé m’a façon de la décrire, elle me poursuit, c’est une tueuse, elle veut … me dégommer. Elle a commencé et ça avance, vite, très vite, vous ne voyez pas combien j’ai maigri, presque plus de mollets, presque plus de biceps, bientôt je perdrai le ventre, et puis elle va monter, monter…
Elle est moitié rouge, moitié bleue, quand elle me frotte du côté rouge ça se supporte, c’est mou, c’est souple, mais quand elle s’énerve, pour m’effacer plus vite, elle me frotte du côté bleu, ça gratte, ça râpe, jusqu’au sang.
Pourtant j’étais bien parti pour l’écrire très vite ce roman, ça venait tout seul, j’avais mis la gomme ….
Secret*
Il lui faudra attendre encore deux jours pour l’effacer ce mot, attendre qu’il se transforme, qu’il se révèle.
L’autre soir son ami lui a dit : « Lis ce mot mais ne le dis à personne, je sais que je peux compter sur toi, que je peux te faire confiance, tu es la seule à savoir et je sais que tu ne diras rien»
Flattée d’être l’élue ! Mais mise devant le fait accompli, sera t’elle digne d’une telle responsabilité, d’un tel poids ?
Elle a brulé le mot après l’avoir lu, mais les cendres se sont diluées dans tout son être.
Imprimé dans son esprit, il s’impose maintenant devant ses yeux à chaque instant. Obsédant. Devenu lettre majuscule, il perturbe son mode de pensée.
Plus le temps passe, plus ce mot imposé prend de la place. Il est si lourd à porter, elle voudrait s’en délester, le partager, s’en débarrasser, le supprimer.
Le mot sera révélé à tous les autres lundi, et il deviendra, pour elle, aussi léger qu’une gomme.
*Un silence qui fait beaucoup de bruit
Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer le mot liberté d’une dissertation, un devoir de philosophie. Elle n’aimait pas ça. Elle préférait corriger une faute d’orthographe ou de ponctuation plutôt que de supprimer un mot. Celle qui l’employait était en terminale. Elle l’avait acheté à dessein pour travailler avec un crayon. Cette élève aimait dessiner. Elle l’avait extraite du rayon d’une papeterie où elle végétait depuis trop longtemps. L’objet se savait gomme d’excellence, dédaignée par les mamans qui la trouvaient trop chère en compulsant la liste des fournitures de leur progéniture. Elle avait enfin trouvé la main qui allait l’employer. La jeune étudiante la courbait avec délicatesse pour effacer une ligne un peu trop forte sur l’une de ses éternelles esquisses, sur ses petits croquis qu’elle élaborait machinalement autours de ses notes. Ses notes la mettaient à portée de celui qui dictait durant ses cours. C’était son devoir d’étudiante. Grâces à ses croquis, son esprit vagabondait, s’évadait un moment lorsque la voix du professeur se faisait soporifique. L’adolescente préférait le crayon au stylo, majoritairement utilisé par ses camarades. Malgré son côté effacé, la gomme s’était prise d’affection pour le joli crayon bicolore qui valsait sous les doigts féminins. Il faut dire qu’il avait bonne mine, plus élégant et nuancé qu’un critérium à la froideur métallique. Elle aimait caresser les traces de la mine grasse sur le papier jusqu’à les effacer délicatement avec sa fibre élastique. Elle trouvait ça très sensuel. Par contre, elle détestait le taille-crayon qui arrachait des crissements déchirants à son ami graphique lorsque sa lame métallique écorchait son bois. La gomme en était déchirée. Dans ces moments là, pour se consoler un peu, elle pensait à d’autres membres de la famille « gomme » dont le sort était pire que le sien. Les cousines gomme à mâcher et boule de gomme finissaient irrémédiablement sous la dent d’un humain gourmand. Sa lointaine parente, gomme arabique, issue de la sève d’acacia, finissait elle aussi dans un palais, un palais sans mille et une nuit, dissoute dans un yaourt ou à l’intérieur d’une sauce. Quant à sa tante gomme-laque, extraite de la sécrétion d’une cochenille, elle passait du tampon d’un ébéniste sur le bois d’un meuble, en appuis circulaires. Si elle était vernis elle pouvait avoir la chance de passer sa vie sur le dos d’un violon en vibrant sous des sons mélodiques. Et quand la gomme à effacer n’avait pas du tout le moral, elle pensait à la condition effroyable des gommes médicales, ces tuméfactions locales qui se formaient parfois sur le corps d’un syphilitique ou d’un tuberculeux. Beurk ! Elle regardait alors sa propre condition à la hausse. Progressivement, elle voyait sa vie en rose se réduire comme peau de chagrin, beaucoup trop tendre avec la mine de crayon, tandis que sa vie en bleu ne diminuait guère. Elle ne jetait l’encre que rarement sur les traces liquides d’une plume trop souvent restée sur le Mont blanc.
Une gomme faisait le dos rond. Quel mot devrait-elle encore effacer aujourd’hui ? Hier, déjà, une main tueuse l’avait contrainte à supprimer un mot boiteux, un mot foireux, un mot qui ne dirait pas à la destinataire ce qu’il souhaitait lui transmettre.
Pourtant la missive lui paraissait jolie, à elle. On y trouvait du sentiment, de l’attention et de la légèreté. Certes cela ne ressemblait pas à une déclaration théâtrale, avec des envolées de chenilles en papillons. On voyait bien que les mots ne coulaient pas vraiment, que la source n’avait jamais été vive et que le temps asséchait son vocabulaire.
La main tueuse allait encore l’astreindre à effacer le naturel, le brut, tous les authentiques petits cailloux d’un langage hésitant. Elle n’allait pas lutter longtemps car sa vie d’esclave ne changerait pas. Le papier trop chargé de mauvais mots, de sales traces ou de trous naissants finirait à la poubelle, sa consœur de misère.
C’était une gomme améliorée, en plastique, de celles qui grattaient et laissaient dans le vide plus de chiures de mots que de chiures de gomme
C’était une Radiergumm Plastik, une Goma de Borrar, une Gom, selon le pays où elle allait sévir.
Elle était de la marque « Lyreco », ce qui voulait tout dire des intentions du fabricant.