306e exercice d’écriture créative imaginé par Pascal Perrat
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Dans ma salle à pleuvoir,
j’attendais que la pluie vienne.
Qu’une averse de mots se précipite sur la page.
Que mon roman-fleuve…
Imaginez la suite
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Dans ma salle à pleuvoir,
j’attendais que la pluie vienne.
Qu’une averse de mots se précipite sur la page.
Que mon roman-fleuve…
Je l’appelais « ma salle à pleuvoir » depuis presque 6 ans, car il pleuvait toujours des larmes sur mon visage et dans mon cœur lorsque j’entrais dans ce petit espace en lieu de salon bibliothèque, chez moi.
La fenêtre donnait sur un parc merveilleux où les arbres depuis longtemps étaient devenus mes confidents. Sur eux passaient la couleur des saisons et sur moi l’abandon de mon âme.
Il pleuvait toujours des larmes sur mon visage et dans mon cœur et c’est ainsi que le dernier jour de l’été, dès 7 heures du matin, je m’étais assis dans ma salle à pleuvoir, là, par terre sur le tapis bleu, brodé de roses qui ne fanaient jamais que, appuyé le dos au mur, j’admirais la photo de ma femme, face à moi, posée à côté du livre qu’elle avait préféré. Ici, plus qu’ailleurs, Il me plaisait de me rappeler ses fous-rires et ses baisers parfumés.
Alors que le ciel avec rapidité n’en finissait pas de noircir, je me pris à fouiller les rayonnages de la bibliothèque et à me saisir d’un livre -ouvrage qui m’appartenait, sorte d’étui à exercices d’écritures qui dormait depuis si longtemps. Je repris ma position initiale, cette fois, calé sur un coussin moelleux. Je n’avais rien d’autre à faire, comme souvent, qu’à laisser aller mes sentiments et attendre la pluie qui ne serait tarder.
Il était déjà treize heures quand je découvris à l’intérieur de ce livre à entraînements, un cahier assez épais que j’avais oublié et qui, tel un boomerang vint me sauter aux tripes. Une chaleur subite me réchauffa et me rappela combien j’avais travaillé sur ce petit roman dont je désirai non pas en faire une édition mais un souvenir pour mes enfants. Au fil des pages que je relisais, le temps passait et la pluie s’annonçait de plus en plus. Je vis au gré de ma lecture qu’il ne manquait en fait, que le dernier chapitre pour clore mon histoire. Je me rappelais qu’à cette époque, une série de douloureux problèmes s’enchaînant comme des maillons super huilés s’étaient produits dans ma vie et que j’avais rangé ce travail qui, pour moi représentait le témoin de l’amour que je vouais à ma petite famille. Je verrai plus tard m’étais-je dit. Mais ce plus tard, je ne savais pas alors, que, ce serait sans eux, sans elle.
L’orage éclatait au dehors mais je l’avais laissé entrer à l’intérieur de moi. Un déluge qui déferlait dans ma tête. La nuit était arrivée sans que j’en eusse pris garde. Je m’étais seulement muni d’un stylo et continuais tel un torrent à déferler la vague de sentiments qui, depuis si longtemps contenue, dévalait de mots que je jetais sur les lignes comme des bouées à la mer. Je les écrivais, les lisais, tantôt à voix haute, tantôt en les susurrant. Je les décortiquais ou les ravalaient s’ils me brûlaient. L’amour de ma vie s’en était allé pour toujours et je n’avais pas su lui dire assez que, je l’aimais comme un fou. Alors, ce soir j’écrivais encore et encore jusqu’à l’usure, jusqu’à me perdre et croire à sa présence encore. Rien plus ne m’arrêtais, ni les phrases construites à l’emportée mais expertes et vraies, ni les mots aussi douloureux et amoureux soient-ils. Je lui parlais, je la ressuscitais et à travers les pages et les pages que je noircissais, je me guérissais en laissant couler le fleuve de douleurs qui dégoulinait de moi.
Minuit avait depuis bien longtemps déjà, sonné. Je ne m’étais ni assoupi, ni je n’avais mangé. Je m’étais contenté de finir l’ouvrage depuis si longtemps commencé et je m’émerveillais d’avoir pu enfin le terminer. Il était plein de mots. Plein de peines que le fleuve du temps commençait enfin à nettoyer.
J’entendis quelques gouttes à l’extérieur qui clopaient, juste à peine, l’orage avait passé et la douleur se faisait plus douce comme le bonheur qui reviendrait peut-être, un jour.
L’été avait laissé sa place à l’automne. Dans ma salle à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne. Qu’une averse de mots se précipite sur la page. Que mon roman-fleuve…
– L’été a laissé sa place à l’automne. C’est ce qu’ils disaient tous en levant un doigt vers le ciel.
Moi, je ne voyais rien de différent. Je me suis dit que c’était peut-être à cause de mes yeux fatigués…
– L’été est parti. C’en est fini pour l’été. Voilà l’automne, ses brumes, son crachin, ses brouillards…
Moi, je ne trouvais rien de différent. Je me suis dit que c’était peut-être la faute à une certaine paresse…
– On va rallumer le chauffage, faire une belle flambée dans la cheminée, se calfeutrer…
Moi, je ne sentais toujours rien de différent. Je me suis dit que c’était peut-être à cause de ma carapace…
A force de les entendre crier au loup… pardon! De les entendre crier à l’automne, je me suis rendue dans mon pleuvoir, histoire d’y voir la même chose qu’eux. Mais j’avais beau attendre que ma plume pleure des mots, qu’une averse déverse des pages, qu’un fleuve charrie mon roman…
Mon pleuvoir était à sec.
De désespoir, j’ai fermé la porte et je m’en suis en allée.
Auprès de la fontaine, j’ai rêvé, imploré. Elle m’a répondu :
– Tu m’as trop souvent dépréciée en jurant que tu ne boirais plus de mon eau. Alors, passe ton chemin.
Devant une telle sentence, je penchai la tête et quittai le village.
Auprès de la cascade, j’ai quémandé quelques mots. Une myriade de gouttes m’ont éclaboussée en crépitant :
– Trop occupées, trop occupées… il y va de notre sécurité…
J’ai continué mon chemin en longeant la rivière galopant sur le roches de calcaire. Une petite phrase… rien qu’une….
– Virginia nous a déjà fait le coup, on a vu où cela l’a menée. On ne prend plus de risques….
La rivière m’a conduite au fleuve. Majestueux. Déversant des torrents de joies et de peines, de colères et de misères. Je voulu lui m’emparer de quelques branches de bois flotté où accrocher une idée…
– Désolé, je ne puis rien faire pour toi. Mon but est d’aller vers la mer….
La mer et les océans ? Peut-être qu’au plus profond de leurs abysses, je trouverais, enfouie, quelque épopée gravée dans la pierre ? Perdue dans mes pensées, je ne vit pas le soir arriver.
La nuit tomba avec sa fraîcheur et sa pluie d’étoiles. Le matin me réveilla avec ses perles de rosée. Mais les mots se refusaient à moi. Je continuai mon errance.
Désespérée, je frappai du pied sur la terre craquelée. Une source jaillit. Cette fois, me dis-je, l’inspiration serait au rendez-vous. Mais elle s’avéra source d’ennuis.
Je dû m’asseoir. Les mains enlaçant mes jambes, la tête posée sur les genoux.
Mes mains me faisaient mal. La droite, surtout. Je craignais une attaque de mogigraphie.
Mon cerveau cognait furieusement contre ma boîte crânienne. Mes neurones s’enflammaient. Mes synapses disjonctaient.
Farenheit 451, hurlais-je. Mes mains frappaient l’eau…
Le soleil était au zénith. Moi, j’étais en plein nadir et le roman fleuve s’est dilué dans les éthers de mon imagination défaillante.
© Clémence
L’été avait laissé sa place à l’automne. Dans ma salle à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne. Qu’une averse de mots se précipite sur la page. Que mon roman-fleuve s’enrichisse de chapitres , mais mon attente fut déçue, trois lettres, échappées d’un nuage égaré, tombèrent sur le sol de ma salle à pleuvoir : f i n. Je n’en crus pas mes yeux ; la méteo des mots avait pourtant prédit de fortes
pluies de mots. Je perdis espoir et décidai de rentrer chez moi, en bateau -mouche. Mal m’en a pris .En effet,Nous passions sous le pont de l’Alma quand la Seine entra brutalement en crue . Nous tombâmes à l’eau et je me retrouvai assis sur l’épaule droite du célèbre zouave . Me voyant paniqué, il me rassura : n’était-il pas là depuis 1856 ! puis il me demanda ce que j’étais venu faire sur la Seine en crue. Oh c’est simple, j’envisage d’écrire un roman fleuve et je souhaitais entrer en osmose avec la Seine, fleuve le plus proche de mon domicile.Il haussa les épaules ce qui eut pour effet de me rejeter dans la Seine qui s’était un peu calmée.Des sauveteurs nous ramenèrent sur la berge ; parmi ceux-ci, il y avait, me sembla-t-il, Herman Melville, auteur de Moby Dick, Marcel Proust qui était peut-être encore à la recherche du temps perdu, Jules verne. On nous emmena à l’hôpital pour nous permettre de reprendre nos esprits. J’en ressortis quelque jours plus tard et je rejoignis ma salle à pleuvoir.Hélàs, la crue était passée par là : plus de salle à pleuvoir.Un peu dépité,je décidai de rentrer chez moi, en prenant le métro à la station du « Pont de Sèvres « .
Demain, il me faudrait reprendre mon travail au rayon livres de la FNAC tout en renonçant à devenir écrivain. Je me consolai en me disant que j’y retrouverai une collègue dont j’étais amoureux. Il fallait que je lui fasse la cour. Peut-être bien qu’une balade en bateau mouche lui plairait ; en plus çà me permettrait d’aller saluer le zouave du pont de l’Alma .
–
L’été avait laissé sa place à l’automne. L’automne, la meilleure saison pour l’écriture, celle du retour sur soi après l’extériorité de l’été.
Et dans mon site à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne.
Mais je n’attendis pas longtemps.
Je lançai une incantation monocorde qui se répercuta parmi les rochers environnants en douce litanie. Un écho naquit, repris en choeur par le feulement des branches d’arbres encore feuillues. Jusqu’à ce que ce bruit lanscinant emplisse tout l’espace et fasse se lever le vent, le vent annonciateur de la pluie prochaine.
Je pris alors ma baguette de sourcier et la pointai vers le ciel.
Je choisis un tout petit nuage avant coureur qui saupoudra les mots hésitants d’un léger crachin pour leur donner un peu de piment.
Puis je pointai ma baguette vers un énorme cumulonimbus qui arrosa les mots pompeux d’ un déluge propre à doucher d’un coup leur prétention.
Une averse douce et brève redonna un peu de fraicheur aux mots oubliés ou désuets.
Les petits mots ne furent pas en reste et profitèrent des éclaboussures de la douche sur les mots pompeux. Ils rigolaient bien en voyant la tête de leurs aînés, qui se mirent à les gronder pour purger leur amertume.
Les mots vicieux se vautrèrent dans les flaques d’eau en un méli-mélo indescriptible.
Les mots sages, eux, avaient prévu l’intempérie et s’étaient munis d’un parapluie.
C’était un tapage joyeux, de mots de toute sorte et innombrables qui se bousculaient.
Et parmi tous ces mots il me fallait faire le tri de ceux que j’utiliserai.
Mais alors que je cherchais à mettre de l’ordre dans ce monde foisonnnant, un petit mot qui jusque là s’était caché, réapparu,t et siffla brusquement : c’était le mot vent. Il siffla le rassemblement, tant et si bien, tant et si fort, que d’un coup tous les mots se mirent à tournoyer dans les airs et s’envolèrent, comme s’envolent depuis toujours les mots.
Et ils disparurent de ma vue.
Voilà mon livre revenu à l’état d’esprit, de projet fugace, de vague ambition.
Mon roman fleuve me coulait entre les doigts sans que je puisse retenir la moindre phrase. Mon futur chef d’oeuvre de la littérature était redevenu le dictionnaire en désordre évoqué par Cocteau.
Tout était à recommencer.
Et la page couleur de neige sur laquelle je m’étais endormie annonçait un hiver précoce.
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Dans ma salle à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne.
Qu’une averse de mots se précipite sur la page.
Que mon roman-fleuve attrape une bourrasque
J’attendais, j’écoutais, je sentais et patientais.
Un rendez-vous manqué: je m’étais fâchée dans les derniers feuillets puis j’avais lu le regard surpris d’un de mes personnages. Il m’interpellait.
La fraîcheur s’invitait mais je ne lâchais pas l’été.
Je m’obstinais. Que perdais-je avec l’été ?
Je m’accrochais aux aubes tièdes sous la treille, à l’énergie de l’envie rythmant les jours de liberté: un journal abandonné, les récoltes du marché, la cuisine du soleil et les grandes tablées. Les siestes dans un livre, les murmures de l’été et l’attente du soir m’alanguissaient dans la moiteur.
Puis quelques mots griffonnés, les délices des vins d’été, je m’amusais.
A présent dans mon antre, ce personnage me questionnait: quel est le sens de toutes ces pages? Qu’avais-je à dire? Où allais-je?
Son impertinence me bousculait … une vérité essentielle, en quelques mots simples et mon roman se tiendrait.
En quête de cette épure, je replongeai dans mes motivations, flash-back sur le scénario, re-view de mes personnages, détricotage de l’intrigue: je n’avais pas atteint l’essence ultime. Pourquoi tout ça ? Ou vont-ils? Que veulent-ils dire vraiment?
Je me calmai et repris le chapitre suivant, quand tout à coup, un personnage secondaire héla le principal avec des mots francs. Sa sincérité me déconcerta: n’était-ce pas ce dont l’histoire manquait? N’était-ce pas mon objectif inconscient?
Je me relus et réfléchis. Je crois que je venais de me comprendre.
Je venais d’accoucher du sens de mon roman, je le portais sans le savoir, il se mit alors à pleuvoir .
J’avais besoin de marcher et pleurer sous la pluie, je tenais mon histoire, non par les caractères variés de mes personnages ni par les rebondissements des situations, mais parce qu’une valeur forte jaillissait masquée sous des mots simples.
L’été me parut bien futile … j’avais pu avancer mon roman sans rigueur, sans contrainte telle une enfant gâtée.
A présent, je savais la nécessité du grand ménage… il me fallait trouver les étapes utiles , sélectionner les séquences donnant du rythme et conduire mon histoire vers cette petite phrase anodine mais essentielle dans ce qui me tenait à cœur et qui me conduirait vers la chute.
Le corps léger, je rentrai en chantant: l’automne avait du bon, j’allais raturer, élaguer, nettoyer, désherber, purger ce fleuve de verbiage pour le reconfigurer en une jolie petite rivière dont on se souviendrait.
Ma maison
L’automne avait laissé sa place à l’hiver.
Dans ma salle à idées,
j’attendais que le coin du feu m’inspire,
Contre le froid du dehors, que bouillonne mon esprit.
Que la neige glace mon corps et libère mon génie.
L’hiver avait laissé sa place au printemps.
Dans ma salle à fleurir,
j’attendais que les germes pointent,
Que les semences se construisent un corps.
Que de belles images fleurissent ma prairie.
Le printemps avait laissé sa place à l’été.
Dans ma salle à mûrir,
j’attendais que les fruits se gorgent.
Que les mauvaises graines pourrissent.
Que la récolte garantisse le nectar de la saison.
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Dans ma salle à pleuvoir,
j’attendais que la pluie vienne.
Qu’une averse de mots se précipite sur la page.
Que mon roman-fleuve inonde ma maison.
bien agréable cette maison-saison !
L’été avait laissé sa place à l’automne. Dans ma salle à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne. Qu’une averse de mots se précipite sur la page. Que mon roman-fleuve jaillisse d’un filet d’encre et inonde les plaines. Je rêvais de me perdre dans les méandres d’une histoire, charriant intrigues et rebondissements, où afflueraient courants et influences de toutes sortes. Une saga gorgée d’eau trouble qui, sous l’effet de crues soudaines, renverserait les ponts et ferait trembler les barrages, jusqu’à la porte de l’estuaire, avant la chute dans une mer inconnue.
En ce début d’automne, après la saison sèche, j’attendais la pluie promise, la goutte d’inspiration qui daignerait tomber de ma plume, mais rien ne vint. Le papier se ridait et l’encrier, vidé de son sang, gémissait. Mes doigts s’engourdissaient. J’enfilai mes gants de laine et, grelottant, je m’enroulai autour d’une couverture polaire. Derrière la vitre de ma salle à pleuvoir, une fine couche de glace s’installait. Les feuillets jaunis de mes anciens manuscrits tombaient un à un des étagères et jonchaient le parquet. La lumière faiblissait, les abat-jour se couvraient d’un voile de dentelle blanche. Ma plume givrait, mes idées se figeaient, mes mots et mes phrases tombaient dans le sommeil de l’hibernation.
Mon cahier allait se refermer quand sur l’étagère des carnets de voyage, la poussière se mit à danser. D’un petit livre de cuir, étiqueté sur la tranche « Ayutthaya, janvier 2010 », glissa une fleur pressée. L’encrier reprit des couleurs, j’ôtai mes gants de laine, ma plume revivait :
À l’ombre du frangipanier, Saroj tentait de cacher dans les plis de son drapé safran la lame ensanglantée…
Sur le toit de ma pagode, les gouttes tombaient dru. La saison des pluies était enfin de retour.
©Sylvie Wojcik
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Dans ma salle à pleuvoir,
j’attendais que la pluie vienne.
Qu’une averse de mots se précipite sur la page.
Que mon roman-fleuve …
continue, seul, sa route parmi les cailloux des rivières.
J’avais vécu un bel été, doux et amoureux, dans les senteurs des fleurs de ton jardin. Je t’avais observé, aimé, de toute mon âme. Tu semblais être un poète, un artiste et tes paroles se posaient sur mon cœur, renforçant mon amour.
Hélas, dès le premier frimas, à l’ombre des grands arbres et dans l’humidité de la terre, tu perdis tout ton pouvoir sur moi.
Des mots acides étaient sortis de ta bouche et je te reconnaissais plus.
Alors, l’averse vint, puissante, intensive, et je jetais les mots éparpillés en mille morceaux, découpés, détruits, dans le fleuve …
Il n’y aurait, finalement, pas de roman.
Juste un souvenir éphémère d’une saison morte.
Et, dans ma salle à pleuvoir, mes larmes furent plus fortes que la pluie.
(Joailes)
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Il avait rangé ses rayons, remballé ses vacances, raccourci ses journées.
Dans ma salle à pleuvoir, je conjuguais la pluie à tous les temps : gris, nuageux, menaçant…
J’attendais que les mots de l’été tombent de la nacelle de l’astre-montgolfier.
Enfin, le soleil dispersa ses couleurs comme un puzzle rompu, et l’averse de mots se précipita sur la feuille : roux, cuivré, pourpre, carmin, garance, ocre, safran, ambré…
Assise dans mon pluvorarium ,j’en scrutais la verrière en mâchonnant ma plume,espérant une averse de mots qui se précipiterait sur ma page vierge attendant d’être fécondée.
Mon éditeur souhaitait impatiemment le dernier opus de mon roman fleuve depuis plus d’un an.Il en avait adoré le premier tome,surkiffé le second,m’attendant au tournant du troisième.
Une saga qui flânait du Mississipi au Nil, du Niger au Rhin,du Pô au Danube.Mais j’étais là,à sec, au niveau le plus bas de la Seine, la Moselle ne me disait plus rien et la Loire jouait les divas comme à son habitude.
Les premières oeuvres ne m’avaient pas posé de problème,j’avais toujours pu compter sur l’aide céleste de ces pluies de mots bienfaitrices qui irriguaient ma page avec abondance.
Mais là,rien.Sécheresse,aridité,désert. Pas un nuage à l’horizon,pas l’ombre d’une trace de l’arrivée de mots,même l’idée d’une idée ne m’effleurait point l’esprit!
J’étais exsangue,déshydratée du bulbe,assoiffée de rebondissements.
Mes personnages s’étiolaient dès le quinzième chapitre,attendant,haletants,de renaître. Je ne pouvais que les regarder ,impuissante à leur offrir ces maudits mots.J’étais au désespoir quand,un matin,l’on sonnât à ma porte.
Le facteur était là, qui toucha sa casquette:
« Bonjour madame,un recommandé pour vous – dit-il – en me tendant une grosse enveloppe.
Revenue à mon pluvorarium,j’ouvris l’envoi, intrigant car totalement anonyme.
Une pluie de mots s’en échappât,un déluge,une cataracte,un torrent de mots qui tombèrent à seaux,en ondée,plurent comme des cordes, dégoulinèrent ,drus,sur ma page se mettant en ordre presque d’eux même,attrapant la ponctuation,respectant les paragraphes,organisant les chapitres.Comme venant d’une corne d’abondance,ils jaillissaient, m’éclaboussant joyeusement de leur exubérance
Je les regardais faire et levais les yeux au ciel dans une muette prière de reconnaissance.
J’étais sauvée.
L’été avait laissé sa place à l’automne. Dans ma salle à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne, qu’une averse de mots se précipite sur la plage, que mon roman fleuve prenne sa source au mont des Neiges Eternelles. Un regard vers les nuages : rien ! Pas un souffle de vent pour distraire mon vague à l’âme. Je craignais que mon fluide se tarisse. Le dégré de mon imaginaire était au plan zéro à l’image de la mer où je puisais épars les reflets brillants d’un soleil de feu. Dans mon thé les glaçons fondaient à vue d’oeil. A vue de nez, ils avaient perdu la moitié de leur banquise. A travers le verre de thé, le baromètre indiquait « BEAU FIXE » grossi comme par une loupe. Je l’espérais aussi de mes attentes. Que mes voeux se réalisent ! Des glaçons, il ne restait que de fines lames désaltérantes que j’englouties dans mon goulet goulu.Dans mon frigidaire, une belle blonde attendait pour être sirotée, dans le bon fauteuil en osier en regardant le confort du temps qui passe.
Des surfeurs guettaient le moment propice pour se jeter à l’eau. Des gouttes de sueur dégoulinaient sur leurs épaules. Un vendeur chargé de sa glacière écoulait le flux de ses cornets. A chacun des baigneurs, ils échangeaient quelques mots. De mon fauteuil je ne captais pas. Ses gestes devinrent plus insaisissables au fil de ses rencontres. Je compris qu’il mimait un paquebot voguant sur l’eau. Dans son casque il entendait la météo. Bientôt les surfeurs allaient plonger. Les ailes delta allèrent se déployer. Le commerçant flotta comme un nuage. Chargé de son fardeau, il le berça comme une bouteille d’eau. Dès qu’il entendit « Allo ! Nous sommes fait pour nous unir ! Nous sommes la source de notre vie ! » sa joie déborda, il chuta de haut. Son chargement se renversa. « Tout tombe à l’eau ! se dit-il. C’est le creux de la vague, je remonterai le fil de l’eau. » Mon inspiration se ressourça dans une gorgée de bière. Mon passeur de bonnes nouvelles s’était ramassé une gamelle, il était dans un sale pétrin ! Je me retenais de rire. Dans quelle m… allait-il se noyer ? Qu’il assume ses roulades ! Quand on veut voler de ses propres ailes, il faut d’abord savoir nager.
Dans mon verre, la mousse avait remplacé la glace. Je fis quelques embruns en soufflant dessus. Le temps devint orageux. Des grêlons gros comme des flocons percèrent les parasols. Une cascade soudaine inonda la terrasse. Je dus fermer les écoutilles. Un pigeon réfugié sous la tonnelle roucoula. Un grain s’abattit sur le hublot du haut et fit un vacarme du tonnerre. On essuyait une tempête. Et mon serveur pris dans les rouleaux, que va-t-il devenir perdu dans les dunes ? Qu’il prenne le bateau sur lequel il voguait. Là, au moins il sera à l’abri ! Son navire l’emmènera sur d’autres rivages. D’autres mots attendent le marin. Sur la mer fusèrent les éclairs. Mon héros pataugeait dans les méandres de l’incertitude. Il avait son gilet de sauvetage. « Toujours le cap, pour un marin garder le Nord ! » Des déferlantes en vents contraires s’entrechoquèrent bruyamment. La Walkyrie galopait dans les Appalaches. Les alizés l’échouèrent sur un îlot de verdure où l’argent coulait à flots. Son oasis n’avait pas déserté. Quelle triste journée ! Pas la peine de reprendre une bière !
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Dans ma salle à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne.
Qu’une averse de mots se précipite sur la page.
Que mon roman-fleuve… voit enfin le jour
Je rêvais d’ orage oulipien bousculant rimes, jeux de mots, mettant un beau désordre pour exercices , contraintes, disparitions,
Je rêvais de crachin pour éructer quelques jurons
Je rêvais de bruine, petit bruit de fines gouttes de poésie,
Je rêvais d’embruns, émotions maritimes
Je rêvais de brume, réalité brouillée, magique
je rêvais de givre pour frissonner dans d’obscures intrigues,
Je rêvais de neige , flocons de douceur et tendresse,
Je rêvais de me réfugier dans ma bulle de Mots choisis, bercée par le souffle des vents « esprit d’automne ».
Les cyclamens
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Dans ma salle à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne…
Qu’une averse de mots se précipite sur la page…
Que mon roman-fleuve rejoigne les péninsules démarrées…
Je rêvais, alangui…
Peut-être me suis-je endormi…
Et puis, voilà qu’il est vraiment arrivé, un peu frisquet, un peu venteux, aventureux…
Lui.
L’automne.
Je l’ai vu s’avancer sur un tapis de cyclamens qui jouaient les impressionnistes, un vrai massacre du printemps, avec ses poilues pattes sales !
Il s’est arrêté, m’a regardé…
J’ai préféré parler le premier…
« Salut, l’Automne !
Alors, comme ça, tu viens d’arriver ?
Bon, je suppose que tu es sûr de ce que tu fais?…
Inutile, je pense, d’essayer de te faire changer d’avis…
D’accooooord !
Bon, t’as vu le tableau !
Regarde !
Pas la peine de te faire un dessin…
Alors, essaye, autant que possible, de ne pas nous fiche le bazar !
Tu vois, c’est propre, c’est joli, c’est rangé, coloré, harmonieux…
Tu évites les bourrasques, tu t’abstiens des gelées, les tempêtes d’équinoxe, tu essaies de t’en passer, et peut-être, peut-être, que l’hiver, quand il arrivera… »
Il a paru étonné, a haussé le sourcil…
– Oui, oui, toi aussi, tu es en CDD ! ai-je repris avant qu’il ne l’ouvre. On ne te l’a pas dit ? Ben oui, c’est comme ça, mon vieux, faut t’y faire ! donc, quand l’hiver te succèdera, si tu n’as pas mis trop le souk, le bazar, le barouf, peut-être que l’hiver sera clément, lui aussi.
Peut-être… »
Il a regardé ses pieds, mon automne.
– Oui, je sais, je sais, ce sont des cyclamens…
Des cyclamens que tu écrases de tes sales pattes.
Pas des cycles amen ! Et que tu te ramènes, et que tu la ramènes, et que tu nous amènes, je ne sais quel record de sale temps, comme on n’en a jamais vu !
D’accord !
On s’est bien compris ?
Allez, à demain !
Et ne prends pas froid ! »
J’ai replongé sur ma page blanche et me suis assoupi, bercé par le doux murmure de ma plume caressant le papier…
L’été avait laissé sa place à l’automne.
Dans ma salle à pleuvoir,
j’attendais que la pluie vienne.
Qu’une averse de mots se précipite sur la page.
Que mon roman-fleuve…
… se déverse sur le papier et libère les gouttes des nuages coléreux de mon esprit.
J’étais triste, et je ne voulais pas que l’on m’entende pleurer.
J’aurais aimé qu’un furieux orage se déchaîne et déchire le ciel de ses cris éphémères, qu’il couvre le bruit de ma plainte mélancolique.
Qu’il saccage mon intérieur et ma vie, pour que j’aie enfin une bonne raison de pleurer.
Le soleil ne brillait plus dans mon sourire et les étoiles qui jadis illuminaient mon regard s’éteignaient à mesure que les degrés entreprenaient leur course vers l’Enfer d’en bas.
Pourquoi celui d’en bas ? Parce qu’est-ce le Paradis si ce n’est qu’un ennui perpétuel ? Qu’est-ce que le bonheur si l’on ne souffre ? Rien ne peut nous rappeler le sentiment vrai qu’est la joie si l’on n’a été triste. La monotonie de nos vies est déjà l’enfer d’aujourd’hui. Et à l’heure de retourner travailler, à l’heure de retourner mener ma vie dénuée de sens et d’imprévus, je meurs et ma plume se tait.
L’été avait laissé place à l’automne. Dans ma salle à pleuvoir, j’attendais que la pluie vienne. Qu’une averse de mots se précipite sur la page. Que mon roman fleuve ne s’embourbe pas.
De minces filets de phrases commençaient à s’écouler sur le carreau. J’avais bien fait de ne pas le nettoyer. La poussière, les mouches écrasées, les chiures d’oiseaux, tout avait freiné le ruissellement des idées. En me déplaçant sur la gauche je pouvais décrypter sur le verre les mots recherchés, attendus, juste à malaxer, à peine, pour qu’ils trouvent leur place dans le courant de mon histoire.
L’été s’était montré sec d’inspiration. Pas un désert, fournisseur du mirage des contes. A peine 50 nuits sans lune. Pas de croissant. Juste un café le matin et ce grand plateau desséché par le vent d’un ennui pesant. Le passage dans une grande salle d’attente donnant sur une autre salle d’attente… sur un secrétariat vous annonçant que celui devant vous soigner avait pris congé de la vie avant son malade.
Je m’étais donc guéri tout seul. J’avais beaucoup lu et fait la sieste à l’ombre des couvertures, à l’abri léger des draps des pages.
Si peu écrit. En rade, mon livre tanguait à peine sous le coup des marées paresseuses. La coque tenait le coup, mais tout ce qui constituait la voilure était soit déchiré, soit abattu. Et ce perroquet, là- haut qui me narguait à me seriner le mot sur lequel j’avais buté.
J’étais donc sorti sous cette première pluie. Pas de bottes de sept lieux, juste les sabots de la fluorescence chinoise. J’avais placé plusieurs bassines, deux cuvettes, un seau, un peu partout autour de la maison, sous les fenêtres, au plus près des crémones, des gâches et des dormants.
Mais pour éviter de gaspiller les mots brusquement réveillés, il me fallait rester patient, ne pas les effrayer. J’espérais en récolter le nécessaire, le stocker à l’abri des brumes du doute, du gel pétrifiant du regard des autres.
C’était bien. Ca coulait à peu près comme j’imaginais que ça devait couler. Je me laissais aller à m’imbiber de la mouillure des mots, pas que des tristes, des mélancoliques, des cachés sous les pierres, des crabes étoilés zigzagant les plages d’écritures.
Tout ce liquide, enfin me remettait à flot.
Doucement, tendrement, en évitant surtout les mots claqués sur le toit,les précipitations.