Quand un texte manque de sel…

Dans notre village, à deux pas de Sauternes…, nous avons la chance d’avoir un boulanger qui cuit son pain au feu de bois dans un four bâti il y a plus de 100 ans.
Cet artisan, ignorant tout du marketing, façonne « avec amour du métier » un pain « authentique » dans le respect de « la plus pure tradition ».
Si bien que l’on vient de loin dans les collines pour acheter son pain.
Mais passé 11 h, inutile d’espérer trouver le moindre quignon sur les présentoirs, tout est déjà vendu.

Longtemps, vu la demande, je me suis demandé pourquoi il ne produisait pas davantage de pain.
 » Parce qu’il faudrait que je change de four, que je « m’industrializzzeeee »  m’a-t-il répondu avec un bel accent chantant, alors je ne serais plus boulanger, mais fabricant de pain ! Et des fabricants de soi-disant pain, ça ne manque pas ! »

Vous l’avez compris, cet homme produit un pain délectable, il croustille sous la dent, doré juste-ce-qu’il faut, et encore bon le lendemain.
Sauf que parfois, ce brave homme qui n’est plus tout jeune, oublie le sel quand il prépare sa pâte.
Cela s’est déjà produit deux fois ce mois-ci…

Pourquoi je vous raconte cette anecdote ?
Parce que parmi les textes que je reçois à lire beaucoup manquent de sel.
On attend d’une histoire qu’elle nous méduse, nous intrigue ou nous surprenne. Voire, nous sidère.
Ce n’est pas souvent le cas.

Trop de manuscrits, même bien écrits, nous désintéressent dès les premières pages.
Soit le sujet est rebattu, l’éternel trio mari-femme-amant, par exemple, soit l’inaction m’endort car il ne se passe rien de captivant pendant des pages, soit les dialogues sonnent faux et appauvrissent le texte. Soit l’auteur nous parle de son nombril…
Comme parfois le pain de notre boulanger, l’histoire manque de sel.

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8 réponses

  1. Jean-Philippe dit :

    Génial Antonio ! J’ai beaucoup souri. Merci. 🙂

  2. Antonio dit :

    J’ai réuni tous mes mots autour d’une table comme un coach son équipe avant le match de sa vie. Je les ai tous regardé, un après l’autre (rassurez-vous nous sommes une petite équipe), et j’ai cherché dans leur regard au plus profond d’eux, le sens que chacun pouvait donner à cette belle histoire que l’on écrivait depuis le début.

    Je n’ai rie dit. J’ai juste posé le sel sur la table. J’ai lu (et relu) dans leurs regards qu’ils m’avaient compris. Ils sont rentrés sur ma page remontés comme jamais. Il fallait les voir comment ils se sont placés, et livrés à eux même pour sublimer leur sujet. Quel match, quel panache, quel style, quel plaisir à les voir jouer !

    Et puis je me suis réveillé avec comme un goût salé dans la bouche. Et bé ! … Ca me travaille tes articles Pascal !

  3. George Kassabgi dit :

    Ai-je bien lu, Pascal ? Ni troubadour ni colibri en provenance du village ou’ le pain est si bon ? Et comment donc allons-nous faire ? Les auteurs les plus connus nous disent depuis longtemps qu’ils nous faut lire et relire les bons textes, et ne jamais désespérer.

    Le cher hibou que je rencontrais dans la forêt au terme de ma promenade semblait me dire autre chose. De lui j’ai appris que si il importe d’apprendre à voler, il est tout aussi enrichissant de comprendre qu’il faut savoir quand et comment s’arrêter.

    George Kassabgi

  4. Peggy dit :

    Oh Pascal si seulement vous aviez une réponse à la dernière question de George ……

  5. Pascal Perrat dit :

    Non, hélas !

  6. George Kassabgi dit :

    J’aime bien cette histoire de bon pain, de sel qui manque, de parallèle entre boulanger et écrivain, ainsi que ce que Peggy et Gillles ont écrit.

    Et comme souvent cela est le cas, la lecture du jeu d’écriture m’invite à ajouter quelques graines…

    Le bon boulanger du village à deux pas de Sauternes oublie d’ajouter du sel à son pain deux fois par mois. Et comment est-ce que les textes reçus se mesurent-ils à ce résultat ? Sont-ils eux aussi « sans sel ni poivre » deux fois sur vingt ? ou est-ce mieux que cela ? ou pire ? Le brave boulanger qui oublie le sel parce qu’il vieillit n’est-il pas comme un bon écrivain qui… vieillit ? L’histoire qui manque du sel n’est-elle pas plutôt semblable au pain préparé par un boulanger n’aimant pas vraiment son métier mais qui croit devoir le faire pour une raison ou pour une autre ?

    Pour éviter le pain sans sel, les habitants du village à deux pas de Sauternes pourraient exprimer leur gratitude au brave boulanger en engageant, par exemple, un troubadour qui se présenterai chaque matin devant le four avec une belle mélodie qui parle du… sel. Ou, encore mieux, en adoptant un colibri et le rendant capable de voler vers le brave boulanger au lever de chaque jour avec dans son bac un petit sac plein de sel…

    Et pour augmenter la probabilité que les textes aient la juste dose de pépites littéraires ? Voilà la question qui a probablement tourmenté pendant longtemps l’auteur qui consacra des heures chaque jour pour mettre au point son manuscrit. Aurait-il pu réaliser un meilleur texte si l’équivalence du troubadour chantant, ou du colibri porteur d’inspirations, pour auteur existait ?

    George Kassabgi

  7. Peggy dit :

    Moi aussi j’ai reçu ce mail avec Sarkommence, j’ai souri de l’idée, mais je l’ai effacé.

    Tout à fait d’accord, Gilles pour le piment mais sans en éliminer le sel. Chacun y a sa place.

    Cher Pascal le plus beau compliment que vous pourriez me faire un jour serait de m’écrire « Peggy votre texte était bien assaisonné, il n’y manquait ni sel ni poivre ».

    Je souhaite que votre boulanger vive le plus longtemps possible, vous êtes au moins sûr qu’il n’y a pas d’aluminium dans son pain !! mais je pense que cela n’est pas le propos.

    Excellente journée à tous

    Peggy

  8. gilles dit :

    J’ai une explication au manque de sel : la médecine qui envahit tout et ressasse jusqu’à plus soif que nous mangeons trop de sel encrassant nos artères est peut-être responsable. Notre époque n’aime plus le sel, et le cache dans la junk food pour mieux le stigmatiser dans la belle ouvrage culinaire.
    Et cela ne va pas s’arranger avec le vieillissement de la population… Nos gourmets vont finir leur vie sans sel. Quel horizon !
    Pour cela, je propose de remplacer le sel par le piment. Les Africains et les Asiatiques en usent et abusent, et s’en portent mieux que nos pauvres tuyauteries encrassées par le sel.
    Une question quand même : comment ce boulanger exquis maître des croûtes peut-il oublier le sel ? Que fait-il dans son antre au moment où il doit saler sa pâte ? Enquête à mener et sanctions à prendre ? Tranchez, monsieur le procureur !

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