Exercice indédit d’écriture créative 79

Depuis qu’il habitait place de la Comédie
son caractère changeait petit à petit.

Ses amis s’en étonnaient…

Imaginez une suite

10 réponses

  1. Clémence dit :

    Depuis qu’il habitait place de la Comédie son caractère changeait petit à petit. Ses amis s’en étonnaient…

    Gamin, il était adorable, une tête de gavroche, des yeux rieurs et un bagou à damner un avocat. En maternelle, il était le « chouchou » de tous. Pas un seul loustic pour lui mener la vie dure.

    Un bon caractère, une bonne bouille mais aussi et surtout, une jolie voix claire et joyeuse. Une véritable coqueluche qui s’attaquait à tous les répertoires : chansons enfantines, comptines, chanson française ou populaire et rap : un pot pourri pour le bonheur de tous.
    Ni bémol, ni bécarre, il imitait , il excellait dans les imitations, passant des graves aux aigus, des voix masculines aux voix féminines.

    Adorable était le qualificatif qui lui convenait le mieux et les années passant n’y changeaient rien. Le gamin avait une dizaine d’années lorsque la famille quitta les terres sauvages des Cévennes pour s’installer dans un charmant village au nord de Montpellier : Saint Martin de Londres.
    Il poursuivit ses études avec succès à Montpellier. Collège, lycée et …là, ça coinçait. Ses parents le voyait ténor du barreau, lui se voyait ténor.

    A ses heures perdues, il flânait sur la place de la Comédie avec sa bande d’amis et amies. Seul, il aimait s’asseoir sur une marche de la Fontaine des Trois Grâces, face à l’Opéra Comédie. Il vouait une admiration secrète aux muses du Chant, de la Poésie, de la Tragédie et de la Comédie, logeant dans le fronton au-dessus des trois baies vitrées.
    Il rêvait en voyant les affiches des opéras.
    Il souriait en pensant à cette chanson d’Aznavour : « Je m’ voyais déjà… »

    Il trouva des « petits boulots » pour se payer des cours de chant lyrique et une chambre de bonne, Place de la Comédie. Il avait de la chance, le bonhomme : il se trouvait toujours au bon moment, au bon endroit, avec les bonnes personnes. Et cela n’était pas un « cliché » éculé. Ainsi était sa vie.

    Il se sentit prêt. Il osa. Il commença à « faire le spectacle » dans les plus petites salles. Avec une même assiduité, il fréquentait les salles prestigieuses de l’Opéra Comédie et du Corum. Rien n’altérait sa joie de vivre. Celle-ci connut même un pic lorsqu’il fut engagé à pied levé pour remplacer un artiste qui souffrait d’une extinction de voix. Oh, un tout petit rôle, mais tout de même, un rôle.

    Il fut appelé pour un autre second rôle. Pour l’occasion, son nom figura en petits caractère,s en bas de l’affiche. Il éprouva de la fierté. Ses parents aussi.

    La chance – ou le destin – était au rendez-vous. Il ne le savait pas encore, mais le chef d’orchestre fut ébloui.

    Le jeune ténor se fit « un nom » mais resta fidèle à son caractère.
    Seuls, sur l’affiche, les caractères grandissaient, jusqu’à atteindre les ultimes arpèges.

    Aujourd’hui, il s’en étonne encore.
    Aujourd’hui, ses amis s’en émerveillent.

  2. marie-anne dit :

    Les textes sont sélectionnés ? voire supprimés s’ils ne correspondent pas à certains critères ???

  3. Soize dit :

    Depuis qu’il habitait place de la Comédie
    son caractère changeait petit à petit.
    Ses amis s’en étonnaient…
    Bouffon bouffi il devenait,
    enflé de farce, de piètre ris,
    Il n’était plus que comédie.
    Chaque soir il buvait les trois coups
    et massacrait, tout à fait soûl,
    les tirades des grands classiques.
    Tout ça devenait dramatique…
    Il prenait Racine pour Molière,
    Baillait au Corneille après quelques vers.
    Lassée par ses supercheries,
    Le quitta sa super chérie.
    « Tu n’es qu’un piteux veau de ville ! »
    Déclara-t-elle à l’imbécile.
    Elle le prenait pour une quiche,
    Il s’intéressa à Labiche.
    Passant à l’acte, mais un peu tard,
    Il déménagea près du boulevard…

    © SoizeD

  4. gepy dit :

    Depuis qu’il habitait place de la Comédie
    son caractère changeait petit à petit.
    Ses amis s’en étonnaient…
    Il devenait fantaisiste, ses idées étaient plus en plus originales.
    Il recevait ses amis régulièrement déguisé en divers personnages et improvisait une soirée à thème qui,
    il faut bien le reconnaître, amusait tout le monde. Il était à fond dans ses rôles, c’était très drôle.
    Par exemple, quand il s’était habillé en Lucky-Luke, il est vrai que le repas accompagné de limonade n’avait pas « transcendé » la majorité des convives, que la présence des revolvers avait un peu décontenancé mais tout le monde avait bien ri.
    (C’était tout de même mieux que la fois où il était déguisé en frère Dalton. Il avait vidé tous les sacs à main des femmes présentes, en prenant à témoin un vieux chien puant et grincheux. Le repas avait été fort simple : morceau de pain rassis et eau tiède. Mémorable !)
    En fait, la situation a commencé à devenir embarrassante lorsqu’il est arrivé au parking du bureau dans la même tenue qu’il portait la veille au soir. Quand Lucky-Luke est arrivé, par un beau matin, assis sur son beau cheval blanc, avec son colt et son grand chapeau en chantant « I’m a poor lonesome cow-boy », la consternation était à son comble.
    Personne n’osait l’aborder. Il est entré dans son bureau comme si de rien n’était, son portable sous le bras comme d’habitude. Il a pris son café comme d’habitude et a rencontré ses clients japonais comme d‘hab… Difficile à traduire … Bref, à la fin de cette rencontre, il avait négocié un contrat explosif dépassant tous les espoirs fondés.
    Les japonais étaient satisfaits, la société était fière de l’aboutissement du contrat.
    Les jours se suivaient et la même réussite se renouvelait. Ce qui variait, c’étaient les costumes et les
    accessoires. Ses collègues avaient ainsi travaillé avec Tarzan et son singe, Zorro et son cheval, d‘Artagnan et sa grande épée, sans parler de Spiderman, du capitaine Jack Sparrow le pirate …
    Si bien que tous les salariés de la société avaient décidé de l‘imiter et de se déguiser eux aussi.
    Conséquence : les clients affluaient de partout, de plus en plus nombreux. La société était devenue une curiosité internationale.
    Les costumes défilaient et le chiffre d’affaire explosait.
    Un seul bémol à cette belle histoire : les contrats rentables n’aboutissaient que grâce à l’homme qui habitait place de la Comédie. Ses collègues-amis n’arrivaient jamais à conclure de véritables marchés et les rencontres avec leur client tournaient à la dérision.
    Si bien que la jalousie fit place à la bonne humeur.
    Et par un autre beau matin, ses collègues-amis, habillés en G.I. américains, la mitraillette sous le bras, sautèrent de leur jeep et décidèrent d’exterminer le héros de la société, c’est-à-dire, pour ce jour funeste, le pauvre soldat Ryan, parachuté seul sur le parking. Ryan comprit tout de suite qu’il était tombé dans un guet-apens. Le combat allait être féroce car le soldat Ryan n’allait pas se laisser tuer sans résistance…
    Les rafales de balles partaient dans tous les sens. Ryan plongea à terre, se planqua derrière la poubelle de tri sélectif, rampa le long du trottoir, se releva pour se cacher derrière le seul arbre du parking et envisagea de courir pour disparaitre dans la haie de fusains qui entourée le bâtiment mais… il ressentit un coup violent derrière la tête et s’effondra.
    Il était couché au sol dans son pyjama Marsupilami, la bosse qu’il s’était fait en se cognant à l’angle de sa table de chevet le faisait souffrir. Il avait aussi mal à un genou et s’était cassé un orteil sur le bord du lit.
    Il se promit que, désormais, il ne prendrait jamais plus de cuite avec les copains.
    A chaque fois, c’était la même comédie, ou le même cinéma (au choix), il en avait pour des semaines à s’en remettre !

    Bon rétablissement, on attendra le temps qu’il faudra pour vos commentaires,
    aucun souci, prenez votre temps.

    Gepy

  5. Virginie Durant dit :

    Depuis qu’il habitait place de la Comédie son caractère changeait petit à petit. Ses amis s’en étonnaient. Lui qui auparavant était de complexion triste, chantonnait au primeur sa liste de fruits et légumes ; des vocalises invincibles capables de dissuader tout voleur d’orange du marchand ! Une vivacité joyeuse animait désormais ses faits et gestes. Fini la place du Calvaire. L’artiste, délesté de ses instruments de supplice, entrait en scène. Ses pas s’enracinaient dans une poétique originale, colorée de calembours. Chacun de ses mouvements se débarrassaient des empreintes du cilice qui, durant toute ses trente-trois dernières années, avait tant anémié son inventivité, affectait sa syntaxe et ses envols métaphoriques. A ses amis, il justifiait cette mortification en se définissant différent. Dans son vocabulaire, « différent » avait alors une valeur de superlatif. Ses amis se souviennent. Il était un homme blême, s’exprimant d’une voix profonde et gutturale qui rappelait le grondement du tonnerre avant l’orage. Son regard sombre et perçant semblait tout brûler sur son passage. Sa démarche effrayait ceux qui le croisait : il était comme un taureau furieux dans l’arène.
    Et aujourd’hui, il avait envie de rêver, de courtiser, de déclamer des tirades ; il brûlait de fouler les planches de sa nouvelle adresse. Ses amis s’en étonnaient. Place de la Comédie, il exigeait qu’on le nomme Mr. Jourdain. Il se lança dans l’apprentissage de la danse, de la musique et de la philosophie. Il avait pris l’habitude de s’exprimer dans un langage précieux. Au terme chaise, il préférait employer la périphrase « commodités de la conversation », ce qui ne déplaisait pas à ses amis. Ils se réjouissaient de son abandon du latin, langue qu’il maîtrisait toutefois avec une fluidité papale. Des quiproquos greffés de rebondissements alimentaient ses relations. Ses amis s’en amusaient tels des spectateurs comblés par le jeu des acteurs.
    Quatre mois durant, il mena une vie sous le feu des projecteurs. Le rideau tomba. Il choisit inopinément d’emménager place Napoléon. Ses amis craignaient une Bérézina !

    Mes amitiés,
    prompt rétablissement Pascal !

    Virginie Durant

  6. marie-anne dit :

    Depuis qu’il habitait place de la Comédie son caractère changeait petit à petit.
    Ses amis s’en étonnaient chaque jour un peu plus. L’éclat de son visage, disparaissait étrangement, pour ne faire apparaître qu’un air ténébreux tel le soleil caché par des nuages noirs et persistants.
    Sa jovialité et son élan habituel envolés balayés seule une inertie, une tristesse palpable l’habitaient. Il n’était plus lui.

    Depuis des mois il vivait dans le souvenir de cette femme, un amour foudroyant, aveuglant, destructeur. La passion.

    Il avait maigri semblait fragile, lui pourtant si fort si battant. Son esprit entier était empreint du visage et de la pensée de cette femme. Chaque jour il s’enfonçait un peu plus dans le noir de la douleur, ne parvenant pas à se détacher. Rien n’y faisait , ni ne l’apaisait, ni la présence et le réconfort de son entourage, ni l’intérêt de ses créations lui peintre talentueux. Seul se souvenir encore et encore, et de se remémorer, et de revivre les instants vécus ne comptait et le nourrissait. Ne penser qu’à elle, s’isolant comme pour mieux la voir mieux se souvenir du parfum humé, de la peau touchée et caressée, de la voix qui murmurait des mots enchanteurs. Sans cesse les mots, les messages, les promesses illusoires… l’envahissaient, le rongeaient. Le souvenir et l’attente l’épuisaient. Et la douleur de le ravager. Il se laissait détruire.

  7. PPierre dit :

    Depuis qu’il habitait place de la Comédie, son caractère changeait petit à petit. Ses amis s’en étonnaient. Moins d’un an après son installation en centre-ville de Montpellier, il adopta un chaton. Lui qui avait toujours détesté les animaux caressait Scaramouche à chaque occasion. Ses camarades de fac l’avaient surnommé l’homme en noir. Jeans, chemises, pulls, chaussures : rien qui ne fût sombre, des fois qu’on le remarque. La palette des couleurs de sa garde-robe variait alors du bleu marine au gris souris, avec quelques touches de marron. Et voilà que, dans son appartement de la place de la Comédie, séchaient des chemises bigarrées. Il avait même acheté des chaussures blanches vernies, éclatantes sous le soleil occitan. Il fréquenta des bars interlopes, emplis de matamores et de vieillards qui s’offraient pour quelques euros les faveurs de jeunes filles indifférentes. Fourbe la nuit, il composait le jour des poèmes qu’il adressait à sa jeune collègue de bureau, Colombine. Ses nouvelles connaissances, dont ce Jean-Claude Mascarille qui ne le quittait plus, l’appelaient Pierrot, alors qu’il avait toujours refusé ce diminutif.
    Au bout de quelques mois, il parut se lasser de Montpellier, où il avait grandi. Il parlait de se rapprocher de Paris. Une opportunité professionnelle qui ne se représenterait pas. Lorsqu’il parla d’habiter dans la maison de sa tante, à Fontainebleau, ses amis prirent peur. Elle se situait route de l’Assassinat.

  8. Fred Nache dit :

    UN HOMME PRESSE

    Depuis qu’il habitait place de la Comédie, le caractère d’Albert changeait petit à petit. Son passé lui revenait en vagues. Enfant pauvre, il passait devant la place avant d’aboutir au lycée, puis étudiant toujours aussi démuni, il la traversait pour aller à la faculté de médecine si prestigieuse qu’elle avait vu Rabelais y donner des cours sur Hippocrate et Galien. Michel de Notre Dame dit Nostradamus et plus près de lui Théophraste Renaudot y avaient usé leurs fonds de culotte ainsi que ces Laos aussi indigents que lui. Ils étaient comme lui avides de savoir et de réussite et ils avaient réussi : Son ami, le Dr. Vannareth Rajhpo n’était il pas devenu ministre de la santé avant de succomber à son cancer et l’inséparable Dr. Nhenara Chounlamany n’avait il pas été recteur de l’université du Laos. Et lui, n’était il pas devenu un chirurgien partout respecté.

    Maintenant, il avait pris sa revanche sur l’adversité : il avait appartement côté sud de la place la plus prestigieuse de Montpellier où le coût du mètre carré dépassait celui du 16ème à Paris. Toujours pressé, au pas de course, il vaquait à ses occupations où les autres occupaient la place de pions destinés à le servir dans la partie d’échecs qu’il jouait toujours contre la vie. Mais son caractère était devenu aigre et triste. Il vivait toujours seul et supportait mal la compagnie des humains ainsi que leurs plaintes continuelles. Lorsqu’il opérait, seulement alors il trouvait enfin la paix dans l’action où tous ses gestes étaient calculés, non pas au centimètre mais au millimètre près. Il savait que le respect qu’on lui accordait alors était dû non à son titre mais à la précision immanquable de ses gestes. Une vie en dépendait. C’est pourquoi les heures de travail s’accumulaient et c’est tout juste s’il trouvait le temps de dormir. Mais il avait mérité et gagné tout ce qu’il avait et on lui devait partout le respect, il était devenu enfin riche et puissant.

    La douleur au rein droit se fit soudain sentir à nouveau pressante.
    « Je n’ai d’opérations que cette après midi. Je vais aller voir mon médecin personnel. »
    Celui-ci lui fit une prise de sang et lui dit de revenir dans deux jours. Lorsqu’il revint, il lui dit clairement que l’analyse du PSA (antigène spécifique de la prostate) montrait que des cellules cancéreuses étaient produites et qu’il fallait rapidement une biopsie. Il avait pris rendez vous pour l’après midi. Joseph s’y rendit et apprit que le cancer du rein était bénin mais que celui du pancréas ne l’était pas. Il avait encore six mois à vivre.
    « Merci Docteur de votre précision. Je préfère savoir que de vivre d’illusions. »

    A peine sorti, il déambula sans but et s’aperçut soudain qu’il était à nouveau place de la Comédie près de la fontaine qu’il avait eu le temps d’admirer quand il était jeune.
    « Que de temps passé et me voici à la fin de ma vie aussi pauvre et démuni devant l’adversité qu’avant. Je n’ai vu du monde que ce qu’il pouvait me permettre de gagner. Je n’ai plus grand temps à vivre et à peine celui d’ouvrir les yeux sur la vie des autres. Si je ne le fais pas maintenant, je mourrai en n’ayant connu que le travail et mes besoins. »
    Il se leva, partit vers l’hôpital avec ses certificats médicaux et les résultats des analyses, vit le directeur pour lui faire part de sa décision : il démissionnait à effet immédiat.
    « Mais il faut vous soigner quand même, qu’allez vous faire ? »
    « Je vais essayer de vivre un peu, voyager et tant pis pour le traitement : je préfère vivre pleinement le peu de jours qui me restent à vivre que de vivre deux fois plus longtemps entre des chimiothérapies et des opérations qui de toutes façons ne me guériront pas. »

    • Pascal Perrat dit :

      Voilà un texte qui n’est pas fait pour me donner le moral, moi qui entre en clinique cet après-midi pour être opéré demain…
      Mais l’histoire de ce pauvre homme est bien écrite. Un peu longue peut-être. Plus longue que sa vie dont la fin approche.
      Sauf un miracle.
      Je vous rassure, en ce qui me concerne, ce n’est pas encore le cas.

  9. Christine dit :

    Chacun l’avait remarqué mais personne n’en parlait. Et surtout pas à l’intéressé. Parce qu’au fond, ça ne gênait personne. C’était plutôt comme de petites sautes d’humeur, des grains de folie pas furieuse. Elsa disait que ça lui donnait un air « so romantic ! », Nicolas trouvait ça « chelou » mais Julie refusait de chercher à comprendre. Jusqu’au jour où il leur annonça qu’il en avait assez de cette vie, de la sienne en tout cas ! Julie pensa qu’il faisait une crise, qu’elle serait passagère et qu’il fallait juste le laisser tranquille. Nicolas protesta, criant que ça suffisait, qu’il en avait assez, que c’était insupportable, et patati et patata. Elsa se mit à pleurer. Puis la vie reprit son cours, apparemment normal. Chacun passait le voir, mine de rien, pour dire bonjour ou bonsoir, comment ça va aujourd’hui ? Question rituelle à laquelle il répondait par un sourire un peu niais, le regard ailleurs. Peu à peu, le doute en eux s’installa : il foutait le camp du cerveau !
    Ils se consultèrent mais rien n’émergea de cette conspiration. Sauf un mot barbare qu’aucun n’osait prononcer, un truc qui finissait par « zheimer ». Elsa pleura, une fois de plus. Les deux autres se taisaient, cherchant en vain à nier l’évidence : leur ami perdait la boule ! D’ici peu, il serait totalement sénile. A son âge… relégué au rang de vieux croûton ! Ça les faisait frémir… Qu’est-ce qu’on allait faire de lui ? Bientôt, il ne les reconnaîtrait même plus, il se barrerait de chez lui à tout bout de champ, en pyjama ou pire : totalement à poil ! Et si c’était contagieux ?! Il fallait empêcher ce scandale, se protéger… l’interner ! Nicolas avait lancé ça comme un cri et les filles s’affalèrent sur le canapé qu’elles inondèrent de leurs larmes.
    Lorsqu’enfin ils émergèrent de leur torpeur, la décision fut prise : ils devaient agir vite ! Appeler les pompiers, la maréchaussée, et le faire enfermer sans délai ! En chœur, ils se rendirent une dernière fois, la mine défaite, auprès de celui qui désormais leur était devenu étranger. Avec un espoir fou, tout de même : qu’il ait retrouvé toute sa lucidité, que tout ça n’ait été qu’une blague – certes de mauvais goût mais dont on ne lui tiendrait pas rigueur, promis juré ! Elsa osa même un sourire. Ils sonnèrent à sa porte, une fois, deux fois, puis trois, puis quatre, tambourinant chacun à son tour. Jusqu’à ce qu’ils réalisent qu’elle n’était pas fermée à clé. Encore un signe ! pensa Nicolas, dépité.
    L’intérieur était silencieux, bien rangé, mais désert. Ils allèrent dans toutes les pièces et ne le trouvèrent pas. Elsa fut priée de ranger ses larmes, Julie haussa les épaules d’un air las et Nicolas ouvrit à nouveau bruyamment les placards. Ce n’est qu’au moment de partir qu’ils aperçurent, posée sur le secrétaire, l’enveloppe où il avait écrit « À mes amis ». C’est flippant, rugit Nicolas qui n’en menait pas plus large que les deux autres. Il pensa instantanément : « testament » (les filles aussi, apparemment) avant d‘oser l’ouvrir.
    « Voilà ! C’est décidé ! J’y ai mis le temps mais je dois me rendre à l’évidence… Ne m’en veuillez pas, et toi Elsa, pour une fois, tâche de ne pas pleurer. J’ai tout essayé mais il n’y a rien à faire. Même les médecins sont impuissants ! Alors, autant l’accepter ! Je sais que ça n’a pas été facile pour vous ces temps-ci, je l’ai bien vu. Mais si je n’ai rien dit, c’est parce que vous n’auriez pas compris. Et sûrement tout tenté pour m’en dissuader, ce qui n’aurait fait que retarder l’échéance ! N’ayez aucun regret, vous avez été super. Mais c’est mon choix. Je ne vous oublierai pas. Je vous embrasse. JB
    Ps : Inutile de faire suivre le courrier : la troupe de théâtre que je vais rejoindre passe son temps sur les routes, sans adresse fixe plus de deux jours d’affilée… »

    Bon week-end de Pentecôte à tous et belles inspirations !

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