Exercice inédit d’écriture créative 92

Le diagnostic du lexicologue était formel, il avait le verbe solitaire.

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11 réponses

  1. Clémence dit :

    Le diagnostic du lexicologue était formel, il avait le verbe solitaire.

    Les patients étaient nombreux ce matin, dans la salle d’attente du médecin du village. Parmi eux, un patient étranger, étrange même. Silhouette androgyne vêtue de blanc. Mais à y bien regarder, ce patient était une patiente. Elle semblait être sculptée dans du marbre de Carrare tant elle était figée.

    Treize heures. Le docteur avala un café bien serré, se lava les mains et accueillit son dernier patient. La dame blanche. Il la fit entrer dans son cabinet. Le temps qu’il se dirige vers son bureau, elle s’affala sur la chaise, en digne montre de Dali….

    – Madame, euh….
    – Madame Blanche Detourtour…
    – Madame Detourtour, je vous écoute, dites-moi…
    – Oh, docteur, c’est épouvantable ce qui m’arrive. Personne ne veut me croire et j’ai peur de devenir f…
    – Pouvez-vous m’en dire plus ?
    – Je me sens mal, du matin au soir, et cela ne cesse guère la nuit.Le matin, je prends à peine ma première gorgée de café que déjà…
    – Que ressentez-vous précisément ?
    – J’ai l’impression d’être enfermée dans une carapace, vous savez, une carapace comme les chevaliers du temps de ……
    – Avez-vous des soucis personnels ?
    – Euh….Non, mais j’ai aussi l’impression que plein de mots bouillonnent en moi. Je suis comme une casserole à pression. Comme celle que possédait une vieille…
    – C’est étrange, comme symptômes. Depuis combien de temps soufrez-vous de la sorte ?
    – Depuis que …attendez ? Depuis toujours, mais il me semble que la situation s’est particulièrement aggravée cette année. Mais je ne sais pas au juste quand cela a commencé quand j’étais…
    – Ne nous affolons pas, je vais vous prescrire quelques examens, dont une radioscopie et une IRM.
    – Grand dieu ! Tout de suite le cortège des spécialistes qui vous envoient toujours chez un autre…

    L’imprimante cracha deux feuillets. La consultation touchait à sa fin.
    Le docteur soupira. Enfin, il allait rentrer chez lui et déjeuner. Son épouse le trouva particulièrement songeur. Il dit simplement que le cas de sa dernière patiente l’intriguait un peu.

    Blanche Detourtour passa son premier examen. Le radiologue lui déclara avec certitude que son corps était en parfait état de fonctionnement.
    Elle passa son second examen. Le spécialiste en IRM détecta une minuscule zone très active, trop active, même. Il allongea considérablement le temps de l’auscultation et de l’entretien.
    – Allongez-vous…
    – Tournez la tête à gauche,
    – Pliez la jambe droite, étirez le bras gauche…

    Le spécialiste détecta d’infimes contractions à chaque nouvelle position. Il posa encore quelques questions anodines. Finalement, il rassura sa patiente sur son état de santé global, mais lui conseilla de se rendre chez un lexicologue.
    – Grand dieu, s’exclama Madame Detourtour ! Un lexicologue ? Est-ce grave, docteur ? Je suis convaincue que vous me cachez une grave maladie. Je vais prendre rendez-vous en toute urgence chez mon no……
    – Arrêtez, madame, je vous prie. Vous n’avez rien de grave, que du contraire…

    Blanche Detourtour fit bonne figure et se rendit chez le lexicologue. Elle lui expliqua son mal dans une prose qui n’en finissait pas…
    – Mots en cascade – Phrases denses à l’infini – Ponctuation non.
    – Docteur, je ne vous consulte pas pour que vous me parliez par énigmes, mais j’ai besoin …
    – Silence et sagesse – Méditation source pure – Air vent orage et tourments…
    – Mais docteur, comme vos confrères, vous ne me prenez pas au sérieux, vous vouez me faire comprendre que je suis f…mais je suis certaine que non, je souffre d’un mal que vous ne pouvez pas identifier et cela vous embête tous, autant que vous êtes, vous et tous les bardés de diplômes…
    – Calmez-vous !

    Blanche resta bouche bée, des larmes coulèrent sur ses joues et ses lèvres articulaient des sons silencieux….
    – Je vois, je vois, dit le lexicologue en lui tapotant les joues !
    Je puis identifier votre mal avec certitude. Depuis votre plus tendre enfance, vous avez été traumatisée par la kyrielle des : « Dors – Mange – Tais-toi – Dis bonjour, au revoir, merci- Obéis -Lève-toi – Étudie – Réussit – Travaille ». Cette litanie n’a eu de cesse lorsque vous avez eu vos propre enfants. Et lorsque vous avez rejoint le monde du travail, vous étiez assise entre deux chaises : donner des ordres et en recevoir….Le summum arriva à l’âge de la retraite. Le dernier ordre qui vous a été donné se résume en deux mots : « Repose-toi » . Cela vous angoisse terriblement, n’est-ce pas ?
    – Ouiiiiiiiiii, soupira la dame en blanc… mais comment guérir ?

    – Faites comme moi, madame. J’ai souffert du même mal et j’en suis guéri. Cette maladie bénigne mais handicapante a pour nom : « le v…. »
    – Pouvez-vous m’en dire plus ? La guérison est-elle totale, rapide ? 
    – Rejoignez-moi à l’Univers « EntredeuxMores », ce mercredi à ….
    – Oh, vous savez, les sectes, je m’en méfie ! Avec tout ce que l’on entend dire et même si….
    – Haïku air pur – envol de papillons bleus – verbe solitaire.

  2. Françoise -Gare du Nord dit :

    Le diagnostic du lexicologue était formel, il avait le verbe solitaire. Il était allé consulter ce spécialiste sur les conseils de son éditeur qui, trouvant son style emphatique voire pompeux, le harcelait afin qu’il l’allège. Lui, admirateur inconditionnel de Proust, Proust qui lui avait donné l’envie d’écrire et à qui il rêvait de ressembler, y avait consenti à contrecœur.
    Transfigurée par six mois de thérapie, sa prose s’était considérablement aérée et sa syntaxe délestée de multiples parasites. Plus d’articles au rabais, d’adverbes lourds et encombrants, de noms tellement communs, de noms à la propreté douteuse, d’adjectifs le plus souvent sans qualités, d’interjections bruyantes, de conjonctions discordantes ou insubordonnées, de signes de ponctuation trop intrusifs…
    Hélas, son style était devenu trop pauvre. Les critiques littéraires l’éreintèrent ; dans la foulée, le public le bouda ; et, pour finir, son éditeur rompit le contrat qui les liait. Les portes du monde de l’édition lui furent définitivement fermées. Il songea un temps à écrire des scenarii pour la télévision mais même le service Fictions de TF1 l’éconduit.
    Il trouva, comme seule voie de salut, de devenir dialoguiste de films classés X.

  3. Hazem dit :

    Je fais un peu glauque ce soir, je viens de regarder shame, de quoi se mettre dans le bain d’un texte sombre.
    ——
    Le diagnostic du lexicologue était formel, il avait le verbe solitaire. À trop en faire, il s’enferma dans un monologue sans auxiliaire. Il lui dit de prendre soin de lui, de flâner et guetter la compagnie des mots immangeables. Ceux-là mêmes amoindriront le mal inguérissable. Il riait de lui, dans son for intérieur. Là où seul Dieu entend, là où l’on cache la noirceur. L’autre n’ajouta rien et sortit sans un mot de plus. À quoi bon de toute façon, il finirait mangé dans la cohue de l’opus. Se taire une fois de plus, honorer le verbe dont les lettres sont dorées. Une bactérie pyrogène, l’homme au stéthoscope croyait lire les pensées. Déceler en ses patients la raison de sa piété, de sa pitié. « Quels sots! » pensaient-ils, des bougres à moitié malades, à moitié imaginant. L’autre marché au pas, l’écho dans la ruelle, son reflet sur la vitrine. Il aurait fallu qu’il pleuve, elle lui aurait ôté sa solitude. Il tourna la tête, vis sa rétine frémissante de larmes, de vie une tétine. La blouse se servit un verre. Un de ceux ouvragés, des torsades et piqués dans un cristal teint. Le bourbon trentenaire orangeâtre ondulait, il huma la liqueur, s’aperçut dans le reflet. Instinctivement il se vit révulsé par ses yeux vides et ridés. Il n’en vit pas, alors il se reversa une larme.

    Hazem

  4. gepy dit :

    Le diagnostique du lexicologue était formel, il avait le verbe solitaire.

    Pour résoudre ce symptôme, il consulta un spécialiste du verbe : le bescherellien.
    «  malheureusement, si vous vous portiez bien dans le passé, le futur vous sera pénible. Vous garderez ce verbe solitaire. Désolé, je ne puis rien pour vous. Je puis, malgré tout, vous conseiller un autre technicien du soin verbal, le dictionnairologue. Présentez-vous de ma part, il saura peut-être vous aider ».
    Notre verbeux solitaire le salua et chemina tête baissée.

    Quelle pathétique conclusion ! Avoir écrit avec un tel acharnement pour aboutir à ce diagnostique lui froissait la plume.

    Le dictionnairologue l’examina : « vous pansez de nouveaux mots peut vous soulager sur quelques chapitres mais cela restera insuffisant. Votre verbe solitaire vous collera aux méninges tel le point à la fin de la phrase. Désolé, je ne puis vous guérir que sur une courte durée.»
    Au moment de quitter le cabinet, notre verbeux solitaire fut hélé par le bel agenda coloré du dictionnairologue : « J’ai entendu parler d’un marabout du verbiage. Peut-être pourriez-vous lui rendre visite, ceci en toute discrétion, bien entendu ».

    Dépourvu de solution, notre verbeux solitaire alla donc gratter son stylo à la feuille de ce marabout. Le style du marabout, enveloppé de cuir noir, était élégant, bien que vieillissant. Il semblait être porteur de nombreuses connaissances. Son discours était simple : « ouvre ton cœur à l’invention littéraire et laisse sortir les phrases de ton esprit. Surtout, fais-les lire autour de toi sans retenue. Si tu n’as pas de lecteurs, moi le répertoire, vais te fournir une liste d’interlocuteurs. Tu verras, petit à petit, la prise de poids des mots regonfler ton écriture.
    Ta température créative va augmenter. Tu te réchaufferas progressivement.
    Tu seras complètement guéri lorsque ton écrit sera publié et surtout lu par le plus grand nombre.
    Ne te décourage, travaille, sois patient ».

    C’est ainsi que notre verbeux solitaire se transforma bientôt en verbeux naturel.
    Il épousa le bel agenda et eurent pleins de petits rendez-vous.

    Le dictionnairologue, quant à lui, n’apprit jamais l’existence du style marabout. Il conclut, faussement, que le mariage était un bon traitement au verbe solitaire et présenta sa théorie au cours de diverses conférences sur les troubles de l’écrivain.

    Gepy

  5. Christine Macé dit :

    Mais point de remède à cette affection ! Du moins qui soit durable. Le patient rechuterait tôt ou tard, le mal était en lui, irrémédiablement. Il ne tarderait pas à contaminer l’intégralité du sujet, et même le complément d’objet, le direct et l’indirect ! L’homme de science avait beau s’arracher les trois poils qui lui restaient sur le caillou, c’était peine perdue, il devait en convenir. Et pour comble de malheur, le cas n’était pas isolé : invariablement, il en arrivait de partout, plus nombreux chaque jour. Les colloques et autres conciliabules où il phosphorait avec ses éminents confrères s’avéraient toujours décevants : pas la moindre once de génie pour éradiquer cette gangrène qui finirait par contaminer la planète. Seule solution : l’abandonner rapidos avant de la faire sauter, boum !
    Il boucla sa valise, chopa au passage quelques vieux bouquins usés d’avoir été tant lus et fila vers sa fusée garée en double file…

    Bon dimanche à tous les contaminés ! Christine

  6. Antonio dit :

    Oh, merci pour vos commentaires, Jean-Marc et Magnien !

    Il ne s’agit dans mes propos que de gestes médicaux très conventionnels. Tout l’intérêt de ce jeu étant de s’essayer à un style qui l’est moins (conventionnel).

    Encourageant ! 🙂

  7. George Kassabgi dit :

    Le diagnostic du lexicologue était formel, il avait le verbe solitaire.

    — Monsieur Le Lexicologue… pourquoi donc ce triste air ?
    — Le verbe représente l’action à condition de le mettre dans un cadre fait pour l’attrait, de lui assurer une collaboration faite pour l’essor. Dans ce que vous avez soumis à la rédaction, il y a une phrase, parmi tant d’autres, qui me fait penser à une des oeuvres de Magritte… “ceci n’est pas une pipe”… eh bien, une phrase avec un verbe solitaire n’est pas une phrase. Prenons pour exemple la phrase que vous mettez en conclusion de votre article : “Ceci est donc mon essai sur les visions du monde. Lire. Relire. Penser. En parler. Repenser. Relire. Valider. Refuser. Relire.”
    — Je voulais attirer l’attention des lecteurs.
    — Mais voyons… Magritte n’a pas seulement dit “ceci n’est pas une pipe” mais il a mis ces mots au bas d’une image qui est le cadre dans lequel le message devient vivant, qui assure la collaboration des passants – qui eux se transforment ainsi en admirateurs.
    — Mais cela me conduirait à écrire un essai pour chaque verbe.
    — À condition de ne pas remplir chaque essai avec vos verbes solitaires…

    Il s’en alla sans bien comprendre.

    Heureusement, une petite cabane au loin lui redonna espoir…

    George Kassabgi

  8. MAGNIEN dit :

    Excellent.

  9. Durand Jean Marc dit :

    Le commentaire était évidemment pour Antonio!

  10. Durand Jean Marc dit :

    Ca ne va pas plaire à tout le monde (mais quelle importance!) Moi,j’ai apprécié.
    Jean de Marque

  11. Antonio dit :

    Il avait commencé par lui mettre le doigt dans le lu, enfin je veux dire dans ce qu’il avait lu cette année, quoi.
    Néant, rien !
    Par contre l’écrit était toujours là. C’était plus fort que lui. Les mots le tiraillaient dans le bas du ventre depuis deux semaines maintenant. Il écrivait, il écrivait sans fin et avec un appétit gargantuesque qui laissait le lexicologue dans une défection toute proche
    Ce dernier lui avait suggéré un régime sans sel pour abaisser son taux de prose trop élevé. Mais rien n’y avait fait, le patient écrivait, écrivait, il avalait les phrases quatre à quatre, en quatrains remarquables d’ailleurs. Une semaine que les anti-prolixes ne faisaient aucun effet.
    Jusqu’au jour où le médecin décida d’effectuer une radio de sa fibre littéraire, une fibroscopie littéralement quoi, qui fit apparaitre clairement dans sa plume digestive le fameux intrus.

    Le diagnostic était clair, il avait bel et bien le verbe solitaire. Et croyez-en le lexicologue, ce verbe-là était des plus teigneux !

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