Exercice inédit d’écriture créative 55

Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser.
Je me demandais bien comment ?  

Avant d’inventer la suite examinez ce conseil :

Ne vous contentez pas de la première idée qui vous viendra immédiatement à l’esprit.
Obligez votre cerveau à en trouver une seconde.

15 réponses

  1. Clémence dit :

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser. Je me demandais bien comment ?  

    Après une première réussite en 1935, ils remirent l’affaire sur le tapis en 1948 . Je n’étais pas encore née !
    Ils l’emportèrent en 1953. La liesse déferla sur le pays ! J’avais 4 ans, je ne comprenais pas.
    Le monde devait faire sa connaissance en 1955, il la fit en 1958. J’avais 9 ans, j’allais apprendre.

    A midi et le soir, mes parents allumaient la TSF.
    J’aimais écouter « Au bonheur des Dames et sa Petite Musique de Nuit  -KV 525 » ; je partageais les aventures de la famille Duraton et je me taisais au moment des informations.

    Une d’entre elles se piqua de provoquer une polémique galopante, doublement ponctuée.
    – C’est original, c’est innovant, c’est audacieux s’exclamaient les uns, au bord de la pâmoison.
    – C’est incongru, cela ne représente rien, c’est disproportionné… mais quelle horreur s’écriaient les autres!

    A la maison, dans le quartier, au village, chacun tentait d’imposer sa vision.
    Les enthousiastes brandissaient les progrès, audaces, innovations en un feu d’artifices et d’ingéniosités
    Les iconoclastes ronchonnaient : « Ça va nous coûter la peau des fesses ! » ou « Ça ne tiendra pas deux jours »…

    Ils disaient qu’ils allaient la dresser. Moi, je me demandais bien comment !

    A l’école, on nous apprenait à réfléchir.
    A ranger, en deux colonnes bien sages, les avantages et les inconvénients.
    On nous parlait beaucoup des sciences dites naturelles.
    Nous étions des découvreurs, j’imaginais l’infiniment grand, l’infini petit.
    Nous étions des explorateurs, je rêvais de voyages au plus loin, au plus profond.

    Les adultes s’affrontaient toujours en deux clans, heureusement non violents !
    – Ils vont la dresser, ils vont y arriver…
    – On va voir ce qu’on va voir….

    Et, bien sûr, ce fut tout vu, en photos, en documentaires télévisés puis en grandeur nature.

    – Ils vont la dresser, qu’ils disaient !

    Par une belle journée de juillet, je fus éblouie. Au-dessus de ma tête, un cristal de fer géant se découpait sur un ciel bleu sans nuage.

    Haute de 102 mètres, une charpente en acier porte neuf sphères reliées entre elles. Elles sont revêtues d’aluminium.

    – Ils vont la dresser, qu’ils disaient….
    – Elle est brillante ! m’écriais-je !

    Ils ont réussi. Le monde entier est venu à Bruxelles à l’exposition Universelle de 1958.
    Les hommes ont aimé ce symbole et l’aiment jusqu’à aujourd’hui.

    L’Atomium incarne l’audace d’une époque qui a voulu confronter le destin de l’Humanité avec les découvertes scientifiques.

  2. laurence noyer dit :

    Ils avaient dit qu’ils voulaient me dresser
    Et pour cela trouver l’enseignement
    Je me demandais bien COMMENT ?
    J’ignorais tout de ces modalités

    Ils avaient dit qu’ils voulaient m’emmener
    Faire le tour du questionnement
    Je me demandais bien OU ?
    Me porterait l’exercice du jour

    Ils avaient dit qu’ils allaient préparer
    Une liste pour ne pas oublier
    Je me demandais bien POURQUOI ?
    Ces lettres : C.Q.Q.C.O.Q.P

    Ils avaient dit on va bien expliquer
    Je me demandais bien QUOI ?
    La méthode ? qu’est-ce que c’est ?
    Et que fait-on pour se rappeler

    Ils avaient dit qu’ils voulaient les compter
    Je me demandais bien COMBIEN ?
    De questions il me faudrait poser
    Sept, fut le chiffre avancé

    Ils avaient dit on va te dévoiler
    Ce qui définit les circonstances
    Je me demandais bien QUAND ?
    Attention, c’est maintenant

    Ils avaient dit qu’ils voulaient m’initier
    Au sigle C.Q.Q.C.O.Q.P
    J’ai demandé QUI ?
    C’EST CUCUL, C’EST OCCUPE.

  3. Sabine dit :

    « Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser. Je me demandais bien comment ? Pourtant, ils m’avaient ressortie. Mais ils ne savaient pas trop se servir de moi, il y avait longtemps que j’étais remisée. J’étais en plusieurs morceaux, il n’aurait pas fallu me monter à l’envers. J’étais un peu rouillée, il n’aurait pas fallu que ça coince. Et le panier qui m’accompagne. Où était-il, le panier ? Il est bien utile, pourtant.
    ‘Allez, bons à rien, pensai-je. Dépêchez-vous de me dresser, le chariot est prêt, lui. Le bourreau est arrivé. Voilà bien longtemps que je n’ai coupé une tête ! Une tête royale, de surcroît.’ J’étais pressée. »
    Extrait de « Mémoires d’une guillotine, 1793 ».
    ©Margine

  4. Soize (sur une idée du lobe gauche d'Olivier) dit :

    Le temps des cerises

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser.
    Je me demandais bien comment ?
    Plusieurs s’y étaient essayés. Des agressifs, des charmeurs, des conquérants, des cérébraux.
    On m’a même sondée ! Même pas mal.
    Ni la peur, ni l’exaltation, ni la souffrance, ni la force de leurs convictions ne m’avaient ébranlée. Je restai sur mes bases. « Droit dans ses bottes », aurait dit l’autre, le grand pelé.
    J’en avais vu d’autres. Des conflits et des cessez-le-feu, des cataclysmes, des outrages, des guerres civiles, des soulèvements, des effondrements… Toute cette agitation, de tous temps, c’était moi. Moi qui ai toujours fait la pluie et le beau temps, le brusque soubresaut des Printemps, la secousse systémique qui soudain bat les cartes du monde.
    Je me suis emparé d’Internet et de tous les moyens modernes qu’ils ont mis à ma disposition pour, encore, me mater, et une fois de plus c’est moi qui ai choisi, toujours à contrepied.
    Toujours en avance sur leur temps, jamais là où on ne m’attend.
    Et puis cette femme est arrivée. Dépressive, bestiale, shootée à mort et décharnée. Elle avait faim et engloutissait tout sur son passage. Hommes, femmes et enfants. Sans scrupule, sans indulgence. Sèche dans le ventre.
    Elle s’est alliée à ce sale type. Présentant bien, portant col blanc. Plein aux as. Et avec ça en voulant toujours plus. Il a montré son vrai visage, barré d’un sourire carnassier, dès qu’il a mis la main sur elle et elle sur lui.
    Le beau couple !.. La Crise et le Capital.
    Servis par les médias, chiens serviles qui portent dans leur gueule les journaux et diffusent alternativement dévotion et propagande.
    Mes globules rouges se sont mis à chuter, mes blancs à flamber.
    Saisie d’angoisse à la moindre annonce boursière, j’avais un « AAA » coincé dans la gorge. Le noyau dur du « temps des cerises ».
    Elle m’a saisie. Il m’a frappée. Jetée au sol, brisée, j’ai supplié. Mais il cognait et cognait encore, si violemment que je me dissolvais dans ses coups. Je n’étais plus que chiffon, guenille, concept usagé.
    Il a cessé de taper et m’a tendu la main pour m’aider à me relever.
    « Tu vois que tu comprends quand tu veux, » a-t-il dit d’une voix caressante. Et bon Dieu, comme je l’ai aimé !
    Depuis, il me donne chaque jour ma dose d’amour et de condescendance, il me tarabuste, il me cajole, il me harcèle et me console. Et chaque fois je l’en remercie et ne l’en aime que plus fort.
    Moi l’Opinion Publique qu’il craignait tant, pourtant, au bon vieux temps des Printemps.

  5. Hazem dit :

    désolé pour les fautes, premier jet.

  6. Hazem dit :

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser.
    Je me demandais bien comment ?
    Ils étaient beaux avec leurs accoutrements ridicules sous notre soleil, ce n’était pas le leur. Leur sueur perlait sous leurs casques brillants, chauffant leurs cerveaux pour qu’ils aient de telles pensées. Connaissaient-il ma position ici, la puissance de nos rites, l’étendue de mes pouvoirs, savaient-ils quel peuple nous étions et de qui nous descendions ? Je les ai observés, leurs ait obéi, j’ai gémi sous leurs coups de fouet brulant mes chairs nues. Ils me présentaient divers objets et illustrations, une croix brandie par un homme suffoquant dans sa robe noire, des supplications sur nos êtres forcés à la génuflexion, des animaux sans âmes disaient-ils. Ils m’ont fait boire des liqueurs qui procuraient autant d’effet que la tama d’initiation des enfants, ils s’en enivraient parfois jusqu’à perdre leurs âmes et devenirs des chiens. Ils ont possédé nos femmes, pillé nos idoles, nos plateaux de sacrifice, nos joyaux maudits, nos écrits qu’ils prenaient pour des dessins, imbéciles !

    Quand ils eurent estimé que l’ouvrage ici était terminé, ils ont pris nos plus jeunes femmes et le plus grand nombre est parti avec elles. Laissant de pauvres hommes trop sûrs d’eux au pied de nos sanctuaires en nos compagnies d’hommes asservi et effrayé, traumatisés par leurs coups et leurs puissantes armes.

    Le deuxième soir suivant leurs départs, j’ai distribué la fleur de sin aux hommes, celle de nith aux femmes pour qu’elles soient apaisées. Tandis que leurs hommes terrorisés quelques jeunes filles en s’enivrant près d’un feu à l’abandon, j’entonnais le chant mortuaire. Les esprits prirent possession des hommes et la mort en personne est venue m’habiter. A notre vue, à la vue des mes yeux brillant, des voiles de brume épaisse recouvrant les corps de nos soldats, les colons prirent leurs armes, il était trop tard. Nos hôtels furent baignés de leurs sangs sous une lune jaune et nous mangeâmes leurs foies, nos femmes leurs cervelle, leurs coeurs furent offerts sur des pics à nos esprits, les bêtes se chargèrent de leurs reins et du reste. Quant aux autres, s’ils sont revenus, nous ne les avons plus jamais vus.

    ⓒ Hazem A.A.H. 2011

  7. Antonio dit :

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser.
    Je me demandais bien comment ?

    Moi je suis né dans un petit village et dans mon pays la tradition ça a toujours été de bien se tenir, surtout en sortant de la messe.
    « Tiens-toi droite, nom de dieu ! ». Mon père en devenait fou. Plus je grandissais plus je n’en faisais qu’à ma tête. Pourtant j’ai été élevée dans la pure tradition, dotée des plus grandes études, comblée d’une attention démesurée, ma taille et ma ligne me prédestinait à un avenir tout rose tout comme celui de ma jeune cousine Florence qui concourrait et gagnait tous les prix de beauté.

    Je devais avoir un mauvais fond, se répétait mon père, désespéré de me voir dévier du dessein qu’il m’avait tracé. Ce n’est pas de ma faute à moi si j’ai toujours eu un penchant pour l’aventure, les voyages. Et en grandissant, je ne pouvais m’empêcher de me détourner de Notre Dame de l’assomption, notre Geneviève de Fontenay à nous, grotesque et austère. Je n’avais que faire de leurs bonnes manières et ils auront beau me sonner les cloches à la fin si ça leur chante mais moi je ne me laisserai pas faire.

    Mieux même, j’allais leur jouer un mauvais tour !

    © Mademoiselle Pise, de Toscane.

  8. LN dit :

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser.
    Je me demandais bien comment ?
    J’étais allongé là depuis quelques semaines maintenant, au milieu de cette prairie, embrassant le ciel. J’étais là, encerclé par ces petites créatures qui voyaient en moi un héros. Un héros ? Non, plus que cela : un dieu. Et ils me faisaient rire avec leurs prostrations, leurs prières, leurs offrandes aussi diverses qu’avariées. Lorsqu’ils ne s’adonnaient pas au paganisme le plus primaire, ces bestioles ridicules s’employaient à me pousser, à me rouler, et vas-y que je t’y fous un bâton par ci et un rondin de bois de ce côté-là… Oui, ils avaient bel et bien entrepris de me dresser… Bon. Pas contre l’idée de me tenir debout loin de là mais, allez, franchement, entre nous, soyons raisonnables. Je me rappelle encore la fois où cet empoté qui leur sert de chef a lancé cette idée plein de détermination dans la voix. Ha ha ha ! Ô mon Caillou qu’ai-je pu rire intérieurement ce jour-là ! C’était il y a quelques mois, et depuis ils se présentent chaque jour à mon chevet. Tantôt pèlerins, tantôt bâtons, tyran et « poussants », enlisés soient-ils dans leur vaine entreprise… Enfin, assez plaisanté. Je ne suis pas de ce bois-là. Et bien que je possède un coeur de pierre, la plaisanterie a amplement duré. Ce soir, après leur dernière prière, je m’installerai discrètement à l’emplacement qu’ils ont voulu me donner. Et tournerai ainsi le dos à cette belle île de Pâques pour scruter l’océan jusqu’à la fin des temps.

  9. Lafaurie dit :

    Tous en crête

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser. Je me demandais bien comment ?
    Mes potes sont un peu béton. Ces petits coqs arborent tous une crête et se sont mis en tête de me faire ressembler à un iroquois. Jusqu’ici je camouflais ma calvitie naissante sous une casquette et par dessus, pour me fondre dans la masse, je rabattais la capuche de mon sweet. Ce look de moine cistercien me convenait bien, j’avais l’impression d’être moins nu.
    « Eh, bouffon, tu verras le gel fixe tout », m’avait-dit Gégé, le beau gosse de service dont la tignasse touffue me rendait jaloux. « Le problème est dans le tout », dis-je en me décoiffant. « T’inquiétes, Bob va s’en occuper ». Shampouineur pour dames viellissantes, Bob s’est escrimé sur les vagues touffes sommitales de mon crâne, ne réussissant malgré tous ses efforts qu’à dessiner une vague ligne discontinue. « Ça fait genre tous ces créneaux, on dirait la muraille de Chine! ».
    Ségolène Royal y avait osé la « bravitude », j’ai opté pour la « désertitude » du crâne rasé d’un bonze tibétain.

    Alain Lafaurie

  10. Françoise - Gare du Nord dit :

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser. Je me demandais bien comment ? J’étais curieux et pour tout vous dire, cela m’amusait même follement.
    Certes, ils étaient parvenus à dresser mes frères. Tous avaient cédé. Sauf moi. Le plus rebelle d’entre tous. Celui qui, dès sa prime jeunesse, avait refusé de se plier alors que tous les autres s’étaient aplatis sous le dictat d’on ne plus sait plus quel dictateur de la dernière mode.
    Tous mes frères avaient donc tous été matés. Après avoir été plaqués, ils étaient désormais dressés comme des i, droits dans leurs bottes. Ne restait que moi. Ma seule présence leur était insupportable. Ils avaient pourtant tout tenté: d’abord l’angoisse hitchcockienne, puis l’effroi avec les vampires, la frayeur avec le Diable et ses démons, la terreur avec les créatures monstrueuses…
    Mais grâce à mon sang-froid, je leur ai résisté et ils ne sont donc pas parvenus à me dresser sur cette tête. Il ne faut pas pour autant m’endormir sur mes lauriers. Car je constate, depuis quelques temps, que mes camarades blanchissent les uns après les autres avant de disparaître. Chercherait-on également à nous éliminer ? Il faut que je m’accroche ! Pas question pour moi de chuter ! Car je me suis fait cette promesse : s’il y en a un dernier, je serai celui-là.
    Signé : un cheveu réfractaire

  11. Alfred dit :

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser.
    Je me demandais bien comment ?

    Je n’ai jamais compris pourquoi ils m’avaient choisi, moi, parmi tous mes semblables. Je n’ai rien pu faire, impossible de m’échapper.
    Ces brutes, ivres de joie et d’alcool, riaient, plaisantaient et s’encourageaient mutuellement en me mettant au sol. Ils avaient salué ma force et ma santé lorsque j’étais finalement tombé ; leur chef serait content.
    Ils m’avaient ensuite traîné jusqu’à leur camion et chargé sans ménagement. J’étais figé, espérant encore que mon inertie pourrait les décourager de m’emporter… dérisoire illusion.
    Durant l’incroyable voyage qui avait suivi, j’avais découvert des paysages totalement inconnus et regretté de ne pouvoir en profiter ; mes forces m’abandonnaient. Ces images et expériences insoupçonnées valaient-elles pourtant le prix exorbitant qu’elles me coûtaient ? Difficile à dire…
    À notre arrivée, le chef avait apprécié le présent que je constituais et avait félicité bruyamment mes tourmenteurs de m’avoir choisi.
    Il leur restait à me dresser comme ils l’avaient dit. Ils se divisèrent en deux groupes, les uns m’attachant la tête, les autres le pied. Tirant, poussant, soufflant et avec force jurons, ils finirent par me contraindre jusqu’à parvenir à leur fin.
    Me voici désormais dressé devant la maison, dépouillé de mes branches, ridiculement orné d’une cocarde. J’y suis mort pour l’honneur d’un élu temporaire, sans décider vraiment si le jeu en valait la chandelle.

  12. Christine dit :

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser…
    Ah, ça, pour le dire, ils le disaient ! A commencer par Madame Mère qui levait invariablement les yeux au ciel d’un air désespérément désespéré quand Elle débarquait dans la cuisine au petit matin, la mine encore toute fripée de sommeil. Comment pouvait-elle avoir engendré cette fille si différente qui faisait son désespoir ?
    Sans prêter attention au courroux maternel, Elle se servait une tasse de café et remontait dans sa chambre. Ce repli stratégique n’était pas pour me déplaire et je m’en redressais davantage, attendant le regard complice qu’Elle me lançait en passant devant le miroir. J’oserais prétendre qu’Elle avait un petit faible, voire une sorte d’affection pour moi. Il lui arrivait même, sans s’en rendre compte, de me faire tournicoter entre ses doigts : un geste de l’enfance qui revenait à son insu, particulièrement quand Elle s’absorbait dans la lecture d’un livre ou avant de s’endormir. C’était pour moi alors le comble du bonheur.
    Mais la douairière ne baissait pas sa garde. Elle commençait invariablement son plan d’attaque en douceur, appelant sa fille et la priant – gentiment – d’abandonner un moment ses lectures pour s’adonner aux joies du bain. Sa progéniture, peu encline à se faire une beauté à ce moment crucial du roman, ne répondait jamais au premier coup de semonce. Et c’est ainsi que, peu à peu, le ton montait : la voix d’en bas se faisait plus insistante jusqu’à hurler « c’est l’heure !… » à quoi elle rajoutait aigre-doucettement « ma chérie !… ». La limite était atteinte et si Elle voulait échapper à une intrusion volcanique dans son domaine, il lui fallait obéir. D’un coup, nous nous levions et je me redressais avec fierté pour partir avec Elle vers salle de bain plonger dans une eau un peu tiède à force de nous avoir attendues. J’aimais bien quand Elle y plongeait son corps un peu malingre de jeune fille attardée. Moi je dominais la situation et je la regardais se savonner distraitement en continuant à vivre par procuration les vies de ses héros qu’elle dévorait comme on se gave de chocolat. Une fois sur deux, j’avais droit à la mousse moi aussi et ce n’était pas pour me déplaire. Elle s’en faisait des coiffures baroques, s’en revêtait les épaules comme de fourrures, jouait avec les bouts de ses petits seins tout en murmurant des chansons. Les murs dégoulinaient de buée, je sentais qu’Elle aurait bien fini par rester là toute la matinée : on était bien.
    – Chérie… Tu es prête ?
    Brusquement la crécelle nous sortait de cette douce léthargie.
    – Oui maman… j’arrive !
    La petite menteuse sortait de l’eau d’un bond, aspergeant abondamment le carrelage. Emmitouflée dans la grande serviette chaude, Elle se séchait distraitement, la tête ébouriffée, et remontait en courant s’habiller. Elle savait qu’Elle n n’y couperait pas, ni moi non plus d’ailleurs. Car ce que Madame Mère avait décidé, Dieu lui-même ne l’eût pas contesté ! Nous étions jeudi et c’était le jour du coiffeur. Une habitude à laquelle Elle ne pouvait échapper mais indispensable, lui avait-on seriné, à son éducation ! Afin de l’en convaincre, ce rendez-vous avait été planifié tous les premiers jeudis du mois. Son chaperon de mère s’asseyait alors à côté d’elle en suivant chacun des mouvements de ce figaro de pacotille qu’Elle nommait en secret « le coupeur de tête ». Et pour bien montrer qu’Elle ne souscrivait pas à ce sacrifice, Elle gardait ostensiblement les yeux fermés, ressentant chaque coup de ciseaux comme si on lui entaillait la chair. J’en tremblais tout autant mais je savais qu’Elle veillait au grain, car pour peu qu’il s’approchât de moi avec son air de conquistador, elle hurlait :
    – Non, pas celle-là !
    Madame Mère, tout absorbée dans les gestes de l’artiste, sursautait, arborant aussitôt un petit sourire de connivence destiné à rassurer les mémères à bigoudis, réveillées par les cris de la jeune demoiselle. Le barbier se ravisait, tentant de me placer gentiment dans le sens de la coiffure qu’il s’ingéniait à sculpter. Mais c’était sans compter sur ce sentiment de victoire qu’Elle et moi ressentions alors : qu’importait en fait l beautéa de l’ouvrage, puisqu’Elle prendrait un malin plaisir à s’en débarrasser à peine rentrée à la maison pour se refaire sa bonne tête de fille rebelle. Rien ni personne ne nous avait jamais fait plier : j’étais « sa » mèche, son petit accroche-cœur et malheur à celui qui oserait s’en prendre à notre liberté !

  13. Jean de Marque (alias Jean Marc Durand) dit :

    Une petite discussion autour d’un T, ça vous tente! Soit disant que j’ai oublié de vous invither ???

    Jean de Marque!

  14. Jean de Marque (alias Jean Marc Durand) dit :

    Ils avaient dit qu’ils allaient me dresser. Je me demandais bien comment ?

    Franchement, dans l’état où je me trouvais, je ne vois pas ce qu’ils espéraient faire de moi.

    Je sais, ce n’était pas un vrai repas de fêtes. C’était juste comme çà, histoire de boucler le déménagement.

    On sort tous les vieux meubles, on se les partage, on se les refile, on se les ignore (trop ringard le prie dieu!). Ceux qui ont une vraie valeur affective et pécunière trouvent toujours preneurs, souvent les mêmes.

    Les autres, vaisselliers et malcommodes sont mis de côté pour les jeunes mariés sans argent, des cousins n’ayant pas encore les moyens de leur goûts. Un oncle, esthète de la brocante veut absolument récupérer tout ce qui est en formica car le temps du formica va revenir.

    N’empêche que, je ne saisis pas, moi, pauvre ordinaire de cuisine, récupéré chez une vieille tante trigote (bigote à trois côtés), comment il vont pouvoir improviser ce pique nique « stabilisé » sans courir à la catastrophe.

    Avec mes pieds verreux et mon plateau fendu je ne vois pas ce que je pourrai supporter de cette soi disante harmonie familiale.

    Ils y courent à la déception mais ils ne mesurent pas les enjeux. L’un des fils, bricoleur, propose des plans savants de consolidation. Personne ne l’écoute. Les enfants font déjà la razzia des gâteaux apéritif. Les belles mères sommeilllent.

    Nous vivions une époque « formicable » renchérit le tonton que personne n’entend.

    Les pizzas, les cornichons et les rillettes sortent des paniers. Les nouveaux beaujolais émergent des cartons. Les gâteaux de sucre et les tartes aux enfants, les assiettes en carton et les rancoeurs en plomb, tout atterit sur moi, en vrac! Mes pieds flanchent, tout mon bois vibre, mes vers crient « sauve qui peut! »

    Ce n’est possible, dans mon état, pauvre table, ils ne pourront jamais me dresser!

    Jean Marc Durand.

  15. chatelain dit :

    Hélas! trop occupé pour participer activement.

    Dommage ce manque de temps qui bouf la vie et qui nous prive de plonger dans cette littérature enrichissante ou la plume s’encanaille avec le papier et l’encre.
    Monde magique qui échappe au quotidien, qui enveloppe l’esprit d’un foulard de soie, doux et soyeux.
    Devenons ver à soie.
    Habillons la feuille blanche de nos mots pour oublier nos maux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Répondez à ce calcul pour prouver que vous n'êtes pas un robot *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.