Exercice inédit d’écrire créative 77

Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles.
Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison.
Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
Aujourd’hui, je le suis. Hélas !

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11 réponses

  1. Clémence dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles. Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison. Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
    Aujourd’hui, je le suis. Hélas !

    Grand fou, me disaient ma mère et mon père. Ne rêve jamais. Sois. C’est amplement suffisant !
    Pauvre fou que j’étais. Oh, oui, je m’adonnais au rêve, à l’impossible rêve !

    Il me taraudait les feuilles, surtout lorsque mademoiselle Élisabeth , fille cadette des châtelains de La Gourrègue, s’approchait de moi. Du haut de ma frondaison, je la voyais s’avancer lentement, observant l’environnement à la recherche de la meilleure place.

    Chaque jour de l’été, c’était le même rituel. D’un mouvement ample, elle étendait sa couverture à mes pieds. Luxe suprême, elle posait un coussin de soie au bas de ses reins, puis elle s’adossait avec un soupir d’aise contre mon tronc. Elle chaussait son nez de lunettes à montures rondes, balançait ses longues anglaises et prenait son livre. Le monde n’existait plus, moi non plus.

    Et pourtant, je me sentais vivre. Mes veines et mes artères charriaient une sève vigoureuse. J’étais, tour à tour, le Chevalier au grand cœur, l’amant, le mari, l’ami fidèle. Je la protégeais du félon ou d’un mari violent. J’écoutais ses confidences.

    J’étais l’Invisible qui accueille les fantasmes et les désirs interdits. Ma ramure frémissait sous les assauts de Mistral, mais jamais je ne l’ai trahie. J’étais sans voix : secret et muet alors que mon cœur ne cessait hurler silencieusement sa flamme pour Élisabeth.

    Elle s’appuyait sur moi, je la sentais. Elle remuait un peu, je sentais son odeur fraîche et florale. Elle lisait un passage à voix basse, je frémissais. Une osmose géante, connue de moi seul, hélas.

    Discrètement, j’écartais quelques feuilles de-ci, de-là, afin d’être bouleversé par la danse sensuelle de ses doigts qui tournaient les pages sur un rythme de valse lente.

    Être une fois, une fois seulement, une page ou un livre.
    M’abandonner entre ses mains.
    Sentir ses doigts m’effleurer, sentir son souffle sur ma peau, être dévoré de ses yeux de porcelaine, être consumé …

    « Grand fou… » me disaient mes parents.
    Pauvre fou, leur répondis-je en écho.

    Je voulais être un livre. Je le suis devenu, quatre fois hélas.
    1. La Belle Élisabeth a fêté ses dix-huit ans et ses châtelains de parents, bien que réac’, lui ont offert une liseuse électronique et un studio à Paris…
    2. Ma ramure, torturée et désarticulée, achève de se consumer à la Déchetterie des Chênes Verts ».
    3. Mes parties les plus nobles se sont envolées pour un voyage sans retour au crématorium de Nice.
    4. Un peu de menu fretin de mon tronc, à moitié consumé d’un feu utopique, s’est noyé dans la pâte à papier, dans une usine à Tarascon.

    Pas de quoi pavoiser sur une étagère de la bibliothèque royale ou républicaine….

  2. Sabine dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles. Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison. Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre. Aujourd’hui, je le suis. Hélas ! Je la sens, je la vois, mais c’est elle qui me tient, qui tourne mes pages. C’est elle qui me regarde, qui me relit et me relit encore. Parfois elle s’énerve, me maltraite. Que cherche-t-elle dans mes pages ?
    Elle a changé d’arbre, puisque je n’existe plus. Elle lit sous un jeune platane vigoureux, l’infidèle. Hier soir, elle m’a même oublié au pied de l’arbre, l’ingrate. Que je pleure, que je souffre…

    Extrait du journal régional :
    « Une jeune femme s’est pendue à un platane du parc hier soir, vers 20H00. A ses pieds, un livre intitulé « Comment surmonter ses chagrins d’amour » ouvre la porte aux enquêteurs. »
    ©Margine

  3. Pascal Perrat dit :

    Un soufle et puis plus rien.
    J’avais cru un instant à l’autre rive, le bout du tunnel, la fin des emm…, mais non, la suite est écrite, noir sur blanc, comme un déchirant poème, une recette de cuisine facile et rapide, un mémo… Basique ma vie ? Eh oui, en fait, la même portion de rêves inaboutis, d’espoirs déçus, inavoués, inavouables…Alors ? Alors rien. Je persévère, mes feuilles sont d’autres feuilles, moins vivantes certes, moins jolies, moins fragiles aussi. Je persécute les esprits récalcitrants aux règles, aux lois, puisque je les cite ces règles et ces lois, en effet, je suis devenu le Code Pénal ; c’est utile et doit être connu de tous, donc je suis indispensable à une bonne vie citoyenne, et respecté dans les plus hautes sphères.
    De quoi me plaindrais-je désormais ? Les mêmes jolies mains se promènent accidentellement dans mes pages, et je peux aussi faire de belles promenades dans des sacs féminins, par temps printanier.
    Je ne retiens qu’une chose de ce soudain passage vers un monde de lettres et de lois, comme un grand vent, c’est que je me suis perdu, pour mieux me retrouver, entre les lignes…

    Texte de Anne Marcotte reçu par courriel

  4. Gwenaëlle dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles.
    Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison.
    Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
    Aujourd’hui, je le suis. Hélas !
    Mais quand je dis un livre, c’est plein de livres.. Quand ils m’ont changé en pâte à papiers, ils ont fait de moi un livre pour enfants en deux milles exemplaires !. De beaux livres illustrés avec un dragon vert. Depuis j’en vois de toutes les couleurs. Et ce ne sont pas toujours de jolies mains qui tournent mes grandes pages. J’ai aussi droit à des doigts poisseux, à des menottes malhabiles qui me cornent les encoignures. Cela me chiffonne je vous l’avoue. Mais j’ai aussi des moments très tendres et très plaisants, l’instant lecture au calme dans la chambre juste avant le bisous et l’extinction des lumières. Je vis, je traîne dans une chambre, dans le salon, sur un meuble, sur la moquette, je suis même à l’école, à la bibliothèque et à la librairie, bien sûr, tout neuf et tout pimpant avec une étiquette sur mon flanc droit. J’ai la chance de ne pas être scotcher comme certains sur une étagère sans que personne ne fasse attention à moi. Franchement, la vie de livre, si tu n’es pas un best seller ou un livre de chevet, est bien tristounette. Tu as un moment de gloire.. Bien éphémère. 
    Le grand vent me manque, j’aimais ma vie d’avant, mais il faut bien l’avouer, ils m’ont coupé car j’étais déjà bien vieux et risquais de m’effondrer. Je vis ma deuxième vie comme une éternité, bien chanceux de ne pas avoir fini en braise dans la cheminée, mes volutes emportées un dernière fois par mon ami le vent ! 

    © Gwenaëlle Joly

  5. Françoise - Gare du Nord dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles. Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison. Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
    Aujourd’hui, je le suis. Hélas ! Et mes rêves se révèlent bien au-dessus de la réalité. Combien de fois m’étais-je imaginé roman russe dans les mains d’une Anna Karénine fiévreuse et exaltée ; tragédie grecque entre celles d’une Iphigénie virginale et sacrifiée ; roman épistolaire pour punir une Merteuil libertine et cynique ; épopée odysséenne éprouvant la patience d’une Pénélope fidèle et douée pour les travaux d‘aiguille ; conte à dormir debout pour bercer une Belle au bois dormant narcoleptique ; sonnet sublime pour avertir une Hélène ingrate et superficielle ; mémoires d’outre-tombe pour ravir la spirituelle Mme de Récamier ; légende arthurienne pour ensorceler une Guenièvre infidèle et volage … ?
    Lorsque j’ai appris par l’Office National des Eaux et Forêts que j’allais être abattu pour une maison d’édition parisienne, j’ai cru que mon rêve allait enfin se réaliser. D’autres sont partis pour une finir leur existence comme contreplaqué, charpente ou, pire bois de chauffage.
    Mais ma satisfaction fut de courte durée lorsque l’éditeur m’informa, après que je lui ai eu exposé mes ambitions, que je n’avais pas le choix et que je serai « roman à l’eau de rose ». Et c’est ainsi qu’après avoir trôné sur un présentoir d’une boutique Relay d’une gare de province dont j’ai préféré oublier le nom, je suis feuilleté par les mains vieillies et abîmées d’une oie blanche solitaire mais encore farcie d’espoirs.

  6. éléonore dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles.
    Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison.
    Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
    Aujourd’hui, je le suis. Hélas !
    Je rêvais au-dessus d’elle , ses douces mains feuilletaient des pages blanches que le vent agitait voluptueusement, mes feuilles luisaient au soleil et réfléchissaient ses courbes fines , ses douceurs satinées, je rêvais , mais j’étais heureux. Chaque matin je surveillais les ombres et quand je découvrais celle qui venait juste se poser sur l’églantier , je savais.
    Je commençais à polir chaque éclat de ma ramure , je lissait mes racines sous la mousse pour lui préparer un refuge digne de la princesse qu’elle paraissait être
    quand l’ombre frêle touchait le bourgeon rose à la cime de l’arbuste , elle naissait . échappant à la brume matinale, son livre sous le bras . je fis le vœux de devenir « livre » à mon tour pour vivre entre ses mains parfumées. La Fée , réalisatrice de tous les vœux m’a exhaussé ! et : Crac ! je devins un bouquin . La douce me ramassa , étonnée, regarda ma couverture verte, ouvrit mon ventre , je frémissais d’émois.
    Elle commença à lire entre les lignes, j’attendais fébrile entre ses doigts puis avec un soupir à peine masqué me jeta dans la mousse humide .
    Quel ennui tous ces livres de poésie, ringarde! elle c’est allongé dans l’herbe fraiche a relevé les plis de sa robe, détaché les agrafes de son chemisier .
    Moi je gisais dans la fange boueuse du fossé !
    Si j’étais resté arbre … j’imagine avec regret tout ce que j’aurais pu refléter dans mes feuilles brillantes.

  7. Peggy dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles.
Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison.
Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
Aujourd’hui, je le suis. Hélas ! Et pourtant la vie, crée des hasards que la fiction n’imaginerait jamais.

    Me voici donc entre les jolies mains de cette jeune femme qui lisait à l’ombre de mon feuillage. Comme vous l’imaginez, j’en éprouve un plaisir délicieux, charnel même. Cependant, ce qu’elle tourne en mouillant son doigt, s’appellent « pages » mais aussi « feuilles ». Ces rectangles impeccables, blancs comme neige sous des signes noirs qui racontent une histoire, ne peuvent être synonymes de ce que je portais fièrement tout au long de mes branches. Mes feuilles, elles, étaient vivantes. En robe vert-tendre, elles bondissaient hors des bourgeons pour annoncer le printemps, grandissaient jusqu’à former une frondaison épaisse, bruissant au gré du vent. Cathédrale végétale qui au fil des saisons roussissait, se racornissait, me laissait nu pour l’hiver et le merveilleux cycle de la nature recommençait.

    Ma tête frôlait le ciel, mes racines se nourrissaient des profondeurs de la terre, mes branches embrassaient l’espace, je suis devenu le cauchemar de mon rêve.

  8. gepy dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles.
    Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison.
    Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
    Aujourd’hui, je le suis. Hélas !

    Et pas n’importe lequel ! Un livre d‘histoire-géographie, un livre de collégien.
    « Cinq années de service, très usagé, à détruire » qu’il a dit l’intendant !

    C’est vrai que j’en ai vu de toutes les couleurs pendant ces cinq années :
    le collégien qui m’a « collé » sous son bureau toute l’année. Oh que j’en ai pris des coups de pied ! Autant vous dire que ça m’a froissé !
    Il y a celui qui m’a entassé dans le fond du sac d’école, sans jamais me sortir. Quand j‘ai enfin pris l‘air, j’avais ma couverture et mes pages déchirées et j’étais sale, oh mon dieu, que j’étais sale ! Même pas un coup de pluie possible pour me régénérer ! Rien, subir et ne rien dire !
    Et le troisième, il avait tout le temps les mains grasses ou collantes de « bouffe » ou de boissons sucrées… Il m’a sali. Oh comme il m’a sali, ce petit cochon !
    Entre temps, j’ai eu un peu de repos avec le rêveur. Il m’ouvrait et regardait par la fenêtre, pendant des heures, un «contemplatif» de la nature. Lui, au moins, il ne me secouait pas ! Mais qu’est-ce-que j’ai pu m’ennuyer !
    Heureusement, pour cette dernière année, j’ai eu l’élève studieux, le bosseur, le curieux, celui qui tourne toutes les pages pour tout voir et tout savoir. Quelle année de bonheur ! Ça valait les mains de la jeune femme qui lisait sous mon ombre, croyez-moi. J’ai «bossé» à fond pendant un an. Ça m’a un peu usé malgré tout.

    Et j’ai naïvement pensé que j’allais continuer ma carrière dans ce collège mais pas du tout !
    Au rebut, à la benne avec pleins d’autres bouquins ! On était entassé, blotti les uns contre les autres, dans le noir. Je sentais le tremblement des feuilles de certains qui avaient déjà tellement subi. C’était injuste ce traitement !
    Mais, en tant que livre abordant le thème du développement durable, je me suis soudain éclairé : on allait au recyclage !
    Et là, à commencer pour moi une nouvelle vie. Je suis devenu l’Indestructible, l’Immortel ! A partir de ce moment, j‘ai découvert un autre monde.
    Plus de peur, plus de maltraitance possible, que de l’adaptation au renouveau :
    transformé en journal, j’ai reçu des épluchures de pommes de terres, ça m’a rappelé mes lointaines origines.
    J’ai été roman, vendu, racheté dans une bourse aux livres. Beaucoup de mains m’ont manipulées, appréciées. Que de douces caresses comme le vent de mes branches autrefois !
    Vraiment, juste une paire de petites mains de femme pour s’occuper de moi, cela aurait été du gâchis ! J’aurais fini sur une étagère, plein de poussière, rongé par les souris (petite pensée émue pour mes petits écureuils qui me chatouillaient délicatement le tronc).
    J’ai même été papier cadeau. C’est éphémère mais très intense la vie du papier cadeau. Une fois offert, on m’avait mis en boule pour jouer à la balle ! Qu’est-ce-que j’ai pu m’éclater ! Je perdais pleins de morceaux, un peu comme des paillettes.
    C’était trop drôle !

    Je pourrais vous faire un documentaire sur mes éternelles expériences mais je crois honnêtement que mon histoire de papier recyclé n’intéresse pas grand monde. En même temps, sagesse et discrétion, chut ! car il y a toujours eu besoin de chaleur par grand froid et je serais fort déçu de finir en combustible dans un feu de cheminée comme finissent, hélas, beaucoup de mes anciens amis, qui n’ont pas eu la chance d’être choisi pour l’Immortalité.

    Enfin, immortalité relative. Et lucidité avant tout, car si on me transforme en papier toilette, l’Immortalité, elle est loin d‘être gagnée !

    Gepy

  9. Antonio dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles.
    Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison.
    Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
    Aujourd’hui, je le suis. Hélas !

    Un livre de grand vent, couvert de lauriers, avec cette ceinture rouge honorifique qui ferme mon pardessus.
    Cette même ceinture qui enserrait mon tronc, ce jour d’abattage où mes feuilles ont volé en éclats avant d’être écrasées, balayées, puis jetées aux ordures. Je n’oublierai jamais.
    Elles étaient ma fierté, la sève de ma sève. Et voilà en trois coups de hache l’arbre de famille décimé.
    J’ai tout perdu, je ne suis plus rien. Je n’ai plus d’hauteur, ni d’envergure, plus de ciel, plus d’horizon, plus de saison.
    Parqué, découpé, rangé, distribué en mille morceaux, je suis devenu livres, au pluriel, avec des feuilles dont la sève vient d’autres, auteurs d’envergure sans doute, pas de moi !
    Des mots qui coulent en elles, à l’encre noire, et leur donnent formes. Une forme de vie virtuelle qui m’est totalement étrangère.

    Parfois une jeune femme lit au dessus de ma nouvelle frondaison, sordidement uniforme et compacte.
    Quand ses jolies mains tournent mes pages, je rêve alors d’être une de ces plumes… sur le dos d’un oiseau.

  10. Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles.
    Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison.
    Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
    Aujourd’hui, je le suis. Hélas !
    Oui il n’y a pas d’autres mots.
    Vous ne pouvez-pas imaginer comme j’ai été maltraité, pour en arriver là!
    On a coupé toutes mes branches, elles qui faisaient tant ma fierté. Puis mon tronc a été tronçonné. Mon cœur a été débité en planches pour la fabrication de meubles. Le reste de moi-même est parti à l’usine de papier.
    Là je me suis réjouis… pâte à papier….livre…ma sève n’a fait qu’un tour…j’allais être enfin transformé en livre. Mais que d’étapes pénibles m’attendaient encore!…
    J’ai été déchiqueté, broyé, écrasé, malaxé, blanchi, remué, étalé, pressé, découpé, entassé….rien ne m’a été épargné!
    J’ai pris rapidement le chemin de l’imprimerie. Quand le mot best-seller a été prononcé, j’ai sauté de joie… On a apposé sur mes feuilles blanches des signes à l’aide d’encre. Mes feuilles ont été collées, puis on m’a relié.
    Ca y est enfin j’allais être célèbre. J’allais tenir compagnie à de belles dames. J’allais être caressé par des mains élégantes. J’allais être lu par des yeux joliment maquillés. On allait parler de moi, plus exactement de l’œuvre qui était en moi.
    Mes livres ont été achetés les deux premières semaines où j’ai occupé les rayons des librairies. Puis très vite les lecteurs ont détourné les yeux. Dans les discussions avec le vendeur on entendait souvent : ’’oui, mais la critique…’’.
    Rapidement mes livres ont été relégués au fond des rayonnages.
    A la bibliothèque municipale, on m’effleure, on me soulève, puis on me repose.
    ’’C’est qui celui-ci? …pas sûr que ce soit intéressant’’, voilà ce que j’entends dans la tête des lecteurs.
    Mon papier jaunit, je ne sens pas très bon…
    J’ai l’impression d’avoir tout raté…mais voyez vous le pire, c’est quand j’entends ces séniors (vous savez ceux qui se disaient amoureux des livres) venir demander à la bibliothécaire : ’’euh mademoiselle, la démonstration pour les livres numériques c’est quand?…ou bien ‘’’vous prêtez des livres numériques?’’…
    Là vraiment, je me sens agoniser!
    Geneviève Tavernier

  11. Smoreau dit :

    Hier encore, j’étais un arbre de grand vent, couvert de feuilles.
    Parfois, une jeune femme lisait sous ma frondaison.
    Quand ses jolies mains tournaient les pages, je rêvais d’être un livre.
    Aujourd’hui, je le suis. Hélas ! Des feuilles, j’en ai, elles sont blanches mouchetés de signes noirs. Avant, je ne les comptais pas, j’étais généreux. Grâce à ma sève, elles naissaient sans limite. Aujourd’hui, j’en ai 464 exactement. Il parait que c’est aussi une sève qui a fait éclore ce livre. La sève de l’inspiration ! Je me sens un peu à l’étroit, serré. Mon titre ? « L’arbre à souhaits ». J’aime bien. Je m’y retrouve un peu. Posé sur l’étagère, d’un libraire, je suis pris, soupesé, malmené, feuilleté, rejeté. Les « gens vivants à 2 troncs » sont bizarres. Avant ils passaient soit indifférents sous ma frondaison ou alors, s’extasiaient devant ma première pousse. Aujourd’hui, c’est pareil. Ils passent soit indifférents devant moi ou alors ils me saisissent d’un geste rapide pour me tripoter.
    Ah ! Une jeune femme s’approche… Je la connais, c’est celle qui s’asseyait à mes pieds pour lire. Délicatement, elle tend son bras vers moi, son regard pétille. Elle me touche. Me prend. Me serre sur son coeur. M’achète ! Je pars avec elle.
    A-t-elle trouvé un autre arbre ?

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