LIVRE EN NOUS critique littéraire d’un club de lecture (8)
« La lucidité » de José Saramago
« Au lendemain des élections municipales organisées dans la capitale sans nom d’un pays sans nom, la stupeur s’empare du gouvernement: 83 % des électeurs ont voté blanc. Incapables de penser qu’il puisse s’agir d’un rejet démocratique et citoyen de leur politique, les dirigeants soupçonnent une conspiration organisée par un petit groupe de subversifs, voire un complot anarchiste international. Craignant que cette » peste blanche » ne contamine l’ensemble du pays, le gouvernement évacue la capitale. L’état de siège est décrété et un commissaire de police chargé d’éliminer les coupables – ou de les inventer. Aussi, lorsqu’une lettre anonyme suggère un lien entre la vague de votes blancs et la femme qui, quelques années auparavant, a été la seule à ne pas succomber à une épidémie de cécité, le bouc émissaire est tout trouvé. La presse se déchaîne. La machine répressive se met en marche. Et, contre toute attente, éveille la conscience du commissaire. »
Roman à la thématique intéressante et ambitieuse ainsi qu’aux intéressantes réflexions qu’il suscite : l’ascension de la violence dans un état de droit, les droits et les devoirs du citoyen, la fragilité de la démocratie occidentale.
Critique acerbe et ironique des perversions du pouvoir politique : manipulations, ambitions, répression
Ce livre peut se lire aussi comme une intrigue criminelle et possède le pouvoir d’attraction de certains romans policiers
Impossibilité de situer l’époque et le lieu, difficultés à identifier les personnages et institutions qui demeurent anonymes et impersonnels n’étant jamais nommés mais décrits de manière impersonnelle : « parti de droite, du centre, de gauche », « le président », « le commissaire », « la femme du secrétaire ». Mais cet anonymat contribue cependant à donner à cette fable politico-philosophique une valeur universelle
Et puis le style qui a déconcerté, rebuté, pour finalement décourager. Trop compact. Trop dense. Peu de respiration. L’auteur, probablement un grand pervers, a-t-il rédigé ce roman sans reprendre son souffle ? Pourquoi un tel parti pris de rédaction ?
En tout cas, le lecteur, lui, a la nette sensation d’étouffer. Les dialogues sont fondus dans la narration, les phrases sont longues voire interminables -Proust aurait-il trouvé son maître ? – les paragraphes denses, la ponctuation réduite
Un roman qui, si l’on se risque à la métaphore culinaire, se révèle être de la grande gastronomie hélas parfois indigeste. Mais qui mérite amplement d’être poursuivi pour que l’on y prenne goût et qu’on le savoure. Bref accrochez-vous !!!
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« Le monde s’effondre » de Chinua Achebe
« Destruction de la vie tribale à la fin du siècle dernier par suite de l’arrivée des Européens ; tragédie d’un homme dont toute la vie a tendu à devenir l’un des personnages les plus importants de son clan mais qui finit de la façon la plus misérable ; conversion au christianisme – cette abomination – de son fils qu’a éloigné de la vie ancestrale un rite cruel et sanguinaire dont a été victime son meilleur ami d’enfance ; vie quotidienne des femmes et des enfants d’un village de la forêt qui, presque totalement coupé du monde extérieur, pouvait se croire « le » monde avec ses dieux et ses ancêtres, ses coutumes et ses interdits, l’inépuisable littérature orale de ses contes et de ses proverbes ; voilà quelques-uns des thèmes d’un roman qui est sans doute l’un des plus riches et des plus pondérés que nous ait donnés l’Afrique Noire. »
La description poétique et pleine d’humour mais jamais méprisante des coutumes, croyances et traditions tribales.
Des incursions dans le réalisme magique sud-américain avec des scènes relevant de l’extraordinaire
Restitution honnête : l’auteur a souhaité montrer aux Africains non une Afrique idéalisée mais au contraire l’objectivité de leur histoire, n’hésitant pas à décrire la barbarie de leur civilisation (sacrifice de jumeaux, violences envers les femmes…)
Roman dense et riche sur la perte des traditions et l’effacement pour et simple d’une mythologie, le désastre causé par la colonisation et la fin d’une civilisation
Détestation par certains du personnage principal – Okonkwo – jugé psychorigide, intolérant, d’une extrême dureté et inflexible malgré la victoire inéluctable de l’Homme blanc. Son dogmatique fanatique et déshumanisé a agacé voire heurté. Individu impossible à évacuer car tout passe par lui et pour lui. S’agit-il de la caricature et du stéréotype d’un certain Africain ?
Une des limites du livre écrit au XXe siècle : le décalage inévitable dû au regard d’un auteur nigérian instruit et formé par les Anglo-saxons sur une époque révolue d’une part et où, d’autre part, existait la seule culture orale.
Attention à notre regard et nos jugements de valeur de lecteur occidental du XXIe siècle qui ne doit pas oublier qu’il peut et doit apprendre de ces ethnies : rapport à la nature, à la mort…
Ici aussi des questions portant sur deux registres différents demeurent en suspens :
1)Est-on obligé d’aimer les personnages ? Un héros – ou à défaut le personnage d’une œuvre écrite ou filmée – doit-il être nécessairement sympathique et positif ? Les personnages insignifiants et ternes ou a contrario malsains et odieux gâchent-ils réellement la lecture ?
2)Les ONG n’auraient–elles pas tendance à se comporter comme les nouveaux missionnaires voire les néo-colonialistes en tentant d’exporter notre bonne morale occidentale, certaines de détenir à l’image des évangilisateurs du XIXe siècle la vérité ?
« Les ONG prennent l’argent des pauvres des pays riches pour le donner aux riches des pays pauvres » (auteur inconnu)
« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera le chasseur » (Chinua Achebe)
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« Pyongyang » une BD de Guy Delisle« Lorsqu’on lui demande de passer ses deux prochains mois à Pyongyang, dans le but de superviser la sous-traitance d’un studio d’animations, Guy Delisle accepte sans trop hésiter. C’est la curiosité qui le pousse à embarquer vers cette destination dont il ne sait presque rien. A peine arrivé sur le sol nord-coréen, les visites protocolaires des lieux emblématiques de la capitale s’enchainent. Tous sont voués au culte du président éternel Kim-Il-Sung. L’auteur expatrié est rapidement confronté à cette vie sous régime totalitaire et c’est à travers de nombreuses anecdotes piquantes qu’il partage ce quotidien digne d’un bon roman de science-fiction. Il est par ailleurs impossible de ne pas penser à 1984 du visionnaire George Orwell. »Découverte d’un pays-forteresse réputé comme le plus fermé de la planèteTous les signes d’une dictature sont bien montrés : la propagande avec les haut-parleurs égrenant leur litanie en l’honneur du Chef Suprême, le faste des monuments érigés à sa gloire et la pauvreté de son peuple, autoroutes sans sortie possible avant la fin, les rues désertes où nul passant ne flâne, seuls les hommes mariés et pères de famille sont autorisés à aller à l’étranger àsentiment d’étouffement pour lecteur accentué par celui de compassion envers le peuple. La référence récurrente à 1984 de Georges Orwell trouve toute sa place dans cet ouvrageDe nombreuses pointes d’humour qui viennent alléger le caractère sombre et désespérant de son témoignageIndéniable talent de dessinateur de G.Delisle : le trait est sûr – les monuments par exemple sont conformes à la réalité -, le silence est même palpable, les noirs et gris sont nuancés ce qui interdit de qualifier cette BD de monochromeLe graphisme et l’absence de couleurs ont gêné mais cela est dû au fait que l’auteur a souhaité montrer l’absence de lumière endémique et plus généralement l’uniformité et l’indigence de ce pays. Il s’agit de plus d’une habitude de Guy DelisleLe comportement condescendant, les réflexions dédaigneuses de l’auteur envers le guide sur son pays :Un peu d’ennui : la BD a été ressentie comme répétitive dès le 3e tiersEnormément de frustration : Nord-Coréens peu visibles et absence totale d’informations sur la vie quotidienne en Corée du Nord bien que l’auteur ne reste pas dans la tour d’ivoire des quartiers d’expatriés et cherche à en connaître plusUne dictature : « Ferme ta gueule »Une démocratie : « Cause toujours » |
Je trouve que vos choix sont étroits, savez-vous qu’il y a des vrais romans d’amour et d’aventure ?