Exercice inédit d’écriture créative 234

chez-un-bouquinisteOn s’est rencontrés chez un bouquiniste.
Elle flânait, je languissais.
Je suis devenu son livre de chevet.
Chaque soir, elle humectait son index pour tourner mes pages. J’adorais !
Hier, elle m’a mis en vente sur eBay

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21 réponses

  1. Gustave Albert dit :

    On s’est rencontrés chez un libraire.
Elle flânait, je languissais.
Je suis devenu son livre de chevet.
Chaque soir, elle humectait son index et son pouce pour tourner mes pages. Imbibé par elle, mon papier bouffant se couchait tous les soirs sur un nuage. J’étais à deux doigts de l’Eden. J’adorais !
Hier, elle m’a mis en vente sur eBay. Difficile pour un succès story de devenir un :«  Sorry, nous deux, on tourne la page, va t’ancrer ailleurs de mon quotidien ». Redescendu du jardin des hespéridées, je deviendrais donc un livre de seconde main ! De pomme délicieuse entourée de son écharpe rouge « prix machin-chose » un peu comme un parlementaire socialiste bouffi à la fête du premier mai, je risquais de tomber sur un vulgaire croqueur de page. Le moral à zéro – enfin zéro et un dans le système binaire d’eBay – mes mots râlaient et se faisaient un sang d’encre. Les mots « cœur » pleuraient, l’encre se diluait. J’étais devenu illisible. Je voulus intervenir, empêcher ce « gémocide » littéraire. Trop tard ! La révolution était en « marge ». Des maux de cœur entraînent parfois des crimes passionnels. On ne se méfie jamais assez de la force des mots. Des mots que l’on recase aussi net peuvent devenir des mots kamikazes.

  2. MARBOT dit :

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste.
    Elle flânait, je languissais.
    Je suis devenu son livre de chevet.
    Chaque soir, elle humectait son index pour tourner mes pages. J’adorais !
    Hier, elle m’a mis en vente sur eBay

    eBay, Facefook,
    Peu importe

    Je (ne) suis (plus) libre
    En ce jour

  3. Clémence dit :

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste. Elle flânait, je languissais. Je suis devenu son livre de chevet. Chaque soir, elle humectait son index pour tourner mes pages. J’adorais !
    Hier, elle m’a mis en vente sur eBay.

    Enfin et malgré mon âge avancé, je piaffais. J’allais connaître le grand frisson : une place sur « la toile ». Je me demandais comment Elle allait me présenter. Comment saurait-elle décrire la granité et la couleur passée de mes pages, la senteur désuète de la rose mêlée de violette et ma légèreté. Absorbé par ces questions, je perçus à peine le flash éblouissant accompagné d’un craquement indicible…

    Je revins à moi, ébloui, perché en haut d’un écran. Je me vis, délicatement posé sur un foulard de soie ocre, une rose « Pierre de Ronsard » en bas de page. Je languissais, envahi d’une douce torpeur. Je laissais revivre en ma mémoire de doux moments, depuis cette seconde où ma créatrice déposa sa plume.

    Je me souviens, c’était en 1932. J’occupais la place d’honneur dans les vitrines des libraires en même temps que le paquebot «  Normandie » s’avançait en mer et paradait à la une des journaux.

    En une fin de journée d’automne, j’attirai le regard d’une jeune femme, unie à un austère mari. Elle me prit délicatement et se permit de lire mon incipit. Elle fut troublée et ravie à la fois et me ravit. Dans un délicat papier de soie, je rejoignis d’abord le fond de son sac, puis la discrétion du tiroir de sa table de chevet.
    Avec elle, je partageai les émois d’un cœur qui bat à nouveau, qui s’emballe et rêve d’un « amour-toujours », jusqu’au jour où, d’un geste brusque je fus arraché des mains de ma lectrice. Une voix gronda :
    – Ma chère, ce sont de telles lectures qui mettent en danger le bon ordre des foyers. Lors de mon prochain séjour à Paris, je déposerai ce « livre » chez un bouquiniste. Depuis, un semblant de paix s’installa entre les deux époux.

    Mon séjour chez ce bouquiniste parisien fut un régal. J’allais, je virevoltait de mains en mains, de rêve en rêve, contant sans relâche, la douceur de la Haute Provence, les joies enfantines, la tendresse d’une mère, les frissons d’un amour interdit….

    Pendant une trentaine d’années, ma vie fut une succession d’événements infimes mais enivrants. Elles flânaient, je me languissais. Elles me prenaient délicatement, je me redressais. Elles tournaient les pages, je me dépliais un coin et enfin, nous partions pour une belle aventure.

    L’année 1970 fut magique : mes personnages prirent vie et le 21° concerto de Mozart chantait avec les eaux turquoises de la Durance.

    C’est également cette année que je quittai définitivement mon bouquiniste parisien. J’arrivai par le train et par les soins de ma jeune lectrice à Sisteron.
    A l’ombre des platanes, je paressais langoureusement entre méridienne et hamac, chantant avec les cigales, glissant de mains en mains. Tantôt, je revenais chez le bouquiniste sur le Cours , tantôt, j’attendais sagement sur un banc qu’une main audacieuse m’emporte. Je frissonnais de plaisir sous la légère pression de l’index qui tournait mes pages avec une douceur qui me faisait penser à la délicatesse d’un pétale rose fraîchement tombé…

    Mon histoire, si simple, si désuète, si naïve a émut de nombreuses lectrices au fil des années. Certaines y retrouvaient un peu de leur vie et s’identifiaient à Isabelle, d’autres refermaient le livre avec un pincement de lèvres.

    Aujourd’hui, je ne sais qui m’invitera à partager ses soirées, je ne sais à qui appartiendront les doigts qui tourneront les pages…mais j’ai confiance. J’ai encore de beaux jours devant moi, que je sois feuillet ou fenêtre, que je sois chez un bouquiniste ou sur eBay….

    La Maison des Bories – Simone Ratel – 1932.

  4. Regis dit :

    — Et combien pour celui-là ?
    Enfin, elle sautait le pas… Voilà des jours qu’elle me tournait autour, pourtant. Elle m’avait repéré depuis longtemps, me feuilletant, me scrutant, m’humant. Mais elle finissait toujours par me reposer avec soin au milieu de mes congénères. Je voyais bien qu’elle photographiait ma position avant de partir en murmurant un vague « merci » à Thomas, le vendeur. Parfois, même, elle finissait par nous quitter avec sous le bras un opuscule à quatre sous…
    Mais là, elle osait.
    Thomas leva la tête ;
    — Oh, mais ceci c’est une petite rareté. Une édition d’avant-guerre. L’auteur était un ami du traducteur. Certains connaisseurs disent même que ce dernier qu’il a eu accès à des documents in édits et que sa traduction comporte des surprises pour le connaisseur. Soixante euros.
    Elle paya sans discuter. J’eus le temps de discerner chez Thomas qui ne m’avait jusqu’ici pas ouvert plus d’une ou deux fois, un soupçon de regret. Il m’avait acquis auprès des héritiers d’un vieil original pour quelques francs et sans la pensée d’une bonne affaire ratée l’ a-t-elle effleurée…
    Elle m’emmena chez elle. Elle vivait seule. Sur le coup, je crus qu’elle allait me loger au mieu d’une bibliothèque aux rayonnages sentant l’encaustique mais non, après quelques minutes, elle m’ouvrit et se mît à me lir.
    Des lors, je ne la quittais plus. Quelquefois, elle m’emmenait même avec elle. Mais le plus souvent je ne quittais pas la table basse du salon ou le dessus de la table de nuit. Elle ne se lassait pas des histoires que je lui contais.
    Il lui arrivait de s’attarder en caressant mon dos ce cuir ou mes pages au papier jauni et un peu tachées par le temps.
    Nous étions accro tous les deux. Lorsque la fatigue la prenait, je pouvais voir mes lettres danser dans le verre de ses lunettes. Mais je me lassais pas de ses beaux yeux noirs et de sa chevelure de jais.
    Il arriva de plus en plus souvent que le soleil matinal perçant à travers les rideaux nous surprît l’un sur l’autre. Tl m’était impossible alors de me passer durent la journée de l’ivresse que m’avait procuré l’odeur de sa peau et la senteur de sa poitrine. Il semblait que tous dans moi, resplendissait plus encore : la noirceur des venelles des villes, l(‘odeur des campagnes, le costume des personnages, leur caractère, l’apparence même des silhouettes qui me traversaient. Tout devenait plus vrai, plus palpable. Et cela augmentait de plus en plus. Des frissons de me plaisir me parcouraient tout entier dés qu’elle approchait. Et je savais bien qu’il en était de même pour elle.
    Et pourtant voilà qu’un jour, elle me saisît prestement sans même me jeter un œil. Sans mot dire, elle m’enfouit dans un tiroir et je me retrouvais coincé entre une pelote de laine et un confrère de poche à la couverture vulgaire.
    De loin, pourtant, je compris ce qu’elle faisait. Elle était en train de me mettre en vente sur un site informatique. Et le prix était ridicule. Ce n’était donc pas me souffla le personnage principal une question d’argent…
    Il fallait faire vite. A l’ombre d’un orme d’un de mes paysages, tous mes personnages tinrent un conciliabule. Tous étaient là : Les bons, les méchants, les idiots, les silhouettes passagères, la foule des rues de mes pages.
    Et ce soir-là, on sonna à la porte d’Irène.
    Elle resta interdite devant le personnage qui se tenait devant sa porte.
    — Bonsoir, Irène. Je viens pour l’annonce.
    — Mais…. Je viens à peine de la mettre. Qui êtes-vous ?
    — Vous le savez bien, voyons, répondit l’inconnu. Je correspond à une image qui existe bien au fonds de vous.
    Irène savait qu’elle aurait dû crier, hurler. Elle se contenta de reculer à l’intérieur de son appartement.
    — Il me fallait le savoir, Irène. Non, en fait nous voulions connaître la vérité. Pourquoi se débarrasser de nous comme cela, nous étions si bien ensemble.
    Il s’était emparé du livre et le braquait sur elle.
    Irène fixa son vis-à-vis qui n»’avait pas quitté son couvre-chef, ni arrêtait de tirer une pipe d’où ne sortait aucune fumée.
    — Ecoutez, je dois devenir folle c’est sûr, maintenant. Je finissais par devenir complètement obsédé par vous. La seule solution était de me débarrasser de …ceci. J’avais remarqué que seul ce…libre me faisait cet effet. Le roman dans une autre traduction, dans un autre format, ne me procurait pas le moindre effet. Non, je ne pouvais lire « Les Aventures de Sherlock Holmes » que dans ce livre maudit…
    Holmes la regarda un moment puis sourît et dit :
    — Pas maudit, Irène, magique. Et c’est vous qui l’avez rendu ici. Les livres existent par eux-mêmes, dans leur univers, vous comprenez et tout devient vrai. De moi-même jusqu’au moindre d’herbe que vous avez imaginé, construit autour de l’œuvre de mon ami Conan Doyle chaque jour, chaque minute.
    — Vous ne comprenez pas, vous êtes devenu, une drogue, une idée fixe. Dans mes rênes et même dans mes pensées les plus secrètes, je m’imagine parmi vous à, évoluant à vos côtés,. Je ne peux pas continuer ainsi. Maintenant. J’ai trop peur de ne plus avoir envie de vire ici..
    — Et qui vous dit qu’il n’existe pas une place auprès de moi, là.
    Sherlock avait posé le livre sur la table.
    Irène le regarda longuement puis sourît.
    L’agent immobilier introduisît le visiteur.
    — Comme vous le voyez, il s’agît d’un appartement très agréable. Je dois vous prévenir que la précédente locataire a disparu sans prévenir mais à part çà., c’est nickel.
    L’homme parcourût d’un regard vif, la pièce..
    — Je vois bien. Il reste même quelques meubles et même ce livre.
    — Of, fît l’agent, si vous voulez, prenez-le
    Un frisson d’angoisse me parcourût lorsque la main me saisît prestement et m’enfouît fans les profondeurs d’un manteau noir sentant l’envers de la joie et de la vie. J’eus soudain comme une envie de hurler et entendis à peine la voie de l’agent continuer…
    — Eh bien j’espère que vous me ferez rapidement part de votre décision Monsieur Moriarty.

  5. Christine Macé dit :

    De loin je l’ai vue arriver sur le quai. Elle a jeté un coup d’œil à l’étalage du bouquiniste, comme si de rien n’était. Lui aussi la trouvait gironde, il lui a fait l’article. Sans trop savoir pourquoi, son regard s’est arrêté sur moi, comme à la roulette : j’avais gagné le gros lot ! Deux euros lui a dit le marchand.
    Bien emballé dans un vieux journal, elle m’a enlevé et attendu sagement qu’on arrive chez elle pour me dégrafer. Elle a mis la radio pour faire diversion à notre impatience, pas trop fort à cause des voisins. Là, tout timidement, on a fait connaissance.
    Je tremblais un peu, j’essayais de ne pas être trop poussiéreux. Dans ses yeux, j’ai vu qu’elle aimait mes caractères. Et mes cornes aussi sur certaines pages. Je me suis dit « cette fille-là, elle en connait un rayon ».
    Pourtant, presque infantilement elle s’est mise à suivre le texte ligne par ligne avec sa main qui me faisait palpiter la tranche de queue, je le confesse. Il y avait si longtemps, j’avais oublié le bien que ça fait. De haut en bas, elle dessinait des arabesques sur mon papier jauni et je retenais mon souffle jusqu’au moment crucial où, de son index mouillé, elle ferait glisser la page d’après. Je brûlais, suspendu à sa petite main qui m’effeuillait mot à mot, impudique déshabillage.
    Parfois, perdue dans l’anecdote ou dans un vague souvenir, elle différait son geste. Était-ce déjà la fin ? En apesenteur, j’attendais son invariable soupir et qu’elle remonte le fil de l’histoire, deux lignes plus haut, lentement, en tâtonnant la syntaxe. Plus tard, enfin rassasiée et le cœur en dérivade, elle me refermait doucement comme on fait d’une porte derrière un ami, me gardant un instant au creux d’elle avant de me poser sur son chevet et d’éteindre la lumière. Je savais que déjà elle pensait à la suite, demain.
    Puis il est arrivé. Il l’a fait rire, danser. Ils sont sortis, c’était l’été. Quand elle rentrait, je la voyais ravie, épuisée, oublieuse. Je guettais pourtant le moindre de ses gestes, espérant que peut-être. Mais elle était ailleurs. Comme si c’était possible. Comme si elle ne savait plus ce qu’on endure, heure après heure, à attendre fébrilement. A se rappeler le bon temps. Désormais, je vivais chaque heure sans elle. Infiniment.
    Un jour, j’ai su que c’en était fini. Vraiment. Elle a fait ses valises, m’a largué sur e-Bay et tiré le verrou. J’ai serré les pages, tapi sous ma couverture, et j’ai pleuré des larmes d’encre en pensant à la Seine.

    Bonne semaine, Christine

  6. Françoise dit :

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste.
    Elle flânait, je languissais.
    Je suis devenu son livre de chevet.
    Chaque soir, elle humectait son index pour tourner mes pages. J’adorais !
    Hier, elle m’a mis en vente sur eBay
    je me suis retrouvé où ? Vous ne devinerez jamais !
    À la bibliothèque de la prison des Baumettes à Nice
    là je cotoyai entre autres « à la recherche du temps perdu » (excellent pour ce lieu)
    le lendemain ce « voisin » fut emprunté par un condamné à perpet’n’était-ce pas dans son cas un bon choix
    celui qui partageait sa cellule m’a emprunté (mon nom « les misérables de Victor Hugo »
    je me fis la réflexion que tous deux aimaient la lecture pour nous avoir choisis.
    Autre point commun,aucun d’eux n’humectait son index pour tourner nos pages peut-être par peur des microbes
    je ris entre mes lignes en pensant que ce serait la première fois que Mme de Guermantes allait côtoyer Jean Valjean
    comment cela allait-il se passer.
    et bien tout se passa bien ; petit à petit ils se mirent à parler des auteurs et des personnages, de Marcel Proust qu’ils imaginaient à Trouville mangeant des madeleines en buvant du thé ,de Jean Valjean, de la petite Cosette, grignotant du pain sec, du policier Javert. Une véritable amitié semblait réunir les détenus et les personnages.
    Et puis un jour un gardien les changea de cellule en leur intimant l’ordre de laisser les livres sur la table.
    Nous fûmes tous envahis par la tristesse.

  7. Fanny dit :

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste. Elle flânait, je languissais. Je suis devenu son livre de chevet. Chaque fois, elle humectait son index pour tourner mes pages. J’adorais !

    Hier, elle m’a mis en vente sur ebay car il n’était pas question de me faire subir un énième déménagement. Les livres sont tellement lourds ! Il serait plus aisé pour elle de me trouver un remplaçant en meilleure forme, pensait-elle.

    Et, c’est ainsi que je me retrouvai avec quelques congénères dans un carton dans l’attente d’autres doigts pour me caresser.

    Ce matin, me voici dans les mains d’une jeune femme qui me retourne dans tous les sens :

    « Je n’en crois pas mes yeux ! C’est ma grand-mère qui l’a écrit. Elle l’avait fait imprimer pour elle et le gardait précieusement. Je me rappelle que son dada amusait bien la famille et je me demande qui a pu s’en séparer. »

    Désormais, je trône à nouveau dans la bibliothèque de Célestine.

  8. On s’est rencontrés chez un vendeur de livres d’occasion
    Elle flânait, je me morfondais.
    Je suis devenu son livre de chevet.
    Chaque soir, elle humectait son index pour tourner mes pages.
    J’adorais ça !
    Pour chacune d’entre elles, elle mettait sa griffe, c’est ce qui lui donnait le plus de plaisir
    Parfois elle invitait son ami, Thésaurus
    Il ne devait pas la décevoir, elle voulait tout satisfaire
    Certains soirs, trop impatiente, ses doigts fébriles l’envoyaient à l’index.

    Hier, fini de jouer. Elle m’a mis en vente sur eBay:
    A vendre: grilles de mots croisés, entièrement résolues

  9. Henriette Delascazes dit :

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste.
    Elle flânait, je languissais.
    Je suis devenu son livre de chevet.
    Chaque soir, elle humectait son index pour tourner mes pages. J’adorais !
    Hier, elle m’a mis en vente sur eBay
    Et c’est Évita qui l’avait commandé sur eBay ce précieux ouvrage. Quinze jours de délais d’attente, mais l’ouvrage en valait la peine. Elle en avait tant rêvé de ce vieux grimoire, et voilà elle contemplait ce livre lourd et précieux dont elle devrait prendre soin.

    « Berk, il sent le moisi ! Combien de mains se sont saisies de l’incunable ? Sur l’antique reliure de cuir fauve, usée par les temps, tâchée par endroits, le titre gravé en lettres gothiques se déchiffre à peine :
    Avant le premier jour
    Curieux titre, de quel premier jour s’agit-il ?
    Après un moment d’hésitation, elle ouvre le grimoire et sur la première page, jaunie par les âges, une seule phrase l’interpelle :
    Dieu était invisible, c’est pour ça qu’on ne le voyait pas ! »
    Enfin, c’est ce qu’on lui avait toujours appris ; jusque là rien d’extraordinaire. Personne d’ailleurs ne l’a jamais vu, lui semble-t-il. Mais Qui aurait pu le voir, il était tout seul ? »
    Elle tourna la page et découvre le premier chapitre.

    Dieu débute tout seul dans la vie !
    Au début, il était encore jeune et n’avait même pas pensé à se fabriquer un costume pour qu’on le remarque.
    Mais il commença à s’ennuyer. L’Univers, c’est bien, on n’a rien à y faire, mais quand on sait que c’est pour l’éternité on finit par déprimer.
    Dieu ne pouvait pas faire une dépression, il n’y avait personne pour le soigner !
    D’accord, mais rester comme cela tout seul dans un univers tout vide, ça l’agaçait. Alors Dieu réalisa qu’il pouvait réfléchir et décida de s’installer confortablement dans cet éther où il devait rester pour l’Éternité.
    Il se lança d’abord dans la fabrication d’un tabouret, mais il n’avait pas beaucoup de matières premières sous la main pour sa confection. Aussi l’idée du nuage lui vint. C’était une bonne trouvaille… le nuage doux et confortable. Il se trouva assez habile, et en fit des petits pour s’asseoir, des grands pour dormir, de différentes formes pour faire joli et pour s’aider à réfléchir. »
    — Dieu se meuble songea Évita.
    « Oui, mais des nuages transparents, ça crée des problèmes. Alors, il réfléchit encore, et :
    — Dieu créa le blanc !
    Chouette ! des nuages blancs c’est joli, trouva-t-il. Mais des nuages blancs qui se déplacent avec Dieu assis dessus, car il avait aussi pensé au vent pour les faire bouger, même s’il s’amusait beaucoup avec les vents en réglant leur cadence, ça ne suffisait pas, cela devient lassant de toujours jouer à la même chose.
    — Alors Dieu créa le ciel.
    Pour cela, au départ il trouva que le bleu allait bien. Des nuages blancs dans un ciel bleu ça faisait assez chic. »
    … Mais qui avait donc pu écrire cette curieuse version ?
    (extrait de Modus Vivendi © ) d’Henriette Delascazes)

  10. Durand Jean Marc dit :

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste. Elle flânait, je languissais.

    Je suis devenu son livre de chevet. Chaque soir, elle humectait son index pour

    tourner mes pages. J’adorais!

    Hier, elle m’a mis en vente sur Ebay. J’ai été exclu de la petite table. Je stagne

    dans une boîte à chaussures. Cela fait bientôt deux mois. Et rien en vue!

    J’ai eu le temps de penser aux copains et aux copines. « Tu verras, la lecture est

    un grand voyage  » me disaient ‘ils.

    « Il te faut quitter les quais…monter dans le train…non, tu n’es pas qu’une

    marchandise! ».

    Puis pan, encore, ce soir, une paire de baskets sur le coin de la couverture!

    Eh oui, depuis ma mise au rebut….elle court, elle court et ses nouvelles illusions

    ne sentent pas bien bon le cuir. Je m’imprègne d’une sueur de plastique. Bien

    enfermé dans ma boîte à chaussures, je vais pouvoir tenter la première

    champignonnière de Paris, à l’étranger. Pourquoi pas ?

    Je ne lui en veux pas. Elle est petite, fragile peut être. Ses chimères lui tiennent

    lieu de squelette. A tous les coups, elle s’est faite arnaquer.

    Quelle idée, quand même, pour une chinoise de passage à Paris de se faire

    refiler un fac similé de 1984 de la première traduction du Kama Soutra en

    breton!

  11. Miel dit :

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste.
Elle flânait, je languissais.
Je suis devenu son livre de chevet.
Chaque soir, elle humectait son index pour tourner mes pages. J’adorais !
Hier, elle m’a mis en vente sur eBay
    Après l’époque dorée d’une place d’honneur sur son chevet, j’aurais dû me méfier lorsqu’elle m’a relégué dans sa bibliothèque.
    Voici deux ou trois ans, on m’avait inséré entre « la bonne cuisine de la mer » et un petit Futé de Toscane-Florence-Ombrie. Si mes acolytes, permutables, ont défilé depuis ces dernières années, je me pensais, à tord, indéboulonnable.
    Oh ! elle m’a souvent délogé de mon récent asile et pas seulement pour me dépoussiérer. Je restais quand même son petit préféré, voyez-vous. La seule chose que je n’appréciais pas chez elle, était sa manie de corner la page qui lui avait plu.
    Elle s’y attardait longtemps avant de passer à une autre.

    Lorsque j’ai appris qu’elle m’avait mis en vente sur ebay, mon encre n’a fait qu’un tour. Quelle déception !
    Quitte à entamer une nouvelle existence, j’aurais espéré garnir l’étal d’un bouquiniste, fin prêt pour le coup de foudre du siècle. Pas un vulgaire vide-grenier où l’on dénombre d’avantage de badauds que de véritables amoureux du livre rare mais… Vous avouerai-je ce vieux rêve, enfantin ?
    Accéder à la Capitale !
    Faire partie des boîtes vert bouteille des quais de Seine…Toute l’année, plutôt l’après-midi, sauf intempéries, vent violent, gel ou canicule ayant un effet désastreux sur nos couvertures et feuillets de papier… Paris ! Passer de mains en mains… Etre pesé, soupesé par des bibliophiles en quête de trésors de la rive droite, du pont Marie au quai du Louvre… De la rive gauche, du quai de la Tournelle au quai Voltaire… Ah ! le charme de Paris…
    Tout ! tout plutôt qu’être vendu sur la toile, sur photo ! Quelle dégradation… Quelle humiliation…

    Mais tandis que je vous parle, des mains trempées de sueur, s’emparent de moi… Deux paires de main qui me tiraillent, chacune de leur côté dans un curieux duel. Les gagnantes m’ouvrent avec brusquerie et tombent sur une page cornée. Et me voilà tête en bas, puis de nouveau tête en haut.
    Et l’on me fait pivoter, à l’ouest et à l’Est pour me replonger tête en bas.
    J’ai mal au cœur, que cela cesse !
    « Tu vois bien qu’on ne la connaît pas encore par cœur ! Quelle idée de l’avoir mis sur ebay !
    — Tu as raison, demain, je le retire de la vente.
    On va le garder un peu, ce bon vieux Kamasutra ! »

    • delphine dit :

      Hier, elle m’a mise en vente sur e bay.

      Cela me chiffonne.
      Et aujourd’hui j’en perd mes pages. Une par une.
      J’ai peur de disparaître si ça continue.
      Que faire?

      Me mettre à parler, essayer…

      Ou gigoter comme le chat, me frotter à ses jambes aussi, à l’heure de la pâtée.
      Ou bien.. . sonner comme son téléphone ?
      Clignoter ? M’allumer en rouge, en orange et recommencer ?
      Non…
      J’ai mieux.

      M’allonger, ma couverture sous la sienne,
      Une page à son oreille
      Et mon dernier mot sur son front ,
      « Soleil ».

  12. Charly dit :

    Mise à prix un euro. Cela ne fait pas cher la page de volupté. J’enrageais d’être acheté par un néophyte, un parieur ou un soudar qui aurait fait déraper son index du clavier. Il fallait vite s’échapper de ce traquenard. Comment allais-je retrouver mon chemin, mon amour et son doigt humecté ?
    Je me sentais prisonnier à perpétuité, enfermé dans mon cuir pleine peau qui transpirait d’angoisse.
    Trois jours passèrent sans qu’aucune enchère ne fût lancée. Cette invisibilité éphémère me rassurait et me donnait du courage pour inventer quelques subterfuges chimériques. Une proposition à cinq euros me glaça. Nous montâmes à huit, puis dix. Enfin vingt, qui ressemblaient plus au prix de mon papier. Mais, j’étais là, moi, enserré entre la fin du roman et le marque-page jeté au hasard comme elle avait l’habitude de faire pour me prendre en sandwich. Qui serait capable de me lire entre les lignes, à l’envers ou par transparence, comme elle le faisait ? Quels doigts seraient capables de me saisir avec un parfum, des ongles fins ou la chaîne d’une gourmette trop lourde entrechoquant des mots édéniques ?
    Je partis à trente-cinq euros. L’homme était généreux, ou curieux !
    Après un voyage bahuté, transporté de sacoche en sac, de camion en avion, et re-sac en sacoche, je me retrouvai oublié dans une boîte aux lettres pendant cinq jours. Cela sentait la rupture, les impôts et la publicité mensongère. Enfin mis au grand jour, je me retrouvai chez Emile, chausseur bon marché, à l’autre bout de la France. Il me posa nonchalamment sur son chevet et me fit attendre jusqu’au soir à côté d’une boîte de lexomil et d’un verre d’eau de la veille. Cela commençait bien.
    Le soir venu, le marchand célibataire endossa son survêtement rouge rayé de blanc, s’explosa dans le canapé et zappa jusqu’à très tard, laissant derrière lui quelques cadavres de bière.
    Avec la délicatesse d’un phoque, Emile s’allongea sur sa couche qui me jouxtait, rota avant de me saisir d’un geste maladroit. Ma croûte en crissa et je refusai de m’ouvrir. Quelle erreur ! Il mouilla son doigt pour me violer. Il me parcourut brièvement, se gratta le pubis, et m’abandonna dans un songe. Un poil de son nez était tombé sur ma couverture. La fenêtre entrebâillée l’en chassa. Mes mots s’entrechoquèrent toute la nuit.
    Je dus tenir un an à ce rythme odieux. Bien que parfois, atteint sans doute du syndrome de Stockholm, il m’arrivait de le trouver sympathique.
    Un beau matin de printemps, un camion de déménagement se planta devant chez Emile. Il quittait les chaussures pour la cuisine aménagée, plus en vogue dans le département voisin.
    Après de longues heures de route, je me retrouvai toujours en carton avec les autres livres, outils et autres produits de vaisselle entamés. Quelle promiscuité ! Plusieurs jours passèrent sans que l’on vînt m’ouvrir.
    Jusqu’à ce qu’un premier bout de jour éclaboussât ma reliure d’un rayon de soleil dégourdissant.
    J’étais perdu. Comme un petit chien abandonné dans sa cage sur un tarmac sans avion.
    Premier de la pile, on me feuilleta à la recherche de quelques indices. Le nom de ma maîtresse avait laissé son ombre au crayon à papier en haut et à gauche à l’intérieur de moi.
    C’était l’emplacement du cœur.
    Les Pages Jaunes le comprirent et me ramenèrent, à sa grande surprise, au doigt humecté de ma muse qui aujourd’hui me relit et me tourne, me retourne et je vis.

  13. Bénédicte Froger-Deslis dit :

    Quand on s’est connus, j’étais en garde à vue dans la boutique de son amant. Je lui ai tapé dans l’œil tout de suite ! Mon geôlier m’a sorti du panier et m’a offert en déposant sur ma page de garde son écriture de déjanté. Le « Cherche encore même si tu m’as trouvé. À toi pour la vie » m’a filé de l’urticaire : je connaissais trop la muflerie du dragueur. On s’est installés tous les trois dans un joli nid douillet ; je trônais sur la table du salon, j’avais tous les égards. Trois mois plus tard, le saligaud a largué la princesse. Ivre de douleur, elle m’a jeté à la poubelle, comme si j’étais l’instigateur de cette crasse ! La gardienne m’a découvert le lendemain matin, souillé, écorné ; elle m’a toiletté et j’ai atterri dans les mains de son fils qui aussitôt m’a refourgué sur EBay pour quelque menue monnaie. L’acquéreur m’a dévoré, puis s’est lassé. Je me suis retrouvé à la rue dans un carton ouvert aux quatre vents. La mode étant aux biographies scabreuses, qui pouvais-je intéresser ? J’étais aussi indispensable que du produit anti-moustiques au Pôle Nord. Je me languissais fort. Un soir, un jeunot boutonneux m’a alpagué. Au moment où l’on me glissait dans un sac en plastique, la princesse a rappliqué, larmoyante. Elle me cherchait, moi le seul témoin de son idylle éphémère ! Elle espérait découvrir, par mon entremise, où se cachait l’amant ingrat qui, ironie du sort, portait le même nom que moi. Trop tard, j’étais déjà capturé.
    Dès lors, j’ai repris mon destin en main, j’ai tout fait pour ne pas être adopté. Je ne rêvais que d’une chose : reconquérir la princesse ! Je l’ai suivie à la trace, je suis passé d’une boutique à une autre. J’ai fait les quais, je suis parti en banlieue, j’ai campé au bas de son immeuble, elle pouvait pas me louper. Elle m’a loupé quand même. Voilà-t-il pas qu’elle décide de s’expatrier à Montmartre ! Vite, vite, j’ai repris la route, direction la librairie jouxtant le bistrot où elle prenait son café chaque matin. Là encore, elle m’a ignoré. J’avais beau être le livre de sa vie, elle s’esbignait à dénicher des navets. Elle passait sur moi un doigt fureteur qui, toujours, changeait de pile et choisissait un autre ouvrage. Dingue !
    Au fil du temps, j’ai perdu espoir. Je suis retourné sur les quais, attendant benoîtement qu’un quidam jette son dévolu sur moi. J’aime bien les quais, on a l’eau, les bateaux, de jolies niches vert épinard, de la compagnie. On voit du monde, on est bichonnés par les bouquinistes. La bonne planque, quoi !
    Juste avant Noël, alors que je me caillais la reliure, je la vois qui s’amène. Elle avait pas bonne mine. Soudain, elle se fige, me zyeute, me reluque. Ai-je la berlue ?… Elle me tend les bras, me saisis, m’embrasse, pleure. Pfft ! Ces bonnes femmes, faut toujours qu’elles larmoient quand elles sont émotionnées ! Résultat, ma première de couv’ s’auréole et gondole. Bon, soyons grand seigneur. C’est pas le moment de rechigner, elle risquerait encore de m’abandonner. On repart bras dessus tranche dessous, on nous bouscule dans le métro, aïe, attention, je suis pas de chair, moi, vous allez m’écornifler ! On descend à Saint-Paul. Le Marais, j’adore ! On s’arrête chez le boulanger… Oh, oh ! La baguette craquante se plaque à moi, me charme de son odeur envoûtante. Au secours, je vais m’effeuiller ! Nous arrivons dans un coquet trois-pièces. La baguette file en cuisine, sans plus aucune miette pour moi. C’était bien la peine de me draguer aussi insolemment ! M’en fiche. Je suis toujours collé-serré au bras de ma dulcinée. On emprunte un couloir. Où diable m’emmène-t-elle ? Ouah ! Direct dans la chambre, direct sur le lit. Les motifs rouges de mon illustration virent à l’écarlate. Là, rideau ! Je suis une BD, par un truc porno ni un machin érotico-romantico-sensuel.
    On est restés toute la journée au pieu. Elle m’a tourné et retourné, je ne savais plus où donner de la page, mais j’ai été à la hauteur, je lui en ai mis plein la vue, tout en restant mystérieux et facétieux. Pendant les pauses, j’ai inspecté la bibliothèque. J’y ai retrouvé mes six frères. Ils ont été soulagés de me voir arriver. Ils avaient donné le maximum d’indices. En pure perte. Le traitre ne correspondait pas aux critères avancés. Je leur ai dit tout de go : « Calmos ! Je suis pas pressé de le retrouver, ce malappris. »
    Elle et moi, on a vécu une folle passion jusqu’au 6 janvier. J’avais ma place attitrée : sur la table de chevet, près de la lampe en mosaïque. Le 7, patatras, tout s’est écroulé ! Certes, on ne m’avait pas encore remisé sur les rayonnages, mais j’étais considéré comme du pipi-de-chat. Parce que des petits rigolos à l’humour décalé s’étaient défoulés sur des caricaturistes dont le journal portait, lui aussi, le même nom que moi !
    La folie dans Paris, je vous dis pas ! Partout, des pancartes clamant : « Je suis Charlie ». Vous voyez où je veux en venir ? Ma princesse, elle est partie, a arpenté rues, boulevards, avenues, squares, soulevant chaque pancarte pour savoir si c’était son Charlie qui était dessous. De désespoir, elle est revenue à la maison, m’a pris à nouveau entre ses menottes si douces, je tremblais de désir au contact de son index humide qui pianotait à tout-va sur mon dos. Elle a lu mon titre dix fois au moins : Où est Charlie ? Où est Charlie ? Où… J’avais envie de lui dire : dernière page à droite, dans la décharge publique.
    Un conseil, les bouquins ! Honnissez les prénoms. Ce sont des titres porte-poisse.

  14. Henriette Delascazes dit :

    Précipitation et efficacité ne font pas bon ménage !
    Je n’ai pas relu avant d’envoyer le texte, et j’ai l’horreur de vous annoncer que je ne peux plus corriger les fautes d’orthographe ! Tant pis pour moi, je les assume, même si jze dois me faire taper sur les doigts !
    Bon week-end
    henriette

    • Bénédicte Froger-Deslis dit :

      Qu’importe les fautes, Henriette ! Vous nous avez fait rêver; par votre entremise, nos souvenirs ont resurgi. C’était agréable.
      Bon week-end.
      Bénédicte

  15. Henriette Delascazes dit :

    Nous étions entassés comme des sardines sur les rayons poussiéreux d’un bouquiniste de la rue de l’Université. Nous avions depuis fort longtemps renoncé à être seulement caressés du regard par un client qui atchoumerait bien vite dès qu’il nous aurait pris en main. Nous ne servions plus qu’à ça désormais « faire éternuer les gens » ! Encore, nous avions de la chance, nous étions ici bien au sec et pas dans une cave humide. Le « Viel homme et la mer » et « Vol de nuit », nous ont raconté qu’ils avaient été utilisés comme cale-pied d’un lit bancal.
    Les clients de monsieur Martin étaient rares, il voyait plutôt des vendeurs qui venaient proposer leur bibliothèque enfantine, ou celle de leurs parents décédés.
    Monsieur Martin triait, c’était la plupart du temps les mêmes livres qu’on lui présentait, il en refusait beaucoup ne trouvant jamais la perle rare qui l’aurait enchanté.
    Pourtant nous, nous étions toujours là, nous languissant. Nous nous étions accoutumés à passer un repos paisible dans la pénombre de la boutique, avec monsieur Martin – qui lui, aurait dû être à la retraite depuis longtemps –
    Ce jour-là, fut cependant notre jour de gloire. Deux amies entrèrent dans l’antre poussiéreux sans voir notre propriétaire qui sommeillait derrière son comptoir – qu’avait-il donc à faire de mieux ! Il nous avait tous lus et plusieurs fois pour certains.
    Comme il se doit, chacune atchouma, se moucha, recommença.
    « Mon Dieu que de livres, crois-tu que l’on va le trouver mon « Petit Prince » dans sa version originale ?
    — On va demander au monsieur qui dort, si l’on arrive à le réveiller ! dit l’autre en se moquant. »
    Quelle impudente celle-là, venir nous réveiller sans un mot amusant.
    Le monsieur ne dormait que d’un œil,
    « Cherchez dans la pièce du fond, vous le trouverez sur un des rayonnages de droite, maintenant je ne sais pas si c’est la version que vous cherchez, car il y en a tant eu !
    — Vous n’avez pas un listing ou un ordinateur pour vérifier ?
    — Mais où vous croyez-vous petite dame, ici vous êtes dans l’autre-temps, celui où on savait lire.»
    Les deux dames, impressionnées, remercièrent et se dirigèrent vers nous… les livres oubliés.
    « Michèle regarde, te souviens-tu de « En Famille » d’Hector Malot ?
    — De Sans famille, oui, mais pas de « En famille », tu te trompes, mets tes lunettes Henriette, à moins que ce ne soit une suite inconnue !
    — Non, non, non, je ne me trompe pas, elle est bien là, mon histoire favorite, celle qui m’a tant fait rêvé qu’en j’avais dix ans. C’est l’aventure de Perrine une fillette qui revient des Indes avec sa mère malade. Elles vivent dans une misérable roulotte tirée par un âne. Sa mère meurt dès le début. Qu’est-ce que j’ai pu pleurer en lisant ces pages ! Puis toute seule, elle part à pied vers une ville du Nord, je ne sais plus laquelle où elle doit retrouver la famille de son père, qui ne la connait pas.
    — Elle est triste ton histoire, achète le livre si tu veux passer une soirée joyeuse. Moi je ne trouve toujours pas mon « Petit Prince ».
    — Michèle, nous sommes dans une mine d’or, je crois que je vais m’offrir le magasin, il y a aussi les « Heidi » … oh ! mais ce sont les miens ! Lis à l’intérieur, il y a écrit de la main de ma mère « offert à Henriette pour son opération de l’appendicite par Lucette avril 1953 » Il y a tous les tomes ! Mais que font-ils là ? Je pensais qu’ils étaient chez ma sœur ! Quel culot, elle aurait pu me demander si j’étais d’accord avant de les vendre. Je vais les racheter. Tu réalises toute mon enfance dort dans ce magasin. C’est un vrai bonheur. »
    La dame semblait toute excitait, pourtant cette série n’avait plus bonne mine, les couvertures étaient toutes râpées. Qui les avaient mises à mal, la dame, ou sa sœur ?
    — Cherche, tu rencontreras sans doute les autres puisque tu bouquinais à t’en rendre malade d’émotion. Tu ne veux pas Rebecca ?
    — Non, je l’ai chez moi, mais par contre je prends aussi « Sara Dane de Catherine Gastkin », je l’offrirais à ma petite fille qui part faire un voyage scolaire en Australie. C’est moi qui l’ai abandonné celui-là.
    — Tu crois qu’elle le lira ?
    — Non, mais moi si.
    — J’ai bien trouvé « Le Petit Prince », mais ce n’est pas celui qu’il me faut absolument retrouver.
    — Contente-toi de celui-là ou cherches-en un neuf. J’ai remarqué une chose avec mes petits-enfants. Ils refusent d’ouvrir un « vieux livre », mais si on leur donne le même « tout neuf », ils essaient de le lire.
    — essaient, oui, c’est le mot, car ils ne lisent plus, ils ont les mêmes histoires en série télé, pourquoi feraient-ils tant d’effort ?
    — Pourtant que de vies on pourrait s’inventer en tournant les pages d’un vieux bouquin.
    Regarde ce que je trouve dans ce livre jauni. A l’encre violette d’une écriture élégante, est écrit qu’« Alice au pays des merveilles » a été offert à Églantine Droullin pour Noël 1938 par Marie Guérin. Elle semble l’avoir soigné. Tiens une note à la fin du livre « Que j’aurais aimé être Alice, merci mémé de me l’avoir offert. » Il y a même une violette séchée en page 15, et une image de communion y est glissée un peu plus loin. Ce doit être celle d’une amie, car elle est au nom de Martine Galland, mais date de 1952. Ce livre a eu plusieurs vies, n’est-ce pas merveilleux. Maintenant, il s’ennuie sur une étagère, coincé entre deux autres romans.
    — Tu écris trop de roman ma belle, tu vois des signes partout. Non, moi ça me laisse froide, et me dégoûte plutôt de feuilleter ces vieilleries. Après-tout, ceux qui les ont eues en main étaient peut-être malades ?
    — Alors, pourquoi cours-tu après ton « Petit Prince » ?
    — Parce que mon fils me l’a réclamé, son grand-père le lui avait offert, et il fait soudain une fixation sur ce bouquin qu’il souhaite transmettre à ses filles. Je me sens coupable, car c’est moi qui l’ai vendu sur e-bay, sans en parler un jour où je voulais faire du vide dans la bibliothèque. Je suis au bord de la crise familiale s’il l’apprend. Je dois me sortir de ce mauvais pas.
    — Le mien m’a reproché de lui avoir jeté des vieux Picsou et des Sciences et Vie datant de plus de trente ans !
    — Qui t’a donné le goût de la lecture, car je ne connais personne qui dévore comme toi ?
    — Dans ma famille, tout le monde lisait. J’avoue que souvent c’était une bonne excuse pour m’épargner la corvée d’épluchage des pommes de terre. Mais c’est surtout mon institutrice de CM2, madame Vigne. Tous les quinze jours, avec une autre fille de la classe, Marise, je crois, nous avions l’honneur d’aller chez elle dans sa pièce à merveille. Je l’ai toujours dans mes souvenirs, elle était entièrement tapissée de livres de la bibliothèque verte, avec le filet or sur la face sous le titre. Il fallait en prendre soin, le lire surtout, car elle nous questionnait, et les élues étaient jalousées par celles qui n’avaient pas ce droit. Nous étions les « chouchoutes ». Je crois qu’elle m’a fait découvrir tout Jules Verne, et j’ai aussi adoré les histoires d’îles au trésor et de naufragé solitaire, Robinson Crusoé, et plus tard un autre auteur Georges Toudouze m’a fait rêvé avec sa série des « Cinq jeunes filles sur l’Aréthuse ». Tu comprends d’où me vient ce goût de la lecture.
    — De la lecture, du rêve et de l’écriture !
    — Ce que je n’ai pas su faire c’est le transmettre à mes fils, l’un des deux ne lit pas du tout et ses fils encore moins.
    — On est venu pour toi, mais finalement c’est moi qui achète, tu ne veux même pas te laisser tenter, regarde ces « Fables de La Fontaine » en version illustrée datant de la fin du 19ème siècle, ou « Les contemplations » toi qui aimes les vieilles choses tu devrais apprécier ces vieux livres.
    — Mais je n’aime pas vraiment lire tu le sais bien, et je manque de place. »
    Et voilà toute l’histoire, nous fûmes emballés, payés et enfin nous nous sentîmes revivre. À tour de rôle sous le regard narquois de sa famille, chaque soir, elle nous caressait page par page. Oh que nous adorions çà !
    Je redoute pourtant le moment où elle se lassera, car il est à prévoir qu’elle ne nous gardera pas tous. Heidi ou Perrine auront sans doute la préférence, mais Sara ou Rebecca risquent de repartir chez E-Bay.
    Bonne lecture pour ce week-end grisâtre chez nous.
    Henriette

  16. ourcqs dit :

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste. Elle flânait, je languissais.
    Je suis devenu son livre de chevet.Chaque soir, elle humectait son index pour tourner mes pages. J’adorais !
    Hier, elle m’a mis en vente sur eBay

    Je languissais, pourtant bien en vue, en pied ,face aux passants.
    Chaque main qui s’approchait me faisait frissonner, mais non, ce n’était jamais pour moi, et j’ai tout entendu …
    – Quel titre racoleur proclamaient certains !
    – C’est sans doute un raté de l’édition, spiritueux / spirituels, grossière confusion, il a peut-être la valeur d’un livre rare, unique ??? mais je restais sur l’étagère …
    – Encore un de ces bouquins pour nous faire vivre mieux, accepter nos dérives ??
    Quand elle s’est approchée,déambulant, nonchalante j’ai remarqué immédiatement l’éclair malicieux de ses grands yeux noirs, elle m’a feuilleté, a souri, et ma vie a basculé .
    Tasse de thé au soleil, le chat s’assurant que je n’apportais pas de risques majeurs pour la maison, je découvrais la volupté d’une lecture lente, parfois à haute voix, ponctuée de rires complices, d’exclamations jubilatoires !! Pendant des jours, elle m’a délicatement posé à son chevet, et chaque soir, elle dégustait quelques pages, instants inoubliables! Un jour, mauvais jour, débarqua un olibrius, dépourvu d’humour, et sans aucun doute « frileux du coude », qui, poussant des cris d’orfraie, la somma de me liquider sur eBay, m^me pas un bon marché aux livres !! quel manque de savoir vivre !! ne pas apprécier la »faconde rabelaisienne » …..

    je suis ‘Itinéraire spiritueux » de Gérard Oberlé,

  17. Catherine M.S dit :

    Un scénario bien ficelé

    On s’est rencontrés chez un bouquiniste
    Elle flânait, je languissais,
    Je suis devenu son livre de chevet.
    Chaque soir, elle humectait son index pour tourner les pages
    J’adorais !
    Et puis elle m’a mis en vente sur eBay
    Et en deux clics je me suis retrouvé entre un vieux canapé
    Et des outils de jardinage usagés.
    J’étais à deux doigts de m’effondrer
    Chez qui allais-je atterrir ?
    Qui aurait envie de me lire ?
    Ma couverture était un peu gondolée, les pages souvent froissées
    Et le titre avait une mine de papier mâché.
    Une semaine est passée, le canapé avait disparu,
    Les outils envolés et moi j’étais toujours coincé
    Entre des séries d’ouvrages car, oui, on m’avait changé de page
    Et la concurrence faisait rage
    Entre des histoires d’espionnage et autres marivaudages.
    Je m’étiolais …

    Mais hier, Angèle a cliqué
    Rien ne l’a rebuté, ni le prix ni l’aspect.
    J’ai aussitôt voyagé dans un moelleuse enveloppe matelassée,
    Attendu quelques heures dans une boîte aux lettres
    Bien chauffée en face de l’escalier.
    C’est le bruit de la clef qui m’a réveillé
    Hop ! Je me suis retrouvé dans un panier
    Une , deux, trois, plusieurs marches avalées
    Clic, clac, encore des tours de clef
    Vlan, une porte claquée
    Bim, boum, des chaussures envoyées valdinguer
    Ahhhhhhh, des soupirs à n’en plus finir
    Waouh, du plaisir à partager
    Sans ambages, Angèle m’a littéralement pris en otage
    Clap ! Entre nous l’histoire ne fait que commencer …

    Je suis la 1ère aujourd’hui ??????
    Tout le monde est parti en We ?????

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