Exercice inédit d’écriture créative 289
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes.
Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais...
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes.
Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais les pronoms réfléchissent, et leurs ego m’intimident.
La substance de ces lignes ne sont pourtant que des maux, des mots qui ne m’appartiennent pas.
Hélas, je tiens à eux comme s’ils étaient mien.
Ma voix entretient leur véracité frivole,
comme à un mur percé, qui laisserait entendre une certaine liberté.
Alors, entre l’incertitude et l’interrogation, j’organise mon évasion.
Le vent s’engouffre, emporte les verbes et balaye les tournures.
Je tourne la page, et là, stupeur,
le chapitre se meurt, délaisse sa noirceur.
Original, Charles
Je suis fière.
J’habite à deux lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes. Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant. Mais les consignes sont strictes, le prof a bien dit qu’il fallait s’imprégner de la philosophie du texte et qu’il faut baguenauder dans cette ambiance de suffisants pour en déceler toutes les roueries et les points faibles, surtout ne pas les agresser car malgré leur air hautain et leur façon de vous toiser, au fond on pourrait croire qu’ils se fient à leur masque.
Mais tout cela n’est qu’apparence. Avant de faire montre de toute générosité, il faut surtout bien vous pénétrer de ce qu’ils vous donnent en collectif malgré eux, malgré leur retenue et malgré leur désir de garder pour eux, bien qu’ils vous trouvent sympathique.
Ce n’est qu’après les avoir côtoyer, disons ! pendant le temps qu’ils vous entraînent dans leurs flots que vous pourrez commencer à saisir leur âme profonde, parce qu’ils vous auront malaxé à votre insu. Ils vous auront transformé sans que vous puissiez vous en apercevoir, pas comme de la magie non ! Comme un geste naturel qu’ils vous donnent à apprécier gratuitement avec un toucher à peine perceptible. Il faudra vous laisser attirer par leur connexion en vous disant qu’être adverbe ou adjectif avec leur suffisance, ce n’est pas suffisant, il faut un verbe pour les faire bouger. Et si vous êtes fin, vous verrez, mais pas tout de suite, qu’avec votre humilité, c’est vous qui les ferez bouger et qui agirez sur eux. Alors, ils deviendront humbles aussi et ils vous remercieront et vous pourrez rentrer à pieds, ou changer vos lignes si ça vous chante.
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes.
Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais malheureusement ce n’est pas aussi simple que ça.
Mais pourquoi déménager me demanderez-vous ? Ici, tout est beau, tout est lisse, précis et incroyablement esthétique. Parfait en somme. Mais mes congénères eux, même si ils reflètent tout ceci, en réalité, ils ne le sont pas. Dans leur essence même, ils sont arrogants, ou encore imbus… Ils aiment se montrer clinquants et toujours supérieurs aux autres. Ils aiment se glisser devant un verbe pour soit disant « l’embellir » ou encore avoir le dernier mot après un simple nom commun pour le rendre unique… Bref ils ont le monopole du majestueux et moi ça comment à m’agacer sérieusement !
Étant moi même un adjectif, il ne m’est pas facile de déménager où bon me semble. Si je souhaite changer de livre il me faut tout d’un tas d’autorisations grammaticales invraisemblablement difficiles à obtenir. Si je change de chapitre alors là, quand bien même les démarches soient simplifiées, il faut vérifier ma compatibilité avec ce dit chapitre pour ne pas -je cite – dénoter avec l’ensemble de l’environnement littéraire !
Moi, je vis dans une phrase où être naturel et soi-même est presque une atteinte à l’intégrité épistolaire (selon mes collègues). Mais moi je ne veux pas être autre chose qu’un bon adjectif ! Je ne veux pas être le meilleur ou le pire, je ne veux pas être différent ou similaire, ou encore rocambolesque ou original… non, je veux simplement être un adjectif qui fait son travail normalement comme il se doit. Être à sa place quand nécessaire, apporter l’information utile et juste au moment adéquat… bref tout bonnement être moi-même ! Je ne veux pas, comme tous mes semblables, m’illustrer dans la sophistication et la course à l’intelligence sémantique !
J’ai donc décidé, avec moi-même, de faire la grève et de m’effacer de cette ligne, jusqu’à temps qu’un auteur intègre m’utilise pour ce que je suis, rien de plus rien de moins… moi-même somme toute !
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes.
Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais…
Mais, que ce soit le soir ou le matin, baillant devant les toits qui s’étalent à perte de vue, je frémis, je stresse, j’angoisse, j’étouffe, je suffoque…rien qu’à la pensée de changer de chapitre.
Qui hanterait mes jours et mes nuits ?
Qui serait la source de mon imagination infatigable ?
Qui serait la cible de mes traits d’ironie ?
Qui serait le réceptacle de mon fiel ?
Personne ne se doute de ma véritable identité.
Personne ne peut imaginer que derrière mes traits angéliques se cache la vilenie.
Ils ne se doutaient pas des conséquences, ceux qui hurlaient :
– Nous exigeons la clarté et la transparence !
Je m’en suis donné à cœur joie pour dénoncer ces adjectifs qui se la pètent avec leurs comptes off-shore, leurs luxueux offshores et leur quincaillerie rutilante.
Je m’en suis donné à cœur joie en écorchant ces adverbes en révélant les ombres qui sommeillaient dans les tréfonds de leur âme, les éreintant et les étripant jusqu’à leur dernier souffle.
A quelque lignes de là, un air d’une beauté sublime s’empara de l’atmosphère et me prit à la gorge…
Tout à coup, j’angoissai, je suffoquai, j’étouffai.
Le vertige s’empara de moi.
Tel un vautour, je plongeai dans les entrailles de l’humanité.
A quelques lignes de là, Ruggero Raimondi chantait le dernier couplet de « La calomnia »
Et l’on voit le pauvre diable
Menacé comme un coupable
Sous cette arme redoutable
Tomber, tomber terrassé
© Clémence.
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes. Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais je manque de vocabulaire et je suis aussi très faible en grammaire donc je ne comprends pas très bien le sens de la phrase où je suis ! alors comment me replacer ? Par exemple entre le nom propre et le nom commun je ne fais pas la différence ; ma voisine de ligne a beau me dire que le nom propre commence par une majuscule et le nom commun par une minuscule, rien n’y fait ! Pas étonnant, je suis myope comme un c à qui on a rajouté une cédille .On a beau me dire que « c’est Dieu qui a créé le verbe » ce qui voudrait dire que c’est lui qui m’a créé , je n’ai aucune confiance en moi . Ironie de l’histoire : je suis athée (j’ai été baptisé comme çà : qui puis-je !).
Puis dans quel chapitre aller ? J’aimerais bien descendre dans le dernier, mais je risque d’attendre longtemps vu que notre écrivain ambitionne de concurrencer Marcel Proust et son écrit « à la recherche du temps perdu ».
Je me morigène « cesse de perdre ton temps, ne fais pas comme Marcel,car tu n’es pas Marcel. Regarde la réalité en face:tu fais partie intégrante d’une phrase, on ne peut pas se passer de toi puisqu’une phrase pour exister a besoin au minimum d’un verbe alors que les adjectifs et les adverbes ne sont pas nécessaires à la compréhension du texte. Ils font jolis, si on peut dire, pas toujours d’ailleurs : par exemple l’adjectif hideux c’est horrible non ? ».
Ma voisine de ligne, que j’aime beaucoup et elle me le rend bien,un adjectif possessif pourtant, comprendra qui pourra, m’a aussi conseillé de faire une cure de conjugaison de verbes ; je pourrais ainsi passer du présent de l’indicatif au présent du subjonctif, de l’imparfait au plus que parfait, du futur simple au futur antérieur de l’indicatif et que sais-je encore . Si l’écrivain me le permet je vais l’entreprendre cette cure mais qu’est-ce qui m’arrive, on m’efface mes lettres une à une adieeeuuu…….
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes. Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais pour changer, encore faut-il trouver la bonne correspondance.
Sur la ligne 4 « Auteur – Éditeur » par L’Enfer, il y a bien « Vocabulaire », mais pour une correspondance, c’est une longue correspondance, a n’en plus finir. On se perd vite dans des couloirs de mots, les aller et retours. Et puis pour tout dire son côté épistolaire m’ennuie.
J’ai bien la possibilité de la ligne 8 « Manuscrit – Tapuscrit », plus longue mais mieux fréquentée avec ses styles classiques. Elle a même du rythme. Entre les stations les phrases sont courtes. Il suffit que je change à « Ponctuation » et c’est direct. Ce n’est pas mal.
Pas question que je passe par la 10, « Poésie – Du Soir ». D’abord c’est une ligne sans correspondance et qui a tendance à s’égarer. Il y a même des quatrains entiers qu’on n’a pas retrouvé, c’est dire. Et puis des vers par ci, des vers par-là, des vers partout ! Et des pieds avec ça ! Des pieds et des vers … Si j’osais, je ferais un mauvais jeu de mots, mais ce n’est pas le moment.
C’est bien beau de vouloir changer de chapitre avant la fin, mais la question d’après n’est-elle pas sur quoi on va tomber ? Des litanies a n’en plus finir ? Des histoires niaises et sans consistance ? Qui sait si d’un coup je ne vais pas me retrouver au milieu de barbarismes indigestes et de solécismes confus, de gallicismes obscurs et d’idiotismes indéfinissables.
Ah, ce trop-plein d’adverbes ! Ah ces adjectifs à la grosse tête !
Et si, après tout, il suffisait de passer entre les lignes ?
PEHENNE.
J’habite à dix lignes d’ici dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux même.Si je pouvais changer de chapitre,je n’hésiterais pas un instant mais, hélas,trois fois hélas,je n’y ai pas voix, moi, au chapitre. Voilà pourquoi.
Je ne suis qu’un petit mot modeste mais utile, en proie à la morgue des:
– scintillant,merveilleux,victorieuse, paisible à l’égo surdimentionné qui gonflent leur jabot,font la roue,tels des volatiles prétentieux.
Il me faut aussi subir les rodomontades des : consciencieusement,humblement,mystérieusement,amoureusement, voisiner avec ces m’as-tu vu,ces snobinards de l’expression écrite est pénible.
Pourtant j’ai tout pour plaire,je suis facile à caser dans une phrase,d’orthographe simple,je viens facilement à l’esprit de tout un chacun. Le mot idéal quoi.
Mais cette caste de frimeurs m’ignore ,mis en avant qu’ils sont par des auteurs qui en abusent sans retenue,en truffent leurs commentaires, faisant valser allègrement ces messieurs adverbes et adjectifs.
Si je ne peux changer de chapitre c’est que je suis investi d’une mission fondamentale: rester à ma place afin que le texte garde son sens,son équilibre.Si j’allais voir ailleurs,tout s’écroulerait et personne n’y comprendrait goutte.On sombrerait dans l’incohérence.
Alors je prends mon mal en patience.
Ce n’est pas pour rien que je suis RAISON.
Esperluette
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes.
Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterai pas un instant, mais je suis attaché à lui comme la moule au rocher.
Cerné de pieds de mouche et bordé de feuilles aldines et autres casseaux, ma forme imposée s’est remplie au fil du temps de couillards et de cul-de-lampe.
Je me presse contre des filets de différentes graisses, de l’ultra-léger à l’extra-noir.
Du bandeau au colophon, j’aperçois Parisiennes, Nompareilles, Mignones, Petit-Texte, Gaillardes et Petit-romain parangonnées comme il se doit et en lettrines au besoin.
Malgré mon teint de plomb renforcé à l’antimoine et à l’étain, j’ai bon pied, bon œil et suffisamment de cran pour faire bonne impression, mais je suis figé, fixé éternellement dans ce châssis.
Je crains qu’on ne m’ait oublié au fond de cet atelier.
J’entends dire qu’on va transformer tout cela en pépinière de start-up.
Pour le moment, des étudiants de la nouvelle Ecole des Beaux-Arts traînent parfois dans notre soupente et nous jettent un regard curieux.
Certains disent que je suis une ligature, j’y vois un peu de mépris, et d’autres, une cédille, là, j’y lis beaucoup de condescendance.
Hier, une petite demoiselle au teint frais est montée nous voir.
Elle avait un seau et une éponge. Et plein d’autres bazars. Dont un pot d’encre grasse. L’odeur m’a réveillé. Il y a si longtemps que je n’avais pas senti ce contact sur mes lèvres de métal. Elle m’a sensuellement tamponné l’œil sans me bourrer la contreforme. Elle a détrempé un demi-jésus et l’a allongé sur moi. J’ai senti la caresse de ses mains par-dessus le papier qui doucement, doucement s’est impressionné…
« Il vous souvient de l’arbre au pied duquel est planté du chèvrefeuille.
Cet arbuste monte, s’attache & – là, c’est moi ! vous m’avez reconnue ? – entoure les branches.
Tous deux semblent devoir vivre longtemps, & – oui, oui, c’est moi ! – rien ne paraît pouvoir les désunir.
Si l’arbre vient à mourir, le chèvrefeuille éprouve sur-le-champ le même sort.
Ainsi, belle amie, est-il de nous.
Je ne puis vivre sans vous comme vous sans moi, & – je suis l’esperluette ! – votre absence me fera périr. »
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes. Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais…
Je vis au crochet d’un pisse-copie persuadé d’arriver un jour à se faire un nom-propre dans le vaste monde de la littérature. Un drôle de mec, mégalo et pédant, mais qui paie le gîte et le couvert.
Pourtant, dès le début, j’aurais dû me méfier de ses airs de faux derche. Il minaudait, me faisait les yeux doux, bref : me voulait dans sa bande, absoooolument ! Ne sachant où crécher, je l’ai suivi, pour voir. C’est vrai que le loft avait l’air sympa. Spacieux, aéré, refait à neuf. Comme le proprio. Enfin, en apparence… Il m’a dit de ne pas m’en faire, qu’on s’arrangerait pour le loyer. Il voulait juste que je taffe un peu pour lui : en cas de besoin, il me sifflerait. Le reste du temps, j’étais libre d’aller à ma guise. J’ai pas trop réfléchi… et j’ai signé. Sauf que j’avais pas bien reluqué le contrat et les lignes en petit qui disaient que c’était pour perpet’ ! En clair, j’étais à la merci de ses changements d’humeur.
Je me suis dit qu’on verrait, et me suis installé.
Les voisins avaient l’air sympa. Peut-être un peu bruyants. Des bobos branchés qui avaient investi le quartier du Vieux dico. Alors si j’étais pas content, j’avais qu’à déguerpir. Des locataires, ils en voyaient défiler. Moi ou un autre… Mais ma laisse de bon toutou n’était pas prête à céder. Mon barbouilleur, visant le Goncourt – au pire le Renaudot – délirait : j’étais requis, vingt-quatre sur vingt-quatre. Attendant, au cas où, pendant qu’il soliloquait inlassablement en y mettant le ton, y compris les fausses notes. Jusqu’à ce que les voisins, excédés, cognent au plafond.
Évidemment, il n’a pas eu le prix. Même pas été sélectionné. Ça l’a rendu encore plus mauvais. Alors il gratte, il gratte, jour et nuit, oubliant de manger, et plus souvent encore de se laver. Quand je les croise, les voisins me regardent avec mépris. Je rase les murs. L’épicier ne veut plus me faire crédit, la concierge m’évite et les clodos refusent de partager un bout de carton ou leur immonde vinasse.
Je me répète sans cesse que « demain, dès l’aube… », mais finalement j’ose pas partir. Pour aller où ? J’ai bien essayé de taper à la porte de Musso mais il s’est barré avec une fille à Brooklyn ! Si j’étais courageux, je tenterais la traversée… au moins celle de la Manche ! Il y en a bien qui y croient… Vous imaginez, « my life » sur trois colonnes dans le Times : « un frenchie prêt à tout pour se faire embaucher chez Harraps ! »…
Un coup de sifflet strident me ramène brusquement à la réalité. Mon logeur est furieux, j’avais promis de rentrer fissa !
Nom commun, je vous le dis, c’est pas rose tous les jours !
Bon dimanche, Christine
Sage décision
J’habite à dix lignes d’ici
Dans une description peuplée de faux amis :
Des adjectifs qui se la pètent
Et des adverbes qui en font tout autant.
Si je pouvais changer de vie
Je n’hésiterais pas un seul instant !
J’irais me réfugier dans une petite poésie
Bien à l’abri
Là où la fantaisie est reine
Pour oublier tous mes soucis
Car oui, mes amis, on en veut à ma vie .
Les noms et les verbes ne m’aiment pas
Ils disent que je veux imposer ma loi
Que je ferais mieux de changer de quartier
Voire même de région et d’aller loger dans une chanson
Rien que ça !
Ils disent aussi que j’ai une âme de midinette
Et qu’ils pourraient bien m’éliminer d’une pichenette…
Mais tout ceci n’est que jalousie
Je sais bien qu’ils en crèvent d’envie
D’avoir ce pouvoir de légèreté
Qui tutoie parfois la magie
Et que dire de la musicalité
Qui court sur les trottoirs
Et glisse sur les pavés ?
Eh bien, foi de rime mal-aimée,
C’est décidé,
Je vais déménager.
rue-du-chapitre
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes.
Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais…mais…. mais…. je suis le dénommé dont il est question, et que l’on qualifie, et que l’on adule…. Difficile de résister à la tentation d’être ainsi mis en valeur même si c’est prétentieux, voir lourdingue, mais tellement ostentatoire ! Difficile de sortir d’un écrin de bravo, de je t’aime et de t’es le meilleur, non ?
Alors j’ai décidé d’y rester et de briller parmi tous ces cons qui m’adulent et me mettent en exergue . J’adore qu’on parle ainsi de moi, je me sens le plus intelligent , le plus cultivé et le plus séduisant . J’ai fait bcp de mal autour de moi, mais je n’en parle jamais, ce serait capituler, moi qui n’exprime jamais ni émotions, ni regrets, ni pardon. Je suis le manipulateur, qui, en douce, s’acharne sur elles, mais qui brille en société. Nombreux sont ceux qui ne tarissent pas d’éloges à mon sujet. Je ne peux pas changer de chapitre, ma vie basculerait, je serais démasqué, moi, pauvre malade pervers: je suis un peine-à-jouir, alors je fais le mal insidieusement et cela me demande tant de ruse, que je ne peux quitter ce chapitre, si fort, si brillant, du moins en apparence. D’ailleurs, voyez, dans cette phrase , certes un peu pompeuse , où il est question de moi, personne ne s’y trompe, je suis bien le plus rare, le plus raffiné, le plus subtil, je donne le change. Car, au fond, je sais bien que je suis un goujat, un pernicieux, et un nuisible. Mais c’est tellement bon pour moi, du moins le crois-je, de jouer ce double jeu de la séduction et du vice. J’ai trouvé mon équilibre dans ce blanc/noir qui me va si bien. Peu de gens le savent, et mon ego s’est construit comme ça. Alors, pas de solution, à moins que …..
Vous êtes dans une église baroque autrichienne, du côté de Linz. Ou alors dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Vous contemplez la démesure des lieux, la luxuriance des décorations, la débauche des ors, la lourdeur des marbres, la profusion des inestimables richesses matérielles qui finissent par fatiguer le regard, et c’est alors que vous vous demandez quel est le rapport entre l’objet essentiel et la débauche des ajouts.
J’habite à dix lignes d’ici, dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes.
Si je pouvais changer de chapitre, je n’hésiterais pas un instant, mais quand on est virgule, on obtempère sans discuter. On est là pour faire la circulation. Point.
« Circulez, y a rien à lire ! »
C’est le même bordel à chaque page. Je n’en peux plus.
Ca klaxonne, ça veut passer devant et ça insulte à tout va :
« Tu ne vois pas que t’es en faute, là ?
– Hein ? Je ne suis pas d’accord, je ne me ferai pas avoir !
– Mais bien sûr que si, le complément d’objet direct est devant, t’es bigleuse ou quoi ?
– Hé heu, on va pas chipoter parce que je suis une fille, sexiste va !
– Putain ! Mon mentor avait raison, femme au roman, ennui au tournant ! »
Croyez moi, séparer des membres d’une même phrase qui veulent chacun avoir le dernier mot, ce n’est pas une sinécure. Surtout quand il s’agit de deux épithètes de mules, comme celles-là.
Mais à qui la faute ?
Je suis virgule d’un quartier où les mots sont livrés à eux mêmes. Ils s’emmerdent toute la journée, pris au pied de la lettre à tuer le tempo.
Et ça fume, et ça picole en phrases alambiquées. Ca fait les beaux en clichés copiés-collés, tous vêtus de la même manière, un petit air poncif, la majuscule vissée sur la tête.
Si seulement ils avaient un peu d’éducation, ils pourraient donner un sens à leur existence, faire de leur vie un bon mot à défaut d’un bon livre, comme disait ma grammaire.
J’avais beau essayer de séparer les fauteurs de troubles, mettre en valeur les meilleures parties, la confusion restait totale dans ce chapitre malfamé.
Que voulez-vous ? L’histoire ne s’est pas écrite en un jour.
« Stop ! … On fait une pause, on respire, ok ? … Vous êtes combien d’adjectifs là ? … Ah, quand même ! … On va y aller doucement, l’un après l’autre derrière moi… et sans claironner s’il vous plaît ! »
Je ferai court: Bravo !
En 5 lettres, pas mieux : Merci ! 🙂
Ils nous gonflent les pages tous ces fiers orgueilleux
Reviennent à la charge ces Hautains dédaigneux
Ils se prénomment tous JE, pour eux c’est important
De la lignée guindée de purs con-descendants
Ils surchargent les livres, dodus ventripotents
Tous ces arrogants insolents impertinents
Ils font même des petits : les Hautains suffisants
Il faut savoir user, afin de les éviter
D’une crâne insolence, et prendre ses distances
Ne jamais hésiter, à carrément sauter
Des paragraphes entiers sans aucune repentance
Et si on les retrouve au chapitre d’après
Avec leurs descriptions super dimensionnées
Le mieux sera de leur claquer la porte au nez.
J’habite à dix lignes d’ici.
Dans une description peuplée par des adjectifs qui se la pètent et des adverbes très satisfaits d’eux-mêmes.
A l’image de leur créateur.
Dans une description noyée par les participes présents, passés et à venir.
Quel avenir !
Dans une description au centre de la non-concordance du temps, celui qui glisse, file et ne se laisse pas apprivoiser.
Dans une description affolée de cette longue file d’attente devant l’énorme volume des mots.
De tous les maux !
Je suis l’intrus, le dérangeant, le honni, celui qu’on montre du doigt.
Alors, oui ! Je vais changer de chapitre.
Je n’hésite plus !
Je vais me glisser à la dernière page du roman de sa vie !
Je me sauve !
Je ne suis pas fou !
OUF !
Erreur! c’est tout droit aux chapitres!