Exercice inédit d’écriture créative 226
Son lieu de culte était un cagibi
où reposaient des générations de crayons,
de gommes et de papiers.
Imaginez la suite
Chaque jour, des essaims d’idées bruissent dans votre cerveau. Les exercices de Pascal Perrat vous entraînent à en faire votre miel.
Son lieu de culte était un cagibi où reposaient des générations de crayons, de gommes et de papiers. Lui, c’était Auguste. Il avait été l’instituteur du village pendant si longtemps, qu’il connaissait toutes les familles des hameaux avoisinants. Il était arrivé dans cette école en septembre 1935. Les vendanges venaient juste de se terminer. A cette époque, les enfants travaillaient dans les champs pour aider aux moissons et la rentrée des classes était tardive. Ce matin du 29 septembre, ils avaient pourtant repris le chemin de l’école, laissant derrière eux les travaux de la ferme encore inachevés. Le bruit des galoches usagées avait alors résonné sur les pavés de la cour et les cris des enfants se perdaient dans les toutes premières parties d’osselets. La cloche de l’école avait retenti à neuf heures et les enfants se bousculaient dans le couloir où le plancher de bois craquait. Les petits écoliers en blouse grise déposaient là, sur les porte-manteaux, leur pèlerines à capuche et les bérets froissés. Auguste pouvait alors dûment inspecter mains et oreilles avant l’entrée en classe. Il avait d’ailleurs dû faire quelques remarques à certains car leurs cheveux étaient ébouriffés et leurs ongles sales.
Tous étaient alors rentrés dans la salle de classe qui avait gardé pendant l’été, son odeur si particulière. Les pupitres en bois usé étaient restés bien alignés devant le bureau du maître. Sur les tables, se trouvaient un encrier en porcelaine et les porte-plume, une feuille de papier avec la date du jour et un buvard où l’encre violette ne manquerait pas de venir faire des auréoles incandescentes. L’estrade avait été rehaussée et Auguste pouvait ainsi surveiller les cancres toujours installés au fond de la classe. Sur les murs, les cartes de France faisaient voyager les enfants qui pour la plupart, ne connaissaient que les limites du département découvertes à l’occasion d’un voyage fait exceptionnellement chez une tante éloignée, pour un mariage réunissant toute la famille. Les premiers frimas de l’automne s’étaient fait sentir et
Petit Pierre avait été désigné pour aller chercher les bûches qui alimenteraient le poêle installé au fond de la classe. Dans l’armoire du coin, Auguste avait conservé les objets et les livres utiles aux leçons de choses, laissés par son prédécesseur. Ainsi, derrière la porte vitrée, pouvait-on voir les animaux empaillés et autres instruments de mesures qui viendraient illustrer la leçon du jour, le moment venu.
Sur le tableau noir, Auguste avait écrit à la craie blanche :
» Afin de devenir un homme honnête et un bon citoyen, observe les conseils de la morale. « , tel était le premier précepte de l’année, tout un programme.
Qu’il était loin, ce matin du 29 septembre 1935. Aujourd’hui, c’est le dernier jour d’école d’Auguste. Ce soir, il partira pour une retraite bien méritée, laissant derrière lui des générations d’enfants. Les crayons et les gommes ainsi que les vieux papiers, retrouvés au hasard et précieusement conservés, resteront les témoins de ces années à jamais disparues.
Son lieu de culte était un réduit où reposaient des générations de coups de crayons,de gommes qui ne mâchaient pas leurs mots, de papiers compromettants, de règles strictes et d’encriers emplis de vodka.
Chacun de ces objets pouvait témoigner du plaisir qu’il prenait à y convier tous ces valeureux camarades qui méritaient
– une bonne purge à cause d’un teint rouge un peu trop pâle,
– une rééducation de la vision en raison d’une vue divergente,
– un séjour à l’est suite à un soudain vent d’ouest,
– une sacrée correction par la faute d’une écriture penchée ou irrégulière,
– un bon rééquilibrage pour motif d’une conduite déplacée,
– un effacement sur la photo parce qu’elle est floue
– et pour finir une liquidation totale suite à succession
Cet accueillant local se situe au n°2 place Félix Dzerjinski à Moscou, au second sous-sol d’un avenant immeuble, siège du Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti plus connu sous le sigle KGB – Key Dji Bi en phonétique anglaise – qui a donné naissance, par une curieuse déformation dont la langue française a le secret, au mot CAGIBI
Son lieu de culte était un cagibi où reposaient des générations de crayons,
de gommes et de papiers.
C’était son endroit, son chez lui, là où il se sentait mieux que partout ailleurs.
C’était son antre à dessins. Cela sentait bon la mine de plomb, les raclures de gomme, le vieux papier mais aussi le bois usé et ciré du vieux parquet mêlé à cette odeur inimitable du tabac brun de sa pipe. Et les souvenirs de sa vie se tenaient là, dans ces amoncellements de feuilles, dans ces vieux journaux. Tous les numéros pour lesquels il avait illustré des bribes de vie, caricaturé l’actualité, croqué le direct, s’empilaient du sol au plafond, dans un joyeux fouillis. Aucun ne manquait, mais lui seul pouvait s’y retrouver et ressortir au pied levé le journal du sujet recherché.
Son bureau, une planche sans taille sur deux tréteaux prenait toute la longueur du mur et remplissait les trois quarts de sa petite pièce. Pas si petite en réalité, mais aveugle. C’est pourquoi il l’avait dénommée son ‘cagibi’. Il aimait ce mot qui rimait avec ‘alibi’.
Les crayons, gommes, tailles crayons de toute sa vie s’éparpillaient en vrac dans une danse multicolore. Du plus petit tout mâchouillé au plus grand impeccable, il y avait toute la gamme de taille, de couleur, de force, sec ou gras. Au mur, quelques photos punaisées le montrait entouré de ses potes, toujours les mêmes, fidèles du premier jour auquel s’étaient ajoutés un ou deux petits jeunes au fil du temps.. Pas plus.
Quelques photos des siens également, juste suffisamment pour évoquer l’ensemble de sa tribu, du premier au dernier, le petit Max. Il l’aimait bien celui là, toujours collé à ses basques et toujours partant pour l’accompagner dans son royaume. Il s’asseyait là sur la pile la plus haute et il le regardait. Jamais il ne le dérangeait. Il lui donnait une feuille et l’enfant dessinait à son tour, si fier d’être aux côtés de son grand père. Un privilège rare, gare à ceux qui osaient entrer sans y avoir été invité.
Et ce soir je suis entrée. J’ai allumé la grande lampe de bureau, style industriel. Les objets se sont éclairés. La vie était encore là. Un grand dessin commencé au centre de la table, quelques annotations vite jetées sur une feuille, des croquis pour un prochain numéro, la pipe posée à l’envers dans le cendrier, la corbeille à papiers bondée.
Tous ces objets qui criaient la vie qui venait de s’éteindre brutalement.
© Gwenaëlle Joly
Son lieu de culte était un cagibi
Où reposaient des générations de crayons
De gommes,de papiers neufs et aussi de brouillons
Tout au fond d’un tiroir,s’y sentait à l’abri
Il pouvait y rester pour des années entières
Couché bien las sur un buvard taché
Epargnant sa vieille plume par l’encre bleue marquée
Il se laissait sans plainte recouvrir de poussière
Une vieille main parfois de là le délogeait
Il lui fallait alors sur les lignes courir
Des pages et des pages de mots nouveaux noircir
On faisait des pâtés,les fautes on corrigeait
Puis la verve s’éteignait et la vieille main lasse
Dans le fond du tiroir à nouveau le posait
Pour un autre repos auquel il aspirait
Retrouvant ses amis,ses vieux copains de classe.
Son lieu de culte était un cagibi où reposaient des générations de crayons, de gommes et de…
Zeus et son épouse Mnémosyne ont 9 filles. Quels prénoms allait-on leur donner et quel emploi leur confier ?
Les prénoms furent inspirés par les dons qui se révélèrent quelques jours après leur naissance . En revanche, pour leur statut, il fallut attendre encore un peu…
Vient le jour où Zeus réunit ses filles et leur tint à peu près ce langage :
« A chacune de vous, je confie la tâche de protéger et d’inspirer nos artistes. »
« Merci, Père, ces attributions nous agréent à merveille ! Nous formeront une association sous le nom de MUSE. »
« Ce n’est pas tout, continua Zeus, à cette noble tâche, je vous en confie une autre, un peu plus matérielle. Vous devrez veiller à ce que nos artistes vivent en permanence dans des lieux dignes de leur art. Faire place nette dépendra aussi de vous. »
Les 9 filles-muses étaient fières d’être les médiatrices entre le dieu et les créateurs artistiques. Cependant, si la tâche de protectrice et inspiratrice des Arts s’avéra très agréable, celle de « faiseuses de place nette » se révéla un peu plus hardeuse.
Pour ce travail, dès les premiers temps, elles remplissaient leurs amphores des rebuts récoltés en ateliers et les déversaient sauvagement au nord de Delphes. Petit à petit, le tas grandissait jusqu’à former un mont… Parnasse !
Lorsque le site devint difficilement accessible, elles trouvèrent une autre destination : Athènes…En peu de temps s’éleva une nouvelle colline. Elles l’appelèrent l’Acropole. C’est alors que Zeus se fâcha :
« Enlever les rebuts cachés pour en faire des monts aux yeux de tous, cela ne me semble guère écologique ! »
Pour calmer l’ire de leur père, les Muses demandèrent aux hommes de construire au somment un temple dédié à leur père ainsi qu’à toutes les divinités. Une fête somptueuse ponctua la pose des premières pierres du Parthénon.
Ce ne fut pas pour autant que les ateliers ne fournirent plus de chutes, de rebuts et d’œuvres insatisfaisantes. Les Muses devaient encore et toujours « faire place nette » sans que cette tâche n’empiétât sur leur temps réservé à la protection et à l’inspiration. Et ce fut un fameux défi à relever car il fallait aller toujours plus loin…Rome, Nîmes, Lisbonne se dotèrent à leur tour de sept collines… et de temples !
Bien inspirées, les Muses décidèrent aussi de garder pour elles quelques menus trésors : un morceau de marbre, quelques cordes de lyre, une plume, des ocres et autres pigments…
Calliope marqua par la suite une nette préférence pour les traces écrites . Elle abandonna très vite le petit cagibi pour minuscule temple délaissé. Elle entassa, au fil du temps, des tablettes et stylets, quelques enluminures et bouts de fresques, des encres de Léonard da Vinci, des épures de Michel Ange, des pastels, des morceaux de fusains, des ocres, des pinceaux, des plumes usées sur les partitions de Mozart, Beethoven et Schubert, des bouts crayons ayant vibré sous les doigts de Monet, Cézanne, Picasso, Hergé…des gommes et des boules de mie de pain…
Au gré des siècles, le petit temple aux colonnes sobres, s’agrémenta de fenêtres romanes, arcs en ogives et d’ors et angelots rococo…
Dernièrement un magnifique puits de lumière prit place au milieu des tuiles roses et éclaira ce lieu de culte, à la plus grande joie des esthètes, mécènes ou artiste en herbe .
C coin, coin secret de créations, constructions, dé constructions, couleurs, camaïeu de passions, chaos de sensations
A quarelles intimes, touches de transparence, de flou, empreintes,
G galeries d’impressions , générations de souvenirs, de portraits, caricatures
I lôt d’ inspiration, imagination, interrogations improbables
B bouts de papiers collés, décollés, raturés, déchirés
I idées folles, Illusions, Ivresse des mots , É mot ions
Merci pour cette erreur en tout cas, sinon je n’aurais pas lu ce joli texte
Son lieu de culte était un cagibi où reposaient des générations de crayons, de gommes et de papiers, de poussière aussi… mais malgré ses Atchoums répétés, il ne pouvait consentir à faire le ménage dans son antre. Mais quoi ! c’était le seul coin minuscule de la maison où Pierre pouvait être « le maître », le seul lieu où il se sentait chez lui, celui où il plaçait tous ses interdits… mais aussi ses souvenirs, les siens et ceux de son père et sans doute aussi de quelques plus vieux. Mais il y avait aussi la collection de protège-cahiers et de buvards. Traces du passé inestimables, car inutiles désormais depuis que le plastique et les feutres avaient remplacé l’encre Waterman qui s’était desséchée au fond de l’encrier. Les plumes sergent-major étaient pas mal rouillées. Il admirait les quelques plumes d’oie qui venaient du grand-père de son arrière grand-mère, probablement, c’est ce qu’on lui avait dit.
La cour de récréation et les échanges faits en douce :
— Tu me donnes le protège-cahier Lustucru contre celui de la Chicorée Leroux !
— Moi j’ai en triple des buvards Maïzena, je voudrais bien les échanger contre des Maggi ou des Cantalou-Cantala
— Qui veut un buvard Petit-Lu ou un Pierrot-Gourmand ?
— Moi j’ai un Tapioca Petit-Navire et de la Métaspirine… !
Mais ça, c’était avant, un autre temps, celui de mon enfance, celui des mistrals gagnants, des roudoudous et des carambars.
Pourtant ce matin-là, le cœur n’y était pas. Il se sentait attiré par une force nouvelle : le printemps qui l’éblouit dès le réveil. Les rideaux tirés, il eut la surprise d’être accueilli par un magnifique soleil qui masquait presque la fenêtre de la cuisine. C’était le forsythia qui illuminait le jardin de sa splendide floraison. Le petit-déjeuner fut donc pris pour la première fois sur la terrasse du jardin. Un peu frisquet mais tout de même le renouveau était en route.
— De l’or dans notre jardin, n’est-ce pas merveilleux lui dit sa femme. Je vais entamer le grand nettoyage de printemps, il me faut honorer les beaux jours qui arrivent et tout doit être net pour accueillir le soleil. Tu devrais faire la même chose dans ton placard.
— Personne ne touchera à mon cagibi ! s’écria-t-il.
Mais à cet instant, un roucoulement suivi d’un vol de tourterelles le remplit de joie.
— Le printemps est vraiment là, même s’ils ont annoncé un peu de pluie et de vent.
— Le Coucou se mit à chanter et sur le bord de la pelouse il remarqua quelques taches mauves… voilà aussi les violettes. Un moineau peu effarouché sautilla pour picorer leurs miettes.
— Je vais fermer mon cagibi à clé jusqu’à l’automne prochain se promit-il et je vais de ce pas embellir le jardin de magnificences. Nous aurons cette année, qui pourtant s’amorçait morose, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sous nos yeux.
— Oui, regarde le buddleia est prêt à s’offrir aux papillons qui ne tarderont point.
Allons acheter des géraniums, des gueules de loup, des colmos, des liserons, des pétunias, des marguerites, du jasmin pour remplacer les tulipes et les jonquilles qui ne dureront pas.
Ils révèrent et imaginèrent leur beau jardin pourtant tout petit, pas plus grand que le cagibi.
Henriette
Tiens c’est marrant, je m’attendais à un autre texte un peu noir et « mortrose » sur le cagibi ce matin, mais non c’est un texte sur un cœur artificiel, dont l’électrochoc fait un sacré bien.
Oui Magali, c’est une erreur de placement faite par Peggy, je viens de replacer ce beau texte au bon endroit.
Son lieu de culte était un cagibi
où reposaient des générations de crayons,
de gommes et de papiers.
L’ossuaire de l’écriture comme il disait
La nécropole du crayon
La crypte du papier
L’hypogée de la gomme
Chaque jour il y récitait
Le requiem des signes
Chaque jour il méditait
Sur la langue et le style
Chaque jour il psalmodiait
Ses plus belles maximes
Et puis dépoussiérait
Vérifiait les mines
Et fleurissait d’aphorismes
Parce que sait-on jamais
Il suffirait peut-être
Qu’à la mort des tablettes
Et d’e-book virtuel
Des générations de crayons,
de gommes et de papiers.
Du cagibi déguerpissent
Et d’entre les mots ressuscitent
Son lieu de culte était un cagibi où reposaient des générations de crayons, de gommes et de papiers.
Depuis quarante ans, il était propriétaire de cette prestigieuse librairie qu’un illustre écrivain du dix-neuvième siècle fréquentait. Toujours à remettre au lendemain, il n’avait jamais fait le tri dans le bric-à-brac de cette soupente.
Aux heures creuses, il aimait se réfugier dans ce sanctuaire. Il y avait installé une table nécrosée par les vers, une chaise bancale patinée par maints postérieurs et, à la lumière d’une ancienne lampe à abat-jour vert, s’adonnait à sa secrète passion. Il était bien, ici, au calme, respirant l’odeur des vieux papiers moisis grignotés par les souris. Sa boulimie de lecture l’avait inspiré. Il n’était pas plus bête qu’un autre ! Pourquoi pas lui ? Après avoir lu de nombreux livres soporifiques et d’autres, à son avis, fort mal écrits, il s’était lancé. Peut-être, qu’un jour, serait-il célèbre. À titre posthume, bien sûr ! Ses enfants n’auraient plus à trimer comme lui.
Mais voilà qu’aujourd’hui, il devait se résoudre à vider son refuge et ne pas s’éterniser dans ses pensées. Il arrivait au dernier chapitre et d’une bien curieuse manière. La belle devanture en chêne ferait place à une grande baie vitrée, le parquet ciré céderait aux scies sauteuses et, dans le fond, en lieu et place du comptoir au vernis écaillé, s’aligneraient d’imposantes machines. L’odeur de propre et de linge sale imprégnerait vite ce lieu et remplacerait celle, si particulière, des livres anciens.
Il entreprit de vider son antre. Mais chaque relique refusait obstinément de glisser dans le sac poubelle. Sans plus tergiverser, il se résolut à garder ses découvertes dans sa grange. Sa femme pousserait, encore une fois, les hauts cris mais, ça lui passerait ! Elle aimait bien faire sa chef. Néanmoins, n’avait-il pas toujours eu le dernier mot ?
Il entassait ses trouvailles dans des cartons lorsque son regard fut attiré par une feuille jaunie pliée en quatre. Intrigué, il s’approcha de la vitrine pour déchiffrer les mots tracés à l’encre violette qui avait une fâcheuse tendance à vouloir s’effacer. Chaussant ses lunettes, il s’ingénia à décrypter cette missive et, finalement, en compris la teneur.
– Ah, ben ça alors, il avait un nègre ! s’offusqua le futur retraité.
Son lieu de culte est un cagibi où reposent des générations de crayons, de gommes et de papiers…
Impossible d’écrire ça dans son rapport. « Soyez factuel, mon vieux ! dirait le divisionnaire. Seuls les faits sont importants, le reste n’est que littérature. Et de la littérature, vous savez ce que j’en fais, moi !… »
Oui il sait, et il note simplement : « il a été trouvé dans un cagibi une collection de crayons etc. » Les phrases doivent être compréhensibles par tous : Dieu sait que dans l’administration, les intellos ne sont pas légion !
Le rapport est maintenant sur le bureau de sa collègue chargée de le rentrer dans l’ordinateur. Une besogne qui lui revient de droit : lui ne sait taper à la machine qu’avec deux doigts et il refuse obstinément de se plier à la modernité. Chacun son job : d’ailleurs la « petite » ne demande que ça, pressée de grimper les échelons… Ce qu’il ne fera plus, rivé sur le même barreau de sa petite échelle, bien content s‘il atteint la retraite. La profession a rudement changé, on peut se faire dézinguer à tous les coins de rues, l’uniforme n’est plus une garantie de sécurité, c’est même l’inverse !
Il est sorti pour s’en griller une. Sa femme a beau lui faire la guerre, et le médecin aussi, peine perdue. Il a ça dans le sang, camé depuis trop longtemps pour pouvoir s’en sortir, les doigts jaunis de nicotine et les poumons sûrement aussi noirs que l’asphalte du trottoir. C’est la vie et c’est son choix !
L’enquête est bouclée, il va pouvoir quitter son service à l’heure. Comme tous les vendredis soirs, Nicole aura préparé des lasagnes et ils regarderont une série à la télé en pestant contre les voisins qui font la nouba sous prétexte que c’est le week-end. Une gentille routine pour contrebalancer ce taf qui lui donne parfois la nausée. Pourtant, pas sûr qu’il en changerait : voir l’envers du monde, ça l’a peut-être sauvé du pire tout compte fait, du moins rendu plus tolérant. Même s’il reste prudent : « La nuit, tous les chats ne sont pas gris, mon p’tit ! » Une boutade en forme de mot d’esprit qu’il ressasse invariablement à sa jeune consœur, fraîchement émoulue de l’école de police, et dont le visage boutonne comme les premiers jours de mars. Ensemble, ils forment une bonne équipe, malgré quelques conflits, question de générations, probablement. Les autres en font des gorges chaudes et des plaisanteries peu fines dans son dos, qu’il a « large » au regard des années : donc, ça glisse. Quarante piges et des poussières passées dans cette annexe du XIXe arrondissement, à courir après de drôle de gugusses. Comme ce type, du genre malingre, trop grand pour passer les portes sans avoir à se baisser. A force, ça lui a donné un air faussement obséquieux. Mais il y a belle lurette qu’il ne se laisse plus impressionner par leurs « faux » airs, il en a tant vu qui ressemblaient si peu à leur habit : dès qu’on gratte, c’est fou ce qu’on peut trouver à l’intérieur d’un homme. Ou d’une femme, à commencer par la sienne qui demeure un grand mystère… Il secoue la tête : ça s’embrouille parfois tellement là-dedans qu’il a du mal à s’y retrouver.
Il écrase sa cigarette : l’équipe de nuit ne va pas tarder. Toujours longues, ces astreintes, surtout à partir de 2 heures du matin, quand on commence à piquer du nez. Foutu métier ! Pourquoi il ne peut pas juste penser au printemps, aux fleurs en boutons, à ceux de son adjointe. Avant de rentrer, il pourrait passer chez l’épicier italien chercher une bouteille de Chianti, ça les mettrait de bonne humeur, lui et sa bergère. Avec un peu de chance… Une nouvelle fois, il secoue sa caboche prête à s’éparpiller. Revenir à l’essentiel, ne jamais se laisser distraire !
Curieux tout de même ce cagibi : même le mot résonne bizarrement. On dit plus beaucoup « cagibi » aujourd’hui, pas plus que « mansarde » ou « réduit ». Plutôt « local », un mot simple, passe-partout, universel. La garde à vue touche à sa fin et faute de preuve, il va falloir relâcher ce « client » pas piqué des hannetons, qui n’a cessé de répéter que c’est un héritage toute cette quincaille. Et, non content de collectionner Caran d’Ache et autres plumes Sergent major, cahiers Clairefontaine et papiers vélin en format A4, l’individu se pique d’écriture. Le brigadier dirait plutôt « recopiage », faut être précis. Le guignol a dû y passer des heures sur ces feuilles sagement rangées dans un classeur deux trous. Rien que des gribouillons, aurait dit sa grand-mère, qui ne savait ni lire ni écrire et n’a jamais ouvert que son missel, toujours à la même page, celle où on voyait la Saint-vierge les yeux levés vers le Ciel.
Toujours est-il qu’il s’est échiné à retranscrire chaque mot du dictionnaire, avec les définitions, les synonymes, antonymes, j’en passe et des meilleures. Tantôt à la mine de plomb, tantôt à l’encre bleue, laissant parfois tomber une larme amère sur le papier qui y a fait comme un petit lac asséché. Sa seule distraction : quitter son lieu de recueillement, dédié à ses saintes écritures, pour aller dévaliser les papeteries du quartier ; avant de s’attaquer à celles d’autres arrondissements plus éloignés, et jusqu’en banlieue pour se faire bêtement pincer dans un supermarché, piégé par une caméra de surveillance. Impossible d’évaluer le montant du butin, encore moins de répertorier ceux qui se sont fait dépouiller : beaucoup ont fermé boutiques depuis. « Qui écrit encore de nos jours, monsieur le policier, avec du papier, des plumes et des crayons ?! C’est pour rendre service que je les ai récupérés, arrachés à l’anonymat, voire au pilon ou au musée, vous imaginez ! »
Le brigadier soupire : encore un dingue, un pauvre gars bon pour Saint-Anne avec ses boîtes à crayons. Faudrait jamais se laisser aller à la nostalgie !
Bon week-end, Christine
De cette enfance là, Paul n’avait conservé que la maigreur de son inutilité. Le
temps perdu des adultes n’était pour lui qu’égaré.
Peu à peu un cérémonial s’était imposé. Bien sûr, il mangeait à sa table,
dormait dans un lit mais l’essentiel se situait ailleurs, pas bien loin.
Son lieu de culte était un cagibi où reposaient des générations de crayons, de
gommes et de papiers.
A l’époque, c’était pour enquiquiner l’instituteur et narguer les bons élèves.
Il s’était mis à chouraver tout ce qui traînait sur et sous les tables. Brouillons,
mines cassées, rognures de petit équarrissage. Il stockait tout dans un carton.
Et quand il l’ouvrait, il se marrait. Une bosse lui poussait à l’intérieur à
constater comment il était fort, lui qui ne savait rien faire de ce matériel,
pouvait au moins empêcher les autres de griffonner des chiffons d’insultes sur
son dos.
Les moqueries, il en avait plein le cartable, le repas de famille, la grande gueule
du père. A le voir suer sa vie à abattre les troncs des autres, ça lui avait
ôté toute envie de bûcher.
Alors Paul avait sacrifié, même les récréations. Il faisait semblant de dormir
contre le radiateur pour pouvoir visiter tranquillement les cartables de ses
voisins. Il y percevait un impôt, calculé à sa mode, tenant compte de la taille du
camarade et de son sexe. Au plus riche, il piquait plus. Il jouait au Robin des
crayons de bois.
De fait, à l’école de la République, tout le monde était égal mais pas au même
niveau. Il regardait certains crâneurs papillonner au dessus des livres alors que
lui ,avec ses culs de bouteille sur les yeux galérait à trouver la bonne page.
Il s’était pris d’amitié pour les taupes, refusait d’aller les massacrer avec son
père, récupérait les tendres petites peaux qu’il faisait sécher sur des branches
de noyer.
Aujourd’hui, justement, c’était le jour de ses amies.
Paul déverrouilla la porte de la cabane. Sur les étagères s’alignaient vingt
années, de rapts, de perquisitions, d’enlèvements sauvages et discrets.
Sa seule rançon s’étalait dans la gloire de la profusion. Tous les types, tailles et
couleurs de crayons. Des caisses de gommes, de l’élastomère au kilo. Et des
piles de documents, de la paperasse en boules, des dossiers repus, des notes,
des notes, des buvards, ces bons vieux épongeurs de ratages.
Et pour veiller sur tout cela et l’honorer régulièrement, les taupes.
A l’époque, il avait malaxé des cahiers de brouillon trempés dans l’eau des
mares. Il avait constitué ainsi plusieurs petits corps, collé par dessus les peaux.
Et à la place des petits yeux, les belles billes en agate prélevées dans les
poches de ses collègues de classe.
Aujourd’hui était un jour important. Paul avait enfilé la blouse de l’instituteur,
était monté sur le petit tabouret tenant lieu d’estrade. Il avait ouvert un grand
cahier, désigné les méritants du bout de sa baguette magique, le plus grand de
ses crayons. Et distribué aux élus du jours quelques bons points.
Pour lui, c’était enfin la reconnaissance d’un travail. Il pouvait honorer et être
honoré.
Les yeux ébahis des taupes lui prouvaient bien que rien n’était jamais perdu.
Son lieu de culte était un cagibi où reposaient des générations de crayons, de gommes et de papiers.
En fait, une sorte de cimetière.
Mais ce n’était pas un lieu triste car tous les ustensiles exposés là avaient servi, et puis ils portaient beau pour des vieux, on voyait sans peine que cette gomme noircie, ce stylo à moitié cassé, avaient fait leur usage, avaient voyagé, aligné sur le papier des centaines de lignes, migré d’un cahier à un carnet en passant par une note de courses ou un mot doux à une bien-aimée, ou bien exprimé par des effacements répétés les multiples regrets, discours inexprimables, et auto-censures de la vie.
Que de parcours, que de voyages, que de rencontres multi-raciales et multi-sociales, entre tant et tant de civilisations et de lieux dans le monde: passage d’une feuille blanche à une feuille de couleur, d’un ticket hâtivement griffonné au papier velin d’un livre de qualité, du fond d’un sac à une oreille, d’une trousse d’écolier à un trottoir urbain où on l’avait laissé tomber. Ou bien on l’oubliait au fond d’un cartable, la scolarité terminée. Alors commençait un voyage dans le temps, le cartable se transformant en grotte sombre enfermant loin du monde et de son évolution l’objet qui sommeillait en attendant sa délivrance, des années plus tard, dans un univers transformé.
Aaah ! Que d’histoires ils avaient à raconter, tous ces objets !
Cimetière donc, disions-nous. Mais plein de couleurs, plein de témoignages de vies ardentes et diverses, un cimetière où chaque objet avait une histoire à raconter, et Adam, qui le savait, faisait exprès les pires bêtises pour que ses parents exaspérés l’enferment quelques minutes dans ce cagibi où l’enfant émerveillé voyait une caverne d’Ali Baba.
Tous les matins en se levant, avant même d’avoir savouré son jus d’oranges marocaines agrémenté d’une pointe de citron de Sicile, il se rendait à son automesse pour prier le Dieu crayon de lui insuffler l’inspiration qui lui permettrait d’affronter son démon à lui : la Feuille blanche. Selon les jours, la prière était plus ou moins longue… Parfois les gommes de quelques angelots volaient à son secours dans une danse macabre, juste avant que la cafetière italienne ne glougloute sur la gazinière. Les gommes fondaient sur ces maudits mots moches qui vous mettent la tête dans le sac pour toute la journée. Une fois le bombardement et le café passés, il versait le précieux liquide dans un grand bol, beurrait et confiturait ses tartines, puis attrapait un nouveau bloc de papier velin, à la teinte légèrement crémeuse, et ses crayons de couleur libérer les mots du bonheur.