Cette histoire pourrait se passer dans un tiroir d’une morgue, dans un cimetière hanté une nuit de pleine lune, dans une crypte aux gisants de marbre ou dans une cathédrale de stalactites…
Non, cette histoire se passe dans un autre monde. Je l’ai entendue de quelqu’un que j’ai rencontré…A mon tour, aujourd’hui d’en être le « passeur »
Cette histoire se passe dans un lieu magique qui fait rêver tout aventurier. Certains ont tenté l’aventure et n’en sont jamais revenus, d’autres l’ont tentée et en sont revenus émerveillés , enchantés…
« La caravane est prête pour la grande traversée, les hommes ont enfilé leur draa et enturbanné leur tête du chèche traditionnel. Les chameaux sont chargés… la lente procession commence dans le désert .
De temps à autre, quelques chameaux se font la conversation en blatérant à qui mieux mieux, les hommes se hèlent brièvement pour échanger quelques directives. Le sable crisse doucement, les pas s’enfoncent avec une lenteur majestueuse.
Le soleil trace sa route brûlante, la caravane aspire à la nuit.
Les dunes étendant leurs ondes à l’infini.
Le ciel se colore de feu, vire au mauve tandis que le soleil penche dangereusement.
Les hommes ne parlent plus, chaque geste, chaque mouvement est codifié depuis la nuit des temps.
Les hommes ont bu leur thé à la menthe et attendent le sommeil.
Les bêtes sont repues et se reposent.
Le désert, peuplé de milliers de grains de sable, s’assoupit.
Les bruits qui font le silence se sont tus
La nuit peut régner.
C’est alors qu’un bourdonnement roulant et sifflant balaye les dunes.
Les dunes chantent dans le désert des Maures….
Le Bon Secours.
La Clinique du Bon Secours.
C’est là qu’ils sont nés tous les quatre. Le père le leur rappelle. Les deux grands le savent bien qui sont venus voir leur mère lorsqu’elle a accouché des deux plus petits.
Ils ont garé leur voiture devant l’église. Face à la clinique du Bon Secours, l’église Saint-Nicolas-en-Cité où ils ont été baptisés tous les quatre.
Mais c’est la clinique qui les attend.
Au début de l’après-midi, on a injecté à leur mère le cocktail létal dont ils sont convenus avec l’oncologue en charge des soins palliatifs.
Maintenant, il ne leur reste plus qu’à attendre patiemment.
Un Silence.
Ils lui ont fait leurs adieux.
Dans l’ordre chronologique.
Ils n’allaient pas se disputer. Pas là. Pas maintenant.
Les yeux sont rouges. Les lunettes embuées.
C’est leur père qui est passé en dernier. Il a embrasse sa femme, leur mère, lui a juré qu’il l’avait toujours aimée. Sa voix s’étranglait. On a entendu un sanglot. Leur sœur.
Il ne leur reste plus qu’à attendre.
La respiration de leur mère et épouse est profonde. Elle va chercher loin son souffle, l’un des derniers, et ce bruit, c’est un râle.
Maintenant, sa fréquence a bien ralenti. Alors, ils attendent. Ils attendent le dernier souffle, la dernière reprise de respiration, le dernier râle. Ils respirent avec elle, à l’unisson.
La situation pourrait être cocasse. Elle ne l’est pas.
Pas là.
Pas maintenant.
Mais, est-ce la dernière ? Convient-il de pleurer définitivement la mère qui leur est arrachée, l’épouse qui a disparu ? Est-ce le moment de se jeter convulsivement sur le corps à présent sans vie, ou y aura-t-il une nouvelle reprise de la respiration ?
Ils attendent.
Les silences sont de plus en plus longs, mais une nouvelle reprise, encore plus profonde, vient soudain l’interrompre. Et c’est reparti.
Il est vingt et une heures.
Long silence…
Et c’est reparti !
Long silence. Très long silence…
Et c’est reparti !
Long silence.
Très long silence…
On accourait depuis ce matin en va-et-vient incessants, les portes grinçaient, les téléphones sonnaient, les voix murmuraient autant que possible.
Dans le couloir, ça jasait, ça piaffait autant que ça gémissait en larmes plus ou moins difficiles à tirer.
Autour du lit, ça reniflait, ça se mouchait, les uns les autres, ça se saluait en hoquets, ça s’essuyait, ça claquait des bises et des chaises, en avant, en arrière, ça cliquetait entre tasses et cuillers et puis ça éclatait en sanglots à nouveau.
On s’esclaffait de l’injustice de la vie, à droite, si jeune à 70 ans, on blasphémait sur son dieu aussi impuissant qu’un dirigeant politique, à gauche, on susurrait à l’oreille d’un voisin une impossible crise cardiaque, lui en pleine forme au cours de Zumba hier encore.
Et même au pied du lit entre chats du maître il se ronronnait les dos ronds que sa mort ne présageait rien de bon pour leur avenir dans la maison.
Quand soudain il ouvrit grands les deux yeux, accompagnés d’un minuscule sourire.
Il était criant, enveloppé dans son suaire, il mesurait 32 secondes de long et pesait lourd pour un silence de cette taille.
Doumé était accoudé au comptoir devant son jaune comme tous les midis que le Bon Dieu fabriquait sur l’île. Les lourds nuages, les soleils de plomb, les journées de vent qui soulevaient les jupes et les chaises de la terrasse, il regardait passer le temps derrière le bar. Les poivrots, les bavards qui tapaient le carton, le vieux d’en face que l’arthrose cassait chaque jour un peu plus comme un arbre mort, tous les habitués qui défilaient devant le comptoir il les connaissaient. Et leurs histoires aussi. Les petites infamies, les jalousies, les contentieux entre voisins, les vendettas locales, les incendies criminels et les branleurs du continent qui achetaient la terre et qui auraient vendu leur mère pour un bout de vue la Grande Bleue. Et puis Luigi et Polo, deux salopards bons à rien. Surtout Polo avec son cuir et ses jeans crades, ses boucles brunes collées au Pento, ses paluches qui claquait les fesses de Paula comme du bétail. Paula, c’était le soleil de la Méditerranée, un morceau de paradis égaré par erreur dans ce trou à rats. Ces bras fins veinés de bleu s’agitaient toute la sainte journée, essuyaient les verres, ramassaient les pièces sur le zinc. Et juste au dessus, ce satané sourire, une ligne de pure beauté qui ne cédait jamais, même aux grossièretés, aux humiliations sexistes. Doumé aurait battu le maquis à genoux pour l’emporter dans sa poche ce sourire, pour le garder accroché aux murs de sa chambre. Il écoutait la conversation du haut de son tabouret au coin du bar. Ça ne volait pas haut. Les deux déchets avaient commencé la journée de beuverie au matin il fallait croire. Et Paula telle une cible solaire. Les insultes et les sous-entendus glauques des deux ordures bourdonnaient aux oreilles de Doumé. Il se souvenait de tout. ça durait depuis l’enfance. Ces graines d’ortie l’avaient massacré dans la cour de l’école, et plus tard, les brimades obscènes qu’il avait endurées. Tout remontait de l’estomac, sa bouche acide, il avait envie de cracher. Doumé était transparent, lisse, docile comme l’agneau sous la mère, parfait bouc émissaire. Trente ans qu’il courbait la couenne. Polo cogna son verre sur le comptoir et lorgna Doumé l’œil mauvais.
– alors la petite frappe ? Elle te tente ? Mate la bombe…Tu l’auras jamais pauvre tâche…
Doumé avala une autre gorgée pour faire passer la nausée.
– Tu réponds pas hein ? T’as raison, ta langue elle sert à que dalle à part sucer du glaçon…Je parie qu’elle a jamais rien sucé d’autre…
Le bar grouillait de monde. Polo passa derrière le comptoir et empoigna le bras de Paula.
– Alors ma belle, tu m’en roules une ? Allez, fais pas ta farouche.
Paula tenta de se dégager.
– Arrête Polo, arrête ça, t’es pas drôle…
Le sourire disparut du visage de Paula. Doumé immobile, courut après cette perte. Il sentait la rage monter comme une vague scélérate que les grands marins ne peuvent pas prévoir. Pour la première fois depuis onze heures, il ouvrit la bouche :
– Dégage Polo, dégage de là…
Polo se retourna.
– Ben tu parles le loukoum ? T’es fâché ? Ouah vise ça Luigi, ya de la rébellion dans l’air. Putain je meurs de trouille…
Polo se tapa sur les cuisses et vint coller son nez contre celui de Doumé. Il lui empoigna l’entre jambe, serra comme un malade qu’il était.
– Alors il paraît qu’y en a là-dedans ? Eh Luigi ! Ya du nouveau mec. Doumé il a retrouvé son matos…Ca doit être les hormones…Faut dire Paula, elle a les arguments.
Doumé se tordit sous la douleur.
– Si tu savais ce que je lui fais à Paula… Il murmurait à son oreille. Et puis elle aime ça, elle crie, elle en redemande. Tu sauras jamais ça, elle te regarde même pas. Les cloportes comme toi, elle leur crache dessus. Comme moi d’ailleurs.
Polo décocha un crachat qui vint dégouliner sur la joue de Doumé. Doumé se leva et se précipita aux toilettes. Il ouvrit le robinet et lava l’outrage à grande eau, les yeux rougis par la colère. Dans la glace, il ne reconnut pas celui qu’il était. Dans la salle, il entendait le brouhaha des pochards que rien ne détournait de leurs verres, les rires gras, le vacarme de l’indifférence générale. Tout était inscrit, banal, même les ordures de ce monde pourri qui était le sien depuis toujours. Et Paula, là-bas, son soleil terni, bafoué par tant de crasse.
Doumé revint dans la salle. Le blouson de Polo, un drapeau noir, l’étendard de la honte dressé contre le bar. Il se colla à lui, serré. Son poing crispé s’enfonça dans le flanc de Polo. C’était rentré, du beurre, il n’aurait pas cru que c’était si mou. Un hurlement et puis Polo cassé en deux, une poupée de chiffon. Et ce sang, tout ce sang Seigneur… sur sa main. Le couteau tomba, résonna contre le sol. Et les mains ouvertes, les yeux vides de Doumé tombé à genoux. A l’horizon, Paula, le visage de Paula où il reconnut la mort qui s’était invitée à la table. Et soudain, le silence, ce silence qu’il avait espéré tant de fois.
Mes exercices sont des accélérateurs de particules imaginatives. Ils excitent l'inventivité et donnent l’occasion d’effectuer un sprint mental. Profitez-en pour pratiquer une écriture indisciplinée.
Ces échauffements très créatifs vous préparent à toutes sortes de marathons : écrire des fictions : nouvelles, romans, séries, etc.
Racontez la naissance d’un silence de mort
Cette histoire pourrait se passer dans un tiroir d’une morgue, dans un cimetière hanté une nuit de pleine lune, dans une crypte aux gisants de marbre ou dans une cathédrale de stalactites…
Non, cette histoire se passe dans un autre monde. Je l’ai entendue de quelqu’un que j’ai rencontré…A mon tour, aujourd’hui d’en être le « passeur »
Cette histoire se passe dans un lieu magique qui fait rêver tout aventurier. Certains ont tenté l’aventure et n’en sont jamais revenus, d’autres l’ont tentée et en sont revenus émerveillés , enchantés…
« La caravane est prête pour la grande traversée, les hommes ont enfilé leur draa et enturbanné leur tête du chèche traditionnel. Les chameaux sont chargés… la lente procession commence dans le désert .
De temps à autre, quelques chameaux se font la conversation en blatérant à qui mieux mieux, les hommes se hèlent brièvement pour échanger quelques directives. Le sable crisse doucement, les pas s’enfoncent avec une lenteur majestueuse.
Le soleil trace sa route brûlante, la caravane aspire à la nuit.
Les dunes étendant leurs ondes à l’infini.
Le ciel se colore de feu, vire au mauve tandis que le soleil penche dangereusement.
Les hommes ne parlent plus, chaque geste, chaque mouvement est codifié depuis la nuit des temps.
Les hommes ont bu leur thé à la menthe et attendent le sommeil.
Les bêtes sont repues et se reposent.
Le désert, peuplé de milliers de grains de sable, s’assoupit.
Les bruits qui font le silence se sont tus
La nuit peut régner.
C’est alors qu’un bourdonnement roulant et sifflant balaye les dunes.
Les dunes chantent dans le désert des Maures….
« Un dernier dénivelé avant la longue ligne droite qui mène à l’arrivée. Nous vivons un grand moment de course, avec des participants très nombreux, dans un vacarme assourdissant où chacun lutte pour la première place comme si sa vie en dépendait. Du beau monde promis à l’arrivée. Je vois le favori qui contourne le peloton de tête par la gauche. Un moment tendu, un passage très délicat, mais il ne perd pas la cadence. Et toujours une fille en tête depuis le départ. NON, NON… Ho la la la la la la la al…Elle trébuche et entraîne au moins une dizaine de coureurs dans sa chute. C’est fini pour eux tandis qu’une autre fille reprend la tête de la course. Mais que vois-je ? Nooooooooooon…. Un premier spermatozoïde s’écrase contre une sorte paroi en latex, puis un autre. Noooooooon, encore un autre. Non, non, non et non. Mais que fait cette paroi au milieu de la course ? J’entends un spermatozoïde monté sur un promontoire improvisé qui crie : « Pas la peine, les gars, on est foutus. Il n’y a pas d’issue ! ». Il s’écroule. Tous les participants s’arrêtent et s’effondrent aussi au sol. Il règne un silence de mort. La course est effectivement terminée.
C’était Jean-Michel, votre correspondant en direct pour Radiochampion, la radio des champions. Bonne journée et à demain même lieu même heure. »
©Margine
La Naissance d’un silence de mort.
La Naissance.
Le Bon Secours.
La Clinique du Bon Secours.
C’est là qu’ils sont nés tous les quatre. Le père le leur rappelle. Les deux grands le savent bien qui sont venus voir leur mère lorsqu’elle a accouché des deux plus petits.
Ils ont garé leur voiture devant l’église. Face à la clinique du Bon Secours, l’église Saint-Nicolas-en-Cité où ils ont été baptisés tous les quatre.
Mais c’est la clinique qui les attend.
Au début de l’après-midi, on a injecté à leur mère le cocktail létal dont ils sont convenus avec l’oncologue en charge des soins palliatifs.
Maintenant, il ne leur reste plus qu’à attendre patiemment.
Un Silence.
Ils lui ont fait leurs adieux.
Dans l’ordre chronologique.
Ils n’allaient pas se disputer. Pas là. Pas maintenant.
Les yeux sont rouges. Les lunettes embuées.
C’est leur père qui est passé en dernier. Il a embrasse sa femme, leur mère, lui a juré qu’il l’avait toujours aimée. Sa voix s’étranglait. On a entendu un sanglot. Leur sœur.
Il ne leur reste plus qu’à attendre.
La respiration de leur mère et épouse est profonde. Elle va chercher loin son souffle, l’un des derniers, et ce bruit, c’est un râle.
Maintenant, sa fréquence a bien ralenti. Alors, ils attendent. Ils attendent le dernier souffle, la dernière reprise de respiration, le dernier râle. Ils respirent avec elle, à l’unisson.
La situation pourrait être cocasse. Elle ne l’est pas.
Pas là.
Pas maintenant.
Mais, est-ce la dernière ? Convient-il de pleurer définitivement la mère qui leur est arrachée, l’épouse qui a disparu ? Est-ce le moment de se jeter convulsivement sur le corps à présent sans vie, ou y aura-t-il une nouvelle reprise de la respiration ?
Ils attendent.
Les silences sont de plus en plus longs, mais une nouvelle reprise, encore plus profonde, vient soudain l’interrompre. Et c’est reparti.
Il est vingt et une heures.
Long silence…
Et c’est reparti !
Long silence. Très long silence…
Et c’est reparti !
Long silence.
Très long silence…
Un Silence de mort.
L’annonce de sa mort faisait déjà grand bruit.
On accourait depuis ce matin en va-et-vient incessants, les portes grinçaient, les téléphones sonnaient, les voix murmuraient autant que possible.
Dans le couloir, ça jasait, ça piaffait autant que ça gémissait en larmes plus ou moins difficiles à tirer.
Autour du lit, ça reniflait, ça se mouchait, les uns les autres, ça se saluait en hoquets, ça s’essuyait, ça claquait des bises et des chaises, en avant, en arrière, ça cliquetait entre tasses et cuillers et puis ça éclatait en sanglots à nouveau.
On s’esclaffait de l’injustice de la vie, à droite, si jeune à 70 ans, on blasphémait sur son dieu aussi impuissant qu’un dirigeant politique, à gauche, on susurrait à l’oreille d’un voisin une impossible crise cardiaque, lui en pleine forme au cours de Zumba hier encore.
Et même au pied du lit entre chats du maître il se ronronnait les dos ronds que sa mort ne présageait rien de bon pour leur avenir dans la maison.
Quand soudain il ouvrit grands les deux yeux, accompagnés d’un minuscule sourire.
Il était criant, enveloppé dans son suaire, il mesurait 32 secondes de long et pesait lourd pour un silence de cette taille.
Doumé était accoudé au comptoir devant son jaune comme tous les midis que le Bon Dieu fabriquait sur l’île. Les lourds nuages, les soleils de plomb, les journées de vent qui soulevaient les jupes et les chaises de la terrasse, il regardait passer le temps derrière le bar. Les poivrots, les bavards qui tapaient le carton, le vieux d’en face que l’arthrose cassait chaque jour un peu plus comme un arbre mort, tous les habitués qui défilaient devant le comptoir il les connaissaient. Et leurs histoires aussi. Les petites infamies, les jalousies, les contentieux entre voisins, les vendettas locales, les incendies criminels et les branleurs du continent qui achetaient la terre et qui auraient vendu leur mère pour un bout de vue la Grande Bleue. Et puis Luigi et Polo, deux salopards bons à rien. Surtout Polo avec son cuir et ses jeans crades, ses boucles brunes collées au Pento, ses paluches qui claquait les fesses de Paula comme du bétail. Paula, c’était le soleil de la Méditerranée, un morceau de paradis égaré par erreur dans ce trou à rats. Ces bras fins veinés de bleu s’agitaient toute la sainte journée, essuyaient les verres, ramassaient les pièces sur le zinc. Et juste au dessus, ce satané sourire, une ligne de pure beauté qui ne cédait jamais, même aux grossièretés, aux humiliations sexistes. Doumé aurait battu le maquis à genoux pour l’emporter dans sa poche ce sourire, pour le garder accroché aux murs de sa chambre. Il écoutait la conversation du haut de son tabouret au coin du bar. Ça ne volait pas haut. Les deux déchets avaient commencé la journée de beuverie au matin il fallait croire. Et Paula telle une cible solaire. Les insultes et les sous-entendus glauques des deux ordures bourdonnaient aux oreilles de Doumé. Il se souvenait de tout. ça durait depuis l’enfance. Ces graines d’ortie l’avaient massacré dans la cour de l’école, et plus tard, les brimades obscènes qu’il avait endurées. Tout remontait de l’estomac, sa bouche acide, il avait envie de cracher. Doumé était transparent, lisse, docile comme l’agneau sous la mère, parfait bouc émissaire. Trente ans qu’il courbait la couenne. Polo cogna son verre sur le comptoir et lorgna Doumé l’œil mauvais.
– alors la petite frappe ? Elle te tente ? Mate la bombe…Tu l’auras jamais pauvre tâche…
Doumé avala une autre gorgée pour faire passer la nausée.
– Tu réponds pas hein ? T’as raison, ta langue elle sert à que dalle à part sucer du glaçon…Je parie qu’elle a jamais rien sucé d’autre…
Le bar grouillait de monde. Polo passa derrière le comptoir et empoigna le bras de Paula.
– Alors ma belle, tu m’en roules une ? Allez, fais pas ta farouche.
Paula tenta de se dégager.
– Arrête Polo, arrête ça, t’es pas drôle…
Le sourire disparut du visage de Paula. Doumé immobile, courut après cette perte. Il sentait la rage monter comme une vague scélérate que les grands marins ne peuvent pas prévoir. Pour la première fois depuis onze heures, il ouvrit la bouche :
– Dégage Polo, dégage de là…
Polo se retourna.
– Ben tu parles le loukoum ? T’es fâché ? Ouah vise ça Luigi, ya de la rébellion dans l’air. Putain je meurs de trouille…
Polo se tapa sur les cuisses et vint coller son nez contre celui de Doumé. Il lui empoigna l’entre jambe, serra comme un malade qu’il était.
– Alors il paraît qu’y en a là-dedans ? Eh Luigi ! Ya du nouveau mec. Doumé il a retrouvé son matos…Ca doit être les hormones…Faut dire Paula, elle a les arguments.
Doumé se tordit sous la douleur.
– Si tu savais ce que je lui fais à Paula… Il murmurait à son oreille. Et puis elle aime ça, elle crie, elle en redemande. Tu sauras jamais ça, elle te regarde même pas. Les cloportes comme toi, elle leur crache dessus. Comme moi d’ailleurs.
Polo décocha un crachat qui vint dégouliner sur la joue de Doumé. Doumé se leva et se précipita aux toilettes. Il ouvrit le robinet et lava l’outrage à grande eau, les yeux rougis par la colère. Dans la glace, il ne reconnut pas celui qu’il était. Dans la salle, il entendait le brouhaha des pochards que rien ne détournait de leurs verres, les rires gras, le vacarme de l’indifférence générale. Tout était inscrit, banal, même les ordures de ce monde pourri qui était le sien depuis toujours. Et Paula, là-bas, son soleil terni, bafoué par tant de crasse.
Doumé revint dans la salle. Le blouson de Polo, un drapeau noir, l’étendard de la honte dressé contre le bar. Il se colla à lui, serré. Son poing crispé s’enfonça dans le flanc de Polo. C’était rentré, du beurre, il n’aurait pas cru que c’était si mou. Un hurlement et puis Polo cassé en deux, une poupée de chiffon. Et ce sang, tout ce sang Seigneur… sur sa main. Le couteau tomba, résonna contre le sol. Et les mains ouvertes, les yeux vides de Doumé tombé à genoux. A l’horizon, Paula, le visage de Paula où il reconnut la mort qui s’était invitée à la table. Et soudain, le silence, ce silence qu’il avait espéré tant de fois.
Un silence de mort.
30 Novembre 2013.
X, écrivant amateur mais fidèle s’était levé de bonne humeur. Il allait encore
exercer son petit talent selon la proposition du jour. Son imagination rabougrie
par une semaine de fonctionnariat allait de nouveau s’épanouir dans
l’envol de libelittératurlules. Il jubilait, tripotait du petit doigt son enthousiasme
interne. Il bandait du cerveau.
Parvenu à son bureau, il y rangea soigneusement les objets muets et
symboliques. Une plume de canard encadrée, souvenir de sa scolarité
claudicante, un magnifique buvard Castrol hérité de son grand père et le
premier tome de l’intégrale désaccordée d’un auteur chilien, jamais lu mais
dédicacé.
Un gros chat trônait par dessus tout. Il déposait sur le livre une nouvelle couche
de fourrure. Après 5 chats descendus de gouttières très variées, le livre s’était
confectionné une reliure des plus bariolés. Cela lui donnait un aspect poilu des
plus curieux mais sans aucune plus valu, selon le bouquiniste.
De plus, chaque nouveau matou avait marqué de son urine le nouveau territoire
de sa gamelle littéraire.
L’écrivant avait donc placé le livre dans un vaste aquarium mais aucun poisson
ne vint s’y poser. Les langoustes non plus ne migraient pas dan son secteur.
D’ailleurs, il mangeait plus souvent des sardines sans leurs arêtes et sans leur
boîte. Par contre il gardait l’huile aromatisée dans laquelle il faisait revenir de
fines lamelles de patate douce.
L’écrivant recentra son attention sur le fameux sigle des entre 2, le signe de
ceux ayant dépassé le stade d’avant mais ne courant pas encore assez bien sur
l’autre. Pour beaucoup, c’était un très long marathon, mais on les avait tous et
toutes persuadé que leurs missives étaient essentielles, que ce qu’ils
transportait avait forcément une valeur inestimable. Pour la plupart, c’était juste
un moyen d’augmenter leur résistance à l’usure du temps, un footing face au
délabrement, la seule drogue douce et berçante.
Il cliqua sur le sujet du jour………………………………………………………………….
Sa bouche dessina une exclamation bizarre, non répertoriée dans aucun
dictionnaire des insultes muettes
Non seulement, il ne pouvait rien en dire mais la mort l’avait doublé. Elle était
parvenue avant terme, sans prévenir. Elle avait accouché d’un sombre mutisme,
d’une réticence même à claquer des dents…à lui laisser un petit coucou d’au
revoir.
Elle avait anéanti sa verve du matin, enterré sa joie de renaître encore un peu,
de suspendre la chute des aiguilles.
Il contempla face à lui la dépouille du grand Motus.
Lui revinrent tous les espoirs catalogués de l’entourage:
« Forcément en montagne, tu grimpes….mais tu renais aussi de descendre »
« Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’alcool de poire! »
« Et l’amour alors…l’amour rond pour les petits oiseaux! »
« Souviens toi…. qu’on ne t’oubliera pas »
Ca faisait toujours préfabriqué dans sa tête. Ca ne sonnait pas juste!
Allait’il lui aussi céder au grand appel, se laisser couler dans le moule
international du passéisme, du tant pis pour tous, du fauteuil accoudé au
tombeau du monde.
Il réfléchit à peine, le temps de rêver d’un chat multicolore, d’un poisson volant
sous son crâne, de la poussière des livres lui attaquant les poumons.
Il abandonna toute idée d’un mieux, ne résista pas à l’attirance commune du
mortel, face au ras le bol débordant d’illusions fanées. Il cessa la lutte,
s’abandonna dans les mailles du filet.
Il alluma la télévision.