Comment est né le premier « mais » ?
Voici l’histoire.
Dans ce monde merveilleux, le bonheur n’avait pas de fin. Ni de but. Il était normal. Incroyablement normal.
Chaque jour égalait le suivant par sa fraîcheur, sa fantaisie, sa douceur. Le mot même de conflit n’existait pas et la tristesse était une danse traditionnelle dont tout le monde raffolait.
Si son langage ressemblait au nôtre, quelques mots ainsi semblaient absents comme désespoir, suicide ou rivalité. Le mot « mais » n’existait pas non plus – même si quelques chèvres l’employaient bien sûr (plus tard, avec l’apparition des maladies comme le rhume, leur mot fétiche s’est transformé en « bai » comme nous le savons).
Donc, le mot « mais » n’existait pas et la première fois qu’il apparut, chacun en fut médusé.
C’était un mardi aux alentours de neuf heures trente, sur un trottoir d’une blancheur exceptionnelle. Un chien faisait ses commissions avec nonchalance quand un facteur déboula à toutes berzingue.
» – Eh pousse -toi Médor ! » hurla-t-il sur son tricycle bleu éclatant. En vérité, il n’eut pas le temps de finir sa phrase, écrasé au sol sous le choc brutal avec le quadrupède.
On le laissa allongé un mois au sol avant qu’il ressuscite – c’était la coutume de l’époque – la vie repoussait facilement si on la laissait faire.
Un accident de ce genre était si rare que tous les passants témoins furent appelés à la barre.
Ils décrivirent tous, avec la minutie que procure la fierté d’aider son prochain, les derniers moments de la première vie de M Factorette.
» Eh pousse-toi mais… » étaient bien ses quatre derniers mots et l’angoisse qu’ils exprimaient intriguait chacun.
Qu’avait donc ressenti M Factorette à cet instant ? Et que voulait-il dire par « mais » ?
L’harmonie du monde s’était fissurée pendant une seconde et cette fissure rendait tout à coup l’univers extraordinairement mystérieux.
Un documentaire de haut vol, trois romans et une émission de télévision abordèrent l’événement sans parler de la centaine de jeux vidéo soudainement inspirés. Le pape alla jusqu’à prôner les bienfaits d’une retraite de six mois pour ceux qui s’interrogeaient un peu trop et les spécialistes du langage étudièrent les quatre mots perturbateurs avec passion.
Enfin, après de longs débats, le mot « mais » fut considéré comme… spontané.
M Factorette, sous l’emprise d’une émotion inconnue, avait inventé un mot inconnu.
Des siècles plus tard, quand Ève mordit dans la pomme et que le bonheur permanent prit la fuite, certains se souvinrent de cette histoire et de ce mot.
Ils le chuchotèrent avec une certaine appréhension puis le claironnèrent à tout-va tant sa rondeur reflétait la zizanie… la zizanie qui agitait chacune de leurs cellules, chacun de leur élan. La zizanie humaine qui n’en finit plus depuis de s’épanouir allègrement.
Mais, mais …. c’est tout, me direz-vous ?
Oui, c’est tout.
Ah, non, autre chose, le bonheur est toujours là, à portée de main, quand on fait ce que l’on aime. Comme, par exemple… manger une pomme.
Racontez comment est né le premier MAIS. Quand et pourquoi il fut exprimé pour la première fois.
Le voyage s’annonçait idyllique.
Une mer … bleue
un ciel …. bleu
Un infini… infini…..
Une destination de rêve… le rêve.
Le voyage était idyllique. Tout était parfait, comme un joli catalogue de papier glacé.
Eole était pondéré de nuit comme de jour. La nourriture quotidienne ressemblait à s’y méprendre à un festin des dieux !
Et pourtant, une nuit, le vent se leva sans que l’on ne sache pourquoi, sans que l’on ne sache d’où il venait.
Le vent se transforma en ouragan.
La nef ressemblait à une coquille de noix qui coula à pic.
Il cracha, nagea, s’agrippa et survécut. Sur une plage de sable doux et chaud, il s’échoua. Seul.
Le premier jour et la première nuit, il dormit tant il était épuisé.
Le deuxième jour, il s’aventura loin du rivage. Il découvrit des lieux pareils à un Eden : arbres, fleurs et fruits à profusion. Au moins, il ne mourrait pas de faim.
Le troisième jour, il trouva que ses lambeaux de vêtements pourraient être remplacés par des effets plus corrects. Les tisseuses du coin lui réalisèrent un pagne soyeux et coloré.
« On ne sait jamais… » se dit-il en souriant….
Le quatrième jour, il pensa à s’organiser un peu plus sérieusement. Un petit coin où se faire à manger, un coin discret où vaquer à sa toilette, un hamac où se reposer, rêver et dormir.
Le cinquième jour, il se dit que cette vie idyllique lui réservait peut-être des surprises. Alors, il observa, chassa, pêcha et chercha comment conserver la nourriture. Par chance, il n’avait aucun souci à se faire pour l’eau potable. Elle coulait à flot.
Le sixième jour, il se reposa. Dans le sable, son doigt se mit à dessiner des courbes et des lignes.
il traça la septième petit barre sur un tronc d’arbre lorsque le soleil se leva. Il soupira.
Il se sentait un peu seul. Alors, il décida de partir à l’aventure. Il marchait d’un pas tranquille, pensant tout de même à laisser des indices pour le retour.
C’est alors qu’il vit un spectacle qui l’étonna, l’amusa tout autant qu’il le ravit.
Une ondine, aussi belle que la Vénus de Botticelli, se baignait dans la vasque d’une cascade.
Elle le vit et ne se cacha pas. Il s’approcha et ne se quittèrent plus.
Dès le huitième jour, la vie d’Ondine et de Sandro ressembla à un paradis sur terre.
Lui s’occupait du bien manger, elle s’occupait du bien-être.
A deux, ils nageaient dans l’océan et dans le bonheur.
Un matin, Sandro partit pêcher. Ondine se prélassait à l’ombre d’un frangipanier.
Ce fut ce matin-là que l’ hiatus choisit pour intervenir.
Revêtu de ses plus beaux atours, il vint à la rencontre de l’ondine et lui offrit une corbeille de fruits. Elle l’ accepta et la posa au centre de la table. Il repartit sur la pointe des pieds. Elle ne vit son sourire carnassier.
Sandro revint après une pêche miraculeuse. Au menu, poisson cuit dans des feuilles de bananier et légumes croquants.
Pour le dessert, Ondine prit un fruit dans la corbeille et le tendit à Sandro. Il mordit à belle dent et tomba. Mort.
«Mais… balbutia-t-elle, c’est par amour que j’ai partagé… »
Je découvre votre texte, Anissa, et c’est un beau début de journée que je commence en sa compagnie. Très imaginatif, beaucoup d’humour. Super ! A bientôt pour d’autres mots aussi bien bousculés. Pascal
Vous vous posez trop de questions. je pense qu’ « Alors » devait se sentir bien seule ce soir là.
Oui, « Alors » est une femme.
Il est vrai qu’elle jouissait souvent de la compagnie de « Et », qu’elle avait rencontré lors du congrès de la coordination, et de « Merde » un pote de fac.
Ah la naissance de « mais »…
Oh, vous savez ce qu’on raconte… c’était un concours de circonstances.
De l’alcool, oui, beaucoup d’alcool. Je ne vois pas d’autre explication. Ce n’était pas une naissance désirée, loin de là. Le pauvre enfant ! Si négatif aujourd’hui, tu m’étonnes ! Ce sont des choses qui restent, qui vous impreignent…
C’était cette fâmeuse nuit, où toute la bande de pote était montée à Strasbourg pour la fête du trash.
C’est là qu’ils rencontraient « Putain » pour la première fois. C’était un mec quelconque. Pas comme « Bref ». La rupture de « Bref » et d’Alors ressemblait à celle d’ « Ores » « et » « Déjà ». Trop de non dits, trop de larmes, trop de maladresse… « Putain » lui il était fun. Du coup, logiquement, ils étaient tous sous le charme de « Putain ».
« Putain », « Et », « Merde », « Alors », nos quatres irresponsables ont tellement bu ce soir là. Ils pensaient juste s’amuser au Trolley. C’est allé beaucoup trop loin. Complètement abusés par l’alcool, ils sont rentrés dans un état lamentable à l’appart de « Putain » pour finir la nuit.
Au petit matin, « Alors » se réveille: elle se sent pas très bien. Verdict: quelques minutes plus tard, naissait « Mais ».
Encore aujourd’hui personne ne sait qui en est le père, « Putain », « Et », « Merde »… C’est pas « Bref » tout ça.
Je n’essaierais pas de deviner si j’étais vous.
Mars était encore convalescent, quand le mois de Mai tomba lui aussi malade, avec les premiers symptômes de ssss.
Au départ, Mar était unique. Mais la personnalité de Mar se dédoubla. Il avait deux visages : l’un doux et rayonnant, l’autre orageux et pleurnichard. Son père le temps, Chronos, trouva une solution pour le guérir. Il juxtaposa ces deux caractères sans les mélanger. Mar devint Mars, un mois bicéphale, au caractère changeant. Les gens, rancuniers, l’appelèrent « Giboulée », riant sous cape, en souvenir de sa crise de folie.
Maintenant c’était au tour de Mai : il bégayait, se prenait de vertige, frissonnait, s’étourdissait,… Il perdait de ses couleurs. Il devint distant alors qu’il était auparavant si chaleureux lorsqu’on le rencontrait. Les gens étaient déçus de lui. Mai se transformait petit à petit en mois froid, bien que la nature renaissait et offrait ses bouquets d’odeurs. Il la méprisait et la laissait se débrouiller toute seule. Et tant pis pour les nouveaux nés, ce sera plus dur. Il n’en avait que faire ! Le mois de Mais était né.
Chronos trancha rapidement. Un schizophrène dans la famille, ça suffit ! Il rendit le sourire aux habitants de la terre en cachant les bouffées maussades de la maladie dans de larges trous creusés de toute part dans le pauvre Mai devenu Mais.
Mais, lui aussi, associait deux visages contradictoires : une multitude de jours de travail et de jours de repos. Cependant les gens lui pardonnèrent, et oublièrent sa maladie. Car, quelque soit la météo, ils retrouvaient le sourire à l’approche des ponts qui trouaient le mois. Ils oublièrent jusqu’à son nouveau nom pour ne conserver que le doux souvenir de Mai.
Au début il y avait le OUI. Le Oui primitif. Le Oui originel. Le Oui qui s’ennuyait un peu tout seul, il faut bien le dire. L’ANLA (L’Académie Néolithique du Langage Articulé) décidé de lui créer des compagnons.
Dans le souci d’éviter d’interminables discussions dont l’objet était de trouver un accord rapide et d’empêcher ultérieurement des querelles entre les mots, les 12 Sages optèrent pour des mots consensuels. Naquirent ainsi : « harmonie, entente, connivence, communion et trois bonnes douzaine de termes de la même engeance.
OUI régnait sur ce petit monde et tout fonctionnait à l’unisson. Cela aurait pu durer éternellement mais il se trouva que Oui commençait à prendre la grosse tête. Imposant toujours ses décisions ; décrétant ceci ; statuant sur cela ; toujours de façon autoritaire ; d’un ton péremptoire, impératif, cassant ; il se comportait comme un despote. La grogne commença alors à monter et le son de la révolte à gronder
Craignant des émeutes, les 12 Sages se réunirent lors d’une cellule de crise et après d’âpres et infinis débats, il fut décidé de créer le NON et trois bonnes douzaines de mots rebelles du même acabit : refus, déni, négation, veto…
L’harmonie ne dura pas. Les deux camps s’opposaient systématiquement pour un oui pour un non.
Craignant une guerre civile qui risquait de mettre en péril la survie même du vocabulaire, les 12 sages décidèrent, après s’être réunis en cénacle, de créer un mot conciliateur qui, selon eux, pourrait se révéler un habile médiateur en permettant à chacun de s’exprimer dans la nuance.
Ainsi est né le mot MAIS. Et c’est ainsi que naquirent également, grâce ou à cause de ce sens de la nuance que les 12 sages désiraient tant, l’hypocrisie, la lâcheté, la ruse, la duplicité, l’indécision, la manipulation, la perversité etc…
On parle toujours du 1er Mai, ses manifs, ses discours et même son muguet, et moi, moi le MAIS, quel est mon 1er Mais ? Je suis tellement ancien, latin d’origine. Les philosophes m’employaient alors pour débattre, opposer, argumenter, raisonner, contester, pour leurs discours de la méthode ou autre, pour marquer les exceptions, les différences . Les écrivains m’utilisent aussi, de Racine « j’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer », à Rousseau « le premier de tous les biens n’est pas dans l’autorité mais dans la liberté », je me glisse dans tellement de chefs d’oeuvre ! Mais ( je sers aussi de transition),revenons à mon questionnement, pas besoin d’une date fixe , je suis dans toutes les conversations des plus familières aux plus officielles.
Absurde, mais vrai.
C’était un de ces dimanches au paradis comme nous les aimions tant. Le jour où on se retrouvait tous sur la plage, au bord de la mer de nuages. Le Bon Dieu lui-même ne refusait jamais de faire trempette avec les saints, les anges et tout le saint-frusquin qui venait fraîchement de débarquer. Faut dire que sur terre, c’était de pire en pire : ils arrivaient maintenant par charter, étonnés, dès la porte Saint-Pierre franchie, de trouver ici calme et volupté. J’en avais même entendu un dire que, s’il avait su, il serait arrivé plus tôt ! C’est simple : on faisait le plein ! Mais tout allait bien, le ciel était grand.
Donc, ce dimanche-là, le pique-nique sous le bras, nous partîmes escortés par une bande d’angelots échevelés qui chantaient à tue-tête des cantiques à la sauce rock’roll. Bien décidés à profiter de l’après-vie éternelle, on avait pris les devants pour s’octroyer les meilleures place : même devenus nous aussi de vrais petits anges, on n’en avait pas pour autant perdu quelques bonnes vieilles habitudes terrestres. Ici, on avait le droit d’être imparfaits et qui plus est d’en être fiers. Je vous l’ai dit : c’était le paradis !
Confortablement installés à l’abri du chaud soleil, nous échangions nos sandwichs en buvant un petit vin de messe recommandé par Alphonse, dit Daudet, qui l’avait rapporté d’une ses trois Messes basses dont la lecture avait enchanté ma jeunesse, comme son sous-préfet champêtre.
Dans un moment, ce serait l’heure de la sieste sous des nuages-cocotiers, le poète nous lirait ses derniers vers et on écouterait d’un air distrait grincer un peu la porte Saint-Pierre, perpétuellement ouverte. Il restait heureusement toujours des anges qu’on appelait « gardiens » parce qu’ils étaient d’astreinte en fin de semaine et les jours fériés. Le paradis, c’était comme qui dirait un libre-service, ouvert 24 h sur 24. Pas question de refouler les nouveaux arrivants qui auraient été capables de se faire récupérer par une escouade de diablotins pas toujours finauds.
Je somnolais indolemment quand j’entendis un bruit qui devint rapidement vacarme puis cacophonie avant d’être ce que nommais, le rouge au front : charivari. Et encore, j’avais retenu le mot « bordel », totalement proscrit de notre vocabulaire paradisiaque. Encore un de ces tours de ma mémoire terrestre que je croyais pourtant avoir nettoyée de tous ces gros mots. Mais n’est pas Alzheimer qui veut et si j’en avais réchappé, ça ne m’avait pas sauvé d’une maladie tout aussi mortelle. Bref ! Je me levais d’un bond, au risque de bousculer l’adorable angelle qui s’était assoupie sur mon sein, pour aller de ce pas m’enquérir sur la raison d’un tel cataclysme en ce beau dimanche.
D’autres que moi en avaient fait autant et je n’eus qu’à les suivre : le bruit amplifiait, il y avait des cris et le ciel commençait à trembler. Sûr qu’en bas, ils avaient réussi à faire sauter la moitié de la terre avec leurs fichues centrales nucléaires ! A moins que le vilain Sadam ne se soit encore échappé de l’Enfer pour venir nous faire pétarader ses vieilles bombes sous le nez.
L’inquiétude était palpable et je m’approchais davantage : l’ange gardien de service s’échinait à refouler le dernier d’un groupe qui venait de passer la porte Saint-Pierre. J’en fus tout d’abord offusqué avant de me rendre compte de l’énormité de la situation : Satan lui-même avait tenté d’enfreindre le sérail en se mêlant aux autres. Mais l’ange-gardien, formé à cette éventualité comme on le serait au sauvetage en mer, ne s’était pas laissé duper. Il avait tenté, poliment pour commencer, de lui faire rebrousser chemin. Ce que l’autre avait refusé tout net, sous prétexte qu’on lui piquait ses clients, que chez lui c’était la crise, le chômage et que bientôt, il allait se retrouver SDF ! L’ange-gardien ayant usé toute sa patience, tenta alors de refermer la porte, et coinça du même coup le pied de l’intrus qui se mit à lui débiter une bardée d’injures dignes du capitaine Haddock dont j’ignorais qu’il ait fait un séjour en Enfer !
Alerté par toute cette agitation, Dieu lui-même s’approcha. Satan le salua obséquieusement en tentant un sourire enjôleur, ce qui le rendit encore plus antipathique. Dieu le toisa, bien qu’il n’y ait dans son regard aucune aménité, et lui fit signe de déguerpir.
– Maiiiiis !…
Et ce fut tout. La porte se referma et nous reprîmes les allées tranquilles de notre paradis, avec en tête l’écho de ce « meeeeh ! » dans lequel Dieu n’avait pas reconnu celui d’une de ses brebis égarées.
Le paradis !
C’est là que nous habitons avec Kadam.
Cette zone résidentielle a été créée, 7 jours avant notre arrivée par un Surhumain, un super créatif, paraît-il. On ne l’a jamais rencontré. J’ai essayé de le joindre sur son mobile pour l’inviter à l’apéro. Un message : « Vous êtes bien au service de Kieu, créateur exclusif de la marque « Terre ». L’option service après vente n’a pas été payée dans les temps. Aucune réclamation ne sera acceptée.»
Ici, rien à dire, tout y est ! Les arbres, les fleurs, l’eau, les poissons, le frigo, les fruits, la wifi.
On bénéficie même du tout à l’égout.
Avec Kadam, on est tendance bio. On opère le tri sélectif, on ne gaspille pas.
C’est qu’à nous 2, on est responsable de la planète. On ne voudrait pas être tenus pour responsable dans 2000 ans et quelques par des « verts » ou autres bobos critiques.
Kadam et moi, on est heureux, amoureux, joyeux. Normal au paradis !
On s’aime, on communique.
Précurseurs, de la communication non violente, on « verbalise ». On se questionne, on répond clairement OUI ou NON ou MERCI, PARDON.. Aucune polémique, aucune dispute. Le respect total.
Le paradis, je vous dis.
On mange de tout, en production locale, sauf des pommes, strictement interdit par le Régime du père Kieu. On boit. On s’aime sans pilule, sans stimulateur de performances, sans caoutchouc. La liberté et la paix !
Jusqu’au jour où Kadam branché sur internet –nous étions les seuls à ma connaissance à l’alimenter- dégota un appareil carré, extra plat, muni d’une espèce de fenêtre. Dans cette lucarne, m’expliqua-t-il on verrait des images.
Des images ? Pourquoi faire ? Il y a plein dehors : le ciel et ses nuages, le soleil qui se lève, puis se couche, le vol des oiseaux, les fleurs et leurs couleurs, etc. Je ne voyais pas bien à quoi cela allait servir.
Oubliant nos règles tacites de « comm’in paradis », mon chéri l’acheta en ligne sans même me consulter. J’étais ébahie.
Au moment, où il allait entrer son n° de carte bleue… J’émis un « MAIS… »
Le premier mot de désaccord entre nous. Le début de la 1re dispute sur terre.
« MAIS… je ne suis pas d’accord ! »
Ce ne fut pas la fête.
C’était un dimanche. Satisfait du travail, harassé par l’ampleur de l’œuvre bâtie en un temps record, il se prit à rêver, laissant vagabonder sa pensée au grès des brumes de l’aube nouvelle, échevelées sur la ligne d’horizon. Rothko n’était pas même l’ombre d’un atome, que déjà, cette fameuse ligne lui inspirât la beauté ineffable du monde. Un trait de silence, un appel d’être entre l’abîme et le ciel. Il songea qu’il manquait quelque chose. Un désordre dans l’ordre. Nouveau-nés colorés, les mots éclataient à la surface de sa conscience comme des bulles. Alors ce fût une révélation. Celle du mouvement. Il manquait l’élan, le souffle, pressentis dans la caresse du vent. Il fallait donner à voir cette agitation particulaire. Il plongea les mains dans la terre meuble, libérant ses doigts agiles comme des racines prenant corps. La matière se laissa pétrir. Il créait. Avec les yeux d’un enfant étourdis de découverte, il regarda l’homme sortir de terre. D’autres mots naquirent. Si les larmes avaient été possibles, il aurait pleuré. Il eut envie de recommencer. Avec juste quelques changements, une variation, une déclinaison jubilatoire. Il modifia les tracés, les courbes et les droites, ajouta quelques creux et volumes. De nouveau, il contempla. La femme émergea à son tour de la même fondrière. Une longue chevelure pareille aux algues des profondeurs, un visage où il reconnut le sourire de la Lune. Elle fit face à l’homme et étira les bras. Pour la première fois, le singulier devenait pluriel, une synonymie bouleversante. Effleurant leurs contours du bout des doigts, appréhendant leurs différences et leur gémellité comme deux aveugles se découvrent. Il vit sa bouche coquelicot perforer le silence. L’onde sonore vint mourir sur sa peau. Elle cria encore, juste une confirmation de ce miracle. Alors elle prononça les mots de Babel, un flot impétueux du signifiant multiplié en expansion. Et l’homme renchérit.
Il contempla la vie et le langage et songea que tout était accomplis. Il aspira au repos.
Le couple de l’aube chercha l’Origine. Ils la reconnurent dans le cercle du soleil, le froissement des feuilles, la pulpe des fruits mûrs, la morsure du froid sur leurs chairs dénudées. Ils hurlèrent. Le Verbe devint sens. Avec le sens, la première question, le premier « mais ». Celui qui ouvrait l’univers des possibles, la finalité de l’accomplissement.
Alors il comprit qu’il n’ y aurait plus de répit.
Norbert était esclave.Il vivait dans un temps lointain, obscur et malfaisant, bien avant l’invention de JC, de AB, de NF, de BP, des JO et des WC.
On le considérait comme bon à tout faire, parfois comme bonne. Etre considéré c’était déjà un début de survie. Il savait bricoler un peu dans tous les secteurs. C’était le principe de l’évolution. S’il voulait manger correctement, il fallait pouvoir répondre aux nombreuses sollicitations des Maîtres.
Certains jours, il avait l’obligation de traire un troupeau d’ânesses afin de satisfaire aux lubies balnéaires de Madame. Le lendemain, il fallait changer dix fois les roues du char de Monsieur quand il lui prenait fantaisie de participer aux 24 du Mais.
Lui, en tant que chef d’équipe ne se plaignait pas. Par contre, il s’apitoyait sur ses collègues, ceux devant tirer le char pendant 1440 minutes. Malgré tout, quand le char demeurait bloqué dans les dunes, Norbert devait se coltiner les désensablages.
De fait, le char parcourait rarement plus de 100 mètres dans la journée. Au mieux, Monsieur faisait un petit tour dans son oasis, y cueillait un bouquet de carottes pour sa prochaine épouse.
Celle en place, à tremper dans le jus des mamelles en ressortait plus que blanche, transparente et c’était Norbert qui était désigné pour la retrouver, le plus souvent égarée dans les vapeurs éthérées d’un livre d’Euphrate.
Un jour, le Maître convoqua Norbert en pleine nuit. Il lui annonça qu’à partir de demain 7h, il serait un homme libre et qu’à 8h, on allait mettre en place une belle cérémonie pour inaugurer tout cela.
A 8h, on confia donc à Norbert les plans d’un monument à édifier. 250 mètres de pierres à assembler, tout en hauteur sans négliger les possibles attaques des vents tourbillonnants, les petits fils de Bora et de Simoun, les petits vicieux ayant enterré plus d’une civilisation.
Norbert mis six mois pour réaliser cette prouesse. Le Maître voulut poser lui même poser la plaque au pied de l’oeuvre: « A l’Eunuque inconnu »
Puis Norbert reçut moult colifichets rutilants, des opiastres, des apesos, quelques déthalers, de quoi, d’après le Maître le remercier et le motiver pour de futurs travaux.
La nouvelle Maîtresse était passionnée de tricot. Norbert dut créer un élevage de moutons, en tondre jusqu’à 20 par jour, carder, carder jusqu’à l’épuisement. Norbert puait la surge et aucune eau ne suffisait à le désencrasser.
Donc, quand le Patron lui proposa une expédition en Haute Mer, il fit un pas en avant et en homme libre se choisit un nom, Durand, sorti d’on ne sait où.
En fait, il s’agissait d’aller capturer La Baleine. Le Boss avait appris par piéton voyageur que la graisse de cétacé était idéale pour lubrifier les moyeux et le reste.
Il avait un record à battre et offrit à Norbert tout ce qu’il voulait ou pas pour concrétiser son projet.
Celui ci hérita de nombreux petits cadeaux qui, accumulés lui fit chercher dans le dictionnaire la définition exacte d’encombrant. Mais la Pierre était trop lourde à manipuler et Norbert abandonna à la lettre C.
Vu qu’il ne possédait pas de maison, il transportait tout avec lui. Norbert s’était ainsi constitué une caravane de 112 chameaux, 5 autruches et un éléphant, pour le confort.
En suivant l’odeur des algues, il mit 95 jours pour atteindre une côte. Là, il fit abattre une forêt entière par ses subordamnés. L’équipe construisit un gigantesque vaisseau baptisé « Zizanick ».
A l’époque, on ne s’embarrassait pas avec les horaires des marées. Norbert et son équipe chaussèrent leurs pieds marins et hop…c’était parti!
Ils naviguèrent ainsi quelques temps, calmes ou tempétueux. Norbert avait eu beau fouiller dans ses bagages, il avait de toute évidence perdu la boussole.
Le « Zizanick » tournait en rond, parfois légèrement ovalisé. En soit, ce n’était pas un drame. La Baleine pouvait attendre.
Néanmoins, Norbert pris conscience peu à peu des problèmes de carène. Le colmatage improvisé ne résistait pas, la coque s’enfonçait, s’enfonçait…
Norbert tenta bien de faire basculer le destin. Il balança d’abord son éléphant.
A cette occasion, il jeta les premières bases d’observations scientifiques largement entretenues plus tard par les Grands Navigateurs.
« L’éléphant sait nager… mais il peut se montrer paresseux »
Puis, face à l’inéluctable, Norbert se tourna vers le couchant du soleil, le coulant du reste, de tout.
Il ne laissa pas défiler ses idées telles des recrues toujours disponibles. A revoir ce qu’on lui avait fait miroiter comme ascension, il en avait oublié les plaines possibles. Personne ne lui avait proposé un coin à labourer, un carré de légulumineuses, suffisantes à éclairer ses appétits.
Personne ne l’avait encore invité à ralentir, à mesurer les différents niveaux des passages sur Terre.
Les greniers de l’opulence, les futures autoroutes banquières, les gratteurs de ciel, les bombes en retard… mais présentes, tout le traversa sans qu’il puisse, encore en clarifier les contours.
C’était un beau jour de printemps. Tout était presque dit.
Malgré tout, avant d’être englouti, Norbert prit le temps d’articuler le premier mot de la restriction, d’un doute porteur.
Mes exercices sont des accélérateurs de particules imaginatives. Ils excitent l'inventivité et donnent l’occasion d’effectuer un sprint mental. Profitez-en pour pratiquer une écriture indisciplinée.
Ces échauffements très créatifs vous préparent à toutes sortes de marathons : écrire des fictions : nouvelles, romans, séries, etc.
Comment est né le premier « mais » ?
Voici l’histoire.
Dans ce monde merveilleux, le bonheur n’avait pas de fin. Ni de but. Il était normal. Incroyablement normal.
Chaque jour égalait le suivant par sa fraîcheur, sa fantaisie, sa douceur. Le mot même de conflit n’existait pas et la tristesse était une danse traditionnelle dont tout le monde raffolait.
Si son langage ressemblait au nôtre, quelques mots ainsi semblaient absents comme désespoir, suicide ou rivalité. Le mot « mais » n’existait pas non plus – même si quelques chèvres l’employaient bien sûr (plus tard, avec l’apparition des maladies comme le rhume, leur mot fétiche s’est transformé en « bai » comme nous le savons).
Donc, le mot « mais » n’existait pas et la première fois qu’il apparut, chacun en fut médusé.
C’était un mardi aux alentours de neuf heures trente, sur un trottoir d’une blancheur exceptionnelle. Un chien faisait ses commissions avec nonchalance quand un facteur déboula à toutes berzingue.
» – Eh pousse -toi Médor ! » hurla-t-il sur son tricycle bleu éclatant. En vérité, il n’eut pas le temps de finir sa phrase, écrasé au sol sous le choc brutal avec le quadrupède.
On le laissa allongé un mois au sol avant qu’il ressuscite – c’était la coutume de l’époque – la vie repoussait facilement si on la laissait faire.
Un accident de ce genre était si rare que tous les passants témoins furent appelés à la barre.
Ils décrivirent tous, avec la minutie que procure la fierté d’aider son prochain, les derniers moments de la première vie de M Factorette.
» Eh pousse-toi mais… » étaient bien ses quatre derniers mots et l’angoisse qu’ils exprimaient intriguait chacun.
Qu’avait donc ressenti M Factorette à cet instant ? Et que voulait-il dire par « mais » ?
L’harmonie du monde s’était fissurée pendant une seconde et cette fissure rendait tout à coup l’univers extraordinairement mystérieux.
Un documentaire de haut vol, trois romans et une émission de télévision abordèrent l’événement sans parler de la centaine de jeux vidéo soudainement inspirés. Le pape alla jusqu’à prôner les bienfaits d’une retraite de six mois pour ceux qui s’interrogeaient un peu trop et les spécialistes du langage étudièrent les quatre mots perturbateurs avec passion.
Enfin, après de longs débats, le mot « mais » fut considéré comme… spontané.
M Factorette, sous l’emprise d’une émotion inconnue, avait inventé un mot inconnu.
Des siècles plus tard, quand Ève mordit dans la pomme et que le bonheur permanent prit la fuite, certains se souvinrent de cette histoire et de ce mot.
Ils le chuchotèrent avec une certaine appréhension puis le claironnèrent à tout-va tant sa rondeur reflétait la zizanie… la zizanie qui agitait chacune de leurs cellules, chacun de leur élan. La zizanie humaine qui n’en finit plus depuis de s’épanouir allègrement.
Mais, mais …. c’est tout, me direz-vous ?
Oui, c’est tout.
Ah, non, autre chose, le bonheur est toujours là, à portée de main, quand on fait ce que l’on aime. Comme, par exemple… manger une pomme.
Racontez comment est né le premier MAIS. Quand et pourquoi il fut exprimé pour la première fois.
Le voyage s’annonçait idyllique.
Une mer … bleue
un ciel …. bleu
Un infini… infini…..
Une destination de rêve… le rêve.
Le voyage était idyllique. Tout était parfait, comme un joli catalogue de papier glacé.
Eole était pondéré de nuit comme de jour. La nourriture quotidienne ressemblait à s’y méprendre à un festin des dieux !
Et pourtant, une nuit, le vent se leva sans que l’on ne sache pourquoi, sans que l’on ne sache d’où il venait.
Le vent se transforma en ouragan.
La nef ressemblait à une coquille de noix qui coula à pic.
Il cracha, nagea, s’agrippa et survécut. Sur une plage de sable doux et chaud, il s’échoua. Seul.
Le premier jour et la première nuit, il dormit tant il était épuisé.
Le deuxième jour, il s’aventura loin du rivage. Il découvrit des lieux pareils à un Eden : arbres, fleurs et fruits à profusion. Au moins, il ne mourrait pas de faim.
Le troisième jour, il trouva que ses lambeaux de vêtements pourraient être remplacés par des effets plus corrects. Les tisseuses du coin lui réalisèrent un pagne soyeux et coloré.
« On ne sait jamais… » se dit-il en souriant….
Le quatrième jour, il pensa à s’organiser un peu plus sérieusement. Un petit coin où se faire à manger, un coin discret où vaquer à sa toilette, un hamac où se reposer, rêver et dormir.
Le cinquième jour, il se dit que cette vie idyllique lui réservait peut-être des surprises. Alors, il observa, chassa, pêcha et chercha comment conserver la nourriture. Par chance, il n’avait aucun souci à se faire pour l’eau potable. Elle coulait à flot.
Le sixième jour, il se reposa. Dans le sable, son doigt se mit à dessiner des courbes et des lignes.
il traça la septième petit barre sur un tronc d’arbre lorsque le soleil se leva. Il soupira.
Il se sentait un peu seul. Alors, il décida de partir à l’aventure. Il marchait d’un pas tranquille, pensant tout de même à laisser des indices pour le retour.
C’est alors qu’il vit un spectacle qui l’étonna, l’amusa tout autant qu’il le ravit.
Une ondine, aussi belle que la Vénus de Botticelli, se baignait dans la vasque d’une cascade.
Elle le vit et ne se cacha pas. Il s’approcha et ne se quittèrent plus.
Dès le huitième jour, la vie d’Ondine et de Sandro ressembla à un paradis sur terre.
Lui s’occupait du bien manger, elle s’occupait du bien-être.
A deux, ils nageaient dans l’océan et dans le bonheur.
Un matin, Sandro partit pêcher. Ondine se prélassait à l’ombre d’un frangipanier.
Ce fut ce matin-là que l’ hiatus choisit pour intervenir.
Revêtu de ses plus beaux atours, il vint à la rencontre de l’ondine et lui offrit une corbeille de fruits. Elle l’ accepta et la posa au centre de la table. Il repartit sur la pointe des pieds. Elle ne vit son sourire carnassier.
Sandro revint après une pêche miraculeuse. Au menu, poisson cuit dans des feuilles de bananier et légumes croquants.
Pour le dessert, Ondine prit un fruit dans la corbeille et le tendit à Sandro. Il mordit à belle dent et tomba. Mort.
«Mais… balbutia-t-elle, c’est par amour que j’ai partagé… »
Je découvre votre texte, Anissa, et c’est un beau début de journée que je commence en sa compagnie. Très imaginatif, beaucoup d’humour. Super ! A bientôt pour d’autres mots aussi bien bousculés. Pascal
Vous vous posez trop de questions. je pense qu’ « Alors » devait se sentir bien seule ce soir là.
Oui, « Alors » est une femme.
Il est vrai qu’elle jouissait souvent de la compagnie de « Et », qu’elle avait rencontré lors du congrès de la coordination, et de « Merde » un pote de fac.
Ah la naissance de « mais »…
Oh, vous savez ce qu’on raconte… c’était un concours de circonstances.
De l’alcool, oui, beaucoup d’alcool. Je ne vois pas d’autre explication. Ce n’était pas une naissance désirée, loin de là. Le pauvre enfant ! Si négatif aujourd’hui, tu m’étonnes ! Ce sont des choses qui restent, qui vous impreignent…
C’était cette fâmeuse nuit, où toute la bande de pote était montée à Strasbourg pour la fête du trash.
C’est là qu’ils rencontraient « Putain » pour la première fois. C’était un mec quelconque. Pas comme « Bref ». La rupture de « Bref » et d’Alors ressemblait à celle d’ « Ores » « et » « Déjà ». Trop de non dits, trop de larmes, trop de maladresse… « Putain » lui il était fun. Du coup, logiquement, ils étaient tous sous le charme de « Putain ».
« Putain », « Et », « Merde », « Alors », nos quatres irresponsables ont tellement bu ce soir là. Ils pensaient juste s’amuser au Trolley. C’est allé beaucoup trop loin. Complètement abusés par l’alcool, ils sont rentrés dans un état lamentable à l’appart de « Putain » pour finir la nuit.
Au petit matin, « Alors » se réveille: elle se sent pas très bien. Verdict: quelques minutes plus tard, naissait « Mais ».
Encore aujourd’hui personne ne sait qui en est le père, « Putain », « Et », « Merde »… C’est pas « Bref » tout ça.
Je n’essaierais pas de deviner si j’étais vous.
Super, le texte de Françoise de la Gare du nord.
Mars était encore convalescent, quand le mois de Mai tomba lui aussi malade, avec les premiers symptômes de ssss.
Au départ, Mar était unique. Mais la personnalité de Mar se dédoubla. Il avait deux visages : l’un doux et rayonnant, l’autre orageux et pleurnichard. Son père le temps, Chronos, trouva une solution pour le guérir. Il juxtaposa ces deux caractères sans les mélanger. Mar devint Mars, un mois bicéphale, au caractère changeant. Les gens, rancuniers, l’appelèrent « Giboulée », riant sous cape, en souvenir de sa crise de folie.
Maintenant c’était au tour de Mai : il bégayait, se prenait de vertige, frissonnait, s’étourdissait,… Il perdait de ses couleurs. Il devint distant alors qu’il était auparavant si chaleureux lorsqu’on le rencontrait. Les gens étaient déçus de lui. Mai se transformait petit à petit en mois froid, bien que la nature renaissait et offrait ses bouquets d’odeurs. Il la méprisait et la laissait se débrouiller toute seule. Et tant pis pour les nouveaux nés, ce sera plus dur. Il n’en avait que faire ! Le mois de Mais était né.
Chronos trancha rapidement. Un schizophrène dans la famille, ça suffit ! Il rendit le sourire aux habitants de la terre en cachant les bouffées maussades de la maladie dans de larges trous creusés de toute part dans le pauvre Mai devenu Mais.
Mais, lui aussi, associait deux visages contradictoires : une multitude de jours de travail et de jours de repos. Cependant les gens lui pardonnèrent, et oublièrent sa maladie. Car, quelque soit la météo, ils retrouvaient le sourire à l’approche des ponts qui trouaient le mois. Ils oublièrent jusqu’à son nouveau nom pour ne conserver que le doux souvenir de Mai.
Au début il y avait le OUI. Le Oui primitif. Le Oui originel. Le Oui qui s’ennuyait un peu tout seul, il faut bien le dire. L’ANLA (L’Académie Néolithique du Langage Articulé) décidé de lui créer des compagnons.
Dans le souci d’éviter d’interminables discussions dont l’objet était de trouver un accord rapide et d’empêcher ultérieurement des querelles entre les mots, les 12 Sages optèrent pour des mots consensuels. Naquirent ainsi : « harmonie, entente, connivence, communion et trois bonnes douzaine de termes de la même engeance.
OUI régnait sur ce petit monde et tout fonctionnait à l’unisson. Cela aurait pu durer éternellement mais il se trouva que Oui commençait à prendre la grosse tête. Imposant toujours ses décisions ; décrétant ceci ; statuant sur cela ; toujours de façon autoritaire ; d’un ton péremptoire, impératif, cassant ; il se comportait comme un despote. La grogne commença alors à monter et le son de la révolte à gronder
Craignant des émeutes, les 12 Sages se réunirent lors d’une cellule de crise et après d’âpres et infinis débats, il fut décidé de créer le NON et trois bonnes douzaines de mots rebelles du même acabit : refus, déni, négation, veto…
L’harmonie ne dura pas. Les deux camps s’opposaient systématiquement pour un oui pour un non.
Craignant une guerre civile qui risquait de mettre en péril la survie même du vocabulaire, les 12 sages décidèrent, après s’être réunis en cénacle, de créer un mot conciliateur qui, selon eux, pourrait se révéler un habile médiateur en permettant à chacun de s’exprimer dans la nuance.
Ainsi est né le mot MAIS. Et c’est ainsi que naquirent également, grâce ou à cause de ce sens de la nuance que les 12 sages désiraient tant, l’hypocrisie, la lâcheté, la ruse, la duplicité, l’indécision, la manipulation, la perversité etc…
On parle toujours du 1er Mai, ses manifs, ses discours et même son muguet, et moi, moi le MAIS, quel est mon 1er Mais ? Je suis tellement ancien, latin d’origine. Les philosophes m’employaient alors pour débattre, opposer, argumenter, raisonner, contester, pour leurs discours de la méthode ou autre, pour marquer les exceptions, les différences . Les écrivains m’utilisent aussi, de Racine « j’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer », à Rousseau « le premier de tous les biens n’est pas dans l’autorité mais dans la liberté », je me glisse dans tellement de chefs d’oeuvre ! Mais ( je sers aussi de transition),revenons à mon questionnement, pas besoin d’une date fixe , je suis dans toutes les conversations des plus familières aux plus officielles.
Absurde, mais vrai.
C’était un de ces dimanches au paradis comme nous les aimions tant. Le jour où on se retrouvait tous sur la plage, au bord de la mer de nuages. Le Bon Dieu lui-même ne refusait jamais de faire trempette avec les saints, les anges et tout le saint-frusquin qui venait fraîchement de débarquer. Faut dire que sur terre, c’était de pire en pire : ils arrivaient maintenant par charter, étonnés, dès la porte Saint-Pierre franchie, de trouver ici calme et volupté. J’en avais même entendu un dire que, s’il avait su, il serait arrivé plus tôt ! C’est simple : on faisait le plein ! Mais tout allait bien, le ciel était grand.
Donc, ce dimanche-là, le pique-nique sous le bras, nous partîmes escortés par une bande d’angelots échevelés qui chantaient à tue-tête des cantiques à la sauce rock’roll. Bien décidés à profiter de l’après-vie éternelle, on avait pris les devants pour s’octroyer les meilleures place : même devenus nous aussi de vrais petits anges, on n’en avait pas pour autant perdu quelques bonnes vieilles habitudes terrestres. Ici, on avait le droit d’être imparfaits et qui plus est d’en être fiers. Je vous l’ai dit : c’était le paradis !
Confortablement installés à l’abri du chaud soleil, nous échangions nos sandwichs en buvant un petit vin de messe recommandé par Alphonse, dit Daudet, qui l’avait rapporté d’une ses trois Messes basses dont la lecture avait enchanté ma jeunesse, comme son sous-préfet champêtre.
Dans un moment, ce serait l’heure de la sieste sous des nuages-cocotiers, le poète nous lirait ses derniers vers et on écouterait d’un air distrait grincer un peu la porte Saint-Pierre, perpétuellement ouverte. Il restait heureusement toujours des anges qu’on appelait « gardiens » parce qu’ils étaient d’astreinte en fin de semaine et les jours fériés. Le paradis, c’était comme qui dirait un libre-service, ouvert 24 h sur 24. Pas question de refouler les nouveaux arrivants qui auraient été capables de se faire récupérer par une escouade de diablotins pas toujours finauds.
Je somnolais indolemment quand j’entendis un bruit qui devint rapidement vacarme puis cacophonie avant d’être ce que nommais, le rouge au front : charivari. Et encore, j’avais retenu le mot « bordel », totalement proscrit de notre vocabulaire paradisiaque. Encore un de ces tours de ma mémoire terrestre que je croyais pourtant avoir nettoyée de tous ces gros mots. Mais n’est pas Alzheimer qui veut et si j’en avais réchappé, ça ne m’avait pas sauvé d’une maladie tout aussi mortelle. Bref ! Je me levais d’un bond, au risque de bousculer l’adorable angelle qui s’était assoupie sur mon sein, pour aller de ce pas m’enquérir sur la raison d’un tel cataclysme en ce beau dimanche.
D’autres que moi en avaient fait autant et je n’eus qu’à les suivre : le bruit amplifiait, il y avait des cris et le ciel commençait à trembler. Sûr qu’en bas, ils avaient réussi à faire sauter la moitié de la terre avec leurs fichues centrales nucléaires ! A moins que le vilain Sadam ne se soit encore échappé de l’Enfer pour venir nous faire pétarader ses vieilles bombes sous le nez.
L’inquiétude était palpable et je m’approchais davantage : l’ange gardien de service s’échinait à refouler le dernier d’un groupe qui venait de passer la porte Saint-Pierre. J’en fus tout d’abord offusqué avant de me rendre compte de l’énormité de la situation : Satan lui-même avait tenté d’enfreindre le sérail en se mêlant aux autres. Mais l’ange-gardien, formé à cette éventualité comme on le serait au sauvetage en mer, ne s’était pas laissé duper. Il avait tenté, poliment pour commencer, de lui faire rebrousser chemin. Ce que l’autre avait refusé tout net, sous prétexte qu’on lui piquait ses clients, que chez lui c’était la crise, le chômage et que bientôt, il allait se retrouver SDF ! L’ange-gardien ayant usé toute sa patience, tenta alors de refermer la porte, et coinça du même coup le pied de l’intrus qui se mit à lui débiter une bardée d’injures dignes du capitaine Haddock dont j’ignorais qu’il ait fait un séjour en Enfer !
Alerté par toute cette agitation, Dieu lui-même s’approcha. Satan le salua obséquieusement en tentant un sourire enjôleur, ce qui le rendit encore plus antipathique. Dieu le toisa, bien qu’il n’y ait dans son regard aucune aménité, et lui fit signe de déguerpir.
– Maiiiiis !…
Et ce fut tout. La porte se referma et nous reprîmes les allées tranquilles de notre paradis, avec en tête l’écho de ce « meeeeh ! » dans lequel Dieu n’avait pas reconnu celui d’une de ses brebis égarées.
Bon dimanche, Christine
Le paradis !
C’est là que nous habitons avec Kadam.
Cette zone résidentielle a été créée, 7 jours avant notre arrivée par un Surhumain, un super créatif, paraît-il. On ne l’a jamais rencontré. J’ai essayé de le joindre sur son mobile pour l’inviter à l’apéro. Un message : « Vous êtes bien au service de Kieu, créateur exclusif de la marque « Terre ». L’option service après vente n’a pas été payée dans les temps. Aucune réclamation ne sera acceptée.»
Ici, rien à dire, tout y est ! Les arbres, les fleurs, l’eau, les poissons, le frigo, les fruits, la wifi.
On bénéficie même du tout à l’égout.
Avec Kadam, on est tendance bio. On opère le tri sélectif, on ne gaspille pas.
C’est qu’à nous 2, on est responsable de la planète. On ne voudrait pas être tenus pour responsable dans 2000 ans et quelques par des « verts » ou autres bobos critiques.
Kadam et moi, on est heureux, amoureux, joyeux. Normal au paradis !
On s’aime, on communique.
Précurseurs, de la communication non violente, on « verbalise ». On se questionne, on répond clairement OUI ou NON ou MERCI, PARDON.. Aucune polémique, aucune dispute. Le respect total.
Le paradis, je vous dis.
On mange de tout, en production locale, sauf des pommes, strictement interdit par le Régime du père Kieu. On boit. On s’aime sans pilule, sans stimulateur de performances, sans caoutchouc. La liberté et la paix !
Jusqu’au jour où Kadam branché sur internet –nous étions les seuls à ma connaissance à l’alimenter- dégota un appareil carré, extra plat, muni d’une espèce de fenêtre. Dans cette lucarne, m’expliqua-t-il on verrait des images.
Des images ? Pourquoi faire ? Il y a plein dehors : le ciel et ses nuages, le soleil qui se lève, puis se couche, le vol des oiseaux, les fleurs et leurs couleurs, etc. Je ne voyais pas bien à quoi cela allait servir.
Oubliant nos règles tacites de « comm’in paradis », mon chéri l’acheta en ligne sans même me consulter. J’étais ébahie.
Au moment, où il allait entrer son n° de carte bleue… J’émis un « MAIS… »
Le premier mot de désaccord entre nous. Le début de la 1re dispute sur terre.
« MAIS… je ne suis pas d’accord ! »
Ce ne fut pas la fête.
C’était un dimanche. Satisfait du travail, harassé par l’ampleur de l’œuvre bâtie en un temps record, il se prit à rêver, laissant vagabonder sa pensée au grès des brumes de l’aube nouvelle, échevelées sur la ligne d’horizon. Rothko n’était pas même l’ombre d’un atome, que déjà, cette fameuse ligne lui inspirât la beauté ineffable du monde. Un trait de silence, un appel d’être entre l’abîme et le ciel. Il songea qu’il manquait quelque chose. Un désordre dans l’ordre. Nouveau-nés colorés, les mots éclataient à la surface de sa conscience comme des bulles. Alors ce fût une révélation. Celle du mouvement. Il manquait l’élan, le souffle, pressentis dans la caresse du vent. Il fallait donner à voir cette agitation particulaire. Il plongea les mains dans la terre meuble, libérant ses doigts agiles comme des racines prenant corps. La matière se laissa pétrir. Il créait. Avec les yeux d’un enfant étourdis de découverte, il regarda l’homme sortir de terre. D’autres mots naquirent. Si les larmes avaient été possibles, il aurait pleuré. Il eut envie de recommencer. Avec juste quelques changements, une variation, une déclinaison jubilatoire. Il modifia les tracés, les courbes et les droites, ajouta quelques creux et volumes. De nouveau, il contempla. La femme émergea à son tour de la même fondrière. Une longue chevelure pareille aux algues des profondeurs, un visage où il reconnut le sourire de la Lune. Elle fit face à l’homme et étira les bras. Pour la première fois, le singulier devenait pluriel, une synonymie bouleversante. Effleurant leurs contours du bout des doigts, appréhendant leurs différences et leur gémellité comme deux aveugles se découvrent. Il vit sa bouche coquelicot perforer le silence. L’onde sonore vint mourir sur sa peau. Elle cria encore, juste une confirmation de ce miracle. Alors elle prononça les mots de Babel, un flot impétueux du signifiant multiplié en expansion. Et l’homme renchérit.
Il contempla la vie et le langage et songea que tout était accomplis. Il aspira au repos.
Le couple de l’aube chercha l’Origine. Ils la reconnurent dans le cercle du soleil, le froissement des feuilles, la pulpe des fruits mûrs, la morsure du froid sur leurs chairs dénudées. Ils hurlèrent. Le Verbe devint sens. Avec le sens, la première question, le premier « mais ». Celui qui ouvrait l’univers des possibles, la finalité de l’accomplissement.
Alors il comprit qu’il n’ y aurait plus de répit.
HISTOIRE DU PREMIER MAIS.
Norbert était esclave.Il vivait dans un temps lointain, obscur et malfaisant, bien avant l’invention de JC, de AB, de NF, de BP, des JO et des WC.
On le considérait comme bon à tout faire, parfois comme bonne. Etre considéré c’était déjà un début de survie. Il savait bricoler un peu dans tous les secteurs. C’était le principe de l’évolution. S’il voulait manger correctement, il fallait pouvoir répondre aux nombreuses sollicitations des Maîtres.
Certains jours, il avait l’obligation de traire un troupeau d’ânesses afin de satisfaire aux lubies balnéaires de Madame. Le lendemain, il fallait changer dix fois les roues du char de Monsieur quand il lui prenait fantaisie de participer aux 24 du Mais.
Lui, en tant que chef d’équipe ne se plaignait pas. Par contre, il s’apitoyait sur ses collègues, ceux devant tirer le char pendant 1440 minutes. Malgré tout, quand le char demeurait bloqué dans les dunes, Norbert devait se coltiner les désensablages.
De fait, le char parcourait rarement plus de 100 mètres dans la journée. Au mieux, Monsieur faisait un petit tour dans son oasis, y cueillait un bouquet de carottes pour sa prochaine épouse.
Celle en place, à tremper dans le jus des mamelles en ressortait plus que blanche, transparente et c’était Norbert qui était désigné pour la retrouver, le plus souvent égarée dans les vapeurs éthérées d’un livre d’Euphrate.
Un jour, le Maître convoqua Norbert en pleine nuit. Il lui annonça qu’à partir de demain 7h, il serait un homme libre et qu’à 8h, on allait mettre en place une belle cérémonie pour inaugurer tout cela.
A 8h, on confia donc à Norbert les plans d’un monument à édifier. 250 mètres de pierres à assembler, tout en hauteur sans négliger les possibles attaques des vents tourbillonnants, les petits fils de Bora et de Simoun, les petits vicieux ayant enterré plus d’une civilisation.
Norbert mis six mois pour réaliser cette prouesse. Le Maître voulut poser lui même poser la plaque au pied de l’oeuvre: « A l’Eunuque inconnu »
Puis Norbert reçut moult colifichets rutilants, des opiastres, des apesos, quelques déthalers, de quoi, d’après le Maître le remercier et le motiver pour de futurs travaux.
La nouvelle Maîtresse était passionnée de tricot. Norbert dut créer un élevage de moutons, en tondre jusqu’à 20 par jour, carder, carder jusqu’à l’épuisement. Norbert puait la surge et aucune eau ne suffisait à le désencrasser.
Donc, quand le Patron lui proposa une expédition en Haute Mer, il fit un pas en avant et en homme libre se choisit un nom, Durand, sorti d’on ne sait où.
En fait, il s’agissait d’aller capturer La Baleine. Le Boss avait appris par piéton voyageur que la graisse de cétacé était idéale pour lubrifier les moyeux et le reste.
Il avait un record à battre et offrit à Norbert tout ce qu’il voulait ou pas pour concrétiser son projet.
Celui ci hérita de nombreux petits cadeaux qui, accumulés lui fit chercher dans le dictionnaire la définition exacte d’encombrant. Mais la Pierre était trop lourde à manipuler et Norbert abandonna à la lettre C.
Vu qu’il ne possédait pas de maison, il transportait tout avec lui. Norbert s’était ainsi constitué une caravane de 112 chameaux, 5 autruches et un éléphant, pour le confort.
En suivant l’odeur des algues, il mit 95 jours pour atteindre une côte. Là, il fit abattre une forêt entière par ses subordamnés. L’équipe construisit un gigantesque vaisseau baptisé « Zizanick ».
A l’époque, on ne s’embarrassait pas avec les horaires des marées. Norbert et son équipe chaussèrent leurs pieds marins et hop…c’était parti!
Ils naviguèrent ainsi quelques temps, calmes ou tempétueux. Norbert avait eu beau fouiller dans ses bagages, il avait de toute évidence perdu la boussole.
Le « Zizanick » tournait en rond, parfois légèrement ovalisé. En soit, ce n’était pas un drame. La Baleine pouvait attendre.
Néanmoins, Norbert pris conscience peu à peu des problèmes de carène. Le colmatage improvisé ne résistait pas, la coque s’enfonçait, s’enfonçait…
Norbert tenta bien de faire basculer le destin. Il balança d’abord son éléphant.
A cette occasion, il jeta les premières bases d’observations scientifiques largement entretenues plus tard par les Grands Navigateurs.
« L’éléphant sait nager… mais il peut se montrer paresseux »
Puis, face à l’inéluctable, Norbert se tourna vers le couchant du soleil, le coulant du reste, de tout.
Il ne laissa pas défiler ses idées telles des recrues toujours disponibles. A revoir ce qu’on lui avait fait miroiter comme ascension, il en avait oublié les plaines possibles. Personne ne lui avait proposé un coin à labourer, un carré de légulumineuses, suffisantes à éclairer ses appétits.
Personne ne l’avait encore invité à ralentir, à mesurer les différents niveaux des passages sur Terre.
Les greniers de l’opulence, les futures autoroutes banquières, les gratteurs de ciel, les bombes en retard… mais présentes, tout le traversa sans qu’il puisse, encore en clarifier les contours.
C’était un beau jour de printemps. Tout était presque dit.
Malgré tout, avant d’être englouti, Norbert prit le temps d’articuler le premier mot de la restriction, d’un doute porteur.