LIVRES EN NOUS critique littéraire d’un club de lecture (6)
« Pour en finir avec Eddy Bellegueule » d’Edouard Louis
Il est bon de rappeler la mention « Roman » écrite sur la jaquette du livre et qui nous conduits à nous interroger, tout au long de la lecture, sur ce qui est réel et ce est imaginé ou même fantasmé.
♥ le lecteur ne peut ressentir que de l’empathie envers ce jeune garçon mais aussi de l’effroi tant la description est réaliste et le style alerte et direct : la souffrance, les sévices imposés par les uns, l’indifférence des autres, la différence qui dérange, l’ignorance crasse et ses propres consentements.
Et de l’indignation envers l’indifférence des adultes (famille, voisinage, enseignants). Une question lancinante à laquelle le livre n’apporte pas de vraie réponse : que savaient les adultes ?
Un terrible constat : la somme de ce que peut supporter un enfant comme souffrances et humiliations pour être accepté » par le groupe de conclusion est immense
Mais outre les aspects purement psychologiques (le harcèlement homophobe, les insultes et humiliations subies, le manque de tendresse, la victimisation pourtant consentante) la description quasiment sociologique à la Pierre Bourdieu – de cette classe sociale oubliée, ce sous-prolétariat «Les Invisibles » a subjugué les lecteurs
Le style, mélange de narration de l’auteur (niveau plutôt soutenu) et du « parlé » de l’entourage (niveau familier voire même grossier)
L’expérience d’E. Bellegueule n’est hélas pas un cas unique. L’auteur reçoit un nombre phénoménal de lettres portant le même témoignage et son ouvrage pourrait être le porte-voix – et libérer ainsi la parole – d’une catégorie de personnes silencieuses et en souffrance
♠ Ce livre est un cri déchirant. Mais il met mal à l’aise, car jugé par certains comme indiscret et impudique. Cette démarche devrait être, selon certains, entreprise dans le cabinet d’un psy.
De la méchanceté, voire du mépris de la part de l’auteur envers sa famille ont été nettement ressentis et considérés parfois comme gênants. Un sentiment de supériorité probablement et aucune empathie ni aucun pardon envers une classe méprisée et exploitée – qui l’a vu naître et qu’il caricature pourtant – qui n’a jamais la parole et qui mérite probablement une certaine compassion
Pourquoi le succès de ce livre ? Probablement parce qu’il s’apparente à la télé-réalité qui, rappelons-le fait le quotidien de la famille Bellegueule. Pour faire un parallèle hasardeux : l’ouvrage d’Edouard Louis ne mériterait-il pas le nom de « roman réalité » ?
Les lecteurs du club ont terminé ce roman avec le sentiment d’une histoire inachevée ou d’un livre inabouti. Beaucoup de zones d’ombres. En effet, de nombreux éléments de la vie d’Edouard Louis ne sont pas évoqués (comment a-t-il quitté sa famille ? Pourquoi accepte-t-il ces sévices ? Quelles ont été les rencontres déterminantes ? Quel a été son cursus scolaire et universitaire ? S’est-il réellement reconstruit ? Etc…).
Ce n’est pas de la vraie littérature et, pour certains, le fait que ce soit « une histoire vraie » n’apporte pas grand-chose en plus
Les membres du club sont certains, qu’en raison du jeune âge de l’auteur, cet ouvrage n’est pas le dernier dans lequel il évoquera ses souvenirs.
Nous attendons donc la suite avec peut-être :
– « Pour en revenir sur Eddy Bellegueule »
– « Eddy Bellegueule est de retour »
– « Eddy Bellegueule n’a pas tout dit »
– « Les dernières révélations d’Eddy Bellegueule »
– « Eddy Bellegueule se souvient de deux ou trois choses »
– « Pour en finir définitivement avec Eddy Bellegueule »
« Lambeaux » de Charles Julliet. Auteur méconnu car peu médiatique et qui mériterait d’être découvert
♥ Livre autrement plus construit et abouti (psychologiquement parlant) que le livre d’Edouard Louis. Probablement en raison de la différence d’âge et donc de maturité entre les deux auteurs et du temps consacré à la rédaction. L’auteur ici fait la démarche de découvrir et comprendre : sa mère biologique qu’il n’a pas connue pour arriver à accepter l’abandon.
Il s‘agit d’une reconstruction et le livre se termine avec la certitude de voir son auteur apaisé
Beaucoup de tendresse de la part de l’auteur envers ses familles biologique et adoptante toutes deux pourtant incultes et modestes.
Une analyse psychologique très fine : de beaux portraits sans archétypes ni caricatures et des sentiments simples mais puissants : la mère dont les ailes ont été coupées et à qui furent interdits les études et l’éloignement salutaire ; la sensation de culpabilité de l’auteur s’imaginant être la cause de l’enfermement et de la mort de la mère ; le père adoptif « grand taiseux » mais infiniment tendre et pudique ; l’âpreté et l’austérité de la vie à la campagne.
Une terrible révélation : les malades mentaux ou ceux souffrant de troubles psychologiques, enfermés dans des asiles psychiatriques – et que leur famille cachait comme une honte et finissait par oublier – où ils sont, durant la Guerre, morts affamés
♠ Phénomène rarement observé dans l’histoire de notre club : ce libre a fait d’une unanimité positive et n’a fait l’objet d’aucune critique réellement négative. Sauf peut-être au fait que, contrairement à ce que laissait supposer au 4e de couverture (ou au synopsis du livre) la mère d’adoption est un peu sacrifié car évoquée. Dommage car cette femme est certainement partie prenante dans la construction psychologique de l’auteur
– Les deux livres ne sont pas des traités sur l’éducation. les écoles militaires, suggérées dans « Lambeaux » sont par définition vexatoires, il faut y mater l’individualisation et former les gens à l’obéissance aveugle. L’auteur (Charles Juliet) a eu la force de s’extraire de ce schéma. C’est admirable !
Dans la livre «Pour en finir avec Eddy Bellegueule » l’institution n’est pas vexatoire et E.Louis montre le harcèlement que peuvent subir dans les cours d’école ceux qui sont différents ou perçus comme tels.
But du club de lecture « Livre entre nous »
– échanger sur des livres que l’on aime
– discuter d’ouvrages qui n’ont pas été appréciés
– faire découvrir et découvrir des auteurs inconnus.
Le club peut également organiser des réunions traitant de films adaptés de romans
Contact : 06 99 70 60 94
merci à tous pour vos critiques et vos suggestions de lectures
Vous avez raison de les signaler Laurie, ce sont de bons petits livres.
Pour une oeuvre décalée, rapide a lire, efficace, il y a les livres d’Erik Orsenna.
« Princesse Histamine », « la fabrique de mots », ou encore « la grammaire est une chanson douce », des petites merveilles a lire si vous avez conservé une ame d’enfant. C est bourré d imagination. Ca se lit en 24h, peut etre lu par des enfants, et c est un moment de bonheur, a condition de se laisser porter, comme quand nous etions petits. 🙂
j’habite tout prés de la région de eddy. J’avoues que j’ai beaucoup de mal. J’ai vraiment eu l’impression d’un réglement de comptes où personne n’est épargné…
Je trouve les choix de ce comité de lecture très orientés psycho, pas d’oeuvre décalée ou imaginative. est-ce une question d’âge ?
Merci pour toutes ces invitations à de nouvelles lectures.
Même si…hein…je ne parviens pas à étirer une journée jusqu’à 30 heures….
Cordialement!
Certains livres vous tombent des mains, d’autres « vous vont comme un gant »
Une fois la première page ouverte on ne lâche plus le dernier roman d’Alessandro Baricco (Mr Gwyn) Ed Gallimard
Histoire très originale
Très bien contée
Quelques erreurs de traduction, mais sans conséquence.
Un modèle.
Merci au club de lecture pour ce compte rendu toujours très intéressant