À lire si on veut écrire des nouvelles

Ce mercredi, je me suis permis de copier le début de « QUELLE HEURE EST-IL MAINTENANT, LÀ OÙ VOUS ÊTES ? ». Une nouvelle du dernier ouvrage de Colum Mc Cann Treize façons de voir, publié chez Belfond.

Pour qui souhaite comprendre le mécanisme d’une nouvelle et découvrir les méandres de la création, c’est un modèle. Toutes les nouvelles composant cet ouvrage sont de haut vol. L’auteur, lauréat de nombreux prix, excelle dans la forme courte, c’est un virtuose de la chose vue et entendue.
La nouvelle que j’ai retenue vous « parlera » si vous vous écrivez. Croyez-moi !

Extrait :

Colum-nouvelles« AU PRINTEMPS, il avait accepté d’écrire une nouvelle pour le magazine d’un quotidien, qui serait publiée à la Saint-Sylvestre. Un travail facile, avait-il d’abord pensé. Fin mai, il a commencé à ébaucher quelques images susceptibles de fonctionner mais il s’est rendu compte qu’il se débattait, qu’il perdait le cap. Pendant une quinzaine de jours au début de l’été, il a couru après les idées, composé quelques paragraphes, laissant plusieurs d’entre-eux en suspens. Il a compris qu’il remettait les choses à plus tard, qu’il la repoussait au fond de son esprit. De temps en temps, il revenait sur ses notes, mais les délaissait une fois de plus. Il s’est demandé comment il arriverait à s’infiltrer dans le territoire d’un conte de nouvel an : créer une série de feux d’artifice, peut-être descendre une boule à facettes sur la grande place d’une ville ou laisser la neige lentement s’émietter sur un rebord de fenêtre ? Chaque essai de commencement – griffonné dans un carnet – s’est inscrit dans le noir.
L’été était là quand il a décidé de remettre en question ce que, selon lui, ce genre de texte était censé offrir. Il situerait son récit dans l’armée. Peut-être le portrait d’un soldat au loin, un jeune américain dans un pays étranger, qui pourrait se trouver ce soir-là dans une caserne en Afghanistan. Le thème tout simple d’un marine. Ou plutôt d’une marine : pensons à une jeune femme, presque déjà épuisée par la guerre. Cernée de sacs de sable, assise dans le froid au-dessus d’une vallée, dominant l’étendue calme, les yeux levés vers l’est, sous la maille d’acier des étoiles. Un silence total, sans le tac-tac distant des mitrailleuses. Le sinistre périmètre des réalités militaires opposé à un autre lieu, par exemple une maison en Caroline du Sud, dans une banlieue obstinée, indistincte, une baraque légèrement décatie par les ans, à la gouttière cassée au-dessus du garage et, voyons, un garçon dans l’allée, un petit garçon, chemise rayée Jean déchiré, son vélo désolé incliné à ses pieds, voilà, celui-là, c’est son frère, ou son cousin, peut-être même son fils, oui, pourquoi pas son fils. (…) »

Je vous laisse le soin de découvrir la suite. Ce recueil n’est pas donné, 20,50 €, mais il vous enrichira dès les premières lignes. C’est sûr.

10 réponses

  1. Fabienne Scaramiglia dit :

    merci Pascal. J’ai finalement décidé, pour le moment, d’écrire des nouvelles. j’ai suivi un atelier d’écriture sur ce thème mais, bien entendu, ce n’est pas suffisant. Je suis donc en train de lire des recueils de nouvelles. celui-là tombe à pic!

  2. l dit :

    Je le mets en premier dans ma liste de livres « à lire », non pas que j’envisage d’écrire des nouvelles – je m’en sens bien incapable – mais :
    1) j’aime beaucoup la littérature américaine et cet auteur en particulier,
    2) peut-être en tirerai-je un bénéfice pour l’écriture de vos petits exercices, laquelle m’apporte tant de plaisir.
    Merci Pascal pour tout et bon week-end

  3. Sylvie dit :

    C’est vrai, c’est dommage, les nouvelles ne sont pas un type de création littéraire mis en valeur en France. Elles sont plus présentes dans les pays anglosaxons, en Irlande notamment.
    Si on aime ce texte ou d’autres, c’est aussi grâce à leurs traducteurs (qui ont le statut d’auteurs, ne l’oublions pas). Treize façons de voir a été écrit par Colum McCann et traduit en français par Jean-Luc Piningre.

    • Perrat Pascal dit :

      Merci Sylvie pour ce rappel. Traduire un livre est un travail d’artiste. « Livre bien traduit, toujours séduit »

  4. Agnès de Cize dit :

    J’adore le format de la nouvelle, et fulmine que les maisons d’édition ne les mettent pas davantage en lumière. Je suis sûre qu’elles pourraient créer du désir pour ce type de lecture !

  5. Perrat Pascal dit :

    À tous, commencez par lire l’avant dernière nouvelle  » Sh’khol  » page 195 et non la dernière comme conseillée par erreur.

  6. Delphine B. dit :

    Merci Pascal,cela donne envie se procurer le livre effectivement !
    Je découvre Carver en ce moment: quel choc, quelle puissance en parlant de nouvelles…

    Bonne fin de semaine à toi et à tous.

  7. Catherine M.S dit :

    Je crois bien que je vais me laisser tenter même si pour moi une nouvelle c’est déjà très long …
    Merci Pascal !

  8. Laurence Marino dit :

    c’est drôle j’ai passé trois semaines à faire le ping pong avec une nouvelle…..

  9. Sylvie dit :

    Merci beaucoup, Pascal, pour ce partage. Ce début est effectivement très parlant et j’ai hâte de découvrir la suite. Le site de l’auteur est très intéressant aussi : http://colummccann.com, en particulier la rubrique Letter to a young writer.
    Ce n’est pas étonnant que cet auteur vienne d’Irlande, berceau de la nouvelle.

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