Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps. « Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
A ce moment très précis, Oger Horlo est un homme pressé. Cela ne lui ressemble en rien, ni de près et encore moins de loin !
Ses géniteurs, sieur Clepsydre Horlo et dame Solarine Gnomon, maintenaient depuis toujours des rapports de bon voisinage avec les nuits et les jours.
Oger vit le jour par une nuit de pleine lune. Cet heureux événement eut lieu à Fontainebleau en l’an mille neuf cent soixante-huit.
Les soirées de ce printemps étaient propices aux joies et aux bonheurs de la vie.
Oger est devenu un homme, il a choisi librement son métier. Il voue une passion pour le temps. Il travaille avec lui et parfois, il lui arrive de courir après. Mais jamais, au grand jamais, il n’est pressé comme le lapin d’Alice qui n’a de cesse de courir après le temps, oignon à portée de main et d’œil. Jamais il n’est obsédé par le temps comme Charlie dans les Temps Modernes, prêt à se damner pour les beaux yeux d’une aiguille globe-trotteuse. Et jamais, il ne ressemblera à Pierre Nioxe, l’homme pressé de Paul Morand…
Oger est beau comme un dieu de l’Acropole et a une patience d’ange.
Il est horloger, comme son nom et prénom l’indiquent ! Il a aussi pignon sur rue. Rue du Cherche-Midi, justement, au numéro quatorze plus précisément.
Aujourd’hui, c’est aussi précisément à quatorze heure tapantes, haletant et suant qu’il murmure, qu’il clame et hurle :
– Je n’ai pas une minute à perdre….
Il est assis à sa table de travail, les pièces du mécanisme d’une montre unique étalées en bon ordre. Il se concentre.
Sa loupe rivée à l’œil, d’une main de maître, il pose, ajuste.
– Voilà…, parfait. A nous, la suivante…
D’une main sûre, il saisit la pièce suivante, fragile. Il la pose, ajuste…
– Voilàààààààààààà, parfait…… mais je n’ai pas une minute à perdre….
– A nous deux, mon incabloc….Et je….
Après les minutes, les secondes entrent dans la danse.
– Je n’ai pas une minute à perdre, crie Oger en se trémoussant sur son tabouret. Sa main droite est tremblante, frémissante et crispée sur la pince qui elle-même pince l’amortisseur de choc. Sa main gauche retient tant bien que mal la loupe vacillante…
Son épouse accourt…affolée….
– Oger, dis-moi… qu’as-tu ? Que se passe-t-il ?
Oger est écarlate. S’il ne pose pas l’amortisseur de choc dans la montre il devra tout recommencer. Des heures de démontage et de remontage… A quoi bon ?
Oger est tiraillé, il ressemble à ces moments filmés au ralenti… tombera, tombera pas….
– Je dois aller faire pipiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii. Je suis si pressé….
Acceptant l’idée de recommencer, il se leva prestement et dit à son épouse, en haletant :
– Bah, la vie étant un éternel recommencement, seule l’acceptation de la défaite signifie la fin de tout. Tant et aussi longtemps que l’on sait recommencer, rien n’est totalement perdu. C’est pas de moi, c’est Florette Levesque qui a trouvé ça….
Assis sur la cuvette, tout en se soulageant, Oger reprit quelques forces en lisant un chapitre du « Mythe de Sisyphe » de Camus….
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! pensait-il, haletant. A force de chercher midi à 14h00, il faudra bien que je le trouve.
– Hé, faites attention, vous m’avez bousculé, rouspéta une passante. Où courrez-vous ainsi ?
– Je cherche midi
– Mais midi est passé il y a deux heures !
– Ha ? Merci madame. Je vais bien finir par le rattraper !
Il continua sa course effrénée.
– Quelle heure est-il ? demanda-t-il à un autre horloger qui prenait l’air sur son pas de porte.
– Quinze heures.
– Zut ! Je cherche midi.
– Vous seriez passé par là à 14h00, vous l’auriez croisé. Essayez demain.
Le lendemain, à 14h00, l’horloger se rendit à nouveau à l’échoppe de son collègue :
– Il est bien 14h00 ?
– Oui, bien sûr.
– Alors, il est où, midi ?
– Voyons… Hier il est passé à 14h00, et aujourd’hui…
– Vous m’avez dit…
– Laissez-moi finir ! Aujourd’hui midi est passé à midi, mais il n’est resté qu’une minute. Revenez demain à midi.
Le lendemain, à midi :
– Alors ? Il est là ?
– Mais non ! Pour trouver midi il faut le chercher à 14h00 !
Et l’histoire continue à l’infini.
Il existe un dicton qui dit : « Quand on cherche on trouve. » Mais si on cherche midi à 14h00, est-ce qu’on le trouve ?
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
Il traversa la rue et n’eût pas le temps de voir arriver la voiture. Hurlement des pneus sur le bitume, cris des passants, choc inexorable.
Allongé sur le dos, des frissons dans le corps, surplombé d’une ronde de pantins dans la brume, l’horloger vivait son ultime minute. Alors, une digue s’est rompue dans son esprit, libérant un flot trop longtemps contenu. Sa vie lui est apparue avec une grande clarté, non plus comme un continuum, mais comme quelques îlots d’éternité dans un océan d’insignifiance. L’instant où la femme qui l’aimait l’avait regardé en souriant ; la contemplation des nuages allongé dans une prairie au printemps ; une heure de bricolage avec son père ; l’odeur des foins coupés un en Bourgogne; une jeune fille en robe d’été ; l’adieu à son grand père ; un flocon de neige qui se pose sur un cil, frictionner un bébé à la sortie du bain ; le silence de deux amis qui n’osent pas se dire qu’ils s’aiment.
A son poignet murmurait un objet rond, précieux et compliqué qui n’avait jamais mesuré, au fond, que les instants de joie de son créateur le temps de sa fabrication passionnée. Alors, la question de l’après cessa de le tourmenter.
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant Il scrutait les aiguilles les yeux exorbités, les mains moites, les aisselles ruisselantes. Une course contre la montre se jouait maintenant. Il avait promis à un client, particulièrement menaçant et tatillon à la fois, le genre vicieux à chercher midi à 14 heures tout en n’aimant pas perdre son temps, que sa Rolex serait prête ce soir à la fermeture à minuit.
Il supplia les heures, ses fidèles compagnes depuis plus de 50 ans, de ne pas filer trop vite. Et tout en s’activant à réparer le mécanisme défectueux, il dialogua longuement avec 2, s’attarda sur le retard de règles de 3, prit un thé avec 4, pratiqua l’adultère entre 5 et 7, fit une virée dont il revint tout étourdi sur le grand 8, tenta en vain de réconcilier 9 et 6 bien qu’il sut que ces deux-là étaient irrémédiablement fâchés, s’amusa follement au Théâtre de 10 heures, prit un bouillon à 11. Enfin, à minuit pile, il acheva son travail d’orfèvre lorsque le grelot de la porte de son échoppe se fit entendre signifiant que le client, particulièrement ….. perdre son temps, était arrivé. Mais, à la place de celui-ci se trouvait une femme, altière et belle, bien que les années eussent marqué de leur cruelle empreinte son visage outrageusement fardé, qui exigea d’un ton qui ne pouvait souffrir aucun refus, pour le lendemain dès l’ouverture, une montre à remonter le temps.
Rue du Cherche-Midi,
à quatorze heures,
un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
Arrivé au rond-point Tourne-En-Rond,
à quinze heures,
il était toujours occupé à brasser du temps.
« Je suis en retard, mais je vais le rattraper, ce retard », pensa-t-il.
Il obliqua sur la Place Art et Détente,
à seize heures,
il fit une pause-temps
« Un petit café express me fera le plus grand bien », décida-t-il.
Puis, il prit la rue Court-Toujours,
à dix-sept heures.
Il se sentait essoufflé par cette folle course,
« mais j’avance dans le bon sens du temps », se réjouit-il.
Il tomba dans l’impasse Perte-Minute,
à dix-huit heures.
Il était déconcerté par ce demi-tour,
« Et dire que je commençais à prendre de l’avance ! », soupira-t-il.
Vint l’Avenue du Sur-place,
à dix-neuf heures,
Elle était complètement bouchée, trop de gens pressés,
« Aucune chance d’être à l’heure, j’ai perdu mon précieux temps ! », pleura-t-il.
Retour par l’Allée de l’Arrière,
A vingt-heures,
Il se sentait dépité, mais une pensée le remotiva :
« Moi l’horloger, je peux remonter le temps ! »
Il se mit dans son lit, en « Pause »,
À vingt-et-une heures,
Et, philosophe, il pensa :
« demain, dès neuf heures, j’achète un autre guide sur la ville du temps,
Et là, je serai à l’heure ».
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
Quand il heurta un passant qui marchait en sens inverse.
« Oh, pardon !
– Où courez-vous donc ainsi ? lui demanda le vieil homme bousculé
– Je cours après le temps, lui répondit l’horloger, toujours haletant, profitant de la pause pour souffler les mains sur les genoux. Vous ne l’auriez pas vu passer par hasard ?
– Ah pour ça oui, on a même tapé la discute avant qu’il reparte en direction du Bon Marché. Qu’est-ce que vous lui voulez ?
– J’ai une pendule qui est malade, son cœur est sur le point de s’arrêter. Elle a déjà perdu beaucoup de secondes. .
– Ce n’est pas en courant que vous le rattraperez.
– Pardon ?
– Plus vous courez après lui, plus il file. Alors que si vous errez tranquillement, comme moi, il viendra à vous et se laissera prendre volontiers.
– Où puis-je l’attendre ?
– Comme vous m’avez l’air dans l’embarras, je vais vous aider. Il est un endroit dans Paris où il aime s’arrêter.
– Où ça ?
– Le quai de l’Horloge. Ce bord de Seine a gardé ses atours médiévaux. La cour de cassation y renferme ses plus longues minutes. Suivez mon conseil, posez-vous sur le pont au Change, la scène vaut son pesant d’heures ! »
Le vieillard passa son chemin et l’horloger se rendit tranquillement au lieu qu’il lui avait indiqué. Accoudé sur la rambarde du fameux pont, la Seine, immobile, ne coulait plus, telle une huile sur une toile de Cézanne. Le peintre lui sembla avoir à peine quitté l’endroit. L’horloge à bâbord n’indiquait aucune heure, le temps venait de s’arrêter, c’était clair. Mais où se cachait-il ?
L’horloger se pencha, il crut voir une ombre sous le pont. L’ombre grandissait, il se pencha encore, c’était lui, il en était sûr maintenant. Il se pencha une fois de trop, son corps bascula, l’ombre devint péniche et sa chute fatale.
Il eut raison de sa quête, il venait de rattraper le temps qui pour lui s’arrêta sur la Seine face au quai de l’Horloge, comme le vieil homme le lui avait décrit.
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps. « Je n’ai pas une minute à perdre ! J’ai du travail à revendre. Vais-je m’en sortir? Un client suisse exigeant, devenu seine et marnais, attend impatient son authentique boite du 18 ème, petit bijou! Expérience magnifique! Faire revivre un mécanisme si original et si moderne, à la fois, joie grandiose! Le rendre à son propriétaire, mon coeur se serre, » pensait-il, haletant. Ravalant quelques larmes qui se pointaient indiscrètes, s’armant de courage, il emballa le précieux objet, mit son feutre et sortit.
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant. « Le temps, c’est de l’argent » mais si j’ai de l’argent, puis-je acheter du temps ? » Montre au gousset, chronomètre en main, il essaya de remonter le temps avec son Il inversa le balancement du pendule. Bravement, une seconde fit marche arrière. La minute se hissa en forçant sa nature. Mais l’heure boudait, elle refusait en faisant la lippe. Elle était plutôt classique, rationnelle, n’aimait pas changer d’habitudes. Pourtant, elle l’aimait cet horloger mais de là à défier le temps !
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
Il portait un habit blanc, de grandes oreilles pointaient sous son bonnet et une montre gousset pendouillait à la poche de son gilet rayé. Il filait ainsi depuis des lustres persuadé qu’il serait en retard. Une fillette le poursuivait…
Ah ! Cette histoire à déjà été écrite…
Bon, alors, 14h rue du cherche midi que peut-il bien arriver à cet horloger qui arpentait un bout de bitume à la recherche d’une idée géniale pour remonter le temps avant qu’il ne soit trop tard ?
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps. « Je n’ai pas une minute à perdre! » pensait il , haletant. Il n’avait plus la forme. Tout ce temps passé, assis, derrière son établi à restaurer le temps des autres lui pesait. Ses pieds battaient l’air comme un mécanisme déréglé et sa carcasse lui paraissait plus lourde qu’une Normande. Il se concentra néanmoins sur le rendez-vous. La moindre des choses pour un « petit roi » du jaquemart était d’être à l’heure.
Pourtant, il sentait que quelque chose se bloquait dans le mécanisme. En regardant ses souliers, il se surprit à piétiner des secondes. Semblables à des fourmis anesthésiées par une douche de vinaigre blanc, elles gisaient là, remuaient à peine les pattes, attendaient d’être achevées. Il les écrasa soigneusement… repéra un banc.
C’était un ouvrage de bois comme il en existait par le passé, de ceux qui peuplaient les parcs et les jardins. Les grandes lattes récemment repeintes invitaient au repos. Aucun panneau n’indiquait un risque de fraîcheur de revêtement. Il s’installa donc, détendit ses jambes, respira l’air du printemps. La nouvelle saison lui paraissait aussi avoir revêtu une nouvele couche de verdure fraîche.
Il repèra un quignon de pain que chahutait un couple de moineaux. Celà faisait longtemps qu’il n’avait pas eu à supporter des criailleries de gamins. Il ramassa le pain, le soupesa et commença à le séparer en petits morceaux qu’il souhaitait égaux. Il les aligna sur le banc: 23 morçeaux.
Alors, il se fit un devoir de repérer les passereaux et autres volatiles qui l’entourait. Il n’était effectivement pas bien certain de savoir distinguer un merle d’une grive, un pinson d’un chardonneret, un corbeau d’une corneille. Faute de les distinguer clairement par leur aspect, il devinait à leur chant une multiplicité à explorer posément. Le coucou n’était il donc qu’une parodie de nature?
Il commença à distribuer le pain en s’efforçant de ne léser aucun des participants. Mais il ne comptait pas vraiment. Il vivait le moment avec une facilité dont il ne se croyait pas capable. Il avait décroché le balancier de l’après, il avait peut être pressenti qu’il lui restait autre chose à vivre, différemment, hors de l’agitation et des secousses de l’urgence. Il savait qu’il en avait terminé avec l’exhibitionisme des montres, avec la chronophagie des pendules. Il saurait découvrir d’autres bancs.
Mes exercices sont des accélérateurs de particules imaginatives. Ils excitent l'inventivité et donnent l’occasion d’effectuer un sprint mental. Profitez-en pour pratiquer une écriture indisciplinée.
Ces échauffements très créatifs vous préparent à toutes sortes de marathons : écrire des fictions : nouvelles, romans, séries, etc.
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps. « Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
A ce moment très précis, Oger Horlo est un homme pressé. Cela ne lui ressemble en rien, ni de près et encore moins de loin !
Ses géniteurs, sieur Clepsydre Horlo et dame Solarine Gnomon, maintenaient depuis toujours des rapports de bon voisinage avec les nuits et les jours.
Oger vit le jour par une nuit de pleine lune. Cet heureux événement eut lieu à Fontainebleau en l’an mille neuf cent soixante-huit.
Les soirées de ce printemps étaient propices aux joies et aux bonheurs de la vie.
Oger est devenu un homme, il a choisi librement son métier. Il voue une passion pour le temps. Il travaille avec lui et parfois, il lui arrive de courir après. Mais jamais, au grand jamais, il n’est pressé comme le lapin d’Alice qui n’a de cesse de courir après le temps, oignon à portée de main et d’œil. Jamais il n’est obsédé par le temps comme Charlie dans les Temps Modernes, prêt à se damner pour les beaux yeux d’une aiguille globe-trotteuse. Et jamais, il ne ressemblera à Pierre Nioxe, l’homme pressé de Paul Morand…
Oger est beau comme un dieu de l’Acropole et a une patience d’ange.
Il est horloger, comme son nom et prénom l’indiquent ! Il a aussi pignon sur rue. Rue du Cherche-Midi, justement, au numéro quatorze plus précisément.
Aujourd’hui, c’est aussi précisément à quatorze heure tapantes, haletant et suant qu’il murmure, qu’il clame et hurle :
– Je n’ai pas une minute à perdre….
Il est assis à sa table de travail, les pièces du mécanisme d’une montre unique étalées en bon ordre. Il se concentre.
Sa loupe rivée à l’œil, d’une main de maître, il pose, ajuste.
– Voilà…, parfait. A nous, la suivante…
D’une main sûre, il saisit la pièce suivante, fragile. Il la pose, ajuste…
– Voilàààààààààààà, parfait…… mais je n’ai pas une minute à perdre….
– A nous deux, mon incabloc….Et je….
Après les minutes, les secondes entrent dans la danse.
– Je n’ai pas une minute à perdre, crie Oger en se trémoussant sur son tabouret. Sa main droite est tremblante, frémissante et crispée sur la pince qui elle-même pince l’amortisseur de choc. Sa main gauche retient tant bien que mal la loupe vacillante…
Son épouse accourt…affolée….
– Oger, dis-moi… qu’as-tu ? Que se passe-t-il ?
Oger est écarlate. S’il ne pose pas l’amortisseur de choc dans la montre il devra tout recommencer. Des heures de démontage et de remontage… A quoi bon ?
Oger est tiraillé, il ressemble à ces moments filmés au ralenti… tombera, tombera pas….
– Je dois aller faire pipiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii. Je suis si pressé….
Acceptant l’idée de recommencer, il se leva prestement et dit à son épouse, en haletant :
– Bah, la vie étant un éternel recommencement, seule l’acceptation de la défaite signifie la fin de tout. Tant et aussi longtemps que l’on sait recommencer, rien n’est totalement perdu. C’est pas de moi, c’est Florette Levesque qui a trouvé ça….
Assis sur la cuvette, tout en se soulageant, Oger reprit quelques forces en lisant un chapitre du « Mythe de Sisyphe » de Camus….
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! pensait-il, haletant. A force de chercher midi à 14h00, il faudra bien que je le trouve.
– Hé, faites attention, vous m’avez bousculé, rouspéta une passante. Où courrez-vous ainsi ?
– Je cherche midi
– Mais midi est passé il y a deux heures !
– Ha ? Merci madame. Je vais bien finir par le rattraper !
Il continua sa course effrénée.
– Quelle heure est-il ? demanda-t-il à un autre horloger qui prenait l’air sur son pas de porte.
– Quinze heures.
– Zut ! Je cherche midi.
– Vous seriez passé par là à 14h00, vous l’auriez croisé. Essayez demain.
Le lendemain, à 14h00, l’horloger se rendit à nouveau à l’échoppe de son collègue :
– Il est bien 14h00 ?
– Oui, bien sûr.
– Alors, il est où, midi ?
– Voyons… Hier il est passé à 14h00, et aujourd’hui…
– Vous m’avez dit…
– Laissez-moi finir ! Aujourd’hui midi est passé à midi, mais il n’est resté qu’une minute. Revenez demain à midi.
Le lendemain, à midi :
– Alors ? Il est là ?
– Mais non ! Pour trouver midi il faut le chercher à 14h00 !
Et l’histoire continue à l’infini.
Il existe un dicton qui dit : « Quand on cherche on trouve. » Mais si on cherche midi à 14h00, est-ce qu’on le trouve ?
©Margine
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
Il traversa la rue et n’eût pas le temps de voir arriver la voiture. Hurlement des pneus sur le bitume, cris des passants, choc inexorable.
Allongé sur le dos, des frissons dans le corps, surplombé d’une ronde de pantins dans la brume, l’horloger vivait son ultime minute. Alors, une digue s’est rompue dans son esprit, libérant un flot trop longtemps contenu. Sa vie lui est apparue avec une grande clarté, non plus comme un continuum, mais comme quelques îlots d’éternité dans un océan d’insignifiance. L’instant où la femme qui l’aimait l’avait regardé en souriant ; la contemplation des nuages allongé dans une prairie au printemps ; une heure de bricolage avec son père ; l’odeur des foins coupés un en Bourgogne; une jeune fille en robe d’été ; l’adieu à son grand père ; un flocon de neige qui se pose sur un cil, frictionner un bébé à la sortie du bain ; le silence de deux amis qui n’osent pas se dire qu’ils s’aiment.
A son poignet murmurait un objet rond, précieux et compliqué qui n’avait jamais mesuré, au fond, que les instants de joie de son créateur le temps de sa fabrication passionnée. Alors, la question de l’après cessa de le tourmenter.
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant Il scrutait les aiguilles les yeux exorbités, les mains moites, les aisselles ruisselantes. Une course contre la montre se jouait maintenant. Il avait promis à un client, particulièrement menaçant et tatillon à la fois, le genre vicieux à chercher midi à 14 heures tout en n’aimant pas perdre son temps, que sa Rolex serait prête ce soir à la fermeture à minuit.
Il supplia les heures, ses fidèles compagnes depuis plus de 50 ans, de ne pas filer trop vite. Et tout en s’activant à réparer le mécanisme défectueux, il dialogua longuement avec 2, s’attarda sur le retard de règles de 3, prit un thé avec 4, pratiqua l’adultère entre 5 et 7, fit une virée dont il revint tout étourdi sur le grand 8, tenta en vain de réconcilier 9 et 6 bien qu’il sut que ces deux-là étaient irrémédiablement fâchés, s’amusa follement au Théâtre de 10 heures, prit un bouillon à 11. Enfin, à minuit pile, il acheva son travail d’orfèvre lorsque le grelot de la porte de son échoppe se fit entendre signifiant que le client, particulièrement ….. perdre son temps, était arrivé. Mais, à la place de celui-ci se trouvait une femme, altière et belle, bien que les années eussent marqué de leur cruelle empreinte son visage outrageusement fardé, qui exigea d’un ton qui ne pouvait souffrir aucun refus, pour le lendemain dès l’ouverture, une montre à remonter le temps.
Rue du Cherche-Midi,
à quatorze heures,
un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
Arrivé au rond-point Tourne-En-Rond,
à quinze heures,
il était toujours occupé à brasser du temps.
« Je suis en retard, mais je vais le rattraper, ce retard », pensa-t-il.
Il obliqua sur la Place Art et Détente,
à seize heures,
il fit une pause-temps
« Un petit café express me fera le plus grand bien », décida-t-il.
Puis, il prit la rue Court-Toujours,
à dix-sept heures.
Il se sentait essoufflé par cette folle course,
« mais j’avance dans le bon sens du temps », se réjouit-il.
Il tomba dans l’impasse Perte-Minute,
à dix-huit heures.
Il était déconcerté par ce demi-tour,
« Et dire que je commençais à prendre de l’avance ! », soupira-t-il.
Vint l’Avenue du Sur-place,
à dix-neuf heures,
Elle était complètement bouchée, trop de gens pressés,
« Aucune chance d’être à l’heure, j’ai perdu mon précieux temps ! », pleura-t-il.
Retour par l’Allée de l’Arrière,
A vingt-heures,
Il se sentait dépité, mais une pensée le remotiva :
« Moi l’horloger, je peux remonter le temps ! »
Il se mit dans son lit, en « Pause »,
À vingt-et-une heures,
Et, philosophe, il pensa :
« demain, dès neuf heures, j’achète un autre guide sur la ville du temps,
Et là, je serai à l’heure ».
Gepy
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
Quand il heurta un passant qui marchait en sens inverse.
« Oh, pardon !
– Où courez-vous donc ainsi ? lui demanda le vieil homme bousculé
– Je cours après le temps, lui répondit l’horloger, toujours haletant, profitant de la pause pour souffler les mains sur les genoux. Vous ne l’auriez pas vu passer par hasard ?
– Ah pour ça oui, on a même tapé la discute avant qu’il reparte en direction du Bon Marché. Qu’est-ce que vous lui voulez ?
– J’ai une pendule qui est malade, son cœur est sur le point de s’arrêter. Elle a déjà perdu beaucoup de secondes. .
– Ce n’est pas en courant que vous le rattraperez.
– Pardon ?
– Plus vous courez après lui, plus il file. Alors que si vous errez tranquillement, comme moi, il viendra à vous et se laissera prendre volontiers.
– Où puis-je l’attendre ?
– Comme vous m’avez l’air dans l’embarras, je vais vous aider. Il est un endroit dans Paris où il aime s’arrêter.
– Où ça ?
– Le quai de l’Horloge. Ce bord de Seine a gardé ses atours médiévaux. La cour de cassation y renferme ses plus longues minutes. Suivez mon conseil, posez-vous sur le pont au Change, la scène vaut son pesant d’heures ! »
Le vieillard passa son chemin et l’horloger se rendit tranquillement au lieu qu’il lui avait indiqué. Accoudé sur la rambarde du fameux pont, la Seine, immobile, ne coulait plus, telle une huile sur une toile de Cézanne. Le peintre lui sembla avoir à peine quitté l’endroit. L’horloge à bâbord n’indiquait aucune heure, le temps venait de s’arrêter, c’était clair. Mais où se cachait-il ?
L’horloger se pencha, il crut voir une ombre sous le pont. L’ombre grandissait, il se pencha encore, c’était lui, il en était sûr maintenant. Il se pencha une fois de trop, son corps bascula, l’ombre devint péniche et sa chute fatale.
Il eut raison de sa quête, il venait de rattraper le temps qui pour lui s’arrêta sur la Seine face au quai de l’Horloge, comme le vieil homme le lui avait décrit.
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps. « Je n’ai pas une minute à perdre ! J’ai du travail à revendre. Vais-je m’en sortir? Un client suisse exigeant, devenu seine et marnais, attend impatient son authentique boite du 18 ème, petit bijou! Expérience magnifique! Faire revivre un mécanisme si original et si moderne, à la fois, joie grandiose! Le rendre à son propriétaire, mon coeur se serre, » pensait-il, haletant. Ravalant quelques larmes qui se pointaient indiscrètes, s’armant de courage, il emballa le précieux objet, mit son feutre et sortit.
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant. « Le temps, c’est de l’argent » mais si j’ai de l’argent, puis-je acheter du temps ? » Montre au gousset, chronomètre en main, il essaya de remonter le temps avec son Il inversa le balancement du pendule. Bravement, une seconde fit marche arrière. La minute se hissa en forçant sa nature. Mais l’heure boudait, elle refusait en faisant la lippe. Elle était plutôt classique, rationnelle, n’aimait pas changer d’habitudes. Pourtant, elle l’aimait cet horloger mais de là à défier le temps !
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps.
« Je n’ai pas une minute à perdre ! », pensait-il, haletant.
Il portait un habit blanc, de grandes oreilles pointaient sous son bonnet et une montre gousset pendouillait à la poche de son gilet rayé. Il filait ainsi depuis des lustres persuadé qu’il serait en retard. Une fillette le poursuivait…
Ah ! Cette histoire à déjà été écrite…
Bon, alors, 14h rue du cherche midi que peut-il bien arriver à cet horloger qui arpentait un bout de bitume à la recherche d’une idée géniale pour remonter le temps avant qu’il ne soit trop tard ?
Jean de Marque nous déniche de bons livres pas chers mais il sait aussi nous séduire avec ses textes fantasques.
Rue du Cherche-Midi, à quatorze heures, un horloger courait après le temps. « Je n’ai pas une minute à perdre! » pensait il , haletant. Il n’avait plus la forme. Tout ce temps passé, assis, derrière son établi à restaurer le temps des autres lui pesait. Ses pieds battaient l’air comme un mécanisme déréglé et sa carcasse lui paraissait plus lourde qu’une Normande. Il se concentra néanmoins sur le rendez-vous. La moindre des choses pour un « petit roi » du jaquemart était d’être à l’heure.
Pourtant, il sentait que quelque chose se bloquait dans le mécanisme. En regardant ses souliers, il se surprit à piétiner des secondes. Semblables à des fourmis anesthésiées par une douche de vinaigre blanc, elles gisaient là, remuaient à peine les pattes, attendaient d’être achevées. Il les écrasa soigneusement… repéra un banc.
C’était un ouvrage de bois comme il en existait par le passé, de ceux qui peuplaient les parcs et les jardins. Les grandes lattes récemment repeintes invitaient au repos. Aucun panneau n’indiquait un risque de fraîcheur de revêtement. Il s’installa donc, détendit ses jambes, respira l’air du printemps. La nouvelle saison lui paraissait aussi avoir revêtu une nouvele couche de verdure fraîche.
Il repèra un quignon de pain que chahutait un couple de moineaux. Celà faisait longtemps qu’il n’avait pas eu à supporter des criailleries de gamins. Il ramassa le pain, le soupesa et commença à le séparer en petits morceaux qu’il souhaitait égaux. Il les aligna sur le banc: 23 morçeaux.
Alors, il se fit un devoir de repérer les passereaux et autres volatiles qui l’entourait. Il n’était effectivement pas bien certain de savoir distinguer un merle d’une grive, un pinson d’un chardonneret, un corbeau d’une corneille. Faute de les distinguer clairement par leur aspect, il devinait à leur chant une multiplicité à explorer posément. Le coucou n’était il donc qu’une parodie de nature?
Il commença à distribuer le pain en s’efforçant de ne léser aucun des participants. Mais il ne comptait pas vraiment. Il vivait le moment avec une facilité dont il ne se croyait pas capable. Il avait décroché le balancier de l’après, il avait peut être pressenti qu’il lui restait autre chose à vivre, différemment, hors de l’agitation et des secousses de l’urgence. Il savait qu’il en avait terminé avec l’exhibitionisme des montres, avec la chronophagie des pendules. Il saurait découvrir d’autres bancs.