352e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé.
Déjà ses acariens le quittaient…
Inventez la suite
Chacune de mes propositions d’écriture créative est une bataille contre la routine et l’endormissement de l’imagination. Un petit combat pour maintenir en vie l’enthousiasme d’imaginer, d’inventer, de créer.
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie…
d’un vieux livre de contes de contes tombé là, propulsé au passage d’un nid de poule, par un camion-benne de papier en route pour l’usine de recyclage.
– Aïeuuu tu me fais mal !
Un coin de la couverture cartonnée avait violemment heurté le matelas. Etourdi par cet atterrissage sportif, le livre frissonna, secoua ses pages mais ne perdit pas pour autant son esprit d’à propos logique et médiateur.
– Désolé mon cher Mérinos, je n’ai pas choisi d’élire domicile chez toi, surtout si brusquement, mais ne trouves-tu pas que ma couverture sied parfaitement à ton coutil ?
Quel diplomate ce bouquin !
Encore secoué par l’onde de choc, le matelas semblait rire sous cape. A moins que les secousses qui l’agitaient ne fussent dues à des sanglots.
– C’est un point de vue dit-il à l’ouvrage ! Mais où allais-tu à si vive allure ?
– On me conduisait à l’usine de recyclage qui aurait fait disparaître les outrages que le temps a laissé sur mes pages. J’y aurais trouvé une nouvelle virginité…
– J’aurais bien aimé ça moi aussi ! La laine fraîche, les tissus lissés… Mais nous voilà rassemblés, condamnés en quelque sorte à unir nos expériences dans ce fourré.
– Essayons de positiver, veux-tu ? Imagine des flammes nous entourant de toute part dans l’incinérateur municipal… Nous aurions pu tous deux finir en fumée et nous mêler aux cumulonimbus qui nous survolent.
– C’est vrai dit le matelas. Ici, je garde le souvenir des ébats que j’ai accueillis, des câlins que j’ai favorisés… C’était si bien ! Si tu veux, je t’en raconte.
– Tu peux le faire si tu veux, mais j’en connais déjà quelques-uns vois-tu ! Sous ma couverture j’abrite des histoires où tu figures en bonne place…
– Ah bon ! Lesquelles ?
– Celle de Boucle d’or par exemple qui s’est endormie dans le lit de petit ours. Blanche-Neige dans la maison des sept nains ou encore la délicate Princesse au petit pois !
– Mais tu as raison, qui l’eut cru, nous avons beaucoup de choses en commun. Heureusement que tu n’es pas allée jusqu’à l’usine de recyclage, tu y aurais peut-être trouvé une nouvelle virginité mais tu y aurais perdu tout ton savoir, toute ton expérience et nous ne pourrions pas évoquer ici nos souvenirs communs.
– Tu as raison Mérinos. Finalement, on est bien ici tous les deux, entre vieux.
– Dis-moi, en souvenir des arbres qui ont fourni la matière de tes pages, puis-je t’appeler Vielle branche ?
– D’accord Mérinos ! Et à nous deux, qui sait, peut-être finirons-nous par tricoter des histoires… à dormir debout !
Les mulots réfugiés dans le fourré sont encore secoués par le fou-rire communicatif dont furent pris Mérinos et Vieille branche. Si vous passez par là, ayez l’oeil et prêtez l’oreille, vous ne le regretterez pas !
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé.
Déjà ses acariens le quittaient…
Au loin, la forêt se réveillait paresseusement avec le chant des oiseaux. Une boule de feu éclaira le toit des cases du petit village perdu dans la brousse.
Mamadou regarda son radio-réveil à piles.
– 6 heures 12, le soleil est à l’heure, dit-il en étirant ses bras et ses jambes.
Il quitta sa natte avec un peu de regret. Il la roula, la posa près de la porte et la bloqua avec son repose-tête en bois sculpté. Cadeau de son cousin Omba.
Mamadou enfila un short rose et une chemise blanche. Il prit deux bols, le premier rempli avec une portion de riz, le second, vide. Il sortit de sa case, posa le bol de riz sur sa chaise en plastique et s’en alla un peu plus loin. Il siffla et sa chèvre arriva. D’un geste sûr, il prit les mamelles et tira le lait.
Mamadou prit ainsi son petit déjeuner en regardant les nuages de poussière rouge nimber la piste de latérite. Les camions commençaient leur ballet.
Mamadou était content. Aujourd’hui, il ne devait pas aller travailler. Il ne devait pas aller travailler à la ville. Non, aujourd’hui, il allait travailler – ou plutôt s’occuper – à la « Ferme du docteur ». Celui-ci l’avait fait prévenir qu’il allait passer quelques jours et quelques nuits afin d’observer les étoiles. Parfois, il invitait Mamadou à coller son œil au téléscope et partager avec lui les beautés célestes.
Mamadou enfourcha son vélo, pédala nonchalamment sur la piste, jusqu’au portail de la ferme. Il y avait encore du chemin à faire avant d’arriver près de la bâtisse. Il admirait cette habitation en dur, avec des baies vitrées et une grand terrasse couverte. Il contourna la maison par le petit chemin et se dirigea vers la « douche ». Une grande tour de pierre. Un bassin au sommet avec l’eau, un four en dessous pour le feu.
Il déposa son vélo près d’un fourré, accolé à une termitière puis il s’installa sur l’escalier de la douche. Il souleva la grosse pierre, prit le papier et lut ce qu’il avait à faire.
Il leva les yeux vers le ciel d’une pureté éblouissante et chercha le soleil.
– J’ai encore un peu de temps avant de me mettre au travail. Un petit repos pour réfléchir me fera grand bien.
Mamadou s’ allongea, cala sa tête sur une pierre chaude et ferma les yeux. Tout à coup, un vrombissement le sortit de sa douce torpeur. Il ouvrit ses yeux. Le temps de se rendre compte qu’un avion volait bien bas, il encaissa l’onde de choc. Un matelas venait de choir à ses côtés, faisant chuter son vélo.
– Et toi! D’où viens-tu? lui demanda Mamadou en lui faisant de gros yeux.
– Ben écoutez, je viens de là-haut.
– Mais encore ? insista Mamadou.
– Ben écoutez, mon histoire est bien longue. Je ne sais pas si elle vous intéressera.
– Commence toujours, on verra par la suite….
– Ben écoutez ! J’étais installé dans une belle maison. Une grande villa avec jardin, piscine, tennis, salle de sport… Les pro….
– Mais cela n’est pas important. Raconte ton histoire !
– Ben écoutez, mes propriétaires étaient charmants ! La femme était très discrète. Claudine qu’elle s’appelait. Ils avaient deux enfants. Des vrais petits diables ! Tous les matins, ils bondissaient sur le lit des parents en riant aux éclats…
– Ben écoutez, s’énerva tout à coup le vélo de Mamadou, tu me donnes le tournis avec tes histoires…
– Ben écoutez, justement, le tournis ! C’est cela. L’homme, il était très sportif ! Il en faisait des tours et des tours. A la fin, c’était toujours lui qui…
Tandis que le vélo et le matelas papotaient, Mamadou s’évada dans ses pensées du jour : aller jusqu’au lac, couper de la salade, cueillir des papayes, vérifier les martelières, relever les nasses….
– Dis-moi, cher matelas, d’où te viens cette manie de commencer tes phrases par : « Ben écoutez » ?
– Ben écoutez, c’est mon patron qui répondait toujours comme ça, quand on l’interrogeait, s’exclama le matelas.
– Dis-donc, il ne s’appelait pas Eddy, ton proprio ? demanda le vélo d’une voix excitée.
– Ben écoutez, maintenant que tu me le dis, c’est bien cela. Eddy, Eddy Mex…, quelque chose comme ça…. Un jour, il a commencé à souffrir du dos et son docteur lui a prescrit de changer de matelas…
– Pareil pour moi, reprit le vélo. Il m’a aussi viré. Il voulait un vélo poids plume, pour être le meilleur. Il en a avalé des kilomètres !
– Ah… le cannibale ! gronda le matelas, en oubliant son « Ben écoutez »…
– C’était aussi son surnom. Le cannibale ! Le cannibale, répéta le vélo. Voilà, toi et moi, des proches du champion, tristement fourgués dans une déchetterie, emportés dans un dépôt et en route pour l’Afrique…
– Oui…mais je me suis évadé un peu avant atterrissage. Je préfère la brousse à la ville. Trop de pollution !
C’est alors que Mamadou reprit le fil de la conversation.
– Ben écoutez, les inséparables, j’ai une proposition à vous faire. Je fais mon travail. Le soir venu, je vous ramène tous les deux !
– Asante, patron ! s’exclamèrent le vélo et le matelas, tandis que ses acariens le quittaient l’un après l’autre….
© Clémence
Histoire belge, une fois ?
Une histoire belge, effectivement, mais avec un H majuscule pour l’histoire du cyclisme belge!
Un clin d’oeil à Eddy Merckx, surnommé « Le cannibale » et qui, lors des interviews, commençait ses réponses par « Ben écoutez… »
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé.
Déjà ses acariens le quittaient. C’était mauvais signe. Il ignorait le pauvre que c’était à cause du froid qu’ils fuyaient et puis il ne fallait pas qu’il oublie que c’était sans doute à cause de ces maudites bêtes qui l’ avaient colonisé à la vitesse grand V qu’on se débarrassait de lui. Pourtant il aurait suffi que son propriétaire se débarrasse de ceux-ci en pulvérisant un produit ‘anti » qu’il aurait pu acheter sur Amazone par exemple ou sur un autre site Internet ou même au BHV.
Soudain il se sentit soulevé et jeté dans une camionette. Quand il réalisa que celle-ci roulait, il ne put s’empêcher d’être un peu anxieux, un accident est si vite arrivé.
Après plusieurs heures de voyage, le conducteur s’engagea dans un camping et là on l’installa dans une caravane où il passa une excellente nuit, ses ressorts détendus, recouvert d’une couette moelleuse. Il eut même l’impression qu’il ne lui était pas indifférent ; en tous les cas pour lui ce fut le coup de foudre
Et c’est ainsi qu’il commença une nouvelle vie, tantôt à la mer, tantôt à la montagne, tantôt à la campagne et jamais aucun acarien ne l’accompagna dans ses voyages.
Et puis, un jour, la camionette-caravane se gara rue de Rivoli juste en face du B.H.V. On y faisait une promotion de matelas pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Il était précisé que le magasin reprenait les matelas usagés contre l’achat d’un matelas neuf.
Craignant le pire, il se fit sourd et aveugle et c’est ainsi qu’il se retrouva sous un hangar en compagnie de nombreux autres matelas, résigné, indifférent, prêt à faire face à toute nouvelle vie….
Le matelas
Trop mou, ce matelas laissait le dos en vrac et l’alité souffreteux
Trop dur , cette couche irritait la carcasse et assombrissait l’humeur
Trop court, le lit rognaient les pieds et les chevilles
Trop étroit , ce divan nous envoyait par terre,
Trop tendu, le hamac nous refusait son accueil
Trop mince, le futon pleurait ses tatamis
Trop sale, le pucier crachait sa mine de parent pauvre,
Trop vieux, le plumard criait sa douleur et trahissait nos ébats,
Trop triste, la paillasse nous emprisonnait dans les ténèbres de la solitude,
Trop usé, le pageot avait échoué dans une décharge à côté d’un vélo rouillé à qui il confiait ses souvenirs mêlés . Les amis, la famille, les couples s’étaient abandonné là , sur eux, avec amour, désir, plaisir, sueur, sourires, caresses, sang et humeurs , repos, fatigues, tensions, insomnies, attente, naissance, cris et pleurs, disputes, insultes , violence, et parfois bagarre : tout ça l’avait bien fatigué mais finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et
déjà ses acariens le quittaient…
Le vélo rouillé le consola puis d’un léger coup de pédale l’enlaça et entreprit des cabrioles comme avant . Les gravats s’en mêlèrent et entonnèrent un concert de bitmusic recyclée tandis que la pelleteuse les jalousant , organisait le grand chaos de l’amour : il reste toujours quelque chose du bonheur …
Il était une fois Louis qui était un acarien jeune et beau. Il ne pensait plus être capable de tomber amoureux. Après une rupture douloureuse, il ne voulait plus y croire. Lucie acarienne jeune et belle rêvait du grand amour depuis toujours. Julien également jeune acarien était le copain de toujours de Louis et ne le quittait jamais.
Alors que le matelas glissait sur les gravats dans le fossé où il venait d’être jeté, tous les acariens toutes les acariennes, qui sont américaines et qui sont américaines, sautaient à terre avant qu’il ne prenne de la vitesse, car le fossé était abrupt et profond. Sauf Lucie et louis qui se retrouvèrent à la proue grisés par la vitesse les cheveux au vent et Julien bien sûr, mais qui lui était resté un peu en retrait.
Chacun d’un côté, ils ne se virent pas tout de suite. Ce sont les cris de joie de Lucie qui attirèrent l’attention de Louis.
– C’est excitant lui cria-t-il.
– Je pensais être seule à apprécier répondit-elle en criant elle aussi. (Bien qu’étrangers ils se trouvaient en France et maitrisaient la langue depuis le temps, tu penses).
Le matelas continuait de dévaler une pente qui semblait ne plus vouloir finir. Les deux jeunes acariens se trouvèrent projetés l’un près de l’autre lors d’une série de virages qui leur fit prendre de la vitesse, les enivrant un peu plus à chaque instant. Julien resté à l’écart subissait la descente plus qu’autre chose, mais sans son pote il était perdu alors quand il faisait des bêtises il le suivait malgré tout.
Quand le matelas s’immobilisa enfin au fond du ravin près d’un vélo, chacun des deux se tourna vers l’autre. Enfin face à face ils se plurent au premier instant.
– Et maintenant qu’est-ce qu’on fait demanda Lucie en riant ?
– On trouve un autre jeu répondit Louis tout sourire.
À ce moment Fred, le jeune garçon boucher du village attrapa le vélo.
– Enfin je te trouve, tu m’as donné bien du mal. Aller maintenant il faut remonter. Dit le jeune homme.
– On saute dessus ? cria Lucie.
– À l’abordage répondit Louis.
Ils s’élancèrent aussitôt profitant de la préhension du vélo.
Ils se retrouvèrent donc à la base d’un poil de la main du garçon se cramponnant de toutes leurs forces.
Bien que les deux sentaient bien qu’ils se plaisaient aucun ne pensait à faire le premier pas vers l’autre, car ils étaient timides et occupés par le jeu qui devenait de plus en plus marrant.
Fred notre jeune garçon boucher devait quant à lui sortir de ce gouffre avec le vélo qu’un paysan avait jeté quelques jours auparavant et qu’il avait surpris à ce moment. Ce vélo bien qu’un peu rouillé lui avait paru en bon état et devait lui faire gagner de précieuses minutes pour ses livraisons et même aussi pour ses déplacements personnels.
Il était bientôt midi le soleil brillait comme jamais et le garçon avait chaud et transpirait de partout même des mains. Lucie et Louis se sentaient très à l’aise dans ce climat tropical. Julien qui avait de justesse réussi à se hisser sur la main était maintenant sur le poignet de Fred et commençait à rager dans son coin. Son copain le délaissait comme d’habitude pour une femme, alors triste, il chanta « my way » dans sa tête. (Il avait toujours voulu rester bilingue)
C’est à ce moment qu’apparurent ceux que le milieu des acariens surnommait les terreurs. Fred en effet se sentant sale avait fait une halte près de la rivière pour se rafraichir et avait sorti le morceau de savon indispensable quand on transporte de la nourriture.
C’était devenu une obsession et son embauche avait dépendu de ce détail. Monsieur Courtaboeuf le boucher était très à cheval là-dessus. Alors Fred se lavait les mains à chaque occasion.
Voyant les agents détergents se précipiter en criant « sus aux bactéries », Louis serra très fort Lucie et l’emmena très profond dans un pore de la peau déjà infecté et contenant moult pus.
Julien quant à lui ne voulant pas affronter les puissants agents de nettoyage décida que si son pote voulait mourir avec sa nouvelle copine ça le regardait, mais que lui il ne finirait pas sa vie maintenant pas ici. Alors il sauta dans l’eau de la rivière et se noya. L’acarien même américain n’étant pas très bon nageur.
Et c’est ainsi que Louis et Lucie devinrent célèbres, car de leur histoire naquit un conte qui se transmet toujours devant l’âtre dans les familles acariennes. Pour donner à la jeunesse acarienne l’espoir et l’envie de fonder une famille en s’amusant même à partir d’un vieux matelas, car si l’on ne revit plus jamais Lucie et Louis l’eczéma qui s’en suivit les jours d’après sur la main puis sur le bras de Fred démontra que le jeune couple avait fait de nombreux enfants. Yes !
et les Acadiens qui n’apprécieront pas le clin d’oeil de la bébéte n’auront qu’à se gratter ?
je ne voulais froisser personne. Ce n’était juste qu’un jeu de mots peut-être maladroit. Et je m’en excuse. Désolé
A moi de m’excuser pour mon humour au second degré et incompris. Au Québec, tout insecte étant appelé une bébéte,votre parallèle acarien/Acadien sur la musique qui va avec, m’avait juste fait sourire, sans aucune intention de ‘piquer’son auteur.
Aïe, aïe! Ca pique…Où suis-je ? Endolori de partout, il grince. Il cherche en vain la douceur de la percale, le moelleux de la couette. Des branches épineuses, des feuilles aigues, d’un vert sombre, ont remplacé le plafond blanc, les murs gris perle. Soudain tout lui revient. Des hommes sont arrivés, lui ont tout arraché, l’ont ligoté, saisi à bras le corps, projeté dans un camion. Après avoir roulé un long moment sur des chemins cahotants, ils l’ont balancé. Il a perdu connaissance en touchant le sol rugueux. Un des liens s’est dénoué, l’autre le serre, lui fait mal. Il regarde autour de lui… que des détritus. Les salauds ! En plus ils l’ont jeté sur un tas d’ordures. Un tiroir métallique béant, lui tend sa poigne. Allez, un peu de ressort! Il se contorsionne, frotte patiemment la corde contre le bord du tiroir rouillé. Elle finit par céder. Il se détend, s’allonge. Un rayon de soleil perce à travers les buissons. Il s’abandonne un instant. Rompu de partout, il ne peut plus bouger. Que va-t-il devenir? Aucune illusion à avoir, jamais il ne pourra retourner là-bas ! Pourrir ici, entre un vélo rouillé, un bureau branlant, au milieu de cette puanteur, quelle infamie! Y a-t-il des visiteurs parfois ? Quelqu’un qui pourrait l’emmener, ailleurs? Garder espoir ! Il le faut ! Un frôlement le tire de ses sombres méditations. Un rat peut-être ? Il en frissonne de dégoût. Aux aguets, il essaie de sentir, de voir. Des griffes maintenant lui labourent le dos ! Aïe ! Quatre pattes le martèlent, en mesure, plus doucement, puis une douce caresse de fourrure tiède le fait frémir. « Miaou, miaou ! » Le chaton miaule en s’étirant sur le matelas miteux.
© ammk
Voici de longs mois que je me délecte des propositions de Pascal et surtout de la créativité des auteurs. Et puis, hier, j’ai décidé de me lancer en proposant un texte sur la 352è proposition. Pour l’instant il n’est pas publié.Je me demande si je n’ai pas fait une fausse manip (texte envoyé via cette rubrique Commentaire). Il y a-t-il une sélection ? Merci de m’informer car maintenant que je commence à vaincre ma timidité, j’aimerais bien continuer.
Jalousie ( version corrigée )
Lui le pure laine ! Et ses ressorts, je ne sais pas quoi ! Bien oui, usé, trop vieux, même pas repris chez Emmaus … c’est la vie, faut t’y faire. Et arrête de bougonner, fais un sourire, on sait jamais. Tu auras l’air plus avenant et une voiture s’arrêtera peut-être pour te proposer une seconde vie. Ce que j’en dis moi …la vieille casserole toute rouillée. C’est pour toi,mon cher. Et arrête le coup du mépris ! ici y a que toi pour faire le fier! On est tous pareils, en fin de vie, au rancard, bon pour la poubelle et hors circuit, illégal, indigne du tri sélectif. Tes proprios n’ont même pas eu le courage de t’emmener à la déchèterie, ni l’intelligence de demander au matelassier de te reprendre contre le neuf. Z’avaient rien dans la caboche ou pas de sens social ! T’auras beau dire z’étaient pas si extraooooordinaires que ça. On a tous fait les fiers mais ici à la fraîche, dans les eaux du talus on a vite fait d’en rabattre, crois moi !
Allez, fais pas la tête … y aura bien une solution… regarde la un pickup s’arrête mais oui ! Veinard ! Eh bien voilà tu pars pour une nouvelle aventure et surtout pas d’au revoir ni de merci …. on se reverra plus, c’est sur ! Bon vent ! Monsieur le super matelas !
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé.
Déjà ses acariens le quittaient pour d’autres lieux. Et lui, il se retrouvait seul en compagnie d’autres objets divers… d’odeurs multiples…assez difficiles à identifier d’ailleurs… mais… il en est une qui se détache de tout le reste…Il faudrait réussir à savoir laquelle et ou surtout…Car au milieu de tout ces objets, comment en retrouver un en particulier… ? et pourtant…cette odeur semble familière… Tout à coup tout se bouscule : les objets, les odeurs… tout bouge dans tous les sens comme si on était roués de coups… les ressorts tremblents, la mémoire de forme ne sait plus ou donner de la tête.. Tout devient lourd, pesant… quand tout à coup le calme… Le calme et… cette odeur plus proche que jamais… si proche.. OUI mais oui !! l’oreiller ergonomique ! celui avec qui on a partagé tant de temps… alors lui aussi ? lui aussi il a été abandonné, jeté comme un vieux débris inutile… ici avec moi sur ce monticule de déchets… à la décharge… si encore c’était la décharge municipale mais non ils ont choisi la pire façon qu’il soit pour se débarasser de nous : la décharge sauvage…
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé.
Déjà ses acariens le quittaient…
– Oh ! Punaise ! (de lit), gémit-il, me voila dans de beaux draps. Ou plus exactement sans draps du tout. Qu’est-ce que je fous ici ? C’est trop injuste !…
– Ta gueule ! Laisse-moi rouiller tranquille ! répondit le vélo.
– Rouiller ? Ça veut dire quoi ? J’ajoute un « P », et ça fait « roupiller ». Je suis un spécialiste, moi.
– Alors, roupille, et fous-moi la paix avec tes histoires à dormir n’importe comment ! Y’a pas que toi qui a des problèmes. J’ai eu un accident, et on m’a jeté comme un malpropre dans cette p… de décharge sauvage. Et après, j’ai reçu une volée de parpaings sur la gueule. Maintenant, j’étouffe sous toi, et tu m’emmerdes avec ta sale gueule, tes histoires et tes parasites.
La promiscuité avec cette carcasse tordue et mal embouchée ajoutait encore à la souffrance de ce pauvre matelas. « C’est dur de finir ainsi à quinze ans. Seul, sans même un acarien pour me chatouiller et faire râler mes propriétaires. Les salauds ! Ce sont eux qui m’avaient apporté une aimable famille de punaises de lit, et pour s’en débarrasser, ils n’avaient rien trouvé de mieux que de me jeter avec ».
– Salut collègues ! Heureuse de faire votre connaissance !
C’était la voix familière de sa punaise de lit préférée. Elle aussi allait le quitter pour laisser la place à une ribambelle de grosses punaises vertes à l’odeur épouvantable.
Un peu plus tard, une femelle campagnol, après lui avoir rongé la laine sur le dos, a décidé d’y installer son nid. Les ressorts qui font « toïng ! toïng ! », ça amusera beaucoup les petits.
C’était désagréable au début, mais au moins il ne finirait pas seul, comme ce tordu de vélo.
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé.
Déjà ses acariens le quittaient… Il ne les regretterait pas, ces aimables bestioles lui occasionnant des allergies fort désagréables, mais il se sentait vexé de se trouver en si piètre compagnie, simplement sous prétexte que ses propriétaires s’étaient convertis au Véganisme et ne toléraient donc plus la présence de laine dans leur environnement.
Le Vélo qui avait beaucoup vécu le consola comme il put « ne regrette rien, ces hommes sont des imbéciles, et mènent leur monde à sa perte à force de gaspillage et de bêtise. Profite donc pleinement de cette nouvelle vie en plein accord avec la nature, accepte la et tu verras, tu ne manqueras pas d’amis ».
Alors, il s’abandonna… Le bruit courut qu’il y avait de la place dans le fourré pour des nids somptueux ou des tanières confortables, le lierre et les pervenches rivalisèrent d’audace pour l’envahir de leurs tiges caressantes, et il devint rapidement aussi peu présentable que les gravats ou le vélo ses voisins, des brins de laine se retrouvèrent dans les nids haut perchés, les petites musaraignes jouaient à cache-cache entre ses ressorts, il se sentit une âme de grand père bienveillant prêt à tout partager.
C’était une vie infiniment plus passionnante que celle qu’il avait connue sous les corps tristes et sans surprises des bobos coincés qu’il avait fréquenté précédemment !
Lui le pure laine ! Et ses ressorts, je ne sais pas quoi ! Bien oui usé, trop vieux, même pas repris chez Emmaus … c’est la vie, faut t’y faire. Et arrête de bougonner, fais un sourire, on sait jamais tu auras l’air plus avenant et une voiture s’arrêtera peut-être pour une seconde vie. Ce que j’en dis moi la vieille casserole toute rouillée. C’est pour toi mon cher. Et arrête le coup du mépris, ici y a que toi pour faire le fier! On est tous pareils en fin de vie, au rancard, bon pour la poubelle et même pas vécu le tri sélectif. Tes proprios n’ont même pas eu le courage de t’emmener à la déchèterie ni l’intelligence de demander au matelassier de te reprendre contre le neuf. Z’avaiznt rien dans la caboche et pas de sens social ! T’auras beau dire z’étaient pas si extraooooordinaires que ça.
Allez, fais pas la tête … y aura bien une solution… regarde la un pickup oui ! Eh bien voilà tu pars pour une nouvelle aventure et surtout pas d’au revoir ni de merci …. on se reverra plus ça c’est sur ! Bon vent Monsieur le super matelas !
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure-laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit, il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé. Déjà ses acariens le quittaient…
Il n’inspirait plus, bien au contraire, il expirait dans une décharge sauvage.
– Ils m’ont abandonné comme un chien. Je ne le verrai plus non plus ce gentil Fauve qui me tenait compagnie quand ils étaient absents. On passait des heures à faire des plans sur la comète. On était si bien ensemble qu’on se disait qu’il ne pourrait rien nous arriver de méchant. Il jouait avec son sosie en peluche qui, tout en ne se rebiffant pas, lui apprenait le stoïcisme des chiens, une invention à lui, le stoïchien. Je ne savais pas où il avait appris sa technique et je n’étais pas d’accord avec lui, sur ce point, qu’on doive en permanence tout accepter sans rien dire. Dans certaines situations chaudes, il fallait avoir du ressort.
Dans les soubresauts de son sommeil, j’imaginais qu’il rêvait de moutons et moi, je pensais à recycler ma laine. On était complémentaires et cela nous allait bien. J’étais toujours heureux de le retrouver.
Mais qu’est-ce qu’il leur a pris à ces deux tourtereaux ? Combien de fois les ai-je réconciliés après leurs disputes ! Quelle ingratitude ! Et paf ! Ils m’ont collé dans la camionnette, Fauve qui suivait derrière. Il courait à perdre haleine. Je le voyais par la portière qu’ils n’avaient pas pu fermer. J’eus un pressentiment… Ce n’était pas un déménagement.
Pendant le trajet, en regardant la cime des arbres, je revoyais défiler le temps depuis l’usine.
Allongé sur le parquet qui sentait la cire, je les supportais quand ils peignaient l’appartement qu’ils venaient d’acheter. Leurs premières amours m’ont claqué un ressort. Et puis l’aîné est arrivé. Comme je l’ai consolé et bercé pendant sa sieste !
Et la petite boule rousse qui glissait et roulait à courir après une croquette, je m’en souviens… Elle terminait sa course dans mes pieds. Et maintenant qu’elle n’était plus bonne à mettre aux chiens, elle courait derrière moi, vers un lieu d’oubli appartenant à tout le monde où un promeneur venant se ressourcer, découvrirait un sale aspect des pèlerins du coin.
Que leur avais-je fait ?
Etre à l’origine de leurs rêves, de leurs projets, de leurs confidences, de leurs mots d’amour, de leur progéniture et me récompenser en me mettant à la merci de la prédation du temps.
Pendant toutes ces années passées en famille, la position horizontale ne leur aurait inspiré que du négatif ?
Ils auraient pu me porter à Emmaüs où, bien décapé, j’aurais pu avoir une seconde vie et enrichir ma mémoire. Un SDF aurait bien profité de me remettre dans une autre forme. Mais là, ils me plaquent et je vais polluer le paysage. Je vais dégrader mes plus beaux souvenirs parmi les rats et la putréfaction.
Ils aurait pu me diriger vers un autre destin.
Mais au fait, où est passé Fauve ?
Texte remuant, bien de notre époque, hélas.
Bon débarras, du vent, du grand air, enfin ! Adieu polochon rageur, oreillers batailleurs et couette en fausses plumes…
Il respira l’insaisissable odeur de décharge et jeta un coup d’œil alentour. Les voisins n’avaient pas fière allure : un vieux vélo, une carcasse de four à micro-ondes, une paire de charentaise trouées, c’était pas la vie de château !
En parlant de château, bien content de l’avoir quitté le sien, et sa châtelaine avec, qui se donnait des airs d’aristo ! Exigeant, pour faire montre de son autorité, qu’on le retournât chaque semaine. A la une, à la deux, le majordome et la bonne le faisait valser, cul par-dessus tête. Une fois côté pile, une fois face. Pendant la manœuvre, les acariens s’accrochaient ferme : il s’en perdait bien quelques-uns au passage, mais pas de quoi en faire un poème. Madame était satisfaite : elle pourrait ronfler en toute quiétude, ce soir. Lui rongeait ses ressorts pendant les longues nuits d’insomnie.
Il avait bien tenté de se persuader qu’il était à l’abri ici, au chaud pour le restant de ses jours. Mais ça le titillait parfois du coutil. Madame aussi sans doute, qui se mit à consulter les catalogues de literie sur internet. Déjà les acariens zieutaient le vieux tapis de Chine.
Tout alla très vite. A peine le temps de saluer la compagnie et le voilà embarqué dans le vieux fourgon du jardinier, avant d’être jeté au fossé, sur un tas de gravas. Radical le changement : grandeur et décadence…
Mais fi de la morosité : il était libre, avait encore de beaux restes et un tas d’histoires croustillantes à raconter. C’est que dans une vie de matelas, on en voit des choses…
Timidement, un par un, ses voisins se rapprochèrent : il se dit qu’il pourrait faire conteur…
Bon dimanche, Christine
Juste excellent !
Merci Grumpy !
Merci Grumpy. Ça m’encourage dans mon écriture.
Pas fous les acariens. Ce qu’ils aiment, c’est la pénombre, la chaleur un peu moite, pellicules et poils à volonté. Alors là, se retrouver en plein-air, soumis aux rayons du soleil, balayés par le vent, c’est le comble ! Le camping, très peu pour eux. Mais à bien y réfléchir, ils n’étaient pas si étonnés que ça. Ils sentaient bien que quelque chose n’allait pas depuis quelque temps. Ce n’est pas parce qu’on est acariens qu’on a pas de jugeote. Au contraire. Leur survie en dépendait. Il leur faut être attentifs à la moindre variation de température ou d’humidité de leur environnement. Ils ont bien remarqué une baisse de chaleur globale et une sécheresse accrue de leur foyer. Pas seulement pendant quelques nuits comme ce fut parfois le cas. Là, ça durait. A tel point qu’ils ont fini par alerter le matelas que quelque chose ne tournait pas rond. Lui, il ne voyait pas de quoi ils parlaient. Il avait même tenté de les rassurer pensant qu’ils se faisaient des idées. C’était déjà arrivé, il y a eu de longues semaines de silence et de froid dans l’appartement désert et puis la vie reprit. Et même si ce n’était pas toutes les nuits la fête, en fin de semaine ça s’arrangeait. La fièvre du samedi soir était à nouveau là. Sur le fond les acariens étaient d’accord sauf que là c’était différent. Il y avait un peu de chaleur mais uniquement sur les côtés et la dernière fête remontait à bien longtemps. A force d’insister, le matelas finit par se dire qu’il y avait peut-être quelque chose et que de toutes façons ça ne coûtait rien d’essayer d’améliorer la situation.
Au début, il y est allé mollo. Il a stimulé la laine, accentuant son gonflant. Rien. Puis il a mis tout son art à inspecter chaque ressort, vérifiant leur souplesse et leur fermeté, corrigeant toute légère déviation, c’était son cœur de métier quand-même. Rien. Finalement il décida de jouer sa dernière carte. Il coupa la carte-mémoire des dernières semaines, réactivé les circuits antérieurs, ceux des beaux jours ou plutôt des belles nuits. Rien.
Enfin pas tout à fait. Après une nuit agitée par des cris et des disputes, il s’est senti soulevé, brinqueballé dans une vulgaire camionnette, lui qui n’avait voyagé qu’enveloppé et protégé. Pour finir lancé dans ce fourré en compagnie de gravats qui n’avaient aucune conversation. Il commençait à se sentir seul, exilé, regrettant même la présence des acariens qu’il n’avait pourtant jamais estimés à leur juste valeur. Si seulement il avait su.
C’est une maison extraordinaire
De bric et de broc du sol au plafond
Son escalier grimpe dans les airs
Et la corde à linge ligature les typhons
Les ressorts du matelas font trampoline
Pour les acariens en mal d’émanation
Les cuivres trompettent dans l’arrière-cuisine
Sur leur journée de récupération
C’est une maison extraordinaire
Conçue de toutes pièces au marché aux puces
Où rien ne se perd, tout se récupère
Où l’on convertit le brut en rénovastuce
Un vieil annuaire devient pot à crayon
La paire de botte héberge les poireaux
On fait des lits dans des vieux bidons
Des colliers de nouilles avec des pneus de vélo
Si cette maison extraordinaire
Avait pour mission de tout raviver
On y mettrait tous les cœurs en civière
Sur des matelas pure laine à ressorts enchâssés
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant depuis cette nuit, il s’ y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé.
Déjà les acariens quittaient le « navire », brûlant la politesse aux rats, aux femmes et aux enfants.
La fin de carrière s’avérait douloureuse. Né avant la première guerre mondiale, il avait gravi les échelons. A cette époque-là, parvenir matelas dans la cabine première classe d’un transatlantique (cousine de l’acarien…mais en plus gros) n’était pas donné à tout le monde de la toile. Et il n’en avait pas profité pour se la couler douce. Ballotant plus d’un scénariste miteux mais sobre et quelques écrivains talentueux mais imbibés, il avait traversé dans tous les sens giratoires le Pacifique en colère et l’ Atlantique (autre cousin un peu plus éloigné de l’acarien…mais en plus volumineux).
Il avait transbahuté l’inspiration vacillante des traceurs de lignes vers la renommée, bien au delà de l’amer des sarcasmes. Henri de Rognon, Berthe Marchepied, ODK pour les intimes, Oscar de Kerguelen, pour les lecteurs de la rubrique des poissons écrasés dans la revue « L’Ancre de tes yeux ».
Tous avaient donné de la balade orientale, du phantasme globuleux qui vous faisait tourner la tête dans la fumée de l’opium et des vaporettos.
Il connaissait tout de la toile cirée qui recouvrait la Terre, la vaste nappemonde. Surtout, celle à carreaux, bien tirée entre l’équateur et les méridiens.
Mais les deux grands conflits allaient torpiller les espoirs de chacun. Les grands ébats des amours furtifs furent écrasés par les petits débats mesquins des haines ancestrales. Chacun voulait s’approprier le plus de surface de matelas avec, si possible, les liasses de billets y étant entassé. Personne ne voulait capitonner et à la fin, il ne restait plus que des carcasses.
Il crut sa dernière heure venue mais la guerre qui, comme on le sait, produit toujours les bonds les plus spectaculaires dans l’avancée des techniques humaines, médicales ou défoliantes, entre autres, lui réserva une surprise.
Un certain August Zeppelin (cousin également, mais pas de la même famille) venait d’inventer le matelas gonflable. Il fut engagé comme expérimentateur, pilote d’essai et d’adoption. Au début, l’usine ne prenait pas de risques. On cabotinait juste au bord des plages. Puis on se lança dans des petits voyages à Bakou.
Enfin arriva la grande période où, en nette concurrence avec les tapis volants, les matelas pneumatiques dominèrent le marché. A peu de frais, on pouvait excursionner d’une rive à l’autre d’un continent, bourlinguer dans les îles avec elles.
D’où la formule publicitaire de l’époque: « Mieux vaut routard que jamais! »
Jusqu’à ce que les cabines étriquées des buildings flottants de ports d’attaches en laisses d’évasions imposent de nouvelles normes de rentabilité lui fermant leurs portes: » Et oui, mon gros, t’es trop gros! »
On devait le démonter quelque part, en Afrique. Au kilo près, comme l’homme en fin de vie, on pèse toujours plus qu’il ne faudrait aux autres.
Il atterrit dans les pattes d’un planificateur d’aller vers l’espoir de ne pas les revoir vivants.
Son unique voyage fut pénible. 5 familles de 1 parent et demi, en moyenne, de 3 à 6 enfants, soit entre 22,5 et 40 passagers au départ….combien à l’arrivée ?
Calais est une ville portuaire, deuxième mondiale pour le trafic des voyageurs. Les installations transmanches, bien que performantes peinent à assurer le transit.
Par temps clair, on y distingue un groupe de bourgeois décharnés auprès duquel tous les affamés de la migration peuvent se faire photographier.
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé…
Tous SES acariens qui s’engouffraient dans le tunnel!
Et les ressorts, qui, bientôt, aussi, allaient le lâcher!
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pur laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie d’un tas de gravats et d’un vélo rouillé. Déjà, ses acariens le quittaient…
Qu’avait-il fait pour mériter ce sort ? Avait-il failli à sa mission, à ses missions ? Il avait un lointain souvenir de son arrivée dans ce magasin spécialisé en literies de luxe. Très rapidement, un jeune couple fusionnel l’avait testé et s’était chatouillé à grands coups d’éclats de rire, sous les yeux hébétés d’un vendeur déjà lassé par son métier. Roméo et Iseut étaient tombés amoureux de son moelleux, de son confort et de ses promesses…
Très vite, il avait été embarqué dans leur camionnette, puis déposé en douceur dans une chambre fraîche et lumineuse. Roméo l’avait habillé de draps colorés qui sentaient la lavande. Le couple l’avait étrenné par une nuit entrecoupée d’étreintes passionnées, et de câlins ensommeillés. Le matin avait accueilli un petit déjeuner savoureux, laissant des miettes de croissant en souvenir.
Les nuits s’étaient succédées farouches, calmes, amoureuses, distantes, fatiguées. Les siestes d’Iseut s’étaient faites plus régulières. Son ventre s’arrondissait. Il réussissait parfois à travers ses ressorts à sentir les coups de pied du bébé. Il aimait particulièrement ces moments de pause où Roméo parlait et chantait contre le ventre d’Iseut. Il s’efforçait d’enrober le couple de tout le moelleux dont il était capable.
Puis la grande nuit était arrivée, un vent de panique et d’excitation l’avait saisi quand il avait perçu les plaintes d’Iseut. Roméo avait réagi très vite… Le silence s’était installé. Plus personne, seul dans cette chambre, empli d’un sentiment d’isolement, il avait attendu patiemment le retour de ses tourtereaux. Roméo était rentré, parfumé à l’odeur du tabac froid, il était tombé sur le lit tout habillé. Les nuits qui avaient suivi étaient décousues. Il recevait Roméo épuisé, lourd de fatigue.
Puis Iseut était de retour, accompagnée de Gabriel, leur chérubin. Quel plaisir d’accueillir ces trois corps gonflés d’amour! Sa mission était claire, son objectif précis, le sommeil devait être léger, aérien, malgré des réveils nocturnes fréquents ! Il se montrait donc accueillant, rassurant, apaisé et apaisant.
Gabriel grandissait, ses mouvements se faisaient plus marqués, il prenait du poids et gigotait !
Il se souvenait d’une période joyeuse, de musiques en berceuses à l’odeur douce du bébé qui sort du bain.
Puis, plus rien…
L’absence, le silence plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois, un vertige…
Le téléphone qui sonne, sans réponse, la porte, les fenêtres, les volets auxquels on frappe, toujours sans réponse…
La porte qui s’ouvre enfin sur des pas qu’il ne reconnaît pas, des mouvements, des bruits, des voix inconnues…
Des bras qui le soulèvent brusquement et le balancent brutalement dans un véhicule.
Puis… le fourré…
Eh toi là, matelas !
C’est ainsi que je fus interpellé alors que je gisais dans un fossé où un malotru brutal m’avait balancé la veille sans ménagement au vu de l’état de déliquescence dans lequel je me trouvais déjà.
J’aurais préféré finir dans une déchetterie où les nouvelles manières écologiques m’auraient traité avec un peu plus de respect dû d’abord à mon âge, ensuite aux bons et loyaux services que j’avais fournis toute ma vie à ma chère maîtresse.
J’avais bien essayé de me tirer de cette mauvaise posture pour aller me cacher un peu plus loin dans les bois où je pouvais espérer une mort douce et tranquille, couché sur la mousse la tête sur un oreiller de fougères. Hélas, je n’avais plus le moindre ressort pouvant m’aider à ramper la distance qui me mènerait en ce lieu où le repos éternel m’aurait bien convenu.
Comme il était vrai ce vieil adage : « la vieillesse est un naufrage ». J’avais vécu avec beaucoup de chagrin la lente dégradation de l’état de ma chère maîtresse, et voilà que mon tour était venu, que mon sort de vieillard s’avérait bien pire que le sien. Elle avait eu de belles obsèques, son neveu avait soigné la cérémonie, de belles fleurs, une musique émouvante, un cercueil en chêne aux poignées rutilantes… beaucoup d’argent gaspillé tout de même si l’on pense qu’elle se retrouva malgré tout ce décorum en cendres dans une chic potiche émaillée.
Évidemment étant donné l’héritage qui lui tombait du ciel il eût été indécent que le neveu lésinât, après tout se dit-il c’est la dernière fois de sa vie que cette adorable tante Éléonore fait des frais. Il s’empressa de mettre en vente sa maison et de la faire débarrasser par une entreprise spécialisée.
Celle-ci fit le tri des meubles, des tableaux et de la vaisselle, mais pour ce qui était du linge ou de la literie, estimant que ça ne valait plus rien, tout partit à la décharge. Il ne restait plus que moi, pauvre vieux matelas, aplati, usé, tâché, jauni, bosselé aux coutures, déformé par tant d’années de service, j’étais irrécupérable et devais avoir l’air si dégoûtant que l’on ne fit pas d’autre effort pour se débarrasser de moi que de me verser dans un fossé.
Pourtant qu’est-ce que j’étais beau quand j’étais jeune ! Une solide toile rayée gris et blanc cousue main, des ressorts souples et fermes à la fois, bourré de la plus pure laine mérinos, peignée et repeignée autant que nécessaire, ceci attesté par l’étiquette Woolmark qui lui ajoutait un supplément de prix. Fier et sûr de moi grâce à ma belle allure, j’étais certain de faire le bonheur des nuits de celui ou celle qui allait m’acquérir. Pourvu seulement que l’on me posât sur un sommier digne de ce nom, ainsi amis et ressorts contre ressorts, notre propriétaire jouirait de nuits paradisiaques.
Et ce fut Mademoiselle Éléonore qui me fit livrer dans sa chambre. Elle n’était déjà plus très jeune, mais à ma vue, elle ne put s’empêcher comme une gamine de grimper sur le lit et de sauter pour m’essayer comme si j’étais une trampoline. Cela ne me vexa point ni ne me pesa, elle était légère comme une plume, de la même famille que celles qui garnissaient déjà son oreiller brodé.
Une vie je vécus avec elle. Nous avons pris de l’âge tous les deux ensemble, bien sûr je devins peu à peu moins confortable mais elle m’aimait tellement qu’il ne lui serait jamais venu à l’idée de se séparer de moi. Je la connaissais si bien. Je savais tout d’elle. Sur quel côté elle préférait dormir, si elle aimait mieux s’endormir sur le dos, les pieds surélevés ou bien en chien de fusil, jamais sur le ventre : elle avait gardé de mauvais souvenirs de cette posture que jadis on lui imposait maillotée dans son berceau de bébé. Je peux même vous dire qu’elle avait le sommeil si léger que je prenais d’infinies précautions pour surtout ne jamais laisser échapper le moindre grincement. Pleine d’attention et sourcilleuse sur l’hygiène, elle demandait deux ou trois fois par an à son aide ménagère de me retourner et même de me battre. Cela me soulageait et me redonnait de la fraîcheur, mais elle, il lui fallait bien quelques nuits pour y refaire son creux.
Ce que j’aimais par-dessus tout avec elle et qui était mon bonheur de nuit, c’était le moment où elle allumait sa lampe de chevet, ajoutait un deuxième oreiller pour garder le dos droit, se glissait dans son lit vêtue de sa chemise de nuit en satin coton fleurettes après avoir jeté en l’air en riant ses petites pantoufles. Là, je me retrouvais comme un gosse, bouche bée et toutes oreilles, elle ouvrait son livre à la page marquée d’un signet et reprenait l’histoire où elle s’était arrêtée la veille. Avec elle j’en ai fait des voyages ! Elle n’aimait pas beaucoup les romans d’amour qu’elle trouvait répétitifs, alors nous nous délections tout deux de ces vies de grands aventuriers découvrant l’Égypte, la Mésopotamie, l’Afrique, l’Amérique, à pied, à chameau, en bateau, en Citroën avec la Croisière Jaune, nous sommes même allés ensemble jusqu’au Tibet interdit en suivant les traces d’Alexandra David Néel.
Après une vie si riche, vous comprendrez mon désespoir à la pensée de finir d’une manière aussi honteuse et dégradante. Comme elle me manquait Mademoiselle Éléonore. J’en ai pleuré, pleuré.
Et voilà qu’agonisant dans mon fossé j’entendis soudain du raffut. Un homme dépenaillé, vaguement éméché, approcha. Il se pencha vers moi, m’agrippa par un coin, me tira hors du fossé et tout en zigzaguant me traîna à l’abri sous les arbres. Il grogna « tiens, pas trop pourri encore celui-là, de quoi passer au moins une bonne nuit.» Il s’affala si lourdement que ma toile si fragile par endroit se déchira d’une longue fente. « Qu’est-ce que c’est que ça dit-il ? Ça crisse comme du papier là-dedans »
Il découvrit ce que même moi j’ignorais, pourtant ça aurait dû me gratter parfois, des rouleaux et des rouleaux de billets noués dans des élastiques, et pas n’importe lesquels, des billets verts, des dollars !
Le clochard se mit à rire et à pleurer n’en croyant pas sa bouteille, moi de même, ah je reconnaissais bien là la manière de Mademoiselle Éléonore. Toujours espiègle… quelle fin apaisante elle me donnait, et à lui quel nouvel avenir.
J’aime bien votre texte, tout le monde aimerait avoir une tante Eléonore.
Merci. J’en ai eu plusieurs comme elle mais sans magot.
Finir sa vie de matelas dans un fourré, il ne l’avait jamais imaginé. Lui, le pure laine à mémoire de forme et ressorts enchâssés. Pourtant, depuis cette nuit il s’y trouvait, en compagnie de biens d’autres. Ce mouroir à matelas était désolant. Il contemplait avec curiosité et interrogation ces camarades d’infortune. Ils avaient été mis là dans l’anarchie la plus complète. Certains matelas en mousse se trouvaient affaler sur des matelas en latex, un matelas très épais (au moins 38 cm !) écrasait un matelas de lit d’enfant. Non vraiment ce lieu manquait de dignité et d’organisation. Il se dit que cela ne pouvait pas être la fin, vraiment. Il était mu par un optimisme hors pair que lui avait imprégné celui qui avait imprimé sa forme sur son dos durant ces dix dernières années. Mais à présent, il prenait conscience qu’il avait été bien naïf de croire que la qualité de sa laine et la solidité de ses ressorts dépasseraient les prévisions pragmatiques fixant à dix ans la date fatidique à laquelle le changement de literie s’imposait. Il avait été bien arrogant et présomptueux, S’il avait su, il se serait arrangé pour faire saillir ses ressorts dans l’échine de son maître. Ce qui aurait très probablement accéléré son arrivée ici mais au moins l’aurait quelque peu vengé de cette fin tragique. Cette obsolescence programmée était irrecevable.
L’arrivée d’un énorme camion équipée d’une pince mécanique l’arracha à ses réflexions et lui fit craindre le pire. Le chauffeur actionna alors l’énorme main d’acier qui referma ses doigts sur chacun d’entre eux et les déposa sans ménagement dans la benne à la propreté inexistante ce qui eu pour effet de lui rappeler brièvement mais intensément l’odeur et la douceur incomparables des draps de soie qui l’habillaient encore hier. Le camion les conduisit non loin de là dans une sorte d’entreprôt où ils purent admirer avec fatalité la jeunesse de nouveaux matelas, apprêtés sur leur palette dans leur voile de plastique et qui rejoindraient bientôt les magasins alentours pour le plus grand bonheur des consommateurs. Il lui vint une idée aussi subite que géniale pensa-t-il et qu’il devait impérativement communiquer à ces jeunes frères qui ignoraient tout de leur propre sort. Il en informa d’abord ses frères d’infortune qui, bien plus qu’emballés par cette idée l’aidèrent à la propager. Leur langage échappant aux humains, ils la crièrent dans ce hall pour s’assurer qu’aucun ne quitterait cet endroit ignorant tout de son plan.
Quelques jours plus tard, c’est avec un immense soulagement et le sens du devoir accompli qu’il termina la lecture des gros titres du journal que le chauffeur du camion qui les transportait vers la déchetterie avait laissé tomber derrière lui en sortant de sa cabine. On pouvait en effet y lire :
Stupeur et tremblements dans le monde de la literie.
Des centaines d’usagers agressés et gravement blessés pendant leur sommeil par des ressorts de matelas les retenant prisonniers ou par des milliers d’acariens déclenchant une vague de réactions allergiques sans précédent.
Il en avait vu des formes, des formes qui se déforment sous le plaisir ou la douleur, des attouchements et des accouchements, des formes d’insomnie ou de petit nid, des formes qui dorment ou qui réforment, qui fainéantisent ou qui somatisent. Lui le matelas pure laine avait mauvaise haleine au milieu de ces détritus. Il n’avait plus de ressort, désespéré qu’il était d’avoir été chassé par la norme du King side, mis à la réforme par des maîtres devenu esclave du mètre. Il se retrouvait enchâssé entre un énorme canapé à grosses fleurs et des luminaires filiformes aux bras désarticulés. Les malheureux voisins se racontaient. Le canapé se retrouvait orphelin. Il avait perdu ses coussins germains pour laisser la place au méridien suédois. Les luminaires en tube, dans lequel le néon y trône, commentateur des visages blafards qui dépriment leur métro-dodo entre deux intervilles, avaient quitté le hit parade des éclairages pour que les ambianceurs apportent plus de douceur et plus de rondeur. Le néon avait les boules. Sous le grand orme qui les dominait de ses branches difformes, semblables à ses feuilles la vie de ces objets devenait caduque. Sous la futaie les récriminations s’étaient affutées. Chapeautant un rocking qui n’était guère en chair et qui avait été balancé, un haut de forme pleurait sur ses années folles, sur une époque où l’habit n’était pas uniforme, naguère élégance masculine entre deux guerres.
Mais heureusement pour tous ces objets voilà qu’arrive l’homme providence. Hector, « mal au » dos mais bien secondé, car Remi le Joli-Coeur l’accompagne dans sa quette des objets à recycler. Pour lui rien ne se perd, tout se transforme. Le vélo rouillé donne vie à une balustrade et le canapé s’armature en lit d’enfant. Grâce à ce romanichel qui « vit Thalys » de pays en contrées, les objets retrouvent une seconde vie. Ils sont à nouveau adoptés et ne restent plus sans famille.