349e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
Ce jour-là Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs. Quand ils y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta. Pas elle…
Imaginez une suite bucolique
Chaque exercice est une bataille contre la routine, contre l’endormissement de l’imagination. Un petit combat pour maintenir en vie l’enthousiasme d’imaginer, d’inventer, de créer.
Ce jour-là Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs. Quand ils y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta. Pas elle…
Les lys ressemblaient à des vierges abandonnées dans les pots, leurs têtes renversées au bord du précipice. Ces fleurs lui faisaient songer à elle. A cette erreur qu’elle avait faite il y a dix ans quand elle l’avait épousé. Monsieur Papillon sourirait de toutes ses dents, la bouche large et la joie suspendue à ses canines plus grandes que la moyenne. Voulait-elle une fleur ? Il lui offrirait celle qu’il voulait, en souvenir du bon vieux temps ? Madame Papillon ressentit un élan de pitié pour cet homme, sa joie simple de voir des fleurs un beau matin de juillet. Elle voulait lui dire de faire autre chose que de regarder la beauté. Mais que pouvait faire un homme de sa dernière journée ?
Monsieur Papillon, les mains derrière le dos, se courba et respirer les corolles d’une tulipe violettes. La jardinière, madame Opale vint le voir et le salua avec le respect dû à un maire de village. Ce chef de la communauté, ce bon père de famille ! Dans ce marché baigné de lumière, elle le voyait déjà mort, sa nuque ployée en avant sous le poids de sa grosse tête de membre de la paroisse semblait déjà avoir sa rigidité cadavérique. Le parfum puissant de ce mélange de fleurs, de terre meuble lui donna le tournis. Elle appuya un mouchoir sur son nez. Elle contempla le soleil à son Zénith. Il était déjà en route. Il lui avait promis qu’il serait là à l’heure.
Madame Papillon trouvait une vie future dans les yeux mauves du précepteur de ses enfants. Depuis la première nuit qu’il avait passé ensemble, elle n’imaginait son existence sans la sienne. C’était comme ressentir des échardes se planter dans son ventre, mais la douleur était exquise. La douleur d’une femme amoureuse pour la première fois.
« Ce sont de nouvelles sortes de roses. Des roses bleues, monsieur le maire. On en trouve nulle part ailleurs. Ma fille a travaillé pendant sept ans jusqu’à tomber un beau jour sur la bonne formule. Elle les appelle les roses de chêne, car les racines de ces fleurs deviennent aussi grosses que celles des arbres. Les têtes de ces fleurs sont plus grande encore que des visages de bébé, voyez. Sentez, donc ! C’est à vous chambouler le coeur. Et le parfum. Savez vous que cela vous retourne tout une terre, une plante comme celle-ci. Nous en avons planté partout, elle a une capacité incroyable de destruction des déchets, mêmes les os d’animaux sont dévorées par ces mangeuses insatiables.»
« C’est formidable. Plus d’ordure, ni de mauvaises odeurs en été. Tu entends, ma chérie ? Nous allons pouvoir révolutionner notre petite commune.»
Madame Papillon baissa le large bord de son chapeau pourpre sur le sourire étrange qui s’étalait.
« Elles mangent tout ?»
« Absolument, vous pourriez enterrer une carcasse de vache qu’elle pourrait se dissoudre en une nuit.»
« Plus besoin de cimetière, n’est-ce pas ?» lança sa fille avec un petit sourire. Nos morts atteindraient le paradis par l’ascension de ces roses bleues. Magnifiques !»
Sa mère la rabroua :
« Voyons, Mélisse. C’est ignoble. Tout serait dévoré. Que dirait le Curé ?»
« Cela ferait une économie de place, monsieur le maire.»
Monsieur papillon éclata de rire :
« D’abord les déchets. Nous tenons là un progrès !».
Ce soir, la papillon perdrait ses ailes. Il serait planté sur l’étalage des proies innocentes. Il ne sourirait plus, ne parlerait plus. Aujourd’hui, il offrait ses dernières roses à sa femme.
Les roses perdaient des flocons bleues.
Ses mains tremblaient, mais il lui prit tendrement la main. « Quelle fleur tu veux ?». « On pourrait créer un jardin derrière la maison. Un jardin de roses bleues.
Madame Papillon retrouvait sa joie perdue. Elle embrassa son mari sur la joue :
« Ce serait délicieux toutes ces roses bleues partout.»
Elle voyait déjà s’étaler à perte de vue sur la propriété, des roses comme la forêt. Sous la terres, sous l’odeur de mille rose, Monsieur Papillon et elle libre de voler de ses propres ailes.
« Un Eden bleu.»
Ce jour-là Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs. Quand ils y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta. Pas elle…
En effet, elle fut immédiatement choquée par l’odeur…Habituée au plein air, elle n’était pas spécialement sensible à cet aspect des fleurs, et habituellement, les butinait tranquillement, choisissant souvent les plus belles, les plus colorées, mais ne dédaignant pas pour autant les plus timides, celles qui compensaient leur manque d’éclat par une saveur particulière.
Or, là, dans cet immense hall rempli de fleurs et de monde, c’était intolérable. Des odeurs humaines, de sueur et de parfums synthétiques se mélangeaient grossièrement avec celles des fleurs, elles aussi amplifiées artificiellement pour attirer les badauds, cela donnait une confusion insupportable.
Pendant qu’elle manquait défaillir au milieu de ce chaos, Monsieur virevoltait en faisant le beau auprès de toutes les papillonnes accourues comme lui dans ce décor de rêve. Elles se payaient même le luxe de rivaliser d’élégance avec les plus belles fleurs, et se faisaient admirer des visiteurs les plus difficiles.
Faut-il dire que ce fut la fin d’une longue romance de quelques heures entre Madame et Monsieur? L’une s’éteignant de dégout et de désespoir se laissa gober par une fleur carnivore, l’autre enivré de plaisirs s’éclata sur une vitre dans laquelle il s’admirait, et finit sur le tas de fleurs fanées ramassées chaque matin par le service de la voirie.
Moralité ? A chacun de la trouver !
Ce jour-là Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs. Quand ils y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta. Pas elle, Evilia n’aimait pas ces marchés, les enfants couraient partout entre les dalhias et les roses, elle en avait si peur. Petite, sa mère lui avait raconté de nombreuses histoires sur ces petits humains et leurs filets multicolores. Leur tante Adelise avait fini dans un des leurs. Nous ne l’avions jamais revu.
Hector lui papillonnait de bonheur, toutes ces saveurs, ces couleurs rassemblés dans ce marché. Il aimait ces mélanges olfactifs et butinait chacune de ces belles, ne prêtant aucune attention à sa chère femme qui semblait décidée à lui gâcher cette belle journée.
Soudain, alors que repus notre beau mâle se prélassait sur le pétale grenat d’une rose trémière, il se sentit opprimé, très vite il compris mais trop tard qu’il avait fait les frais de la chasse d’un jeune garçonnet, ravi de cette belle prise.
Evilia qui n’avait cessé de suivre son époux discrètement eut un moment de panique et voulut fuir, échapper à ce sort qu’elle savait irrémédiable. Mais l’amour donne des ailes et très vite notre superbe femelle fonça sur le filet. Elle se cramponna malgré les mouvements causés par la course du petit homme qui voulait s’empressait de montrer son trésor à sa petite amie, tout fier de sa capture.
Arrivé prés de la fillette, le cœur battant il lui montra son beau papillon.
A leur grande surprise les deux enfants virent qu’un autre magnifique spécimen tournait sans cesse autour de leur filet.
Le garçonnet pensa d’abord à attraper aussi cette belle proie. Mais très vite les petits d’homme furent intrigués par le manège incessant de cette étrange bestiole. En effet, ce papillon voletait de leur visage au filet et semblait vouloir leur demander quelque chose. Au bout de quelques minutes assis sous un arbre et devant l’incessant ballet d’Evilia les deux petits complices finirent par comprendre.
Ces deux beaux papillons étaient comme eux des amis inséparables !!
Alors après les avoir observé une dernière fois ils quittèrent le marché toujours suivi de prés d’Evilia et relâchèrent notre pauvre Hector.
Evilia se jeta sur lui et après un dernier battement d’ailes vers ces petits bouts de choux nos deux amoureux regagnèrent leurs champs, loin de la foule.
Attiré par les pétards, il vint s’installer au bord du balcon pour regarder le feu d’artifice se déployer. Des mélodies connues résonnaient au-delà des arbres. A travers les branchages ondulant sous le vent, il aperçut des ombres danser dans la lumière. La fête battait son plein dans l’immeuble d’en face. Le voisin mariait son fils pour la deuxième fois. L’ambiance était brûlante et de sa fenêtre; il entendait les cris des invités chantant le texte qui défilait au bas de l’écran du Kara-okay. Les réjouissances continuèrent pendant une bonne partie de la nuit. Quand le sommeil finit par gagner, il fut bercé par les boum-boum. Il lui sembla virevolter sur des bosses avec ses skis, au rythme de la samba. Il tira un trait jusqu’au matin. Il fut bien détendu en se réveillant, prêt à butiner. A l’instant où il sortit, il rencontra Papi et Mamie sur le palier qui allaient se promener.
Le parking était rempli de voitures, il y en avait jusque sur les trottoirs. Il vit des papillons partout sur les pare-brises. La maréchaussée n’avait pas accepté certains écarts. Des petites notes humides de rosée avaient plu, tôt ce matin.
Il découvrit un Argus à bande noire, à l’abandon sur une vitre ouverte. Cette rencontre le surprit : en cette région, ils se faisaient rares. Il s’attarda à tourner autour à contempler ses couleurs et le sortit de son sommeil.
Ils s’étaient donné le mot tous les trois. Ils partirent dans la même direction, comme tous les ans, rue du Muguet, où le marché aux fleurs étalait ses stands multicolores.
Ils rencontrèrent un noceur à moitié défait, une raquette de tennis à la main, le noeud pape noué en serre-tête et des décalcomanies tatouées sur les bras. Il avait l’air éméché bien qu’il se retînt de le montrer. Il mit son doigt sur la bouche en s’aidant de son coude : » Surtout ! ne le dîtes à personne ! »
Avec deux raquettes, il aurait peut-être pu s’envoler. Mais à vue de nez, il devait être lesté de plus d’un gramme. » Il n’aurait pas pu décoller, pensa-t-il ! Pas assez léger! »
Mamie s’offusqua de le voir zigzaguer.
– Que fait-il avec sa raquette ? dit-elle en se retournant sur sa démarche en piqué.
N’ayant aucune réponse, Papi changea de conversation :
– Il papillonne encore !
– Arrête avec tes jeux de mots ! Je n’ai pas dormi de la nuit à cause de la noce.
Le tennisman résolu se dirigea vers le court de tennis, qu’il avait sans doute repéré la veille. Ils le suivirent des yeux.
– Il va se prendre dans le filet, dit Papi en rigolant.
Ils arrivèrent enfin au coin de la rue des Halles Municipales. Ils échangèrent quelques mots en prenant leur billet d’entrée. Ils franchirent le pas, et là, un spectacle les ravit tous les trois, enfin presque !
Elles s’étaient aussi donné le mot pour admirer les étalages : il y avait Hortense, Circé, Capucine, Rose et Violette qui devisaient dans leur vocabulaire imagé en évoquant de leur mains le sujet de leurs soucis. Ils s’acheminèrent vers ce petit groupe de fleurs, sauf Papi qui découvrit Marjolaine un peu à l’écart avec qui il prit un peu de son temps.
Quand il revint vers Mamie, elle était rouge comme une pivoine, mais elle n’osa pas lui servir une tisane de sa conception. Elle se contenta de poursuivre la conversation en le gardant au coin de l’oeil. C’est alors que Papi aperçut sa petite fille Lila qui courut vers lui, en lui tendant les bras et en criant :
– Papi lion ! Papi lion !
Et le papillon partit parmi les fleurs en compagnie de son Argus à bande noire.
Monsieur papillon croyait depuis toujours qu’il était une fleur. Chaque matin, au soleil, il se déployait, et chaque soir, en quatre, se repliait. Mais sur sa tige, il restait fiché toute la journée.
Parfois des fleurs, semblables à lui, venaient, pétale à pétale, le cajoler, puis elles repartaient. Il les appelait « les fleurs volantes »
Lui-même, les jours de brise, se sentait comme « pousser des ailes » prêt à se détacher. Mais il lui suffisait de se refermer pour éviter de s’envoler.
Voilà comment il se retrouva au marché aux fleurs. Il fit la connaissance de Madame Pissenlit, qui, depuis qu’elle était montée en graine, se prenait pour un oiseau.
Ce jour-là Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs. Quand ils y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta. Pas elle… elle était de fort mauvaise humeur et ne s’en remttait pas de ne plus être chenille. Il avait beau lui dire que la chenille devient papillon comme le cochon devient saucisson,que c’est une grande loi de la nature.
Soudain, les cloches de toutes les églises se mirent à sonner pour annoncer que le pape était mort et qu’un nouveau pape sera appelé araignée. Quel drôle de nom se dit monsieur papillon, pourquoi pas libellule ou papillon. Tiens où était passée Madame Papillon ? Comme il était volage,à tire d’aile, il s’envola plus loin et soudain il aperçut au pied d’un arbre une colonie d’araignées. Il éclata de rire si fort que toutes s’enfuirent, sauf une.Ils se toisèrent, se mesurèrent et mirage de l’amour ils s’aimèrent.
Depuis ils vivent en concubinage ; Monsieur Papillon lui a appris à aimer le pollen des fleurs…..
VII
Ce jour-là Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs. Quand ils y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta. Pas elle…
Les fenêtres étaient grandes ouvertes. Un souffle léger faisait danser les fleurs écarlates et les feuilles vernissées de l’arbre à voyageur. Il entra très discrètement et pourtant, toutes les têtes des participants pivotèrent en un arc harmonieux.
Le conférencier se tut un instant, stupéfait par cette réaction. Avait-il énoncé une incongruité ? Avait-il inversé l’ordre de ses mots, l’ordre de ses phrases, l’ordre de ses idées ? Cela lui parut invraisemblable car ses notes étaient précises et structurées.
Le silence se prolongea, de secondes en minutes. Le monde s’était figé. Il lui fallait réagir vite. Capter l’intérêt avant qu’il ne disparaisse. Capter, oui, mais comment ? Sous quel registre?
Sévérité : trop scolaire.
Humour : les enjeux étaient trop sérieux.
Ironie : sa réputation prendrait un coup dans l’aile.
Dérision : la planète ne s’en remettrait jamais.
Il leva les yeux vers le plafond aux poutres apparentes et l’inspiration lui vint en même temps qu’il découvrit l’origine de cet instant étrange. Un Flambé !
Il toussota, ajusta ses lunettes et se lança…
« Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »
A ces mots, l’humeur de Monsieur Papillon grimpa au maximum de sa cote de joie. Tout à coup, sa vie lui sembla doublement agréable.
Primo : le monde scientifique parlait de lui ;
Secundo : son épouse avait accepté de l’accompagner au marché aux fleurs.
Tout en papillonnant, il s’offrit le luxe d’y ajouter un tertio : il aurait de quoi lui faire la conversation. Il lui étalerait sa culture telle de la confiture de mangue sur une tranche de papaye. Il lui ferait miroiter des situations paradisiaques qui engendreraient des rebondissements en cascade. Même Arcimboldo, Raphaël ou Botticelli n’en avaient peints de plus poétiques…
Soudain, un vent de panique le submergea, tel un océan de vagues non pacifiques.
« Et si… ? »
Son esprit s’affola en imaginant que les œufs auraient été pondus ailleurs, qu’un pic-vert les aurait dégustés en en-cas, qu’une pluie torrentielle aurait tout balayé vers l’Océan, qu’un incendie aurait ravagé la forêt, ou que l’homme vende son âme au diable pour …Mais au moins…un seul résisterait…
Ses pulsations cardiaques atteignirent des sommets vertigineux lorsqu’il pensa aux chenilles se trémoussant pour éviter les mille périls et mille écueils des pesticides, insecticides et autres tueries en cides…Mais au moins, une s’en échapperait….
Sa respiration devint haletante, en symbiose avec les déchirement internes. Bientôt la chrysalide serait assez forte….mais il ne faudrait pas que….
Mais tout s’était bien passé. La chrysalide s’était transformée en un papillon superbe…
Lui ! Un Flambé dans toute sa splendeur.
Lui et le retour au présent.
Lui et Madame Papillon qui l’accompagnait au marché aux fleurs.
Monsieur Papillon exultait. Il allait enfin connaître la gloire !
Madame Papillon fit la moue lorsqu’elle vit une main s’emparer de son époux et l’épingler sur son tableau en murmurant :
« Voilà, j’ai trouvé un bel exercice d’écriture pour cette semaine… »
Ce jour-là, Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs. Quand ils y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta. Pas elle…
« Il Signore Farfalla e la Donna Libellula…. »
Il ne cessait de tourner et retourner le bristol d’invitation et se pavanait :
– Libellula, nous sommes invités au Marché aux Fleurs sur le Rialto ! Quel honneur, mais quel honneur ! Tu imagines, nous saluerons les plus Belles de la Sérénissime ! La sublime Belladonna, la divine Jasmine, l’adorable Camélia, la délicate Frangipane, l’irrésistible Rose Jaune nous honoreront de leur présence…
Les ailes déployées, la taille cambrée, Libellula boudait. Ses yeux bleus soulignés d’un trait noir jetaient des éclairs.
– Ma… tu es la plou zolie de toutes…lui susurra-t-il. Les feux de tous les regards tomberont sur toi et rayonneront en nappe d’argent…
– Et pendant que je serai éblouie, tu en profiteras pour papillonner ! murmura-t-elle en se dirigeant vers son jardin secret.
C’est alors qu’une idée audacieuse titilla son labium. Tout à coup enjôleuse, elle revint sur ses pas et minauda :
– D’accord, je t’accompagne, mais à une condition….
– Tout ce que tu voudras, Bellissima !
– Tu peux te parer de tes plus beaux atours de roi des papillons, tu pourras te promener où tu le désires, tu pourras humer, effleurer, papillonner, mais …
– Ma… ?s’exclama-t-il de sa voix de ténor.
– Je banderai tes jolis yeux d’un ruban de satin noir, susurra Libellula.
– Je souscris à ta condition, à toutes tes conditions, pourvu que nous allions à la cérémonie des fleurs du Rialto ! Andiamo, Bellissima!
Leur arrivé fit grand bruit ! Les caracoulements, les bourdonnements, les cymbalisations, les stridulations et tous les pizzicati…. cessèrent…
Libellula promena son roi-papillon dans toutes les allées, butinant de-ci, butinant de-là, s’enivrant d’odeurs et de touchers délicats…
– Bien bien, pensa-t-il, Libellula ne se doute de rien. Avec un peu de chance, elle m’emmènera auprès de ma belle amante…
Il signore Farfalla contenait avec peine sa jubilation lorsque les senteurs se firent plus suaves, plus capiteuses, plus orientales….
– Libellula, tu es une sorcière, une sorcière enchanteresse, tu me fais découvrir des trésors oubliés…
– Là…. approche, hume, aspire l’essence de la vie…lui dit-elle, en le guidant au-dessus d’une corolle pourpre…
D’un claquement sec, la fatale Dionaé ne fit qu’une bouchée du signore Farfalla.
– Oh, s’exclama Libellula…. mon pauvre petit mari….tandis que son regard éploré se posa sur une rose jaune qui écrasa une furtiva lagrima.
– Ah, c’est donc elle, pensa Libellula.
Criant silencieusement vengeance, elle s’empara d’une gerbe de lys qu’elle offrit à l’amante de Farfalla. L’hommage au destin funeste sournoisement rendu, Libellula s’en alla en chantant :
Le roi a fait battre tambour
Pour voir toutes ses dames
Et la première qu’il a vue
Lui a ravi son âme
La reine a fait faire un bouquet
De belles fleurs de lys
Et la senteur de ce bouquet
A fait mourir marquise.
© Clémence.
Lui adorait se plonger dans cette profusion de couleurs et de parfums. Cet endroit qu’il aimait par dessus tout fréquenter avait le pouvoir de le plonger hors du temps. Ou plutôt dans un autre temps, celui de son enfance, quand il courait au printemps entre les rangs de fleurs que sa grand-mère faisaient pousser et qui scintillaient sous le soleil des dimanches qu’il y passait avec ses cousins. Son nom lui sciait à merveille, il aimait avoir ce nom de famille qui lui collait véritablement à la peau, à ses ailes d’ enfant rêveur qu’il n’avait jamais cessé d’être.
Absorbé par tous ces sens ouverts à ce marché il ne vit pas son épouse devenir blême.
Elle, elle ne partageait pas son histoire. Pas celle de son enfance bien sûr. Elle en avait écrit une autre les années précédents sa rencontre avec M. Papillon. Et cette histoire était restée son secret. Elle avait failli épouser un autre homme, il y a bien longtemps, qu’elle avait laissé au pied de l’autel, tenant dans sa main un bouquet de fleurs blanches, les mêmes que celles sur lesquelles son regard se posa en entrant dans ce marché. Ce bouquet était identique à celui qu’elle serrait alors et qu’elle garda jusqu’au bout de sa course folle pour échapper à un mariage dont elle ne voulait pas. Pourquoi son passé la rattrapait-elle en cet instant alors qu’elle avait tout fait pour s’en éloigner, pour l’oublier.
Ce jour-là Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs. Quand ils y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta.
Une fleur parmi les fleurs.
Une fille superbe et souriante qui préparait des bouquets magnifiques.
Auguste Papillon avait le sentiment de revenir au temps de sa jeunesse folle, et il s’apprêtait à foncer vers l’étal de la jeune personne comme s’il avait été attiré par un aimant.
– Isabelle, ma chérie, je vais t’offrir un beau bouquet de fleurs, dit-il à sa femme.
– Si tu fais ça… cracha-t-elle.
Il resta figé deux secondes, comme s’il avait été mordu par une vipère.
Le coup était rude pour le proviseur du Lycée Papillon, réputé pour sa sévérité impitoyable.
Un autre aspect de cet homme, moins connu des élèves, n’avait pas échappé à certains professeurs, et encore moins à certaines (les hommes sont presque toujours aveugles à ce genre de choses), c’est la façon dont il était traité par sa femme à la maison. Sévère, mais injuste.
Les plus jolies profs savaient tirer un profit personnel de cette situation. Par exemple les bonnes classes et des emplois du temps sur mesure, d’où la jalousie des plus anciennes (les hommes s’accommodent plus facilement de cette situation), et une ambiance détestable parmi les profs.
Jusqu’à présent, Monsieur Papillon avait su maintenir une séparation stricte entre sa vie professionnelle et sa vie privée, mais Isabelle avait réussi à placer une (vieille) taupe dans l’établissement. Elle pouvait enfin connaître tous les ragots qui circulaient au sujet de son mari, et en particulier son indulgence pour les jolies femmes.
Et voila qu’il se jette maintenant sur la première catin venue sous prétexte d’offrir des fleurs à son épouse. Elle ne regrettait pas de l’avoir accompagné, ni de lui avoir exprimé sa façon de penser.
Auguste a mis un certain temps à réaliser ce qui lui arrivait, et il s’est promis de se venger de cette vieille carne. Et pas seulement sur les élèves. Comment avait-il pu se douter qu’elle deviendrait la mégère qu’elle est aujourd’hui ?
– Votre mari ne se sent pas bien ?
La douce voix de la fleuriste était du miel pour Auguste Papillon.
– Vous vous mêlez de quoi ? fait une voix sifflante.
– Vous préférez sans doute qu’il offre ces fleurs à sa maîtresse, fait une voix mielleuse.
– Ah ! Le salaud ! Il a une maîtresse !
– Pas encore, mais ça ne saurait tarder. J’ai tout à y gagner, vous savez. Ce joli bouquet, c’est 20 euros.
Auguste Papillon en profita pour s’envoler.
Quelle plaie de s’appeler Papillon ! Tout petit il en avait souffert. Un nœud à l’estomac permanent. Tous les sobriquets plus bêtes les uns que les autres étaient pour lui : papipi, yonyonyon, papamobil, Oum’papa, papa Schultz, fils de bagnard … il avait eu droit a toutes les déclinaisons. Il avait vite compris qu’un nom prêtant a la plaisanterie vous collait a la peau même si vous l’aviez dure.
Il ruminait et se rongeait le foie plus sûrement qu’à coup de petits verres de gnôle quand il se penchait sur sa scolarité, puis sur la carrière qui s’en était suivie.
Apres avoir décroché son certif, il avait réussi le concours de Sergent de Ville. Sa carrière en uniforme et képi bleu marine débuta dans la rue à la circulation en même temps que durant les années cinquante le vélo et la marche à pieds se trouvèrent délaissés au profit des Dauphines et autres 2 ou 4 CV. Les Titines commençaient a se multiplier comme des petits pains pour cause de congés payés et de facilités de crédit.
Très sérieux dans son travail, affecté au stationnement, eh oui, déjà réglementé, apparition sournoise des premiers parcmètres promise à un bel avenir … Alors lui, Monsieur Papillon, bien obligé d’en distribuer, faisait son devoir consciencieusement. Il les rédigeait nickel de sa belle écriture ronde et claire qui lui avait valu des points au certif.
Il les glissait avec grand soin sur les parebrises en faisant bien attention de ne pas abîmer les précieux essuie-glaces, comment aurait-il pu accomplir sa tâche sans eux ?
Ca lui faisait de la peine d’aligner les petites gens, chauffeurs néophytes et innocents qui ne pouvaient pas user des passe-droits des huiles de la ville, sans relations haut-placées propre à les faire « sauter » ces papillons. Pour en épargner le plus possible, il passait le plus clair de sa journée a rédiger avec un petit sourire en coin ses plus belles lourdes contredanses et les déposait avec un air détaché mais impérial sur les DS, les Versailles, les Vedettes, les Tractions 15, bref à toute voiture dépassant les 5 CV.
Et puis un jour alors qu’il approchait de la cinquantaine apparurent les Aubergines, rebaptisées quelques années plus tard Pervenches, sans doute pour faire avaler plus facilement les douloureuses. Revêches, entêtées, menaçantes, carnet à souche tout neuf, pointe Bic agressive … des arpenteuses de trottoirs qu’il disait.
Lui, ses papillons, il les établissait au plus bas du barème pour les autos populaires, la plupart les acceptait et se résignait se disant que ca leur servirait de leçon pour la prochaine fois. Mais elles: pas de quartier.
Aussi fut-il très regretté des pauvres pécheurs lorsqu’il se retrouva dans un bureau, avec une belle promotion qui lui fit passer la pilule. Et puis tant mieux, après tout ce n’était pas une punition, la rue il en avait eu son compte et en gardait de belles varices.
Plus détendu il retrouvait la gaieté, l’agrément d’une belle sortie à proposer à sa fidèle Josette. Ce dimanche, il l’avait persuadée de l’accompagner au marché aux fleurs, il y avait parait-il une magnifique exposition de papillons venus de tous pays, des communs, des exotiques, de nuit, de jour, des rarissimes ! Des couleurs, des ailes, des antennes si étranges, si variées, a vous tourner la tête.
-T’as vu Josette comme c’est beau ?
-Ouais, dit-elle, mais moi tu sais, le papillon, j’ai vécu avec, j’en ai connu un tout jeune, maigrichon, efflanqué même, mais baratineur et plein de promesses et puis petit a petit, je me suis retrouvée avec un gros ventru à lunettes, déplumé, adieu les belles antennes et les ailes de l’espoir …
Pour lui casser le moral, elle était un peu là, Josette. Déçu et tristounet, elle, amère, il lui dit : – Ben alors y’a plus qu’à rentrer à la maison, ce qu’elle ne se fit pas dire deux fois.
Il monta direct dans le grenier retrouver son coin de solitude. Assis sur le reps décoloré du vieux canapé, il soupira plusieurs fois puis sourit d’aise en contemplant le mur. Il y voyait toute sa vie, et celle de bien d’autres, dans des cadres sous verre, et des cadres et encore des cadres. Le mur en était aussi tapissé qu’une chapelle peut l’être d’ex-voto.
Il repassait pour la millième fois la généalogie de sa famille Papillon. Certes, il ne remontait pas jusqu’au jurassique inférieur mais pour lui c’était tout comme : ancêtres, aïeux, anciens, comme vous voudrez, tous, ils étaient tous la.
Quelle fierté de savoir que le prochain Papillon épinglé, CE SERAIT LUI ! après tout s’il y en avait UN qui avait travaillé toute sa vie pour la famille, c’était bien LUI.
Papillon Papillonnette
marché aux fleurs vont visiter
d’une allure guillerette
Dessus dessous ailes enlacées
Arrivent en pleine animation
Parc fleuri : Un rêve éveillé.
Sans cacher leur excitation
Ne cessent de s’émerveiller
Les fleurs sentent… elles embaument
les calices exhalent leurs nectars
Parmi cette féérie d’arômes
Papillonnette suit son radar
Elle s’approche timidement
elle ne peut longtemps résister
D’un battement d’ailes en avant
S’approche encore. Elle est tout près.
Quelle splendeur ! Que de variété !
Ces fleurs sont un cruel tourment,
Épanouies pour proposer
leurs chatoiements au plus offrant
Chaque belle ouvre sa corolle
et invite à mieux succomber
aux sucs dégoulinants qui collent
le bord de ses lèvres ourlées
Tiges fines d’un vert si frais
feuilles au bord du puits des délices
Elle résiste mal au supplice
de la fontaine de jus sucré
Elle pose en s’excusant presque
A la source des friandises
sur une feuille ses pattes lestes
hume ravie la manne exquise
Glisse et puis se retient, prend peur,
saoule encore du doux poison,
se sent happée à l’intérieur
de cet entonnoir du démon
Hélas le piège se révèle
un dernier hoquet, avalée.
La plante fourbe se dévoile
Elle n’était pas celle qu’on croyait
Sieur Papillon est médusé
Sa bien aimée a disparu
Faute à une adresse mal notée
Pauvret s’était trompé de rue
Car se tenait non loin de là
Une foire aux fleurs carnivores.
Tout ce qui brille n’est pas or
Papillon ne le savait pas
A peine eut-elle franchi la grande porte de la halle, Guillemette Papillon comprit qu’elle s’était fortement trompée sur les soi-disant bonnes intentions de son mari. C’est qu’il avait l’art et la manière de la baratiner, son Léon. Et elle de se faire avoir, comme toujours, depuis le temps… si longtemps…
Oubliant de compter leurs années de mariage, elle préféra mettre son énergie à garder son calme. Il faisait déjà chaud en ce beau samedi d’août, mais à cette heure encore matinale, les clients venus remplir paniers et caddies, vaquaient tranquillement entre les étals colorés. On était à la pleine saison des beaux fruits gorgés de soleil, les fromages sentaient bon l’alpage et les poulets tournoyant sur leur broche invitaient à de joyeux pique-nique au bord du lac. Même le poissonnier avait des allures de marin breton. Chaque visage reflétait une sorte de béatitude estivale : on aurait dit que tout le monde avait décidé d’être irrémédiablement heureux, malgré la politique, les feuilles qui finiraient par tomber, les jours raccourcissant et la loi travail en instance… Une sorte d’amnésie générale, une méga bouffée de farniente.
Quant à l’idée du marché aux fleurs, Guillemette aurait dû se méfier : on n’était plus à la saison des semis, et ce n’était pas non plus son anniversaire.
Si Léon avait disparu de sa vue, elle savait qu’il traînait dans le coin. « Son territoire » dont il connaissait parfaitement toutes les allées, tous les chemins. Soudain, elle le vit grimper sur le stand pavoisé aux couleurs de France bleue Savoie d’où jouait une musique flonflonesque, ponctuée d’infos locales et d’annonces publicitaires, invitant le chaland à s’approvisionner largement dans ce temple de la bouffe.
C’aurait pourtant pu être un chouette moment, tous les deux : Guillemette aurait proposé des côtelettes pour midi et acheté un morceau de tome de chèvre ; Léon se serait chargé du pain frais et ajouté deux belles parts de clafoutis. Un bouquet peut-être. Pour finir, ils se seraient laissé tenter par un côtes-du-Rhône rosé, avant d’aller prendre un café en terrasse, à l’ombre d’un parasol Martini.
Guillemette posa son sac de légumes entre les éventaires du quincailler et de la marchande de nappes plastiques. Léon venait de s’approprier le micro que lui tendait une pseudo-journaliste en quête de révélations croustillantes :
– Bonjour monsieur Papillon… Nous sommes heureux de vous accueillir ! Dites-nous un peu ce que vous êtes venu faire ici (est-ce que quelqu’un pouvait se poser la question, pensa Guillemette, vu le lieu ?! Mais on n’était pas à ça près pour capter les attentions distraites !)
– Bonjour mademoiselle… M’ssieurs, dames !…
Ca y était, Léon reprenait du service ! Guillemette avait pourtant espéré qu’il se serait calmé, avec le temps et l’ingratitude des médias versatiles. Mais l’attrait pour les sunlights et un goût irrépressible pour la popularité le faisaient toujours rêver. Dopé par la voix de crécelle de la midinette au rire niais, il se voyait déjà parti avec la caravane du Tour de France et s’était mis en danseuse pour attaquer le col du Grand Colombier :
– Eh bien, chère mademoiselle, je suis venu vous parler… non pas de notre magnifique région… N’est-ce pas monsieur ! Vous venez d’où ?… de Paris ! Ah, pas vrai que c’est beau ici ?… donc vous parler, disais-je… de recyclage ! En effet… chacun le sait (Léon montait dans les aigus en se la jouant star planétaire !)… depuis plus vingt ans, je trie mes emballages… et je vous invite à le faire, vous aussi ! Car tout se trie et se recycle… oui madame ! Flacons plastique, verre (surtout non lavés, j’insiste !), boîtes carton, emballages métal : oui, tout, absolument tout vous dis-je !…
Sur cette tirade quasi mystique, et pour tâter de l’effet produit sur son auditoire, il se taisait, d’un coup ; pour reprendre son souffle aussi, qu’il avait un peu court avec l’âge.
Guillemette ne le connaissait que trop bien, et jusqu’à la moindre réplique, le discours de son va-t-en-guerre de mari. Et tous les arguments allant avec pour vanter cette noble occupation qui faisait sa fierté quand il se voyait « en campagne » le soir à la télé ! Sauf qu’aujourd’hui Guillemette n’en avait pas grand-chose à foutre du tri sélectif. Même qu’il lui venait une certaine envie de l’envoyer se faire voir, lui et ses manies de vieux schnock. C’est vrai quoi : est-ce que c’était ça la vie qu’ils s’étaient dits qu’ils auraient ? Une vie bien propre, rangée par couleur de poubelles, avec visites hebdomadaires à la déchetterie où il fallait désormais, pour avoir droit d’y entrer, prouver qu’on était du coin, plaque minéralogique à l’appui !
Léon poursuivait, intarissable :
– Exception faite de la vaisselle, qu’il faut impérativement apporter…
Guillemette tourna les talons et quitta rapidement le marché couvert, devenu étouffant. Léon pouvait bien continuer à débiter son boniment, et rentrer dans deux heures préparer le barbecue et mettre gentiment le couvert : ce qu’il trouverait sur la table de cuisine, c’est un mot où elle avait écrit : « je suis partie recycler ma vie, salut ! »
Bon week-end, Christine
Ce jour-là monsieur et madame « Lépide optèrent » pour le marché aux fleurs plutôt que d’aller faire la chenille ou toute autre attraction en vogue.
En voletant au dessus de toutes ces fleurs, lui faisait le Paon du jour tandis que sa Mégère restait sur son quant à soie. Il ouvrait ses deux grands yeux et lissait ses écailles. Il se sentait bien, comme dans un cocon. Il ne se faisait pas de souci. Il savait que sa capucine allait craquer en butinant le nectar de ces belles marguerites, en se mêlant au gratin, aux huiles de ces tournesol géants, en se joignant avec délice (et avec des lys) aux belles plantes vivaces qui sniffaient de la mélisse, en retrouvant cette « lente Anna » en pleine floraison.
Loin d’être apprivoisée, sa mégère lui jeta des « Anna thèmes », des thèmes écologiques auquel il ne s’attendait pas. Elle faisait sa crise Alide : Pourquoi l’avait-il conduit en ce mont Santo ? Dans cet antre du diable, celle du grand Satan, chez cet herbicide, ce pesticide, ce « parricide la sortie » pour tous les pollinis acteurs. Était-il inconscient ?
Bien sûr le mont Santo était attractif, un piège mielleux. On vous y emmenait dans des « cars en barre ». En arrivant c’était Hollywood, une Côte d’Or emplie de Poulains et de vaches Milka, une Savane exubérante mais dans laquelle le Tropicana, mourut dans d’atroces souffrances mercantiles. Ce mont Santo n’était qu’un miroir aux alouettes, une glace fragile qui cachait une Sibérie dictatoriale, un « gros Miko » qui allait faire fondre la flore et la faune en nous empoisonnant, en zonant notre belle nature.
Non elle n’avait pas peur qu’il la trompe, qu’il butine à droite ou à gauche. Non, elle craignait qu’il se trompe, qu’il se laisse séduire par ce géant mondial, celui qui était pour elle son véritable « pôle haine ».
Ce jour-là, Monsieur Papillon était d’humeur très gaie. Tout lui semblait agréable. Il avait persuadé son épouse de l’accompagner au marché aux fleurs, c’est du moins ce qu’elle croyait. Quand il y entrèrent, le tableau qui s’offrit à leurs yeux l’exalta. Pas elle!
Il faut dire que Philomène était un peu fatiguée par sa longue soirée à regarder jusqu’au bout l’amour est dans le pré. Même qu’elle avait rêvé d’un paysan au troupeau consistant, aux larges bouses.
Ferdinand, lui, s’était couché tôt. Il n’appréciait pas les amours en boîte, il préférait le concret, là où sa trompe ne pouvait l’abuser.
Et c’est pourquoi, ce matin là, il avait choisi d’aller faire un tour au marché aux flirts. Mais pourquoi y emmener Philomène, il avait oublié de se poser la question.
Les bouquets s’étendaient partout. C’était l’ivresse assurée, le grand pied occidental, oriental, l’ouverture des dernières frontières, l’accueil de toutes les migrantes, le grand partage, toutes les essences du monde enfin détaxées.
Philomène elle, bougonnait. Elle ne percevait que des corolles prétentieuses, des nectars frelatés, des pistils rococo.
Alors que Ferdinand se penchait sur une belle exotique pour lui renifler le pédoncule, Philomène s’enflamma: » Ah non, Ferdinand, on avait dit, juste les fleurs du jardin, éventuellement les géraniums du balcon ».
Il se recula, grommela: Ouaih…si j’insiste, elle va encore me faire une crise, comme la semaine passée, quand j’ai été, innocemment, me vautrer dans le Buddleia:
« Mais chérie….c’est la Nature! »
« M’en fous…je la connais TA nature, si je te laisse faire, dans 1 heure, tu feras la chenille avec toutes les papipoules du quartier…allez, on rentre! »
Ferdinand jugea qu’il était préférable de lépidobtempérer.
Maladroit, il avait tenté sa chance, mais il valait mieux se soumettre.
Tout ça pour une vie éphémère et pépère.
« minute, Papillon ! Ca, Ferdinand l’entend plus souvent qu’à son tour. Alors quand c’est à Philomène d’y passer il compte soigneusement 60 secondes, pas une de plus, et hop vole vers une jeunette papillonne comme le faux soumis qu’il est.
Des fleurs à droite, des brassées de feuillages à gauche, des forêts de marguerites, tout un pré de couleurs s’étend devant eux, bercé d’une brise d’odeurs chauffées par l’été. Monsieur Papillon, un beau mercure commence à voleter, passant des roses, aux chèvrefeuilles, il s’aventure dans les bleuets, caresse rapidement les brosses irritantes des épis de blé. Madame Papillon crie derrière lui » attends, attends moi… ne va pas si vite … on avait dit quelques fleurs juste pour essayer … » il n’est pas seul tous les voisins sont la à battre des ailes autour de jolies papillonnettes. Madame Papillon tente de le suivre. Elle est plus petite et moins entraînée que lui, elle voudrait le calmer mais rien n’y fait. Il plonge ses antennes entre les pétales, papillonne d’une corolle à l’autre, vagabonde dans les grappes mauves des glycines, qui pendent déshydratées au bord d’un seau. Elle crie » arrête, attends moi, reviens reviens ce n’est plus de ton âge, tu vas prendre une attaque …. »
Une jolie Papillonnette la frôle de ses ailes poudrées . » alors Madame, on contrôle son époux. Il n’a pas le droit de s’amuser. Regardez le, quelle énergie, on dirait même qu’il rajeunit. Allez, lâchez prise, prenez votre envol, faites des folies ! Voyez comme il virevolte, voltige, caracole, danse dans les fleurs. Le bonheur. La joie de vivre… demain ? Ah oui demain ? vivre aujourd’hui … demain on verra bien … »
La bas au bord d’un étalage de pois de senteurs, saoulé des couleurs pastels il fait la cour à une jeune blonde. Alors Madame Papillon agrippe les ailes d’un jeune Papillon et s’envole. A hauteur des pavots elle sent ses joues s’enfievrer. Elle ne sait plus s’arrêter et entraîne son cavalier dans une ronde effrénée. La tête lui tourne, son compagnon l’emmène à l’ombre et lui conseille de s’abreuver. Les vapeurs âcres des valérianes la ramènent à la raison. Elle reprend son souffle et s’endort quelques instants à l’ombre d’un pommier. A son réveil, elle part à la recherche de son mari et découvre Monsieur Papillon, allongé plus loin, inanimé. De jeunes secouristes essaient vainement de le réveiller. Rien n’y fait. Il lui faudra quelques jours pour qu’il reprenne ses esprits et de l’aventure il ne garda aucun souvenir si ce n’est un dégoût opiniâtre pour tout marche aux fleurs. Jamais plus il n’accompagnera Madame acheter quelque bouquet.