428e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
À chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient elle criait ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils…
À chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient elle criait ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils…
A chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient elle criait ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils…
Le chat, assis sur le muret, regardait Louise, le balai à la main et le chignon en cavale.
– Je cours tout le temps ! Je cours du matin au soir et du soir au matin, je cours du lundi au samedi… je cours, comme le Lapin d’Alice. Et justement, Alice, tu ne devineras jamais ce qui lui est arrivé ! Tu sais, Alice, notre ancienne voisine, si, si, la jolie blonde aux yeux bleus ? Non ? Vraiment ? Tu ne te souviens pas ?
Le chat cligna des yeux.
– Elle habitait cette maison où la porte criait aïe et ouille…Ah, je vois que cela te parle… Comment ça, rien qu’un peu ?
Louise déposa son balai contre la vieille table et s’assit à côté du chat.
– Voilà…Tu te souviens ? A chaque que fois qu’Alice et son Jérémie ouvraient la porte, elle criait « aïe », et à chaque fois qu’ils la fermaient, elle criait « ouille ». Au début, ils trouvaient cela amusant, puis, au fil des mois, cela commença à leur taper sur le système. Ils tentèrent tous les trucs et astuces : huiles diverses, poudre de carbone ou de perlimpinpin. La rengaine continuait. Ils firent venir un serrurier qui changea la serrure et les gonds. La porte continuait de couiner.
Je les entends encore ! Alice hurler : Faut que ça cesse » et Jérémie lui répondre « Sois patiente ! Je trouverai… »
La chat remua doucement ses oreilles.
– Tu veux savoir, hein, mon matou ! Jérémie s’activa, il plongea tête baissée dans les affaires, n’écartant aucune magouille. Et l’argent rentra à flot. Je l’entends encore, le Jérémie ! Il rentra un midi, un peu éméché. Sa voix portait fort. Alors, j’ai tout entendu ! Il venait d’acheter un joli petit mas dans la pinède, le jardin se terminant sur la plage. Et j’entends encore Alice s’enquérir :
– Et la maison ? On en fait quoi ?
– J’en fais mon affaire, clama Jérémie en sortant.
Louise caressa le chat et lui demanda :
– Tu sais ce qu’il a fait ? Je vais te le dire ! Il est allé dans une agence immobilière. Et il a raconté un tas de carabistouilles, comme quoi la maison avait un « charm ». Que si on savait être patient et supporter ses aïes et ses ouilles, elle vous portait chance. Comme pour lui ! Ses affaires avaient grimpé en flèche…
Un matin, la maison fut vidée. On n’entendit plus parler de lui ni d’Alice. Ils devaient se la couler douce…
L’agence tenta de vendre le bien. Bien que la liste des acheteurs potentiels était longue, les maisons à vendre rares, celle-ci ne trouvait pas acquéreur. Les couinements de la porte hérissaient, agaçaient, exaspéraient. Et l’atout « charm = bonne fortune » ne parvenait pas à convaincre.
Un jour pourtant, un brave bonhomme se présenta à l’agence et déclina toutes ses attentes. On lui répondit qu’il y avait un bien qui correspondait exactement à ses désirs. Lors de la visite de la maison, il fut enchanté, tiqua un peu sur le bruit de la porte. N’en déplaise ! L’agent immobilier lui répéta que la maison avait un « charm ». Et pour preuve, lors d’une dernière visite, il avait échappé de justesse à un accident, en sortant de la maison.
Le bonhomme – Jules, qu’il s’appelait – signa alors des deux mains !
Louise prit le chat sur ses genoux.
– Et tu crois que ça c’est arrêté là ? Non, Petit Père ! Le Jules, qui se languissait de vivre enfin le grand amour, se désespéra et attaqua l’agence pour faits mensongers. Jules obtient gain de cause, l’agence mit la clé sous le paillasson. Et brusquement, Jules ne ne supporta plus la porte qui lui rappelait les aïes des fiançailles rompues et les ouilles des papouilles refusées. Il décida de vendre lui-même sa maison. C’est alors, qu’à la belle saison, la chance lui sourit.
A la terrasse du café, il surprit la conversation d’un couple de petits jeunes. Séduits parla beauté du village, ils cherchaient à acquérir une petite maison. Après les avoir abordés gentiment, Jules y alla de son boniment.
Le chat se lova contre le ventre chaud de Louise.
– Tu veux connaître la fin de l’histoire, hein ! Alors voilà. Le Jules leur vendit la maison. Et à un bon prix, car il raconta plein de carabistouilles ! Que d’anciens propriétaires avaient fait fortune, que d’autres avaient hérité d’un riche inconnu, qu’une autre encore avait été épousée par un riche prince, qu’un autre avait gagné un procès et recevait en dédommagement des royalties impériales. Et moi-même ! Imaginez, j’étais sourd… et j’ai retrouvé l’oreille ! Alors, je vends ici. Je monte à la capitale où j’ai trouvé un adorable appartement à deux pas de l’Opéra…
Le chat frissonna, feula et reprit sa place sur le muret.
– Je sens que tu ne vas pas aimer la suite, mon Mistigri…Mais tout de même, j’irai jusqu’au bout….
Les petits jeunes vinrent s’installer définitivement dans la maison. Il trouva du travail. Elle aussi. Et ils furent heureux.
Les yeux du chat étaient comme deux petits soleils.
– Attends, ce n’est pas tout. Ils furent heureux, tellement heureux que les couinements de la porte ne les dérangeaient pas du tout. Jusqu’au jour où…
Le chat dressa les oreilles.
– Où le Roméo rentra un peu trop tard. Lorsqu’il referma la porte, elle hurla ouille. Et lui aussi, car sa Juliette lui fracassait le dos avec le rouleau à pâtisserie. Traître ! Tu reviens de chez ta maîtresse… Je vais te couper les….
Le Roméo reprit vite sa superbe, fit volte-face et ouvrit la porte qui cria à son tour « aïe »… Il cria encore plus fort et accusa sa Juliette d’avoir un amant et qui sait, même une marmaille dans le tiroir…
Cela se termina dans un bain de sang !
Et depuis, plus rien. Tu penses ! Plus personne n’y entre, plus personne n’en sort…
Le chat revint se frotter contre les jambes de Louise.
Et comme pour elle-même, elle murmura : « Quel silence…on n’est pas bien tous les deux ? »
© Clémence.
A chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait « aïe ! »
Quand ils la fermaient elle criait « ouille ! »
Les jours de fêtes une horreur, c’était une symphonie de « Aie ! Ouille ! Aie ! Ouille ! » à n’en plus finir !
Quand on souhaitait rentrer sans faire de bruit impossible, la moindre embrasure se mettait à couiner !
On leur avait conseiller de huiler leur porte. Alors ils ont tout essayé : huile d’olive, de lin, de tournesol, d’amande, d’avocat, de noix même… Jusqu’à l’huile de coude mais rien n’y faisait ! Ils avaient beau huiler, huiler, huiler… la porte couinait !
Ils avaient finalement fait appel à tous les serruriers de la région, le bottin entier y était passé !
Rien à faire, ils leurs avaient tous demandé « Et l’huile ? Vous avez huilé votre porte ? » «Evidemment, disaient-il, évidemment… ! ».
Le couperet tombait à chaque fois «Une seule solution : il faut changer votre porte…! »
Chacun proposait des styles de plus en plus modernes qui juraient avec la vieille maison qu’ils aimaient tant… ça en faisait trembler ses murs d’ailleurs !
Les devis étaient chaque fois de plus en plus élevés – et juste la pose, sans fourniture qu’on leur disait – avec des matériaux de hautes qualités, super écolos, durables (et garantit 11 mois tellement ils l’étaient c’est dire !)… bref chaque fois les propositions étaient de plus en plus merveilleuses !
Mais ils aimaient le vieux vois de cette porte caractéristique de leur maison de famille. Celle qu’ils avaient poussé tant de fois avant même leur premiers pars. Comment se résoudre à perdre l’authenticité ? Comment se résoudre à se séparer d’une partie de la maison chérie ?
Ils aimaient l’odeur de son bois, sa couleur marron foncée un peu usée par les générations et la météo, ses aspérités qui rappelaient tantôt les lancés de cailloux malencontreux tantôt les punaises des pancartes de spectacles… Tant de souvenirs dans un morceaux de bois…
La maison elle-même semblait n’exister que par cette porte d’entrée…
Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils avaient fini par demander – irrationnellement – au plus vieux portier du plus vieil hôtel de la ville. Celui qui, comme on le prétendait, «murmurait aux gonds des portes ». Ils n’avaient rien à perdre…
Le constat fut immédiat, le portier expérimenté leur dit «L’huile c’est bien mais… avez-vous essayer l’huile pour porte ? »
Frère et sœur se regardèrent «L’huile pour porte ? ». Incrédules face à leur bêtise et leur ignorance, ils rirent franchement et filèrent au supermarché…
La porte, généreusement huilée, ne couinait plus jamais, sauf pour dire « merci ! » de lui avoir guéri ses vieux rhumatismes !
À chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient, elle criait ouille , et parfois même « aïe mes aïeux » Comme aucun serrurier n’en trouvait la raison,Ils décidèrent de s’en séparer, non sans chagrin, après avoir vraiment tout essayé, ayant même été jusqu’à lui faire subir une thérapie systémique.
ils mirent à cette fin une annonce dans le « bon coin : « vendons porte d’entrée en chêne veiné en parfait état ».
Un brocanteur leur acheta à un prix dérisoire. Ils en eurent le cœur serré et Alphonse (le propriétaire)ne cessa de se remémorer la citation de Monsieur de Lamartine « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? ».
Ils achetèrent une nouvelle porte standard chez Lapeyre. Le cachet de la maison en pâtit quelque peu.
Un jour la femme d’Alphone partit en claquant la porte. Ainsi va la vie comme aurait dit Michaël Douglas ou bien est-ce Diane Keton ?
Au début Alphonse s’enferma à double tour . Le Docteur diagnostiqua une dépression assez grave due à un choc émotionnel et puis petit à petit il redevint le Alphonse joyeux, dynamique que tous avaient connu.Quand il était chez lui ,il vivait portes et fenêtres grandes ouvertes, la radio marchait à fond. Ouille les oreilles des voisins…..
Et puis un jour il alla à un vide-greniers et que vit-il ? Sa porte !
Il la regarda de loin et continua son chemin. Ne s’étaient-ils pas tout dit…..
Ils décidèrent de s’en séparer, non sans chagrin, après avoir vraiment tout essayé, allant même jusqu’à lui faire subir une thérapie systémique,ils décidèrent de s’en séparer, non sans chagrin,
Monsieur Polutri m’a offert une superbe porte lorsque j’ai guéri son fils d’une mauvaise maladie. « C’est pour vous Docteur, elle vous sera d’une grande aide… Elle pense !!» Me dit-il d’un air facétieux en me montrant une porte épaisse taillée dans un bel acajou rouge et dont l’imposte est rehaussée de bois d’ébène avec une grosse serrure ciselée, dentelée, digne d’un énorme grimoire.
Mise en place elle fit son effet auprès de mes patients.
Sa plainte à l’ouverture et à la fermeture m’avait obligé à appeler mon voisin serrurier qui ne trouva rien de catastrophique.. » C’est une porte magique » me dit il en riant !!
Il avait vu juste. Vous devez vous demander si J’ai réussi a avoir une vraie conversation avec elle ? Non-car elle pense mais n’émet pas plus de deux mots AÏE et OUILLE dans des tessitures différentes.
J’ai cherché à la comprendre en l’oscultant du mieux possible et en écoutant ce que je prenais pour des plaintes douloureuses jusqu’à ce que je la soupçonne d’être un véritable trésor.
Je ne reçois pas sur RV et ne sais jamais ce qui m’attend dans la salle d’attente. Je réfléchissais à une secrétaire qui pourrait filtrer les arrivées.
Mais cette porte m’a compris à défaut de la comprendre, et elle est devenue ma complice.
Lorsqu’un patient l’ouvre, elle me le signale. Et plus que ça encore…
À l’arrivée d’une femme elle dit AÏE , et à celui d’un homme c’est OUILLE.
Mais ce n’est pas aussi simpliste que ça ne paraît, cette porte pense et réagit en conséquence.
Lorsqu’une femme ouvre la porte, c’est bien un AÏE qu’elle émet, de plus en plus aigu en fonction de l’âge de la personne et plus ou moins long si le diagnostic est grave ou pas
Quand madame Salier qui a 88 ans vient, pour un oui ou un non, juste à cause de sa solitude, la porte émet un AÏE rapide et très grave
De même, lorsque Leon vient me voir pour des ordonnances de complaisance que je lui refuse. Il a un poil dans la main, se plaint sans cesse pour tout et porte toujours une veste jaune tricotée par sa mère. La porte pousse un OUILLE rapide et semi-grave, il a 53 ans.
Mais j’ai sauvé une enfant atteint de trachéite lorsque parti en déplacement, ma femme a entendu la porte émettre un AÏE très aigu et très très long. Elle est allée voir et m’a appelé. l’enfant a été sauvée grâce au profond jugement de la porte.
Quand Adèle, 19 ans, est venue pour obtenir la pilule du lendemain à cause d’une nuit trop arrosée avec des amis, la porte a émis un AÏE chantant et bien long comme la mélopée d’une soprane je me suis précipité pour la recevoir avant qu’elle ne se sauve trouvant ridicule de s’adresser à moi.
Il y a eu aussi ce jeune garçon du chantier d’à côté qui s’est coupé la main très profondément, le OUILLE de la porte a été plaintif et très long en do mineur.
En dehors de mes patients, elle n’émet rien pour la famille sauf si un signe est nécessaire. Comme j’aime écrire des nouvelles, des poèmes, elle me secoue d’un OUILLE impératif qui signifie « Couille ou coquille » afin de modifier certaines erreurs. Avec ce qu’elle me fait vivre, j’ai de quoi alimenter un roman.
Deuxième mouture
Chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient elle criait ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils firent venir un magnétiseur. L’homme moustachu et roux analysa la situation. C’était une porte victime d’un trou spatio-temporel. Elle ouvrait sur une autre dimension. Ce serait potentiellement dangereux. La famille trembla en pensant que depuis des années ils étaient passés à un pas de la catastrophe. Un enfant osa demander avant que les parents aient eu le temps de réagir s’il fallait la fermer définitivement et s’il y avait un risque pour eux. Le moustachu mit un moment avant de se prononcer. Un risque pas vraiment puisque jusque là rien de fâcheux ne s’était passé. Un avantage peut être si le courant s’avérait positif et permettait à l’avenir d’être optimisé. Il n’avait pas ses instruments avec lui mais il,reviendrait. Le cas était passionnant. L’homme répartit dans sa 4L brinquebalante. On ne le revit jamais. On ne sut même pas ce qu’il était advenu de lui. Son téléphone et son portable ne répondaient plus. Le bengamin de la famille déclara : on l’a échappé bel … une faille dans l’espace spatio-temporel… tu parles une arnaque mais il a dû comprendre que nous n’étions ni riches ni naïfs. La porte continua ses bruits … elle fut changée et la nouvelle se tut longtemps mais un jour les bruits recommencèrent… une voix frêle comme celle d’une petite fille.
Une vieille voisine se présenta à leur porte et après avoir frotté la porte avec une gousse d’ail, alla chercher un marteau et enfonça une pointe doré au centre de la porte. Ensuite elle tapa des deux mains et cria „ Marie Jeanne ça suffit maintenant, laisse ces gens en paix, retourne au passé et laisse nous tu n’as plus rien à faire ici. Ensuite les bruits cessèrent à jamais.
A chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison,elle criait aïe! Quand il la refermait elle criait ouïe!
Comme aucun serrurier ne trouvait la raison,ils décidèrent de tirer parti de la chose.
C' Ȏtait un couple de musiciens acoustiques.
Ils écoutèrent soigneusement ces cris,les rythmèrent,les mixèrent puis s’attaquèrent aux autres ouvertures :fenêtres,vasistas,barrière de leur grande maison.Tout cela fut travaillé pour produire des sons dodécacophoniques.
Ils manipulèrent les sonorités,dirigeant à deux de pièce en pièce, pour harmoniser leurs drôles d’instruments.
Cela fut long travail,passionnant et totalement inédit.
Ils obtinrent une oeuvre magnifique intitulée:
Symphonie pour portes et ouvertures,Opus 35 en si bémol majeur,qui obtint un vif succès à travers le monde.
A chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient elle criait ouille ! C’était amusant. Cela mettait de l’animation. Comme ouverture, ça soulignait une intention. Ils conservèrent l’enregistrement pour une intro. Musicalement ces bruits évoquaient une ambiance de western. Ils s’habituèrent et s’en divertirent pendant un certain temps. Ils prolongèrent l’amusement, c’était une bonne idée. Tant qu’ils travaillaient, ils ne s’en soucièrent pas. La porte jouait son rôle de parenthèse qui les distra… mais aïe ! le verbe distraire n’existe pas au passé simple. Ils devaient contourner. Qu’il faille composer, pourquoi pas ! Quand ils n’auront plus besoin de ces bruits, l’antirouille était prêt. Ils remédieraient en temps voulu.
C’est ce weekend que Francis, pendant qu’il soulevait le portail de ses gonds et qu’il élimina la rouille avec une brosse en ferraille, qu’il se dit : « Enfin débarrassé ! » Les grincements se turent.
Mais c’est au troisième jour qu’ils reprirent. Le western devint plus palpitant, les bruits s’affirmèrent.
Dans la grisaille du quotidien, ils apprécièrent que la porte se verrouille dans le bon tempo. Mais ce jeu audio, à la longue devint agaçant. Ils appelèrent le serrurier le plus proche qui chercha l’origine de ses manifestations sonores. Ils me cassent les oreilles avec leurs plaintes, se dit-il. Il doit y avoir une explication simple mais je n’ai pas que ça à faire, qu’ils se débrouillent. Il faut que je les prévienne :
– Ecoutez, il faut que je m’en aille. Je me suis pourtant cassé la citrouille mais je n’ai pas trouvé la solution. J’ai vérifié, ça ne vient pas de la rouille. Je vous envoie un collègue qui saura démêler l’embrouille.
Ils le regardèrent avec dans l’esprit un doute. Son confrère toujours en vadrouille ne se déplacera pas. Cependant celui-ci plus sérieux que sa réputation ne le décrivait, vint leur porter secours.
– Quand j’étais môme, je suis venu faire des fouilles. Ne résiliez pas votre bail comme votre prédécesseur. Ici c’était le musée du samouraï. Si vous réveillez la destinée de cette maison, les onomatopées pourront servir à quelque chose.
La porte
Aïe, trop de souvenirs
C’est ce que la porte semblait lui dire
Chaque fois qu’elle s’y rendait
Là-bas
Dans la cabane au fond du bois
Non, n’y va pas, lui intimait la petite voix
Mais c’était plus fort qu’elle
Ça faisait partie du rituel
Un café trop amer partagé avec son vieux père
Le silence à peine troublé
Par le cliquetis des cuillers
Un coup d’œil jeté sur le journal de la veille
Un autre plus discret sur le contenu de la bouteille
Et elle y allait
– A tout à l’heure Pa
Je vais juste faire un tour, ne t’en fais pas.
La porte grinçait toujours
Sa manière à elle de lui dire bonjour
Et puis l’odeur
Celle du malheur
De la stupeur
Sa petite sœur
Plus de battements de cœur
Alors elle refermait la porte tout doucement
Pour ne rien écraser de la vie d’avant.
A chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient elle criait ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, le propriétaire en a parlé à ses commerçants favoris.
Le boulanger lui a expliqué :
— Si j’ai bien compris, votre porte fait aïe ! en ouvrant, et ouille ! en fermant. Le reste du temps, elle vous fout la paix. Vous avez de la chance. Moi, j’ai beaucoup de travail et je dois me lever tous les matins à quatre heures. Je suis réveillé en sursaut par les crachotements du radio-réveil et les grognements de ma femme, je descend au fournil où je suis accueilli par les stridulations de Cri-cri, le grillon qui a élu domicile près de mon four et qui se caille les meules. Alors, il engueule le proprio qui tarde un peu à allumer le chauffage. Par contre, le lundi matin où je suis de repos, je n’arrive pas à dormir, ma femme m’engueule et j’entends les appels désespérés du grillon qui me maintiennent éveillé et je suis de mauvaise humeur pour la journée.
Ce n’était pas drôle en effet, et pas terrible pour le moral de notre homme, qui manque de se faire renverser par une voiture étrangère en traversant la rue. Le conducteur, très irrité et voulant montrer le français qu’il avait appris au contact des automobilistes parisiens insulte le piéton qu’il a réussi à éviter :
— Espèze de gond !
Une révélation pour notre homme, qui se précipite chez le quincaillier :
— Ma porte fait aïe ! quand je l’ouvre et ouille ! quand je la ferme. Je pense que c’est un problème de gonds un peu coincés.
— Parfaitement Monsieur, fait le commerçant en lui remettant une petite burette d’huile aux propriétés miraculeuses et au prix élevé.
Notre homme a abondamment aspergé les gonds de sa porte. Malheureusement, cette intervention s’est avérée totalement inefficace. Aïe ! en ouvrant. Ouille ! en fermant. Comme d’habitude.
Cette situation devenait de plus en plus intolérable pour les propriétaires qui ont fini par vendre la maison.
Après plusieurs acheteurs découragés par le problème de la porte (classée monument historique), ils ont fini par trouver l’homme de la situation : un fan de Jacques Dutronc dont les aïe ! aïe ! aïe ! ouïlle ! ouïlle ! ouïlle ! de la chanson « les cactus » avaient bercé sa jeunesse.
Après s’être installé, le nouveau propriétaire a voulu marquer son territoire en installant un grand cactus dans la salle de séjour, et en écoutant la chanson sur sa chaîne hi-fi.
Mal lui en a pris, car la porte, vexée par cette concurrence déloyale, avait définitivement cessé de couiner, au grand dam du nouvel occupant.
🐹 DU DANGER DU DEDANS DEHORS.
La maison close l’invite il rentra comme un vieillard en sort courbé en deux.
Aïe aïe aïe fit-il ouille ouille ouille lui fut-il répondu.
Il n’y avait personne en dehors de lui bien qu’il fût dedans. Force lui fut de constater que seule la porte avait émis cette plainte sans chercher maille à partir lorsqu’il avait repoussée.
Bizarre prends… Il n’y pensa plus.
Cet ouille intrusif était pourtant bien là, tapie dans le couloir.
Le paillasson usé qu’ il était dans le sens du poil ne paillait plus un son.
Un jeune homme, flagrant délire sort de ce même immeuble, aussi fringant que
‹‹ Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l’arène à la Tour Magne à Nîmes ››
Se dirige, fissa vers certains bancs sous l’orme du mail.
Aïe aïe aïe fit la porte complice en ouvrant l’huisserie. Lui, se rit aussi de cette onomatopée incongrue. Ouille, était-ce bien sage ce rendez-vous dans la rue.
🐹 LURON’OURS
À chaque fois qu’il ouvrait ou fermait la porte de sa maison elle criait aïe ! ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, il décida de l’interroger. Et là, il s’aperçut qu’elle mâchouillait ses mots et qu’il avait sûrement besoin d’un sonotone. La porte de la buanderie, vivant à deux pas d’elle, se proposa pour traduire ce qu’elle tentait de lui expliquer depuis des mois.
– Voilà ! Elle vient de me dire que toutes les fois que tu l’ouvres ou que tu la fermes, un gond lui rentre dans les chairs. Elle braille : Quelle poiscaille ! Ce gond me fouaille le vantail. Débrouille-toi et grouille-toi pour passer une couche d’antirouille sur cette ferraille qui m’assaille avant qu’il m’entaille.
🐀 LES DEUX BATTANTS
La porte à deux battants qui séparait la chambre de Madame et celle de Monsieur nous en eût raconté de belles si elle avait été dotée de parole.
Le battant de droite poussé impérieusement par le maître rugissait de douleur en heurtant violemment l’angle de la cheminée.
Youyouille , youyouille pleurnichait le gond malmené.
Tout au contraire, le battant de gauche s’ouvrait rarement dans l’autre sens, celui de la maîtresse des lieux.
Lorsque le Maître l’ignorait Madame était censée faire abstinence.
Alors subrepticement elle fit poser un loquet.
Un soir que particulièrement agité le seigneur voulut faire son entrée, il eût beau forcer, le loquet coincé grinçait raïe…raïe raïe coulissant couinant sur le fer mais fièrement résista.
Le maître courroucé comprit que de lui »on » ne voulait pas et que ce soir il ne jouerai pas aux dames avec la sienne.
Furieux autant que dépité, dès le lendemain matin il fit dégonder la porte récalcitrante qui servit pour clore l’entrée du grenier tout en haut de la tour où elle serait vite oubliée.
Depuis des siècles on entend tombant des marches des drôles de bruits, des gémissement, des couinements de douleur.
Il faut dire que sur le dépliant pour inciter les clients la publicité indique VENEZ DORMIR AU CHÂTEAU HANTÉ.
La nuit, les descendants des châtelains montent en catimini visiter le grenier et font grincer le loquet.
Pérenniser les traditions séculaires et surtout ne pas décevoir les hôtes qui sans aucun doute guettent et tendent l’oreille blottis cachés à l’abri du baldaquin.
🐀 Souris-Verte
Dernière lumière du jour qu’il verrait avant longtemps. Impressionnante l’immense porte cochère dans laquelle se faufile le fourgon. Assis, menotté, il l’entrevoit à travers la vitre grillagée. Et puis il l’entend : ses battants s’entrouvrent et grincent « aïe » puis se referment « ouille ».
Il ne réalise pas encore que des aïe … ouille, aïe … ouille, aïe … ouille, il n’a pas fini d’en entendre. 20 ans il devrait moisir là-dedans !
Il ne compte plus le nombre de fois où il perçoit en 24 heures ces deux grinçantes onomatopées. Les premiers jours, il a déjà du mal à les supporter, il essaie tant bien que mal en se bouchant les oreilles, ça ne suffit pas. Il pense qu’il finira par s’habituer puisque l’on dit que l’on s’habitue à tout. Pas vrai, pas lui.
Ça commence par le cliquetis du trousseau de clés balançant au ceinturon du maton qui approche.
On ouvre une cellule : aïe
On la referme : ouille
aïe … ouille, aïe … ouille, aïe … ouille : métronome lancinant de l’aube à l’extinction des feux. Pour le petit-déjeuner, pour les douches, pour le départ à l’atelier, à la bibliothèque, à l’infirmerie, au repas, à la promenade, au parloir…
Ça résonne si fort dans les coursives qu’il peut suivre pas à pas la tournée du maton.
Il focalise sur ces bruits de clés, de serrures, de portes à en perdre la raison. Ça l’obsède, le rend dingue, complètement parano.
C’est ainsi que bientôt s’inscrit à la Une du Parisien Libéré (sic!) en gros titre :
’’Suicide à la prison de la Santé. Ce matin au petit jour, lors de la première tournée de contrôle, les gardiens ont découvert XXX condamné à une longue peine pendu dans sa cellule. Celui-ci aurait gravé sur le mur de sa couchette la formule de sa souffrance :
« PORTES + CLÉS = ENFER »
À chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient, elle criait ouille !
Jonathan et Eva avaient acheté leur maison à un ancien maçon qui avait personnalisé son entrée, inspiré par l’architecture de Marrakech qu’il aimait tant. Un facteur Cheval du sud-ouest, en somme !
La porte donnait sur un patio dans la plus pure tradition marocaine. C’est ce détail qui avait séduit le couple trentenaire, qui avait visité une trentaine de maisons sans trouver leur bonheur.
Une porte en bois avec des ferronneries d’un autre âge, surmontée d’une voûte, comme dans les vieilles églises romanes des villages dans les campagnes du sud-ouest.
Cette porte monumentale était accompagnée d’une fresque en pierre, toute en arrondis et arabesques.
C’était tout simplement magnifique ! A couper le souffle dans leur région !
Durant leur visite, ils n’avaient pas entendu le bruit que la porte faisait en se refermant. Ce jour-là, elle était ouverte, comme pour entrer dans un monde magique. Elle prêtait à l’invitation…au voyage bien sûr !
Le bruit étrange commença à se faire entendre quelques semaines après leur installation.
Quelques semaines de répit !
Au début, la porte se faisait simplement rebelle ; les battants devenaient résistants quand les propriétaires voulaient les fermer le soir. Puis, au fil des mois, elle finit par ne plus se fermer, ou se laisser fermer.
Jonathan fit appel à un serrurier, en espérant simplement que c’était une affaire de gonds rouillés. Puis, un deuxième et un troisième se présentèrent pour élucider ce mystère, qui paraissait insondable.
Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, Jonathan et Eva laissèrent tomber la chose. Mais, un soir, au retour du travail, Jonathan essaya une nouvelle fois de repousser les battants. Il reçut, en échange, un coup dans la jambe. D’où cela provenait-il ? Personne n’était en vue.
Ce geste le transporta dans de profondes réflexions et occupa les soirées du couple pendant un certain temps. Ils observèrent la porte sous toutes ses coutures. On ne voyait rien, en apparence. Puis, vint la période où la porte donnait des coups quand on essayait de la forcer. De la contrarier en fait. Le jeune couple la maudissait et ne comprenait pas du tout ce qui leur arrivait.
L’année suivante, Jonathan décida de repeindre la porte, qui avait vraiment besoin d’une bonne manucure. Il la bichonna, la remit en état, changea la couleur, fit réapparaitre les ferronneries qui ne se voyaient plus, installa de superbes pots de fleurs de chaque côté pour agrémenter l’entrée. On aurait dit le porche d’un hôtel quatre étoiles à Marrakech.
Les coups de la porte avaient cessé, et Jonathan et Eva avaient plutôt l’impression désormais que la prote se faisait douce et désirant les câliner. Elle était tout simplement heureuse de revivre sous de fraîches couleurs, d’avoir été retapée comme une porte digne de son état.
Ni plus, ni moins !
Les objets eux aussi ont une âme, à qui sait le comprendre !
À chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient elle criait ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils furent bien embêtés et cherchèrent désespérément vers qui se tourner pour résoudre ce problème, c’est du moins ce que dirent les parents à leurs enfants qui habitaient cette maison magnifique à la campagne, entouré d’un grand jardin rêvé. Les bruits de la porte ressemblaient à s’y méprendre à des gémissements de douleurs, ou plutôt de plaintes, affectant les propriétaires, surtout les enfants.
Mais un jour, au cours d’un repas de famille où tout le monde était réuni et où la porte et ses problèmes prenaient toute la place dans les conversations. L’aîné des enfants lâcha excédé :
-Y’en a marre de cette porte qui se plaint tout le temps ! Pas moyen d’entrer ou sortir sans se faire remarquer ! C’est quand même un monde que ce serrurier n’y puisse rien ! Vous ne pouvez pas en acheter une autre ?
-Bien sûr dit le père ! Et tu sais dans les combien va chercher une telle porte en bois noble ? Elle a toujours été là ! Elle donne du cachet à la maison, la changer nous couterait beaucoup trop cher et serait d’un mauvais goût absolu ! Je te rappelle que nous devons hiérarchiser les dépenses, vivre ici a un prix. C’est un choix de vie, nous croyions que vous y adhériez, vous aussi.
-Oui bien sûr mais…
La mère prie alors la parole et livra son avis :
-Après tout, cela n’est pas si gênant ! Moi ça me rassure ce bruit de porte. Quand je sais que vous devez rentrer tard, je suis soulagée de l’entendre grincer au fond de mon lit les yeux grands ouverts. Ça veut dire que vous êtes enfin revenus et que je peux m’endormir tranquille.
-Mais alors, continua le fils d’un air dubitatif, ça veut dire que vous entendez aussi quand on sort…
-Bien sûr, releva le père, et il faut dire qu’elle nous livre ainsi de riches informations sur votre vie nocturne, vos sorties en cachette qui ne le sont pas vraiment, désolé de rompre ainsi un secret, mais comment allons-nous faire maintenant ? se désola faussement le père d’un air narquois.
-On passera par la fenêtre ! répondit le cadet tout content de lui !
-Si vous voulez ! Vous pouvez toujours y compter…
-Pourquoi tu dis ça papa ? Rajouta le petit dernier.
-Mais parce qu’elles grincent aussi, tiens !
-Oh…
Ce secret ainsi mis à jour les laissa perplexes un moment. Les enfants, le nez dans leur assiette n’osaient plus croiser le regard de leurs parents en repensant à toutes les fois où ils étaient sortis sans autorisation croyant qu’ils dormaient depuis longtemps profondément. Les parents, un peu déçus de révéler leur secret et cherchant déjà de façon frénétique un autre moyen de collecter des informations sur leurs enfants.
L’aîné rompit le silence et sortit de ses gonds en criant :
-En fait cette porte n’est qu’une balance, ras le bol de cette baraque pourrie !
Le père prit alors la parole d’une voix calme et mesurée.
-Que voulez-vous que l’on y fasse ? Qu’on vende ? Ce désagrément est-il à ce point insurmontable que l’on ne puisse plus supporter ces bruits communs de porte ? Que l’on se sépare de tous les souvenirs de notre vie ici, de votre enfance ?
Les enfants, qui adoraient être ici, bien conscients de vivre dans cette baraque imparfaite mais si chaleureuse et pleine de charme et de premiers doux souvenirs ne l’envisageaient même pas une seconde. Ils finirent par reconnaître du bout des lèvres que ce n’était qu’une porte après tout !
Plus jamais le sujet ne s’invita à table jusqu’au jour où dix années plus tard, au cours d’un repas de famille qui réunissait les enfants devenus adultes et leurs conjointes, le cadet devenu père dit au sien.
-Mais au fait, cette vieille porte qui grinçait tant autrefois ne se plaint plus aujourd’hui !
-Mais c’est vrai, tu as raison, frérot ! Et ça fait déjà un petit moment non? Vous avez enfin trouvé un serrurier compétent ? demanda l’aîné.
Leurs regards allaient de leur père à leur mère attendant une réponse qui tardaient à venir. Seul un regard complice les trahit et ils livrèrent leur ultime secret qu’ils lâchèrent dans un éclat de rire.
-Oui, en fait on a simplement appelé le serrurier quand vous avez quitté la maison !
-Mais vous aviez dit que vous l’aviez appelé il y a des années, non ?
-On avait dit qu’on allait l’appeler, mais on n’avait pas dit quand !
À chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient elle criait ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils firent venir un vrai médecin.
— Allongez-vous, dit-il.
— Il n’en est pas question, lui claqua-t-elle au nez, dans un courant d’air sec et froid. La dernière fois qu’on m’a couchée sur l’établi, j’ai compris ma douleur. Regardez, j’ai encore les marques des points de soudure. Alors que je venais juste pour me faire tatouer un judas.
— Mais il s’agit là d’une simple auscultation…
— Ne me faites pas sortir de mes gonds, doc ! Auscultez-moi debout, du seuil à la tête, si vous voulez, mais debout.
— Bien, dit le toubib en lui saisissant la poignée pour lui prendre le pouls.
— Aie ! hurla-t-elle.
— Oh ! Je vous ai fait mal ?
— Bah oui, vous venez de m’ouvrir !
— Excusez-moi, dit-il en la relâchant.
— Ouille ! claqua-t-elle à nouveau. Ne me touchez plus, par pitié !
Le docteur resta derrière, sur le pas de la porte tandis qu’un des propriétaires l’interpella à l’intérieur de la maison.
— Docteur ? Vous êtes toujours là ?
— Oui. Mais dites-moi, c’est une vraie plaie que vous avez là !
— Je sais, on la croyait blindée contre toute effraction. Mais là, elle est devenue la porte de l’enfer chaque fois que l’on rentre ou que l’on sort de chez nous.
— Ben, faites comme si je n’avais pas d’oreille, grinça l’objet malade. Non, mais je rêve ! Les murs m’en soient témoin.
— Mais c’est vrai. On n’en peut plus, nous. Tu es devenue inaccessible, fermée à double tour. Et dès que l’on cherche la moindre ouverture, tu réponds par réfraction.
— N’importe quoi ! Qu’est-ce que vous savez de ma douleur ? … AÎE-EUUUH !!!!
— Excusez-moi, je peux entrer ?
— Oui, docteur, faites. Je n’en peux plus de ses simagrées. Elle n’a rien du tout. Nous allons en changer et la recycler dans un incinérateur. Elle comprendra sa douleur.
— Salauds de proprio !!!
— Calmez-vous, reprit le toubib. J’ai la clé du problème.
— Hein ?
— Il s’agit d’une plaie ouverte qui ne parvient à se cicatriser. Il faut juste désinfecter le verrou et panser la plaie avec un vernis spécial et tout rentrera dans l’ordre d’ici une semaine.
— Mais docteur, nous n’allons pas rester enfermés toute une semaine, quand même ?
Le médecin prit à part les deux propriétaires, chuchotant.
— Ce sera peut-être l’occasion de lui porter un peu plus d’attention et de devenir son porte-parole si vous ne voulez pas qu’un jour elle se jette par la fenêtre. Le mal est plus profond.
— Vous croyez qu’elle devrait consulter un psychothéra-porte ?
— C’est une autre porte de sortie, en effet.
— C’est une autre porte de sortie, en effet.
(plutôt, pour remplacer la dernière réplique)
À chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur roulotte, elle criait « aïe ! ». Quand ils la fermaient, il criait « ouille ! » Comme aucun serrurier ne trouvait la raison … ils ont fait venir les enfants et les ont installés autour de la piste.
Ils sont sortis.
Les enfants tapaient dans leurs mains.
Monsieur Loyal est entré et a fait son annonce.
« Bisbilles de clowns ! »
AiIle est entré, encombré de balles de jonglage, de cerceaux et de massues. Une balle attachée à un fil est tombée. Elle a crié.
– Au secours ! A l’aide ! Houilles ! Houilles !
Houilles est entré avec un diabolo.
– Tu t’es fait mal !
– Meuh non !
– Ben alors, pourquoi tu cries « Ouille ! », si t’as pas mal !
– Mais, c’est toi, bourrique !
Houilles était ahuri.
– Moi ?
– Oui, toi !
– Je me suis fait mal, moi ?
– Meuh non ! « Houilles », c’est toi ! C’est comme si toi, tu disais « Aille » !
– Pourquoi je dirais « Aïe » ?
– Je dis : « Aille »… c’est un exemple !
– T’as pas dit « Aïe », tout à l’heure ! T’as dit « Ouille » !
– Je te parle pas de ce que j’ai dit là, je te parle de toi ! Je prends un exemple : tu cries « Aille » !
– Parce que je me suis fait mal ?
– Mais non, Tu cries : « Aille » ! pour m’appeler !
– Pour t’appeler ! Pourquoi je t’appellerais ?
– Tu m’embrouilles ! Et puis, d’abord, c’est pas toi, c’est moi qui viens de t’appeler ! J’ai crié : « Houilles !»…
– Ah oui ! C’est bien ce que je dis ! T’as crié « Ouille ! » ! J’ai bien entendu ! Moi, j’ai pas crié ! C’est toi qui as appelé, là !
Aille s’est mise à chanter
– Et j’ai crié, crié-é ! « Houilles ! ». Pour que tu viennes !
Houilles a chanté à son tour.
– Et t’as crié, crié-é, pour que je vienne ! Parce que tu t’es fait mal ?
– Mais non, pour m’aider ! M’aider ! Tu m’entends ! M’aider ! M’aider !
Houilles s’est bouché le nez, comme s’il parlait dans un micro.
– Mayday ! Mayday ! C’est comme… quand on lance un SOS, ça ! Quand le bateau, il fait naufrage ! On fait : « Mayday ! Mayday ! » Tididi, Tadada, Tididi, je te fais le SOS du bateau perdu dans la mer d’Aille ! Tididi, Tadada, Tididi !
Houilles a fait la houle avec son diabolo.
– C’est la grosse tempête, là ! Holà ! Y a des paquets de mer partout !
Il a lancé son diabolo et l’a rattrapé. Et puis, il a repris.
– Tididi, Tadada, Tididi ! On lance le « Mayday ! Mayday ! ». Appel à tous les bateaux sur zone ! On a besoin d’aide ! Qui aide Aille ? Je répète : Qui aide Aille ? … Criii…Criiii… Moi ! Moi ! J’aide Aille ! J’aide Aille ! Ici, moi, j’aide Aille ! Hobby One ! Hobby Two ! Hobby Three ! « Vous avez demandé la police ! Ne quittez pas ! »
– Mwouais, a repris Aille. C’est ça, ou à peu près ! J’ai besoin de toi pour m’aider ! Me donner un coup de main !
– Un coup… demain ! Pourquoi veux-tu que je te donne un coup et demain, en plus ! Tu m’as rien fait ! Et si tu m’avais fait quelque chose, j’attendrais pas demain pour te donner un coup, je te frapperais aujourd’hui même et là tout de suite !
Aille s’est adressée aux enfants assis sur les gradins autour de la piste.
– Alors, ça, là, c’est le cerveau lent d’Houilles, vous voyez !
Houilles était ahuri.
– Le cerf-volant !
– Non, laisse tomber ! Dis-moi, Houilles : Nous, tous les deux, là, on s’aime ?
Houilles a esquissé des pas d’une bourrée qu’il a chantonnée.
Aille, surprise lui a tapé sur l’épaule.
– Qu’est-ce que tu fais là ?
– Ben, avant de semer, faut la bourrée ! La bourrée ! Avant de semer ! Non, laisse !… Qu’est ce que tu veux qu’on sème, tous les deux ?
– On s’aime… rien ! On s’aime… tout court !
– Ah ! si tu veux semer tout court, faudra tondre après !
-Hein ? Tondre quoi ?
– Semer tout court, c’est pas possible ! Ca pousse toujours !
– Qu’est-ce qui pousse ?
– Ben, c’qu’on sème, là ! T’as semé une balle ! Bon, elle va pas pousser, c’est sûr !
Houilles a fait rouler son diabolo sur le sol.
– Mais tu vois, là, par exemple, moi, je sème ! C’est comme si ! On dirait que je sème, après la
bourrée.
Il a relevé les baguettes.
– Et là, tu vois, ça pousse ! C’est comme ça ! Ca pousse toujours quand on sème ! Tu pourras pas faire autrement ! On sème ! Ca pousse ! On tond ! C’est le destin ! On sème à tous vents ! Ca pousse ! Contre vents et marées, ça pousse ! C’est les forces de la nature !
Aille s’est mise à hurler.
– Tu veux les voir, les forces de la nature ? Si tu sèmes… du vent, attends la tempête que tu vas te recevoir !
– T’es en colère, là ! Hein ? Je sens que t’es en colère. Je sais pas pourquoi, mais je sens que t’es en colère !
– Je suis pas en colère, je te parle d’amour ! Enfin, j’essaie ! Je veux dire, tu m’aimes, là, aujourd’hui ? Alors, donne moi un coup de main !
– Je viens de te le dire : « Aujourd’hui même » ! Pas demain ! J’attendrai pas demain, pour te donner un coup, je te frapperai aujourd’hui même !
– Pourquoi tu veux me frapper ! Moi, je te parle d’amour. Je veux savoir si tu m’aimes ? M’aimer !
– Comment ça, Mémé ! Pourquoi on parle de la Mémé d’Aille, maintenant ?
Aille a hurlé derechef.
– Pas ma Mémé ! M’aimer ! D’amour ! Est-ce que tu m’aimes, quoi ! D’amour ! M’aimer d’amour !
– Mémé d’amour ?
Aille était effondré. Houilles lui a jeté un regard énamouré.
– Meuhwoui ! Je t’aime d’amour… encore… tout plein… pis ’core ! Mamours !
– Eh bien, quand on s’aime, on s’aide !
– Meuhwwwwoui, mamours !
– Ben alors, qu’est-ce qu’on attend pour s’aider ?
– Tu veux que je te cède, c’est ça ! Que je sois à toi, mamours !
– A moi ?
– A toi, tout ! Tout ! Tout ! Tout ! Ton grand fou, mamours !
– Meuh non ! on s’aide ! S’aider ! C’est pas compliqué, quand même, s’aider ! C, D,
comme les deux lettres ! C – D ! Tu prends C, tu prends D, ça fait s’aider ! S’aider !
Houilles lui a montré les lettres avec son diabolo.
– M – É ? C – D ? Aimer, c’est céder ! Ben oui, c’est des lettres, ça c’est sûr ! Et alors ?
– Et alors ? Dans la vie, si on s’aime, on s’aide !
– Et la haine, alors ? C’est décéder, la haine !
– Quelle haine ?
– La haine ! Quand on hait, qu’on est haï, c’est décéder ?
– Qui est décédé ?
Houilles lui a montré les lettres avec son diabolo.
– M – É – C – C – D, t’es bien d’accord ? É – N ? É – A – I ? C – D – C – D ! Hein ?
– C’est un code, c’est du morse ?
– C’est pas du morse, tu te crois encore avec tes paquets de mer sur ton bateau de Mayday, toi ! M – É – C – C – D, É – N – É – A – I – C – D – C – D ! C’est des lettres d’amour !
– Des lettres d’amour ?
De nouveau Houilles a fait les lettres avec son diabolo.
– M – É – C – C – D, É – N, É – A – I, C – D – C – D ! C’est des lettres d’amour ! Si je t’aime, moi, je t’envoie des lettres d’amour !
– C’est pas des lettres que je veux, c’est des preuves ! Des preuves d’amour ! Là, tout de suite ! Vas-tu m’aider, si tu m’aimes !
– Oh ! j’ai tout compris ! Il y en a là-dedans, a-t-dit en se frappant la tête avec son diabolo. Quand on s’aime…
Il a fait un cœur avec son diabolo.
– On cède, c’est ça ! Quand on m’aime, on m’aide, quand on t’aime, on t’aide et quand on s’aime, on cède ! J’ai compris ! Qu’est-ce que tu veux que je te cède ? Parce que… j’ai rien à céder, moi ! Je vais pas te céder mon diabolo, tout de même ! J’en ai besoin, pour gagner ma vie !
Alors, Aille s’est mise à hurler de nouveau.
– On s’ai-de ! On s’entraide !
Aille a marché sur la balle de jonglage tombée à terre. Houilles a cessé un instant de faire l’andouille.
– Bon, d’accord ! Arrête de crier comme ça ! Si t’as besoin d’aide, t’as qu’à le demander ! T’as pas besoin de crier ! C’est dans le besoin qu’on reconnaît ses amis, tu sais, pas dans les cris qu’on pousse ! Là, t’es dans le besoin, t’as même marché dedans, c’est dire !
Aille a ôté son pied de la boule et Houilles a repris.
– Alors, je t’entraide ! T’es mon amie, Aille ! Qu’est-ce que tu veux, comme entraide ?
Aille a montré la boule de jonglage sur le sol.
– Enfin, tu t’occupes de mon cas !
Houilles a montré la lettre avec son diabolo.
– C’est pas un K, c’est une boule ! C’est encore tes lettres d’amour, ça, le K ?
– Arrête avec mes lettres d’amour ! Tu vas finir par tomber sur le Q et on s’ra pas trop aidé, là ! J’ai perdu la boule… là !
– Oh ben, j’ai bien vu que t’avais perdu la boule ! Ca tournait pas très rond dans ta p’tite tête !
– Mais non, pas la boule ! J’ai pas perdu la boule, j’ai perdu ma boule de jonglage, là ! C’est ça, mon problème ! La boule, là !
– Et tu veux que je t’aide à ramasser ta boule ? Là !
– C’est ça !
– Ben, t’avais qu’à le demander tout de suite, au lieu de crier, je t’aurais donné un coup de main, et immédiatement! Quand on s’aime, on s’aide et sans tarder ! Je t’aurais aidée à ramasser ta boule. Là !
– Dis donc, ça te fait plaisir de te moquer de moi ?
– Je vais pas me gêner !
– Tu vas pas te gêner, en plus !
– Quand y a de la haine, y a pas de plaisir ! Moi, je t’aime, alors, je te moque ! Et ça m’fait plaisir. Et hop !
Houilles a tiré le fil qui attachait au bras d’Aille la boule de jonglage. Elle a sauté en l’air.
Pour la rattraper, Aille a laissé tomber tout le reste et a crié.
– Houilles !
– Oh toi ! T’as besoin d’un sérieux coup de main, là ! Et tout de suite.
Houilles s’est accroupi pour ramasser les massues, les cerceaux et les boules de jonglage. Aille a levé la jambe.
– Et toi, c’est un coup de pied que tu vas te prendre !
– Au secours ! A l’aide ! Aie !
– Tu m’as appelée, là ? Hein ? Tu m’as appelée ? Et là ? Et là ?
Aille lui a botté les fesses. Un coup de cymbale a retenti à chaque fois. Houilles est sorti à quatre pattes en ponctuant chaque coup d’un « Aï-e ! ».
Ils sont retournés à la roulotte, ont ouvert la porte, elle était silencieuse. Lui aussi.
Quand ils entraient dans leur maison
Seul, le carillon restait ding
Dong ayant trouvé le temps long
S’était barré avec Pimpon
Quand ils ouvraient la porte, elle criait aïe
Comme s’ils l’arrachaient à sa muraille
Le serrurier malgré des fouilles
N‘avait pas su d’où v’nait l’embrouille
Dans la pièce la pendule antique
Avait perdu tous ses tics
Le temps gisait en vrac
Sous le coup d’une chronique attaque
Quand ils fermaient le portail, il criait ouille
Il fallait pourtant bien qu’ils la crouillent
Cette maison qui sauvegardait dans ses entrailles
Le wham taratata de sa pagaille.
A chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe! Quand ils la fermaient elle criait ouille! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison ,ils firent appel à la société des fantômes.
En effet, le doyen se souvint y avoir oublié un stagiaire, il y avait peut être bientôt un siècle de cela. Le pauvre était dans un tel état, à se prendre cette méchante porte dans la figure que le vétéran lui refusa l’accréditation de zombi de première classe. On le cantonna dans un rôle de mi-ectoplasme, mi-figurant et on le lâcha dans la nature humaine.
On l’aperçut un jour, tzigane en Slovaquie. Il était déjà bizarre dans le regard des autres. Puis on eut du mal à lui casser sa chaîne de travail. Il triait depuis des mois des montagnes de chaussures et les fumées l’importunaient.
Plus tard, il sauta d’un pont parisien avec ses camarades. Une curiosité malsaine pour Saint Michel dirent les autorités.
Un jour, en Suède, ou en Suisse, ou au Danemark, ou en Estonie, ou en Finlande, ou aux Etats Unis…il profita d’un généreux programme de stérilisation réservé aux inférieurs, aux dégénérés, aux déviants, aux asociaux, aux marginaux, aux pauvres, aux débiles et aux tarés.
Avant, et longtemps, il servit de bois de chauffage pour faire circuler les vapeurs entre l’Afrique et le Monde nouveau de la liberté.
Puis il fit une multi pause dans le pays du génocidre. Pas la Normandie, non, un noir pays où l’abus d’alcool de banane permettait à certains d’ empiéter sur la vie de leur voisins, sans mâcher leurs mots, à grands coups de machettes.
Et encore…et encore…
Derrière sa porte battante, le journaliste écrivait. Il luttait encore contre les silences, les horreurs et les oublis. son combat restait plein.
« Train train de vie, s’accrochent sans bruit les wagons
Mais vorace si vorace la tendresse
Mais rapace si rapace le désir sous la glace à biseau du buffet
Entre le chalet suissse et les chiures du calendrier des pompiers
Là où meurent les mots sans bruit »
A chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe !
Quand ils la fermaient elle criait ouille !
Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils…
décidèrent de consulter un détecteur de bruits insolites fort réputé, fort cher, mais fort.
– Ca va nous coûter bien cher dit Maman,
– Ben moi je peux plus l’entendre souffrir dit Antoine, ça me fait pleurer chaque fois,
– Et moi mes amis ont peur de venir me voir à cause de ses gémissement dit Jeanne.
– C’est décidé tranche papa, je prends rendez-vous.
Et comme le détecteur de bruits insolites est fort demandé, il fallut attendre un bon mois.
Enfin, le voilà !
Papa, Maman, Antoine et Jeanne sont impatients et intrigués.
– Bonjour dit l’homme !
Je vous demanderais de sortir pendant que je l’ausculte. J’ai besoin du plus grand silence.
Et pendant que l’homme ouvre sa trousse mystérieuse, la famille se réfugie dans le jardin.
Papa et Maman sont inquiets,
Antoine et Jeanne sont excités.
Au bout d’une heure et demi…. (oui, ce fut très long), l’homme les rappelle pour le diagnostic.
Il lance aux parents un regard réprobateur qui les glace.
On s’assied.
l’homme range tranquillement ses instruments dans sa trousse mystérieuse, il toussote un peu et lance :
– Voilà, s’est simple, mais vous ne l’avez pas suffisamment écoutée.
Votre porte souffre depuis trop longtemps voyons !
C’est une porte merveilleuse… vous avez une chance inouïe….
et il rédige une ordonnance : 1/ supprimer toute serrure,
2/ respecter sa vocation,
3/ lui porter attention, lui dire bonjour et merci à chacun de vos
passages.
– Mais c’est quoi sa vocation ? osa timidement papa.
Nouveau regard réprobateur de l’homme qui répond dans un soupir de lassitude:
– MAIS C’est pourtant simple, et je vous le redis, vous avez une chance inouïe, votre porte est une porte de LA LIBERTE.
– C’est très rare, je vous l’accorde….
Alors, respectez la, ne la faites plus souffrir et surtout PROFITEZ-EN!
À chaque fois qu’ils ouvraient la porte de leur maison elle criait aïe ! Quand ils la fermaient, elle criait ouille ! Comme aucun serrurier ne trouvait la raison, ils n’envisagerent que trois solutions: changer la porte, la laisser toujours ouverte ou fermée à jamais. Changer la porte les attristait, elle était d’un beau chêne ancien qui faisait la fierté de la maison. La laisser ouverte avait l’inconvénient d’un éternel courant d’air et d’un manque total d’intimité. Ils installèrent un rideau et pendant une semaine elle put se reposer. Après cette convalescence elle continua à manifester sa douleur par une plainte plus discrète. Ils tentèrent la version close avec le même piteux résultat. Personne n’y comprenait rien.
Qu’avait donc cette porte ? Fallait il vraiment l démonter ?
Ils tinrent conciliabule assis sur le seuil, pour évoquer le problème en sa présence. Ce fut le silence complet. A part ouille et aïe, rien ne venait. Puis en la manœuvrant doucement, lentement elle émit une plainte douce. L’ouverture semblait plus douloureuse que la fermeture. On prit soin de la solliciter le moins possible comme partout dans le village on s’habitua à passer par la cuisine. Quand des citadins venaient on leur expliquait la maladie de leur porte.
Un jour un vieil ébéniste reconnut enfin le problème : une atteinte rhumatismale due à l’humidité. Il suffisait d’un long repos et de placer sous la porte un bourrelet de tissu pour bloquer le vent coulis qui déclenchait le rhumatisme. Peu à peu elle se rétablirait. On suivit le conseil et la porte ne fit plus jamais aucun bruit.
Et si la porte était vivante. Son bois façonné, tailler, ornemente par l’homme. Du la beur, de la sueure….elle qui a pour fonction d’ouvrir et de fermer sur l’histoire. Elle témoin, réceptacle de tant d’émotions. Sachez passer 1 main délicate, fermez les yeux pour ressentir en vous, juste par le toucher et l’odorat. Éveillés vos sens à son écoute. Prenez SON temps. Elle parlera à qui sait la considèrer avec son coeur