344e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
C’était, il y a longtemps, dans l’Ouest.
Quand les Plums chassaient encore le frisson.
Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté.
Inventez la suite
C’était, il y a longtemps, dans l’Ouest.
Quand les Plums chassaient encore le frisson.
Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté.
Inventez la suite
C’était il y a longtemps dans l’Ouest. Quand les Plums chassaient encore le frisson. Page Blanche s’était candidement laissée séduire par Stylo Effronté.
Son père, homme d’affaires pressé, d’origine indienne, amoureux des chansons populaires avait pensé au nom d’Edith Eclair, mais son épouse plus pondérée, une Dame Montblanc, venue de l’Est avait préféré le joli nom de Page Blanche, propre à faire naître l’inspiration d’un poète. Avec un charme sans égal, elle s’intéressait à une nouveauté chaque jour. Page Blanche ne se posait pas de questions. La spontanéité, sa règle première régissait sa vie dès son réveil. Cette jeune fille, par tant de géniale vitalité ne demandait qu’à sortir de son cocon. D’intuition, elle savait qu’elle trouverait une opportunité d’écriture en temps voulu.
L’année dernière, elle avait rencontré un Anglais intrépide qui lui avait donné un Jif. Ils s’étaient rencontrés dans un train. Lors du croisement au milieu des passagers, le stylo s’était accroché à la bretelle de son soutien-gorge. Elle s’était retournée pour lui en donner une, mais sa main s’arrêta, en lui frôlant l’oreille. In extremis, elle maquilla ce geste en une caresse de karatéka. Le stylo vola dans la chemise d’un passager. Dans la continuité, elle plongea entre la peau et le vêtement pour repêcher l’objet effronté. D’une pirouette d’artiste, elle remit le stylo à sa place. Le British séduit, l’invita au bar. Il se présenta Sir Waterman. Avec son accent Anglo-saxon, il lui dit : » Je vais vous distiller des verres de ma composition ! » Réceptive, Page Blanche, ne demandait qu’à être instruite.
Il lui conta l’histoire des quatre plumes blanches. Il lui prit la main et lui écrivit son numéro. Elle comprit qu’il se faisait des films et puis, qu’il ne buvait pas que de l’eau. Sir Waterman, pour se remplir le réservoir demanda au barman, un cocktail presque violet. Ce gentleman avait une idée sous le capuchon. Tout à coup, il mit son stylo entre les dents. « Regardez ! Je vais vous écrire un poème tatoué, lui dit-il en fermant les yeux. » Page Blanche en eut les filigranes tout imbibés. Ses joues se maculèrent de rouge. » Que vais-je faire pour me dérober ! se dit-elle. Subitement, le noir complet ! Un tunnel providentiel venait à sa rescousse. Des tremblements traversèrent tout son corps. Le liquide qu’il lui avait mis faisait son effet. » Où êtes-vous demanda l’anguleux d’Outre-Manche. Ah ! Je vous tiens, grogna-t-il de contentement ! Mais, que vous êtes musclée ! »
Pendant ce temps, profitant du noir, Page Blanche s’était tournée ailleurs. La rencontre qu’elle avait faite dans la premier wagon était plus intéressante. Le Jif qu’elle serrait toujours dans la main était doté d’une pile. Le passager à la chemise ouverte l’avait déjà rejointe. Elle s’inséra entre deux voyageurs pour l’entretenir de ce qui venait de lui arriver. Elle entendit dans son dos, un accent de sa connaissance :
– Oh ! Baby ! Vous avez filé à la Française !
– Qu’est-ce qu’il est Chesterfield !
– Hein ! dit l’homme.
– Il est collant !
C’était, il y a très longtemps dans l’Ouest.
Quand les Plums chassaient encore le frisson.
Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté.Et folle d’amour elle le laissa griffonner sur elle. Dans sa naïveté, elle croyait qu’il allait lui écrire quelques mots d’amour ou faire quelque dessins.Mais non il la noircit de ses pattes de mouche . Puis il mit son capuchon et partit, sans un regard, sans signe, sans même une tache d’encre ou autre.
Page blanche, parcourue de frissons, se mit à lire. C’était l’histoire d’un frison, qui battu par son lad, s’était échappé du haras où il était dressé pour participer à des courses.Il avait envie d’aventure et galopa droit devant lui, des voitures le klaxonnaient, il ne savait pas pourquoi puisqu’il courait prudemment sur la droite de la chaussée ! Peut-être avait-il dépassé la vitesse autorisée , pourtant il ne faisait pas plus de 50 km/H). Au loin il aperçut une route secondaire et se proposait à l’emprunter mais un panneau « sens interdit »l’en empêcha. Apercevant une aire de repos, il s’y dirigea et quelle ne fut pas sa surprise de voir beaucoup de voitures arrêtées, sans occupant (en avaient elles besoin pour rouler, comme lui avait besoin d’un cavalier pour participer à des courses hippiques ou pour savoir où aller tout bonnement). Il se gara près d’elles et s’assit sur son train arrière. Aucune femelle à l’horizon à qui proposer la botte. Quelques jeunes lui donnèrent quelques carottes, mais pour lui ce n’était qu’un hors d’oeuvre. il eut une envie folle de retrouver son haras, ses bottes de foin, ses graines. Soudain quelle ne fut pas sa surprise de voir soudain apparaître son lad.Il avait un radar, ce n’était pas possible autrement. Il hennissa de plaisir et fut parcouru de frissons. Dans le van, qui le ramenait au bercail, il se promit de gagner la première course à laquelle il participerait pour se faire pardonner.
A la fin de sa lecture page blanche se dit que Stylo Effronté avait bien du talent.
C’était il y a longtemps… à l’ouest…
A l’ouest de où, ça personne ne le sait.
Mais les gens de ce pays étaient tous à l’ouest.
Voilà pourquoi cette histoire est une histoire de fous.
Elle n’a d’ailleurs ni commencement ni fin, puisque la terre est ronde.
Et qu’on y est donc toujours à l’ouest de quelque part.
Mais c’est sans doute pour ça que cette histoire tourne en rond.
Et encore, parce que si la terre tournait rond, on s’y retrouverait.
Ce qui n’est pas le cas ici.
N’espérez pas y comprendre quelque chose, ou démêler le vrai du faux.
Dans les histoires de fous, pas d’arbitrage possible.
Personne n’a raison.
Et pour cause, puisque c’est une histoire de fous.
Mais vous avez peut-être du mal à me suivre.
Et pourtant il vous faudra de l’endurance.
Parce que dans les conditions décrites plus haut, l’ouest, c’est pas la porte à côté.
Mais je reviens au sujet.
Donc.
Il y a longtemps, très longtemps, sur une planète lointaine, très lointaine…
Pourquoi pas après tout.
Car au niveau de l’Univers, c’est où ? L’ouest ???
Quand les Plums chassaient encore le frisson.
Là, l’indication temporelle est tout à fait illusoire.
Personne ne se souvient plus des Plums.
Et si ça se passe sur Terre, c’est bien avant le réchauffement climatique.
Parce qu’actuellement, il serait tout à fait impossible de chasser le frisson.
Même pas en Arctique, même pas en Antarctique. Même pas en rêve.
Et même dans vos rêves les plus fous !
C’est dire si cette histoire date de longtemps.
Y’a péremption.
Page Blanche s’était candidement laissée séduire par Stylo Effronté.
Qui en fait ne lui avait pas demandé son avis.
Elle était là, disponible.
Ni au nord, ni au sud, ni à l’est, même pas à l’ouest.
Juste là.
Trop tentant pour un stylo.
Oh ! Eh ! Effronté vous-même !!
Qu’auriez-vous fait à ma place ?
Je l’ai abordée.
Par le coin supérieur gauche, comme il se doit.
Je connais les règles de la politesse.
J’ai commencé piano, puis crescendo dans le feu de l’action.
Je n’ai pas encore atteint l’orgasme du bas de la page mais je suis en bonne voie.
Je vous tiens au courant.
Et… au fait !…. Merci de votre collaboration !
Involontaire, mais bon…
Sans rancune ?
Eh non ! A l’ouest, décidément, il n’y a rien de nouveau !
C’était il y a longtemps dans l’Ouest quand les Plums chassaient encore le frisson.
Page Blanche s’était candidement laissée séduire par Stylo effronté .
Cela avait commencé par des mots jolis, plein de rêve et de poésie : coquillages, petits cailloux, roulis, parfumé, vol-à-voile, papillon, coulis, moiteur, sauterelle, libellule, qu’il avait lestement déposés sur Page Blanche. Elle était éblouie par ces mots en vrac plus sensibles qu’une phrase policée.
Alors il avait ajouté quelques fleurs et autres fantaisies comme Belle de nuit, Molène, Serpolet, aigue-marine, Rubicon , pépiement, gaité, angelot, cliquetis et clapotis, et elle avait fondu pour lui . Elle le regardait avec des lignes tremblantes qui ne tenaient plus les parallèles et au moindre souffle d’air, elle se soulevait dans une bouffée de plaisir … elle en pinçait pour les dons effrontés de Stylo le lettré. La magie des mots caressait ses failles.
Elle s’éventait de ce musc en laissant filer ses désirs et crissait de jouissance. Mais elle n’écoutait que ses sens, et ne vit pas venir la menace . Les mots de l’effronté se raréfiaient avec un goût d’aigre et perdaient de leur douceur …..
Un jour, Stylo l’effronté lui balança son coup de boutoir et lui jeta des J’enrage, Tu m’agaces, Arrête ! , mais Non! , Je n’veux pas!
Et fila…..
Page Blanche toute à son émoi n’y comprenait plus rien… que se passait-il? Qu’étaient-ils devenus?
Il n’y avait rien à comprendre, sinon, un autre joli mot: un aléa de la vie…
Elle casa Aléa, bien serré entre des mots techniques, pragmatiques, qui la raccrochaient au réel: peindre les volets, désherber le jardin, changer l’ampoule, ranger l’atelier, ce qui lui permit de s’évader dans ses mots à elle, jusqu’à ce qu’enfin, elle tourne la Page devenue grise et qu’elle en ouvrit une nouvelle . Tout était à nouveau là, les mots : Possible, demain, oui! , encore! , j’ai faim, agrumes, tu me fais rire, vin blanc, l’océan, le roulis, les cailloux , les coquillages ……
Félicitations pour cette farandole de mots. Original et rafraîchissant. Bravo.
Ses mots cassent un peu l’ambiance. Alors, ce jour-là, il arriva sans faire de bruit, aux pieds ses mocassins qu’il venait de coudre. Il était temps, il marchait sur la corde. Il devait révéler son secret. Lors de l’anniversaire de Page Blanche, il mit du velours sur ses nerfs à fleur de peau, puis il revêtit ses paroles de douceur. Il avait travaillé sa diction en l’accompagnant de gestes succincts qu’ils dessinaient tels des esquisses. Mieux qu’une communication muette, ses déplacements invitaient à une joyeuse danse. Son corps exprimait l’intention positive et le partage. Page Blanche s’ouvrait à la vie. Elle était fragile et douce. Et, elle ne voulait décevoir ni Mère-Courroux, qui courait partout, ni Grand-Mère-Soucis qui en causait beaucoup.
Page Blanche était fille divine protégée par Grand Totem. Son éducation la destinait à un avenir riche en rencontres épanouissantes. Stylo Effronté, en s’exerçant le lui avait prédit.
Les quatre couleurs des plumes de La Fontaine ornaient la tête du chef des Stylos Affables. Sur son tipi était inscrit, d’une écriture légère, la bienvenue aux gens de bonnes intentions. Avec sa tribu, le chef Stylo-Plume était très apprécié et très gentil. La grande transhumance des frissons partout se déroulait en été. Stylo-Effronté avait été blessé par Mère-Soucis qui l’avait nommé Chef Bouc-Emissaire sans lui demander la permission. Dans le troupeau, il assuma sa migration pour sa survie.
Quand Page Blanche arriva, ils se comprirent à propos d’un dimanche sanglant, une chanson à message. L’oeil de Grand-Mère-Soucis fut inquisiteur et prévit une sanction implacable. Forte de son autorité, son verdict fut sans appel. Elle bannit la proximité de Stylo sur Page Blanche qui avait préparé ses peintures pour une prochaine fois. Dans ce rapprochement, Mère-Soucis mit de la dynamite propre à se débarrasser de Stylo-Effronté-Naïf. Elle écrivit des mythes qu’elle envoya à tous les hommes blancs en uniforme et au shérif, et même au Procureur, mais surtout à Mère-Courroux qui fut très étonnée de ces accusations qui déstabilisèrent Stylo-Effondré pour de bon. Mère-Soucis n’hésita pas à compromettre Page Blanche dans une situation qu’elle inventa de toutes pièces. C’était très méchant et très cruel. Son étrange cruauté envers la famille n’avait pas de limites. Elle utilisa la mythomanie comme une arme. Stylo-Effondré fut proche de la rupture. Un Stylo n’est pas fait pour être le support d’une discorde basée sur le mensonge. Compenser les mensonges étant mortel, pour éviter de mourir, il s’accrocha aux coeurs d’Amour dessinés avec les mains, les plus beaux cadeaux qu’il ait jamais reçu de deux Anges.
Grand-Mère-Soucis attacha Stylo-Effronté au Grand Totem pendant des lunes. Elle le coinça dans la spirale infernale. Elle lui imposa des tâches humiliantes notées sur son parchemin à lui donner le tournis, rétablir les erreurs qu’elle avait faites autrefois, qu’elle recommençait par jeu et qu’elle lui reprochait pour qu’il s’intéresse à elle. Elle se protégeait ainsi de ne pas grandir et de reporter ses responsabilités sur son Stylo. Elle lui dit qu’elle avait subi la torture par ses parents qui l’enfermaient dans une cage, enfant. Il s’avéra que c’était faux et qu’elle manipulait son Stylo-Effronté avec beaucoup d’imagination depuis le début de leur histoire et qu’elle courtisait son fils dans un jeu où elle ne faisait pas la différence entre le bien et le mal.
Il la réconcilia avec son propre fils qui lui reprochait de ne pouvoir avoir d’enfants, l’origine de la mésentente entre lui et sa soeur. Stylo-Effronté trouva la solution : adopter un enfant. Mère-Soucis s’en remit complètement à lui. Elle utilisa ses atouts pour semer la zizanie comme une stratégie néfaste. Le pauvre ami se conforma à tout ce qu’elle lui demanda parce qu’il aimait écrire l’histoire quand elle le tenait dans une main qu’il crut sincère. Pour le remercier de l’avoir aidée, elle lui tira dessus à boulets rouges. Elle se servit de sa propre famille.
A Stylo-Effronté, elle fit du chantage affectif sur son fils, sur sa petite-fille qu’elle prit en otage et puis sur son amie d’enfance. Elle lui promit qu’elle se tuerait s’il devait la quitter. Elle lui retira sa recharge d’encre, son ressort, sa pointe Bic, tous ses amis et tout ce qui le faisait vivre pour l’avoir à sa merci. Ne restait plus qu’un porte-plume plumé de sa tribu.
La cruauté de Mère-Soucis fut telle qu’elle le fit mettre en prison, dans la cage qu’elle lui avait décrite, parce que Page-Blanche avait oublié son Pentax chez lui. Elle lui demanda beaucoup d’argent pour l’héritage. Elle l’avait suivi dans son tipi pour cette raison. Quand elle s’aperçut que son stratagème ne marcherait pas, qu’il ne mourrait pas de ses blessures, elle prit un autre plum.
Cette histoire est l’histoire authentique de Stylo-Effronté qui prit le nom de Michou des Mers pour voguer tranquille et continuer sa vie détruite par Mère-Soucis qui, au fond n’aimait que les sous. Les sous qu’elle n’avait pas, mais qu’elle aurait pu avoir, sans cruauté, avec en plus, de l’Amour. Bizarre !
Chez les Plums, la cruauté n’existait pas. Celle venant d’une femme était une aberration.
Les dernières paroles de Mère-Soucis que Stylo-Effronté put lire dans un message nuageux : mon psycho-sorcier-Plum m’a dit que je t’ai pris pour mon père et l’Amour est plus fort que tout.
Comme si elle ne le savait pas depuis le début !
C »était il y a longtemps, dans l’Ouest. Quand les Plums chassaient encore le Frison. Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté.
Cheyene Alarmé, lui avait dit de se montrer plus distante. Mais, Page Blanche en avait assez et Stylo noir, lui avait expliquer en long en large et en travers qu’elle, avait d’autres choix, qu’elle pouvait voir d’autres horizons, vivre des aventures grâce et avec lui.
Cheyene Alarmé lui réexpliqua les dangers des Plums ( pas les prunes hein!) non, ceux qui voulaient, qui vous faisaient les yeux doux, vous promettaient monts et merveilles, vous endormaient avec des saveurs nouvelles, des fruits exotiques, des mots nouveaux. Ils vous garantissaient le summum.
Il lui dit: » Revoie le moment ou nous allions en chasse. Te souviens_tu de la traque? Te remémore-tu les longs parcours, les jours de disettes? Le ventre creux, les mots qui ne venaient pas, les pleurs, la douleur! »
Souriante Page Blanche lui murmura alors: » Que m’importe ces longues chevauchées fantastiques, ces montées en puissances, ces lignes fluides et susurrantes.
Que m’importe de vivre avec la peur au ventre, je me sent libre avec lui et je vais aller aussi loin que l’encre de sa vie me le permettra.
Si tu es mon ami Cheyenne Alarmé, tu seras heureux pour moi et tu me donneras tes propres pages, celles que ton amie Brise Crayon Noir a remplie. Ainsi, nous serons unis et ensemble nous parcourrons la vaste prairie.
Stylo Effronté nous permettra de nous réunir, il couchera sur ma page longue comme l’immensité tes mots et les miens, alors ce recueil de pensées fera de nous d’illustres inconnus.
Cheyenne Alarmé baissa le front devant l’air buté de Page Blanche. Il laissa coulées ses larmes.
Il regarda vers l’Ouest attendant un signe. Le couché du soleil lui renvoya les silhouettes enlacés de Stylo Effronté et de Page Blanche.
L’horizon lui renvoya aussi furtivement l’image d’un Frison Blanc.
Il sourit.
Ce symbole de vie lui montrant que l’espoir est toujours permis.
C’était, il y a longtemps, dans l’Ouest. Quand les Plums chassaient encore le frisson. Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté.
Sur la première page du cahier, quelques mots tracés d’une écriture belle et élancée :
Pages blanches de mon auto-biographie, par Adèle M.
– Je ne veux pas oublier…. Je ne veux pas oublier…
C’était il y a longtemps, certes …
Mais dans l’Ouest…pas si sûr que cela ! Moi, je dirais plutôt, le centre, même la capitale. Ma mémoire me joue parfois des tours !
Paris, peut-être…Enfin, tout cela dépend de l’endroit où l’on pose ses pénates. Mais un fait était certain : les Plums avaient décidé de chasser le frisson. Une drôle de famille, ces Plums. Je pourrais en conter, des jours et des nuits durant….
Il y eut d’abord Madame-mère Plums. Plum-pudding, l’appelait-on derrière son dos ! Dieu m’en garde, ce n’était pas de la méchanceté ni de la médisance ! C’était en raison du sillon qu’elle laissait derrière elle. Un senteur douce, sucrée et vanillée à la fois…
Madame Plum lisait. Lisait énormément. D’ailleurs, elle ne faisait que cela. Des enfants ? On ne sait même pas si elle en a eu. L’encyclopédie ne le mentionne pas.
Puis vint le jour où Madame Plums s’essaya à l’écriture. Et elle n’y alla pas de main morte !
De toutes ses lectures, elle sélectionnait une infime partie et la transformait : elle allongeait, raccourcissait, brodait, enjolivait, dramatisait…Elle s’en donnait à cœur joie.
Tous les thèmes y passaient : la fratrie, le mariage et le remariage. Les héros côtoyaient les personnages bienveillants et malveillants. Les décors étaient tantôt somptueux, tantôt miséreux…
La plus grande satisfaction de Madame était d’observer les réactions de son public lors de la lecture. Ah, Madame-mère Plums, c’était quelqu’un ! Un tempérament de feu derrière un masque d’albâtre…
Derrière un masque. Ah oui, un masque ! C’est ce que prit Monsieur. Monsieur Plums. Un masque et une plume, son emblème.
Un précurseur, cet homme ! George qu’il s’appelait. Soixante-dix romans qu’il écrivit ! Mais aussi des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre et même des textes politiques.
C’était quelqu’un, Monsieur George. Une vie amoureuse agitée, des tenues vestimentaires à contre-courant. Bel homme !… il fit deux enfants. Et sa plume ! Caustique s’il le fallait.
Un matin, un peu avant l’été, la mort vint le cueillir au château. C’est triste.
Et puis, il y avait Mademoiselle Plum.
Elle valsait sur les pages blanches où dansaient les princes et les princesses, les cygnes blancs et les cygnes aux noirs destins funestes.
Mademoiselle tomba amoureuse d’un jeune homme au style, oh…éhontément effronté.
Sur l’oreiller, elle lui confia les secrets de sa famille.
Et de un. Madame-mère, en fait, était un écrivain cancanier qui s’appelait …. Charles. Et puis Charles eut un fils caché. Maurice. Et il écrivait aussi. Mais lui, c’était de la musique. Une bien belle musique. Imaginez son œuvre intitulée : « Les contes de ma Mère l’Oye ». Quelle affaire !
Et de deux. Monsieur George, sous ses airs bourrus et derrière son masque d’albâtre, se cachait une femme ! Une femme au caractère bien trempé. Aurore… Aurore …?
Les pages blanches du quotidien se noircirent de propos scandaleusement excessifs.
Mademoiselle Plume tenta d’étouffer l’affaire sous un duvet de protestations, de démentis, de dénégations….Le mal était fait…..
– Ah…ma mémoire n’est plus ce qu’elle était….s’écria Adèle M. en refermant son cahier. Pourquoi donc est-ce que j’écris ces lignes ? Je ne suis pas une Plums…
Et la plume d’Adèle M s’envola par la fenêtre….
Installée près du bureau, cela fait des ramettes qu’elle observe le manège. Elle attend son tour, blanche de peur … Plum ! plum ! les touches s’enfoncent, heurtent sa quiétude. Plum, plum, plum ! la cadence s’accélère, l’épreuve approche. L’homme se lève, la soulève – elle est si légère- puis l’enferme dans cette vilaine boîte noire, étroite et bruyante. Elle est happée, roulée, comprimée, frappée de têtes d’épingle, elle se croirait sous une averse de grêle ! Enfin, elle retrouve peu à peu la lumière, reprend des couleurs. Elle n’a pas le temps de souffler qu’il la saisit d’une main autoritaire et la couche devant lui, sur le bureau. Sous son regard acéré, elle frissonne… Elle voit Monblanc passer, fier dans son smoking noir, Parker tenter d’accrocher l’attention en jouant des reflets argentés de son costume, Waterman virevolter en couleurs. Elle, se fige dans l’attente, écoute. L’encre s’agite, un capuchon grince… Stylo Effronté approche ! Lui, l’inclassable ! Inconstant, il saute d’une ligne à une autre, elle reste impassible. Il s’énerve, elle résiste aux ratures. Peu à peu, il trouve son rythme et la caresse d’une plume ferme et douce, elle se trouble, murmure aux cadratins, frissonne sous les mots doux… Adieu sa virginité ! Mais qu’importe, elle acquiert un nouveau statut : Page de Manuscrit.
© ammk
C’était, il y a longtemps, dans l’Ouest.
Quand les Plums chassaient encore le frisson.
Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté.
Elle restait devant lui, bouche bée, pendant qu’il virevoltait,
simulant textes et ratures, tressant des arabesques,
et elle imaginait déjà les délices promis à sa virginité.
Les sages Plums, les anciens, Calames, Stylets, et autres Crayons,
se réunirent pour examiner la situation:
certes, ce Stylo effronté semblait bien moderne, et même révolutionnaire,
mais cette pauvre Page blanche semblait si éprise!
Ils le mirent donc en demeure de se déclarer et de conclure.
Quelle ne fut pas leur surprise de voir ce bellâtre se dégonfler, hésiter,
tourner autour de l’encrier, et perdre tous ses moyens en s’approchant de la belle.
Le vieux Sage consulta ses grimoires, et déclara » ce jeune fat est atteint de leucosélophobie »
sans indiquer de remède pour l’en guérir.
Page Blanche, pendant ce temps, dépérissait de dépit,
perdait son teint clair et radieux,
il fallait lui venir en aide rapidement.
L’on appela les meilleurs spécialistes, le Feutre, le Pinceau, l’Imprimante,
qui à leur tour proposèrent les techniques les plus sophistiquées,
avec les textes scientifiques ou poétiques,
avec des astuces dignes de l’Oulipo ou des miniatures médiévales
toutes les inventions de l’Ecriture et de la Peinture au fil des siècles.
Pendant qu’ils débattaient entre savants,
Page Blanche continuait de dépérir,
et prenait la teinte d’une pauvre feuille d’automne.
Avant qu’elle ne disparaisse tout à fait, Stylo Effronté lui rendit une dernière visite
et trouvant sa nouvelle couleur fort attrayante,
s’essaya à lui confier des mots doux,
la combla de poèmes et de palindromes,
la décora de calligrammes et de tendres gribouillis,
et ainsi, ils trouvèrent ensemble le chemin d’une éternelle complicité.
C’était, il y a longtemps, dans l’Ouest quand les Plums chassaient encore le frisson.
Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté.
Il existait beaucoup de Pages Vierges chez les Plums car ils n’avaient pas encore appris à décocher des lettres d’amour.
En cadeau, les jeunes guerriers amoureux offraient plutôt les produits de leur chasse: un bison, par ci, un bison par là.
Stylo effronté, à la bille délurée lui offrit carrément un sac patiemment tanné dans les bourses du chef du troupeau.
La première fois que Page Blanche aperçut Stylo effronté, il bandait justement son arc.
Elle se sentit devenir Page Volante.
Lui, pourtant fameux cavalier se savait le plus grand des tombeurs.
Peu de Pages lui avait résisté. Il en consommait beaucoup, de jour, de nuit et ne s’endormait qu’après avoir tout déroulé du manuscrit.
Parfois, épuisé,il s’évanouissait dans les bras des espaces.
Il pouvait alors chevaucher des semaines les plaines du Délyai, contourner les montagnes de Books pour se réfugier dans son antre secrète.
C’était une bibliothèxane, abandonnée avec le reste du décor après le tournage des « Cavaliers » par John Ford.
Voilà déjà quatre fois qu’il échappait aux Pages Blanches, aux Vierges, aux Translucides pour se plonger dans le livre épais, plein et confus, ce drôle de roman de science- fiction: « Squaw Vadis ».
Il ne lui restait plus que 10 pages mais le sorcier fou avec sa blouse blanche rentra dans la chambre.
« Allez, le Bison affuté, on ne va pas se chamailler ce soir….je te laisse ton bréviaire et on fume le calumet de la paix »
L’infirmier lui tendit un maigre cône d’herbes enivrantes…
« Tu verras, c’est mieux que les cachetons… »
Stylo effronté s’endormit. Le petit nuage de la fumée l’avait transporté jusque chez lui.
Il admira un grand tableau accrochée au mur du tepee: « Nature morte au scalp »
Il était une fois dans l’Ouest (bien avant que Morricone ne s’en mêle) une tribu d’Indiens tout aussi irréductibles que l’avait été quelques siècles auparavant un peuple de moustachus appelés les Gaulois qui vivaient sur un petit territoire alors encore franco d’Euro et d’emballage.
Les chaînes info « Tam-Tam » et « Feux-de-Fumée » auxquelles tous les tipis du village se connectaient à l’heure des nouvelles et de la soupe avaient d’ailleurs récemment diffusé un documentaire démontrant que les descendants de ces gens-là portaient encore dans leur ADN le marqueur de ‘râleurs toutes catégories’.
Mais revenons à nos bisons.
Cette tribu amérindienne portait le nom de Plums en raison de l’incroyable rapidité dont ses membres faisaient preuve quand il s’agissait de courser les poules, les oies sauvages, la dinde et surtout l’aigle à tête blanche devenu le symbole du haï état Yankee qui leur avait tout pris. Quelle jouissance ils éprouvaient à le plumer celui-là quand ils avaient réussi à en choper un. C’était même lui qui fournissait les plumes les plus lisses, les plus longues, les plus belles qui venaient orner la coiffe du Grand Sachem Ours Mal Léché.
D’accord les temps modernes étaient arrivés ici aussi, mais la tradition demeurait, et quand venait le moment du grand Pow Wow, les Plums coiffaient leurs plus belles plumes pour venir accomplir autour du feu le rite de la danse de la pluie, du soleil, ou des esprits, selon la saison ou la fantaisie du chaman DJ. Les squaws elles aussi en piquaient une ou deux dans le bandeau enserrant leurs épaisses et luisantes tresses noires. Quels beaux cheveux elles avaient, épais et raides comme le crin de leurs chevaux. De beaux yeux aussi : des perles noires au regard aussi perçant que la flèche.
Maintenant les jeunes allaient à l’école. La petite Page Blanche y était en dernière année. Elle avait seize ans, y occupait le même banc que Stylo Effronté. Drôles de prénoms pour des Indiens, comme quoi après la révolution, l’évolution était en marche, on disait même que pour les derniers-nés la mode des prénoms était par exemple pour les garçons : Acrobat, Bluetooth, Bug, Firefox et même Disque Dur*. Pour les filles, on trouvait Arobase, Ethernet, Icône, Cookie… (* Disque Dur, franchement ça serait mieux allé au grand-père à la grand-mère.)
Le surnom de Page Blanche lui avait été donné par le professeur de maths. Elle était bien jolie cette petite mais pas foutue de se mettre dans le crâne combien faisaient deux et deux, alors quand elle rendait sa copie d’algèbre … quant à Stylo Effronté, le qualificatif lui venait du fait que pour les mettre en rage, il adorait piquer les stylos de ses copains jusque dans leurs trousses avec un culot monstre. Ainsi il était certain que la cloche sonnée, il y aurait de la bagarre dans la cour.
Malgré son goût pour la provocation, Stylo Effronté avait le cœur tendre, par fierté il ne le montrait pas, il n’y avait que Page Blanche qui le savait. Il lui avait offert un collier de griffes d’ours, et elle avait brodé pour lui de petites perles sur une paire de mocassins. A elle si jolie, le collier allait à ravir, à lui, à ses grands pieds les mocassins tout pareil. Ainsi parés, pas peu fiers et surtout innocents, ils rejoignirent les wigwams pour assister à la danse du scalp. Tout le village était là, les tambours, les chants et les cris de guerre y allaient de bon cœur autour du grand totem, pendant qu’une forte odeur de Marie-Jeanne s’envolait des calumets et que certains déjà ne tenant plus debout se roulaient par terre.
Soudain ce fut comme si le Grand Esprit leur était tombé dessus aussi violemment que la foudre. Page Blanche se prit une paire de baffes retentissante et fut ramenée vite fait par sa mère Lune Sévère qui la tira par les tresses jusque dans le tipi familial où, comme ça nous est arrivé à toutes à l’adolescence, elle eut droit à une bonne raclée assortie du sermon qui commence par «t’as pas honte, petite traînée, à ton âge, c’est bien la peine que … etc, etc ….. »
Et le pauvre Stylo, plus Effronté du tout tant il ramassa de coups de pied au derrière généreusement distribués par Manitou Colérique, qui bien que très imbibé d’eau de feu ne le rata pas souvent. Et comme si ce n’était pas assez, il eut droit à l’éternelle leçon de morale historique que l’on assénait au moindre écart à chaque gamin de la tribu afin qu’il se la mette bien dans la tête et essaie de retrouver un peu de l’honneur perdu des Natives :
« Hugh fils, n’oublie jamais que c’est nous Sioux et Cheyennes, Sitting Bull et Crazy Horse, qui à Little Big Horn avons eu la peau de ce salopard de général Custer ! »
Il y a longtemps, dans l’Ouest, quand les Plums chassaient encore le frisson, Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo effronté…
Ils cavalaient des journées entières sur les lignes, survolaient les phrases, sautaient des mots, faisant fi des virgules et des apostrophes. Et lorsqu’ils s’arrêtaient enfin, à bout de souffle, c’était pour consulter la carte du tendre et se bécoter à l’ombre d’un point d’exclamation.
Qu’ils croisent un troupeau de difficultés, il leur suffisait d’esquiver le passage pour se retrouver quelques lignes plus bas : une fois encore, ils avaient passé l’obstacle et filaient de plus belle vers la grande odyssée.
En bref, Page blanche en pinçait carrément pour le fringant porte-plume et leurs folles chevauchées.
Mais un jour funeste, les Plums furent attaqués par une maladie dégénérative qui se répandit comme un trait de rémige, et Stylo effronté mourut au milieu des siens. Page blanche, miraculeusement épargnée, erra longtemps dans la plaine stérile, où la dernière inspiration avait succombé. Accablée de chagrin, elle quitta ce territoire de désolation et s’envola pour la vieille Europe dont Stylo effronté lui contait si souvent les beautés.
En débarquant, il lui fallut décliner son identité et faire une demande d’asile. Estampillée « immigrée » – ce qui signifiait en sémiotique locale « indésirable » -, elle fit de nombreux métiers pour survivre : page de garde, marque page, et même quelques temps page d’accueil sur un site de rencontres.
Seule façon pour elle d’échapper à cette misérable condition : aller se réfugier à la Grande bibliothèque. Où elle était, là aussi, invariablement mal accueillie par un rat despotique qui jouait les shérifs, passant scrupuleusement en revue les ouvrages pour vérifier que chacun gardait sa place attitrée et traquant le moindre grain de poussière sur leur tranche.
En échange de son admission dans ce temple de la littérature, Page blanche avait promis faire vœu de silence, une discrétion imposée qui lui permit bientôt de découvrir que l’affreux mulot se planquait fréquemment, et fort discrètement, au rayon « Aventures ».
La mort de Stylo effronté avait fait perdre à Page blanche bon nombre de ses illusions, mais sa vision du monde et de l’homme y avait gagné en réalisme. Désormais, ses chimères remisées avec les vieilleries, elle soignait sa bonne hygiène de vie en pratiquant l’art de la galipette, ultime façon pour elle de faire la chasse aux papillons noirs.
Il lui fallut du temps pour apprivoiser le raton et Page blanche douta plus d’une fois de sa stratégie, continuant pourtant à soigner sa carnation opaline qu’il reluquait mine de rien. Ce fut elle, évidemment, qui eut le dernier mot.
Depuis, ils caracolent joyeusement d’un étage à l’autre, relisant classiques et modernes avec ivresse. Et s’il lui arrive, clandestinement, de repenser à Stylo effronté, elle sait qu’il est là-bas, dans son eldorado, où il veille sur elle.
C’était, il y a longtemps, dans l’Ouest.
Quand les Plums chassaient encore le frisson.
Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté.
Il ne portait plus la plume comme les anciens mais il avait la mine avenante et n’avait peur de rien. C’était un cursif qui aimait monter sur ses grands chevaux pour parcourir les pages pleines et chasser les personnages pâles de leur terre histoire.
Seulement on le voyait arriver de loin. Il n’eut pas le temps de mettre les points sur les i dans sa correspondance avec le Général Waterman qu’une détonation épistolaire déchira la peau de sa lettre. Il mourut sur le champ.
Page Blanche dut se contraindre à se marier avec son frère Little Bic Quatre Couleurs, au caractère plutôt farfelu et gras. Il n’était pas un grand guerrier comme son aîné.
Il fourrait sa mine partout, dans tous les recoins, avec son écriture de chat, dénichant de bons mots dans des trous de souris. Il les rapportait à sa belle, la mine sale, après avoir joué avec. Cela ressemblait à rien une fois dans l’assiette.
Page Blanche s’exaspérait de ce piètre chasseur de mots qu’elle ne pouvait plus voir en ratures. Après l’avoir averti maintes fois à la marge, elle décida de tourner la page et s’enfuit du camp des stylos avec une horde hostile à ses trousses.
Elle rencontra Crayon Malin dans les montagnes de papier. Elle accepta de devenir sa page après qu’il eut longtemps gratté à son pied. Elle ne voulait pas se prendre l’entête. S’il avait un touché assez rêche, il avait cette délicatesse d’effacer ses erreurs et de se tailler le museau chaque matin pour paraître moins grossier.
Puis au lire, hou ! … il savait mettre la gomme pour qu’une phrase trouve de nouvelles tournures jusqu’à la bonne. D’écrits en écrits Page Blanche découvrait enfin son corps de feuille. Le matin, elle tremblait son bout de frisson dans un bol d’effet tandis que Crayon Malin allait gratter des perles précieuses dans la mine voisine.
Seulement cette vie de brouillon ne pouvait durer éternellement. Page Blanche avait besoin de fonder une vraie histoire avec un ou plusieurs romans.
Un matin, elle descendit la montagne et se trouva encerclée par un bataillon de personnages pâles. Leur chef arriva dans un drôle de carrosse. Mécanographique, lui dit-il.
« Je suis le Sergent Dactylo. Veuillez monter, ma jolie, je ne vous ferai pas de mal, promis. »
Mensonge. Page Blanche se laissa faire et fut attachée au chariot avant de subir les atrocités de ce sale caractère qui l’enlaça fermement et se mit à la frapper du bout des doigts. Hurlant de douleur, elle voulut s’extirper mais elle ne pouvait pas.
Quand une plume la saisit par le haut, déroulant sa robe du chariot sans la déchirer et renversant le sergent à terre qui s’explosa la tête contre un rocher. L’encre gicla le long de ses touches. Page Blanche s’agrippa au col de son sauveur.
Il s’agissait du Général Waterman. Il la cherchait depuis des années. Elle avait été enlevée par les Plums alors qu’il écrivait un ordre d’attaquer le camp des Cheyennes. Il lui montra la marque qu’elle portait sur son entête de page. Il était bien son père.
Brillant comme une plume d’or.
Touchant comme un frissonneau qui passe. Merci.
C’était, il y a longtemps, mais cet évènement
a marqué territoire au creux de sa mémoire.
Plums aimait Page Blanche. Elle était son aigrette,
Son nectar, sa pervenche, son amour sans disette.
La mort un soir, les sépara
Page Blanche s’envola.
Mais Plums, chasseur d’esprit, l’entendait murmurer.
Des fantômes de lettres frissonnaient dans son être.
Il laissa cheminer des mots – sur le papier –
D’écriture stylistique qu’on dit automatique.
La caresse de Plums révéla Page Blanche
Et pour eux maintenant c’est tous les jours dimanche.
Stylo Effronté était un brigand au grand cœur et au caractère bien trempé. Ce voleur des blancs lisait Voltaire et Didot. Il préférait cultiver l’histoire du peuple indien plutôt que de cultiver les champs en se laissant Parker. Il ne voulait pas rester sur la réserve et demeurer sur la défensive.
Sa devise était « Indien vaut mieux que deux tu l’auras ».
Au début ce n’était que pour se faire des sioux qu’il avait commis quelques « larcins » sur des cochons en bonne santé, sur des blancs seings qu’il donnait à sa propre loi. Mais au fil du temps il avait pris sa plume pour coudre sa conscience politique sur les abus de l’envahisseur yankee.
Page Blanche avait subit le charme de ce Cartouche amérindien qui mettait le pâté aux chasseurs de frissons, de celui qui faisait tache d’encre sur les arbitraires, de celui qui savait de leurs habits traire le lait de leur abondance volée sur la terre des ancêtres.
De voleur il était devenu le Pivot de la révolte indienne, celui qui Apostrophe le gouvernement, celui qui défit ses écrits, son lettrage et sa police.
Il avait des Plums plein la tête. Il avait coiffé cette tribu et bien d’autres pour devenir leur Pelikan. Il déployait ses grandes ailes, jetait l’ancre sur des os ennemies, ouvrait son grand bec, se gorgeait de mots pour exprimer les siens, puis rapportait sa pitance afin de nourrir les plumes de ses écrivaillons.
De pétitions en actes juridiques il avait vaincu les maux de l’injustice.
Après avoir été en marge afin que son peuple puisse reconquérir ses droits, c’est avec son aimé qu’il avait tourné la page. Sur cette Page Blanche il avait beaucoup écrit. Des mots d’amour, des mots tendresse, des mots patience, des mots passion. Ces mots passion avaient donné des fruits gorgés d’impatiences, de ces fleurs aux parfums printaniers qui embaument les projets de vie, qui donnent à un beau Stylo Effronté des envies d’escalader le Montblanc.
C’était il y a longtemps dans l’ouest quand les Plums chassaient encore le frisson. Page Blanche s’était candidement laissé séduire par Stylo Effronté. Leur couple n’était pas de tout repos et connu vite une crise. Quand le jeune homme rapportait un quartier de frisson sous le Tipi, Page Blanche se mettait à gémir et à trembler. Elle avait tellement peur que rien n’y faisait ni les caresses, ni les menaces, ni les encouragements de son compagnon. Elle ne pouvait plus bouger et restait prostrée. Dans la tribu des Plums cela tourna vite au problème. On borda la question au conseil des Anciens et le grand chef conseilla au jeune couple de rejoindre le clan voisin des Dreams. Les rêves étant leur terrain de chasse habituel Page Blanche s’y sentirait mieux intégrée. Arrivé chez les Dreams le couple trouva une place dans la petite communauté. Page Blanche savourait les morceaux de rêves que son époux rapportait. Elle stockait les meilleurs entre filets et fumait les pièces de moindre valeur. Le jeune homme appréciait l’usage qu’en faisait sa femme et diffusait récits, poèmes et chansons à la veillée. Ils étaient aimés et bientot Page Blanche annonça qu’elle serait bientot Maman. Pour les Dreams c’était un événement qui valait d’être fête. Petit scénario fut un bébé facile qui appréciait les rêves, dormait toutes les nuits sans réveiller le voisinage et jouait gentiment avec les enfants du clan. Un jour accompagnant son père à la chasse il fut enlevé par un Cauchemar, l’ennemi traditionnel des Dreams. Le pauvre enfant cria, pleura , personne ne vint le secourir. La tribu des Cauchemars voulut l’initier a leur rituel du matin qui consistait à raconter ses cauchemars de la nuit. Petit Scénario resta muet, il n’avait rien à dire. On le pressa de rapporter ses pensées nocturnes et il narra un conte qui d’épreuve en épreuve tout se terminait bien. Et ainsi l’harmonie revint entre les Plums, les Dreams et les Cauchemars à la faveur d’un usage nouveau. Au réveil, tous les membres des tribus devaient écrire sur un cahier leurs pensées de la nuit.