322e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
Chaque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard. Ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû…
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Si on accorde trop de répit à son imagination, notre cerveau se met d’abord en veille. Puis, il passe en cerveau-éponge, absorbant toute idée banale exprimée avec des termes stéréotypés. C’est le début d’un déclin cognitif. Mais rassurez-vous, sauf maladie, cette érosion se fait imperceptiblement et il y a moyen de la retarder.
Chaque exercice créé par Pascal Perrat est un clin d’oeil à notre imagination, l’occasion d’une irrésistible relation avec sa créativité innée.
Version 1
Chaque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas
C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard.
Puis, la municipalité avait décidé de multiplier le nombre des bancs par 3. Cela tombait bien. «Quelle aubaine » se dit-il. «J’ai tout le loisir de les repérer, de m’y reposer et de voir d’autres têtes »
Il arpentant chaque jour les rues de la ville de Sète s’asseyant sur les bancs observant les passants dans l’espoir d’y repérer des originaux : des rôdeurs louches, des promeneurs du dimanche, des déambulateurs, des flâneurs désenchantés.
Les bancs ne sont pas tous les mêmes, selon qu’ils se situent dans un jardin public ou un cimetière, à un arrêt de bus ou devant une école.
Lui n’aimait pas du tout le banc installé devant la faculté de médecine. Trop bruyants, trop insolents ces petits cons qui la fréquentaient. Il y avait gravé installé devant l’entrée des étudiants, avec son Opinel, « Mort aux jeunes cons »
Il n’appréciait pas davantage, ne supportant pas les jérémiades et radotages de ceux pour qui « C’était mieux avant », le banc situé devant la maison de retraite où il avait inscrit, au feutre indélébile « Mort aux vieux cons »
Ce jour-là, il n’aurait pas dû s’asseoir sur le banc récemment installé devant l’association dédiée aux quinquagénaires « 50 ans et alors ! » qu’il fréquentait
Car il fut accusé à tort de l’avoir dégradé. Quelqu’un, un jeune con ou un vieux con, y avait écrit « Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est con, on est con. »
Chaque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard.
Ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû s’asseoir sur ce banc qui, chose incroyable, lui adressa la parole :
« Viens, suis-moi ! Je siège, si j’ose dire, sur un quai de la Seine. Veux-tu que je te raconte combien de cris et de chuchotements, de chahuts et de silences, de bêtises et d’insanités j’ai entendus ? Impossible de me souvenir d’un en particulier
En revanche, je me rappelle très bien tous ces derrières républicains qui se sont posés sur moi .
Le plus crapule ? Celui de Bernard Tapie
Le plus sexy ? Celui d’Arnaud Montebourg
Le plus aristocratique ? Celui de Gilles de Robien
Le plus rose ? Celui de Rosine Bachelot
Le plus cultivé ? Celui de Jack Lang
Le plus vert ? Celui de Nicolas Hulot
Le plus martial ? Celui de Michèle Alliot-Marie
Le plus sévère ? Celui de Charles Pasqua
Le plus juste ? Celui de Robert Badinter
Le plus travailleur ? Celui de Xavier Bertrand
Le plus tropical ? Celui de Christiane Taubira
Le plus pédagogue?Celui de Luc Ferry
Le plus catholique ? Celui de Christine Boutin
Le plus féministe ? Celui de Simone Veil
Le plus majestueux ? Celui d’Édouard Baladur
Le plus ambitieux ? Celui de Nicolas Sarkozy »
Et il dut subir, avec une infinie patience, l’interminable litanie et ennuyeuse de ces hommes et femmes politiques qui s’étaient assis sur le banc des ministres. Lui qui avait déchiré sa carte d’électeur
Chaque jour au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard. Ce jour là, il n’aurait peut-être pas dû…
Sa curiosité était décidément trop forte. Où allait t-il le mener ? Il ne se rappela pas l’avoir déjà aperçut dans le parc. S’appuyant d’une manière nonchalante sur le manche de son parapluie, il lui emboîta le pas. Le passant avançait d’un pas léger, presque aérien. Il semblait que ses chaussures touchaient à peine le sol, on pouvait cependant constater qu’il boitait de la jambe droite. Intrigué, il observait. Son sixième sens en éveil lui indiquait une incohérence dans sa démarche. Désirant assouvir sa curiosité, il redoubla de prudence.
Brusquement, le passant disparu au détour d’une ruelle. Surpris par cette manoeuvre, il allongea le pas juste à temps pour l’apercevoir entrer dans une grande demeure de style colonial. Interloqué, il resta un instant bouche bée devant.
– une maison de ce style dans cette ruelle, cela paraissait improbable, presque irréelle-
La porte d’entrée était restée entrouverte. Poussé par la curiosité et s’étonnant de son audace, il l’ouvrit un peu plus. Un détail sauta subitement à ses yeux; il lui avait semblé que le passant était passé à travers la porte.
– Impossible pensa t-il mes yeux me joue des tours.
Comme une invitation, il pénétra dans le hall d’entrée. Nulle vue du passant. Pas un bruit, ni mouvement. Un malaise intense s’empara de lui. Un froid inexplicable remonta le long de sa colonne vertébrale. Il tenta de revenir en arrière, s’enfuir à tout prix de ce lieux. Mais comme attiré, son regard se dirigea vers des marches qui semblaient mené dans une cave. Sans qu’il ne comprenne pourquoi, il descendit, l’oreille attentive au moindre bruit. Les battements de son coeur étaient si violent qu’il y porta sa main comme si cela allaient les atténuer. Brusquement, au bord de l’évanouissement il s’immobilisa, le pied droit en suspend. Là, il le vit son passant qu’il suivait avec tant de curiosité. Il tenta désespérément de reprendre son sang-froid. Assis sur la dernière marche le passant semblait l’attendre, le regard fixe. Une lueur étrange l’entourait. A cet instant, il comprit, oui il comprit qu’il était en présence d’une entité vêtu en maître de plantation de coton. la peur fut la plus forte, il s’évanouit.
Chaque jour, au même endroit il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus des yeux. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard. Son habitude à regarder les patineurs se départir de leurs soucis qui fondaient dans les sillons de la surface gelée, l’emmenait dans ses rêveries. Il détaillait chaque personne venant se distraire. Celle-ci était sympathique, l’une améliorait sa chorégraphie, celle-là peinait à garder son équilibre, une autre diluait son boitillement dans le flot des glisseurs.
Que son observation ne soit pas mal perçue ! Dès qu’il avait repérer celle qu’il pouvait aborder, il y allait franco. L’aide qu’il proposait était désintéressée. L’important était de toucher la glace des patins. Il attendait « Le patineur » programmé en début d’après-midi. S’il entendait les premières notes, il prenait son essor. Il partait sur une jambe et illustrait chaque couplet d’une difficulté qu’il avait travaillée pendant ses loisirs. C’étaient des moments inoubliables et fugaces portés par ses bras déployés au-dessus d’une mer gelée. Il aimait partager sa danse sur la cadence de la musique. Il n’y avait plus d’obstacles. Il oubliait et comme il oubliait, sa cavalière oubliait aussi. Le handicap était sublimé pendant une heure ou deux.
Si sa partenaire acceptait l’invitation, il faisait un signe à Delphine qui le surveillait de sa cage de verre. Elle choisissait parmi les vagues. Les vagues, c’était l’étrange étagère transparente et biscornue collée sur le poster d’une immense plage d’Hawaï où les CD trouvaient leur place dans l’aquarium. Elle passait les morceaux qu’il avait commandés. L’aquarium, c’était aussi le nom de la patinoire. Si sa compagne d’un instant souriait, c’était gagné. Ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû aller sur la glace. Delphine aimait faire des farces.
Comme elle avait vu Pierre répéter un matin alors qu’il se croyait seul. Elle le fit partir sur « Le patineur » et le vit jouer le pro blasé. Elle avait mémorisé le moment exact où il serait déstabilisé. Pour l’occasion elle avait trouvé un vinyle. Elle avait prévu d’aller lui mettre une canne dans la main et un manteau sur les reins, à la fin de sa plaisanterie, comme dans la chanson. Mais elle se ravisa, il pourrait se vexer. Alors qu’il était bien installé dans son show, elle fit tourner le vinyle à l’envers pendant une vingtaine de secondes. Pierre ne se démonta pas pour autant. Il savait improviser, mais il s’emmêla les crayons. Il tomba dans les bras de celle qu’il n’avait pas choisie.
Ce fut un coup de foudre à faire fondre la patinoire.
Chaque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard.
Or,ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû se fier au hasard. Mais comment aurait-il pu deviner qu’une personne claudicante allait l’emmener jusqu’au zoo de Vincennes. Elle alla jusqu’à l’espace réservé aux pingouins. Là, à sa grande surprise, le gardien lui ouvrit la fit entrer ainsi que lui sans ménagement. Avec autorité on lui mit un costume de pingouin ainsi qu’à sa compagne qui avait l’air d’être une habituée des lieux . Il se retrouvèrent tous deux entourés et emmenés par les alcidés vers le lac. Tous plongèrent l’emmenant avec eux. Il ne savait pas nager et allait se noyer quand un gardien vint à son secours.
On l’emmena chez le vétérinaire qui pouffa de rire, le déshabilla, le réchauffa, lui offrit un café. Il lui raconta son histoire.Toujours hilare, il appela un taxi qui le ramena sur son banc . Il aperçut quelques passants claudicants mais ne les suivit pas.
Tout à coup il fut photographié et interrogé par des journalistes du Canard Enchaîné. Il eut l’honneur de la première page à côté de Pénélope F.
Quelque temps plus tard, il fut contacté par la mairie de Vincennes qui lui demanda s’il ne voulait pas figurer dans la liste électorale de la commune .
Il répondit qu’il avait besoin d’un délai de quinze jours pour réfléchir et la nuit qui suivit il rêva qu’il avait été élu Président de la République.
Le lendemain, ses congés étant terminés, il reprit son emploi de vendeur au B.H.V au rayon déguisements. Dans la journée il vendit trois costumes de pingouins.
EXCELLENT ! Enfin un texte qui fait rigoler, ses pingouins du zoo se tenant nettement au-dessus de la mêlée de leurs homologues politiques fort bancals présentement.
Merci Grumpy; çà me fait chaud au coeur
bon dimanche
françoise
Si on examine ce qu’on dit, qu’est-ce qu’on constate ? On constate qu’on est souvent dans l’à-peu-près, l’approximatif, l’approchant, l’ambigu.
Vous voulez un exemple de nos imprécisions ?
Vous dites à des amis : « Vous venez prendre un pot ? »
Ça vous paraît clair, à vous. Mais à eux ? L’un va tenter de découvrir des roses, un autre ira prendre un échappement, un troisième mettra ses doigts dans la confiture… et je ne parle ni de celui qui en manque ni de celui qui viendra avec une poule ni même de celui qui regardera sous le lit !
Vous voulez un autre exemple ?
Prenez « s’asseoir sur un banc ». Ça paraît tout aussi clair, au premier abord. Comme tout le monde, si vous avez envie de vous asseoir sur un banc, vous vous avancez dans la mer jusqu’à ce que vous en trouviez un. Remarquez, aller poser vos fesses sur une élévation du fond marin… Non, mais vous avez pensé aux conséquences ? Déjà qu’elle est dangereuse pour les bateaux, cette élévation, si en plus, vous êtes assis là, en plein milieu, vous imaginez la panique à bord ? Un homme sur un banc !
Alors vous vous dites que vous vous êtes trompé de banc, et vous envisagez d’aller vous asseoir sur une troupe de harengs qui passe par là. Ou de sardines. Bon, elle passe par là, cette troupe, parce qu’il faut bien qu’elle passe quelque part et en plus ça m’arrange. Seulement, c’est très mouvant une troupe de harengs ! Et aussi de sardines. Déjà s’asseoir sur un seul hareng ou une seule sardine… Alors, une troupe, pensez !
C’est comme emboîter. Quand on emboîte, on met dans une boîte. Bon. Demandez-donc à votre pâtissier de vous emboîter vos choux à la crème ! Je précise crème chantilly, oui, parce qu’anglaise ou pâtissière, non.
Alors, emboîter le pas – pas le contraire du oui, non, mais le pas qu’on fait quand on marche – comment vous faites ? Vous prenez un pas et vous le mettez dans une boîte ? Franchement, même si on suppose que vous avez réussi, un pas dans une boîte, vous pouvez me dire à quoi ça peut bien servir ?
Et quand je me lève de mon banc en prenant soin de ne pas marcher sur une rascasse (il y en a aussi), je vous vois là-bas, sur votre banc public en train de me jeter des regards obliques… Vous me voyez marcher de manière hésitante. Vous avez déjà marché sur le fond de la mer ? Je vous entends vous dire que tout ça est bancal. Que je suis bancal ! Pourquoi pas boiteux pendant que vous y êtes ? Je me trompe ou c’est de la mise en boîte ? De l’emboîtage ? Et voilà maintenant que vous me suivez… Et puis flûte ! Suivez moi donc, puisque vous y tenez.
– On va où ?
– A Hamelin.
Marc s’assied sur le banc, sous un arbre, près de la rivière. Il écoute, il observe, cherche qui il va bien pouvoir imiter aujourd’hui. Ça l’amuse et, surtout, le soir, ses mimes font rire autour de lui. Un éclair allume sa prunelle, un sourire étire ses lèvres, il a trouvé son modèle ! Intrigué par sa démarche, il se lève, discrètement. Son modèle avance…cloc ! cloc ! Marc, un peu plus grand que lui, reste quelques pas en arrière pour ne pas être entendu. Il le suit, sans bruit. Cloc ! cloc ! cloc ! L’un derrière l’autre, ils longent le lac, sur l’herbe moelleuse. Les pieds légèrement écartés à chaque pas, Marc se dandine d’une jambe sur l’autre. Quelques promeneurs sourient, il ne s’en rend pas compte ou n’y prête pas attention. Une ritournelle d’un jour de fête, où tout le monde dansait, lui trotte dans la tête. Arrivé au pont métallique qui enjambe la rivière, l’idée l’effleure qu’il devrait faire demi-tour, mais il est trop accaparé par son mime. Il avance, encore, de sa démarche claudicante, la tête droite, les yeux rivés sur son modèle. Soudain, une racine le fait trébucher. Bing ! sa tête cogne le sol, avec un bruit sourd. Devant lui, effrayé, le canard à bosse s’envole, dans un bruissement d’ailes. Allongé sur le sol, ses trois ans par terre, une bosse au front, Marc a mal et ne peut se relever. « Maman » appelle-t-il, soudain perdu.
© ammk
C
haque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard. Ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû… quoi que…
Le soleil était à son zénith et la chaleur matinale faisait perler son front plissé de larges gouttes. Mais il restait là, impassible et stoïque, comme il l’avait toujours fait depuis des années. Ce rituel il s’y accrochait comme on s’accroche à un rocher du haut d’une falaise. Ne pas bouger, c’était l’assurance de rester encore quelques instants en vie ; c’était aussi avoir la certitude que la gravité allait avoir raison de lui et que le grand et dernier saut allait venir tôt ou tard. Depuis qu’il avait perdu son emploi dans des circonstances fort peu glorieuses, il avait d’abord eu la fougue et la colère d’un jeune coq, blessé mais fier de se redresser face aux évènements. Mais au fil des mois ses meilleurs alliés, la force et le courage, l’avaient quitté. Tout comme sa femme et ses enfants d’ailleurs. Une solitude latente et insidieuse vint sournoisement obscurcir son horizon, anesthésier sa vie. Il était réellement perdu au sein de ce brouillard. Il s’enlisait davantage chaque jour dans cette torpeur malsaine qui le manipulait, le rabaissait au rang de pantin désarticulé et le scotchait sur ce banc-là, toujours à la même heure, toujours à la même place …
La couleur de ses yeux était assortie au poivre de ses cheveux en bataille, à la blancheur de son teint, aux nuances fades de son âme. La silhouette qui venait de le frôler n’avait aucune allure particulière ; ce n’est d’ailleurs pas cela qui attira son regard. Mais plutôt un petit bout d’étoffe écarlate dont le contraste avec le manteau usé duquel elle semblait vouloir s’échapper était saisissant. Ce rouge sang siffla d’un trait vif et clair, et atteignit les sentiments enfouis, ceux-là même qui faisaient battre son cœur auparavant. Justement, ce muscle-là se mit à nouveau en marche, résonna au sein de sa cage thoracique vibrant à se rompre. Le flux au travers de ses veines désengourdit ses membres, et il se laissa envahir par cette vague chaude. Il se sentit à nouveau vivre. Il se mit à forcer sur les muscles de ses bras pour escalader la falaise et saisir son destin à pleines mains …
Chaque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard.
Ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû.
Son Ariane du jour n’était pas forcément de sexe féminin mais semblait relever quand même de la mythologie. Ce n’était pas non plus le Minotaure mais ce guide hasardeux avait quelque chose de monstrueux.
Même s’il se sentait captivé par la petite musique du déplacement, il n’était pas à la traîne du joueur de flûte de Hamlin. Il n’y avait pas un chat ni un rat dans la rue pour l’accompagner.
Ce n’était pas le roi boiteux de Gustave Nadaud que Georges Brassens avait jadis mis en musique. Pas plus le capitaine Achab non plus ni Sarah Bernhardt et encore moins Rimbaud sur la fin de ses jours.
Ce n’était de toute façon pas un bipède. Et c’est sans doute pour cela que, machinale, la filature durait, que le bestiau traçait avec son bruit de pas si caractéristique.
Tic tic tic tic tic…
La première fois qu’il avait sorti son podomètre il avait lu avec étonnement que déjà ils avaient parcouru 21 kilomètres
Où l’emmenait-il ? Et lui, pourquoi s’acharnait-il à aller jusqu’au bout de ce jeu si stupide, moitié Oulipo, moitié Latourex et moitié Sophie Calle ?
Tic tic tic tic tic…
Pour un peu, par fidélité à à sa consigne panurgienne il aurait-lui-même emboité le pas à un régiment d’alexandrins boiteux !
Tic tic tic tic tic…
Il s’était mis à compter ses propres pas pour éviter d’avoir à répondre. 1, 2, 3… 10, 11, 12… 42, 43, 44… comme il le faisait quand il faisait du jogging entre deux filatures.
Mais, immanquablement, il y avait quelque chose qui le perturbait, une espèce d’extrasystole, d’arythmie dans la démarche de son prédécesseur, un tic ou un trouble obsessionnel compulsif qui chaloupait son mouvement bestial et, à lui, faisait perdre le fil – d’Ariane ! – de son énumération.
Et c’est en atteignant le kilomètre 42 qu’il percuta : ce bruit si caractéristique,
« Tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic tic toc… »,
999 fois “tic” et une fois “toc”…
C’était celui du mille pattes géant avec une jambe de bois !
Mais quand il s’en rendit compte, il était trop tard. Il était tombé dans une faille spatio-temporelle et se retrouvait prisonnier à jamais d’un univers en forme de cours de récréation où l’on ne remontait plus en classe mais où l’espace, clos de grilles, était empli de cris d’enfants, de courses folles, de chats perchés, de balle au camp, de marelles et de blagues Carambar.
Et, horreur, malheur, salsa du démon ! L’école n’était même pas mixte !
SUIVRE
Chaque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait la claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard. Ce jour-là, il n’aurait peut-être pas du…
C’était le passe-temps de Maxime. Depuis son départ à la retraite, il s’était retrouvé seul dans son petit appartement de veuf.
Il avait craint les trop longs tête à tête avec la photo de sa femme, les attentes du coup de hebdomadaire de sa fille et avait fini par adopter ce passe-temps. Pas si insolite que cela, si on songeait à sa passion pour le polar.
Enfin, il pouvait vivre l’un de ces fantasmes. Se mettre dans la peau d’un de ses héros : Sherlock Holmes, Philip Marlow, Maigret ou d’autres encore plus obscurs mais qui lui avaient procuré des heures d’évasion et de plaisir et qui lui donnaient encore de la joie.
Dans la quasi-totalité des cas, la filature aboutissait chez l’épicier, le boulanger, le marchand de journaux ou encore au pied d’un immeuble où une plaque de cuivre gravé annonçait la présence d’un médecin , d’un kiné ou d’une autre profession.
La plupart du temps, il haussait les épaules et poursuivait une promenade dans le quartier. Un bus le ramenait alors vers sa demeure ou le centre-ville.
Il consignait ensuite son observation dans un carnet de moleskine.
Et il recommençait le lendemain où un autre jour.
Et puis, il y avait autre chose. Ces filatures, c’était aussi un devoir, une dette qu’il devait payer. Een un autre temps si il avait suivi…
Mais,basta, il devait continuer.
Or donc, cet après-midi là, il prenait paisiblement le soleil en lisant la journal.
Tout à coup, son attention fut attirée par une ombre qui filait sous les ormes du parc. Tout ce qu’il pouvait voir, c’est que c’était une femme. Elle portait une jupe noire, un petit manteau bleue de printemps et une chevelure grise comme un ciel de pluie parsemée de mèches noirs de corbeau s’échappait d’un petit chapeau gris. Elle claudiquait de façon si imperceptible que seul un spécialiste comme Maxime aurait pu le détecter.
Il se mît à la suivre, en se cachant encore plus que d’habitude.Et il sentait à chaque pas comme une ivresse la gagner de plus en plus. Était-ce du aux fleurs roses ou blanches des arbres, aux premières jonquilles qui pointaient leurs premières clochettes sur les plates-bandes mais il éprouvait des émois de jeunesse, comme il en avait plus vécu depuis si longtemps.
Tout en avançant, il corrigeait un peu sa mise, retirait sa cravate, déboutonnait sa chemise, jetait même un coup d’œil furtif au pli de son pantalon.
Et pourtant, à aucun moment, il n’ avait pu apercevoir le visage de l’inconnue. Était-elle semblable aux blondes fatales de ces pulps qu’il dévorait? Verrait-il une réincarnation de Veronica Lake ou de Gene Tierney? Dans tous les cas, elle ne pouvait être banale.
Il lui sembla un moment avoir un petit éblouissement, la fatigue.Il souffla un moment puis continua sa filature, hâtant légèrement le pas.
Il ne s’essoufflait pourtant pas comme ceci pouvait lui arriver.
Il se rendît tout à coup compte qu’il avait perdu la notion du temps qui s’écoulait. Déjà, la dame avait dépassé les jardins publics. Et les bâtiments qu’il longeait avaient pris l’aspect des rues paisibles de la petite sous-préfecture paisible ou il avait poursuivi ses années de lycée. Le même parfum de respectabilité endormie s en échappait. Il commença à croiser des groupes de jeunes gens à cheveux longs, de filles en robes indiennes et de respectables bourgeois avec serviettes de cuirs.
Un détail le frappa tout à coup. Aucun ne trimbalait avec lui l’habituelle prothèse auditive à son oreille ou ne jetait un œil sur un écran.
Et ce n’était pas tout!
Il vît avec stupeur, de nombreuses boutiques disparues depuis longtemps fleurir au gré des rues: Libraires, Épiceries, Bars populaires…
Toutes ces pensées se bousculaient alors qu’il suivait toujours la dame…
Il l’ignorait mais il devait la suivre malgré la panique le submergeait de plus à la vue des véhicules qui troublaient le calme du centre-ville: R4, Ami 6…
Eh, une minute! La Femme, il ne l’avait pas quitté des yeux et pourtant..
La chevelure grise et noire avait laissé place à une abondance ondulée couleur corbeau qui cascadait sur ses épaules.
Elle s’était arrété dant une boutique et regardait la virtrine sans la voir.
Maxime y vît alors son propre reflet et blêmit.
Un jeune homme cheveux mi-longs ,l’air un peu empoté, habillé à la va-comme je te pousse le contemplait, l’air ahuri.
— Mais qu’est ce qui se passe? C’est dingue ou quoi?
Un bruit de larmes le tira de son ahurissement
Less épaules de la jeune fille se soulevaient, comme secoués par des sanglots. Elle courbait la tête, n’offrant qu’au trottoir l’expression de son chagrin.
N’y tenant plus,il pressa le pas, dépassa sa cible, la regarda et se statufia aussitôt à sa vue.
— Mais pourquoi tu me suis? Qu’est ce que tu fais là, Maxime?
L’interpellé resta muet.
Elle le connaissait, mais lui aussi la connaissait.
Les souvenirs affluérent, ils étaient tout frais et même beaucoup plus neufs qu’il ne l’aurait cru.
Juliette! Oui, un joli souvenir de lycée. Si triste! Comme il résonnait doucement au fond de son âme. Il n’avait jaùais osé quoique ce soit. Il s’était toujours trouvé si gauche…
Oh, comme il se souvenait,et il se rendît compte de ce qu’elle allait faire.
Et de qu’il n’avait pas fait.
Et qu’il allait accomplir maintenant.
Il s’éclaircît la voix.
— Ben, j’ai vu que tu avais l’air des ennuis et j’ai pensé t’aider.
La jeune(?!) fille eût un sourire triste.
— C’est vrai que tu fais attention aux autres, toi. Tu es gentil, peut-être trop. Mais là, tu vois, tu n’aurais pas du me suivre. J’ai fini d’embéter tout le monde.
Maxime n’en revenaît pas. Il auraît du être complétement paniqué mais non, tout lui apparaisait naturel, même la devanture du disquaire qui affichait uniquement des vinyles de succés sortis prés de quarante avants… Quarante ans, vraiment?
— Ben oui, je suis maladroit, empoté mais…
( Maxime ne croyait pas ses oreiles ni sa langue de ces propos. Il poursuivît)
— Ben, comme dit l’autre , faut pas pleurer comme çà!
— Tu en as de bonnes, Olivier se fout de moi! Il se pavane avec Mireille ou une autre en ce moment.
Maxime n’eût pas à creuser ses souvenirs. C’était de l’actualité. Le bel Olivier était connu pour sa goujaterie et son tempérament de collectionneur. Malgré tout cela, il n’avait comme on dit qu’à claquer des doigts. Les filles abandonnés pleuraient souvent et puis un jour, il avait fini par faire UNE victime.
— Et pourtant je l’aime, tu sais.
Ce fut certainement l’une des dernières traces du Maxime retraité qui prit l’initiative à ce moment. Il s’approcha de Juliette la prît délicatement dans ses bras, l’embrassa sur la joue puis lui murmura.
— Ce n’est pas grave dans le fond. La vie est longue.
Juliette sans quitter ses bras se mît à rire.
— Ce n’est pas très original ce que tu dis. Trouves autre chose.
Il soupira.
— Quoi te dire sans passer pour un idiot? Que dés que je t’ai vu pour la première fois, tes yeux noisettes m’ont transpercé? Que ta voix et ton rire sont parmi les plus jolis sons que j’ai entendu? Que tes cheveux même noirs me paraissent avec des étoiles? Que j’avais à la fois envie de tuer Olivier et qu’il arrête ses conquêtes et te rende heureuse? Que en ce moment, la seule chose qui me fasse envie c’est de t’embrasser? Que la seule qui me retienne de le faire c’est la peur de perdre ton amitié ou que tu te moques de moi? Et que je me sens complètement idiot de te dore tout çà.
Maxime s’arrêta soudain. Juliette s’était dégagée , l’avait regardé avec stupéfaction, l’air de le prendre pour un dingue, puis tout à coup se jeta à son cou et l’embrassa dans un mélange de larmes et de rire qui le gagna.
Elle lui saisît la main, l’attira sur un banc non loin et finit par murmurer avant de l’embrasser à nouveau.
— Comment tu as deviné ce que j’allais faire? Et pourquoi tu m’as suivi comme çà?
— D’abord parce que je t’aime, et puis….
Le regard de Maxime perdirent dans le ciel bleu.
— Peut-être pour ne pas devenir un vieux bonhomme qui se mettrait à suivre un peu tout le monde de peur que…
Juliette lui mît un doigt sur la bouche.
— Toujours tes polars,hein? Allez occupes toi un peu de moi. Répétes-moi tes jolis mots. Je croîs que je suis en train de tomber amoureuse.
Comme quoi il faut de temps en temps se fier au hasard de l’aventure.
Sûr qu’il n’aurait pas dû, mais alors jamais dû, ce jour là, le vieux monsieur Dumont,mon voisin du dessus.
Le matin déjà, le temps d’arriver dans la rue, le soleil avait disparu,il plut.Alors que son parapluie était perdu.
Il mit la capuche de son surplus pour se protéger.Ce faisant, la flaque il n’a pas vu,son pied droit tout mouillé il eut.
Fonçant vers son destin,contrarié par ces premières déconvenues, il arriva au hasard près d’une forêt touffue.
Un sentier lui sembla bienvenu,il s’y engagea,il ne pleuvait plus.Le petit chemin bordé de chênes à perte de vue sentait le noisette
Au bout de de quelques kilomètres, il lui sembla être perdu.
Il avait suivi des sentes, des allées qui s’enfonçaient dans la végétation drue de plus en plus profondément.Des ronces le griffèrent,il dû traverser des fossés fangeux.
Monsieur Dumont avait faim et aurait bien bu un petit quelque chose depuis le temps qu’il marchait.
Il était las,il buta sur une souche à nu.Sa cheville fut tordue,la douleur intense.
Obligé de s’arrêter,il s’assit sur un tertre herbu qui s’avéra être une fourmilière car bientôt, par ces maudites bestioles il se senti mordu.
Il tenta de se relever, mais il chut lourdement dans un parterre d’orties.
Il en hurla de rage,de désespoir,de vieillesse ennemie,sachant qu’il ne risquait pas d’être entendu au fin fond de cette forêt inconnue.
Il finit par sortir des orties, mais marcher il ne pouvait lus,sa cheville avait trop douloureuse.Quelques fourmis courraient encore sur ses mains charnues.
C’est alors que le pauvre homme se souvint que,cette fois ci, il avait pensé à emmener son portable.Tout heureux il le sortit de la poche de son coupe vent.,l’ouvrit.
Rien!
Pas de réseau dans cette vaste étendue.Il était bel et bien fichu
Que croyez-vous qu’il fit?
Il en mourût
Chaque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard.
Ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû…
Cette année-là, il était revenu dans sa ville natale. Il y avait retrouvé quelques copains d’école, le temps de boire un verre, sur la place ombragée de platanes.
Et puis, vieux loup solitaire, il s’en allait là-haut.
Il s’asseyait sur un banc, près du vieux sémaphore et son regard se perdait au loin, dans les eaux du Golfe….
De temps à autre, il sortait de sa rêverie et observait les passants.
Il les couvait du regard, les enveloppaient de ses mots, les kidnappaient dans ses pensées…
Il jetait ses pas dans les leurs, s’immisçait dans leur vie, il phagocytait leur destin.
Il ne les lâchait plus.
De retour chez lui, il griffonna quelques lignes qui restèrent en suspens.
Le lendemain, il retourna là-haut.
Il s’assit sur son banc, près du vieux sémaphore et rêva en regardant le port.
Il écoutait les conversations, en volait des bribes et les commentait silencieusement.
Il saisissait quelques notes dans les volutes de la fumée de sa pipe…
De retour chez lui, il prit son calepin et croqua une galerie de portraits…un muet, un manchot, un voleur, un aveugle….
Il prit sa guitare et chanta.
Cela sonnait bien…mais…il manquait quelque chose… quelqu’un…
Il ferma les yeux et laissa défiler le cortège des braves gens…
– Mais bien sûr, s’exclama-t-il en calant sa guitare sur sa jambe.
D’une voix grave, il scanda :
« ….Tout le monde se rue sur moi
Sauf les culs-de-jatte, ça va de soi »
Mais des déboires de sa jeunesse, le Mauvais Sujet aurait dû se méfier, car, si le succès était au rendez-vous, sa mauvaise réputation lui collait à la peau…
© Clémence
Sacré Georges !
Un rituel, chez lui. Chaque jour, chaque matin, il part arpenter les allées du parc voisin et, sa courte promenade terminée, il s’assied sur le même banc, bien au milieu du banc, pour décourager les éventuels colonisateurs. Un petit carnet et un crayon pour seuls compagnons, il attend.
C’est la fin de la matinée, l’heure des promenades apéritives pour les citadins. Par chance l’air est doux et sec, une bonne cuvée s’annonce.
Il n’attend pas longtemps. Le personnage qui vient de tourner dans l’allée arrive en claudiquant. Une claudication appuyée, suffisamment pour imposer à l’homme un mouvement de métronome à chaque pas. Silhouette trapue, taille impressionnante et crâne totalement chauve. Un visage carré, que barrent deux épais sourcils noirs, parallèles à une épaisse moustache festonnée.
Pour le coup, J.M. n’en croit pas ses yeux ! Il n’en demandait pas tant. C’est presque trop beau !
Le voilà qui passe. J.M. fait semblant de regarder ailleurs, mais dès qu’il lui a tourné le dos, il ne le lâche plus des yeux.
Ce boitement désastreux donne à la silhouette qui s’éloigne un côté inquiétant. Et malgré ses idées humanistes et tolérantes, J.M. ne peut s’empêcher de voir en lui une offense à ce beau dimanche de printemps, comme si cette seule présence disgracieuse le compromettait, comme si son seul physique faisait planer une menace sur ce parc bondé où jouent une multitude d’enfants joyeux et insouciants.
Il se secoue et sourit du vieux réflexe atavique qui le fait néanmoins frémir. Mais ce n’est pas la première fois que J.M se laisse emporter par ses émotions.
Il en est là de ses réflexions quand il se rend compte qu’inconsciemment il s’est levé du banc et suit le boiteux à quelques pas.
D’ailleurs sans même s’en apercevoir il est parvenu au lieu des balançoires et autres toboggans qui grouillent d’une activité fébrile sous ce beau soleil. Ambiance sonore : rires, cris, pleurs, appels, tout se mêle : une invasion de petits fauves lâchés dans un magasin de jouets !
Et l’homme qui claudique est là. Debout, il attend un moment avant d’aviser un banc au premier rang du spectacle. Il l’atteint péniblement et s’installe de toute la majesté de sa silhouette imposante,
soudain normalisée.
Mais un diablotin blond l’a repéré. Visiblement impressionné, il le regarde fixement avec une bouche ouverte toute ronde. Il est armé d’un ballon qu’il lance d’une de ses mains dans l’autre en alternance et, l’espace d’un instant, J.M se demande s’il a l’intention d’inviter le géant à une partie. Mais non ! Le gamin tourne autour du banc, sans quitter le visage de l’homme, impressionné par son faciès. Nulle gêne dans cette inspection, sa victime n’est rien moins pour lui qu’une pièce de musée qu’on détaille longuement. Et l’enfant n’a visiblement pas froid aux yeux.
Mais il se lasse. Et le voilà qui, sans transition, offre le spectacle d’un ballet ahurissant avec son ballon : il le lance, le rattrape, le frappe au sol et le fait rebondir, improvise des passes, par devant, par derrière, sous la jambe… Le ballon a soudain le don d’ubiquité et bien malin qui peut prévoir à l’avance par quel côté il va réapparaître. Un numéro de virtuose à faire pâlir les as du football. Pour un peu on jurerait que l’artiste a des ailes tant ses bonds pour rattraper la balle sont impressionnants.
Mais le voilà enfin fatigué et il s’immobilise, le regard toujours fixé sur l’homme assis qui visiblement l’inquiète.
Une grande fille le rappelle à l’ordre. Elle a suivi son manège et le sermonne à présent sur son attitude envers le boiteux. C’est du moins ce qu’on peut déduire de son index dressé et des coups d’œil qui se voudraient discrets vers le banc. Elle a visiblement quelques années de plus que le garçon et le domine d’une bonne tête. Nous l’appellerons Wendy, pense soudain J.M.
Mais le gamin est déjà retourné à ses jeux. Et cette fois, c’est toute une bande qu’il entraîne à sa suite dans une partie de ballon effrénée. Autobaptisé chef, il répartit les équipes, décrète les règles du jeu, et joue les matamores devant ceux qui sont tentés de contester. Et une bande de passereaux déchaînés investit le terrain, juste devant le banc de l’infirme.
Celui-ci n’a pas bougé. Il jette de temps à autre un regard anxieux aux enfants et surtout à leur ballon dans lequel il semble voir une arme offensive. Les chérubins, eux, font ceux qui ne l’ont pas remarqué.
Mais voilà que le projectile dévie, suite à un tir maladroit, et frôle la tête du monsieur qui de peur, cherche à se protéger de son bras levé.
Et là J.M remarque un fait qui lui avait échappé : L’homme n’a pas de main à ce bras-là. C’est un moignon qu’il brandit pour tout bouclier.
Pris sur le fait de sa nouvelle infirmité, le malheureux se met en colère, engueule vertement ses tourmenteurs, et sa voix grave et forte porte de façon impressionnante. Il se lève enfin de son banc et cherche à disperser cette volière irrespectueuse. D’abord saisis, les enfants s’égayent, mais se réunissent de nouveau un peu plus loin, et leurs éclats de rire feutrés prouvent que la première terreur est vite dissipée.
D’ailleurs le chef de la bande, Peter, – c’est ainsi que Wendy l’a appelé tout à l’heure – remet ses troupes en ordre et amorce sur le nouveau terrain une autre partie de ballon trépidante.
L’infirme s’est rassis sur son banc, encore rouge de colère. Ses gros sourcils se cabrent d’ indignation. Sa moustache frémit de rage impuissante. Et il brandit encore son moignon en direction des jeunes effrontés comme un gendarme brandirait son bâton.
Il est là, assis, les genoux écartés, comme un monarque sur son trône. Il semble couvrir tout le siège du banc par sa seule carrure. Il a relevé la tête, le regard bien droit vers les enfants au loin. Pour un peu on le jugerait rancunier et menaçant…
Et s’il l’était vraiment ? se demande J.M. Supposons qu’il médite une vengeance contre ces garnements ? Quel genre de « méchant » serait-il dans un roman ? Un kidnappeur d’enfants sadique ?… Bof ! Pas assez de panache ! Et puis bon pour des adultes !… Mais qu’est-ce qui pourrait faire peur à des enfants ? Quelle terreur enfantine irrationnelle pourrait-on réveiller ?… Un ogre ? Non! Seuls les petits seraient impressionnés ! Mais pour effrayer les joyeux affreux de tout à l’heure, il faudrait rien moins … qu’un pirate ??
Pourquoi pas ? Mais alors un vrai pirate, de la grande époque ! Un chevalier à l’envers, monstrueux, avec de gros sourcils et une énorme moustache, et aussi une longue perruque bouclée et noire, et une jambe de bois, ça s’impose, qui le fait boiter lamentablement, et puis, celui-ci aurait aussi perdu une main, disparue… mangée par un poisson ? … et à la place de cette main, pour pouvoir attraper quelque chose, il aurait….voyons !… une pince ? Non c’est pas un crabe !… un pic ? … difficile à manier… Non ! J’ai trouvé !! : un crochet ! Et on l’appellerait…
J.M. Barrie s’est levé du banc où il s’était abandonné quelques instants pour réfléchir. Il a hâte de retrouver sa table de travail pour écrire les premières lignes de ce qui – il le pressent – deviendra son chef d’oeuvre.
L’homme qu’il suivait, ne semblait pas s’être apperçu de son manège. Sans se soucier du temps incertain, il suivait tout en flanant, regardant sans vraiment les voir ces êtres un peu transit qui matelaient de leur pas pressés le trottoir . L’homme devant lui s’arrêta et dans un ample mouvement se tourna vers lui…quoi! l’avait-il vu? Non, ouf il reprenait de son pas glaudiquant sa marche vers un nouveau monde pour son suiveur mais, celui-ci avait-il eu raison de le faire? Ses habitudes un peu dérangeante pour la plupart des suivis un peu comme ces mimes qui se moquaient presquue ouvertement de vos défauts et qui pourtant ne portait qu’à sourire s’avéra pour le suiveur être très différent. De clais les trottoirs devinrent plus étroits, plus obscurs aussi, ou donc allait cet homme là? Anxel se dit en lui-même qu’il était temps de faire demi-tour et c’est ce qu’il tenta de faire…mais…
Chaque jour, au même endroit, il s’asseyait sur un banc et observait les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, il lui emboîtait le pas et ne la lâchait plus. C’était sa façon de partir à l’aventure, de se fier au hasard.
Ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû…
HOMMAGE AU DÉSESPOIR…
Non, vraiment, ce jour-là, il n’aurait peut-être pas dû…
Il aurait dû se méfier de ce drôle d’oiseau fringué comme l’as de pique : imper couleur mastic et chaussettes rouges.
Il aurait dû se méfier de ce drôle de volatile qui ne cessait de cancaner, sans se soucier d’être entendu ou même écouté.
Vraiment, il n’aurait pas dû se lever et suivre ce drôle de zig à la démarche claudicante. Mais c’était plus fort que lui.
Il le suivit dans les rues de Paris. A distance d’abord.
Il l’observait en patientant au coin d’une rue, sous une porte cochère, adossé à un réverbère ou derrière un journal…
L’autre ne se rendait compte de rien. Il poursuivait inlassablement son gymkhana parisien.
Une semaine plus tard, il fut surpris par une belle pétarade ! Ça canardait à tout-va !
– Tous aux abris !
– Préparez vos munitions !
Puis, soudainement, le calme revint.
Sauf pour lui, le suiveur, le pisteur.
Le zig à l’imper mastic et aux chaussettes rouges provoqua une collision frontale un beau matin, à proximité d’un bistrot, rue St Honoré.
– Si tu crois que je n’ai pas vu ton manège, cracha-t-il d’une voix nasillarde ! T’es brûlé, mon vieux ! Cramé jusqu’à l’os !
– ….
– Deux solutions. La première, je te crache ma valda et tu rejoins les limbes. La seconde, tu bosses pour moi.
– …. la deux, murmura-t-il dans un souffle aussi léger qu’une plume d’oie…
Le volatile à l’imper mastic et aux chaussettes rouges l’emmena dans sa basse-cour. Il ouvrit la lourde porte d’une maison haute classique, poussa son nouvel acolyte et le conduisit à son bureau.
– Voilà, je t’ai bien observé ! T’es pas un pigeon et je sens que je peux te faire confiance. Ton job : flairer la bonne « affaire ». Celle qui pétera, fera du bruit et mais se dégonflera pas….
Des années durant, leur collaboration fut parfaite. De mercredi en mercredi, ils se déchaînaient et leurs propos défrayaient la chronique !
Jusqu’au jour où….la soif d’aventure, la soif d’un toujours plus, toujours plus fort lui fit claquer la porte.
Il retourna s’asseoir sur son banc. Mais c’était sans compter sur son destin.
Alors qu’il se remémorait sa rencontre avec le zig à l’imper mastic et aux chaussettes rouges, un individu se planta devant lui et lui dit :
– Suis-moi.
Il obtempéra. Son désir de sensations fortes fut comblé au sein d’une équipe de comparses complètement déjantés. Ils faisaient fort, ces soixante-huitards ! Ils faisaient sauter tous les verrous, tous les cadenas, dézinguant avec leurs « Une » explosives.
Ce sept janvier deux-mille-quinze, il était particulièrement heureux en arrivant au numéro 10. Il poussa la porte et monta au deuxième étage.
Comme chaque matin, il s’asseyait à son bureau. Avant de prendre sa plume, il piochait, les yeux fermés, dans son livre de citations puis méditait ……
« La vie est trop importante pour être prise au sérieux »
Il ne vit pas les deux fous-furieux entrer, kalachnikov au poing…
Il était loin de se douter qu’un des jours de sa vie, il « n’aurait peut-être pas dû… »
© Clémence
Il aimait se poser dans un square pour préparer ses cours et billets d’actualité. Il écoutait ses voisins, glanait quelques bribes de dialogues, philosophant sur le temps, les vies minuscules, l’actualité. Par hasard, il suivit une dame claudicante vers son marché, et s’aperçut que c’était une autre façon de voir les choses. Faire un pas de côté apportant de nouveaux regards, recherche d’équilibre, réflexions sur la fragilité, la différence. Il trouvait que ce rythme chaloupé l’inspirait vraiment.
Quand une silhouette particulièrement dégingandée déambula près de lui, il se leva, intrigué et l’observa cheminer, se frayer un chemin sur les trottoirs, bousculer sans s’excuser, traverser sans regarder, bougonner..
Il le trouvait très intéressant, et l’imaginait déjà vivant dans un quartier difficile, mais en arrivant vers une résidence, il le vît se redresser imperceptiblement, et décida d’attendre la suite …
En effet, son malheureux sujet ressortit en jeune homme fringant, en pleine forme, discutant avec des copains. Il se permit de les accoster ( il avait réalisé qu’il était au pied d’une résidence étudiante ). Préparant un sujet-enquête, ils parcouraient la ville avec de légers handicaps pour étayer, analyser les problèmes de vie avec des différences …
ça lui avait pourtant plutôt bien réussi jusqu’à maintenant. Il avait gagné de nombreux amis et découvert des endroits de la ville qu’il ne connaissait pas. Il s’était souvent senti utile ; portant un sac, tenant une porte, offrant un sourire, un café, une oreille attentive…
Certes, certaines de ses filatures n’avaient débouchées que sur du vide, une porte lui claquant au nez.
Certaines, très peu, avaient engendré méfiance et agressivité, des coups avaient même failli pleuvoir.
A mesure que s’allongeaient ses pas, sa mémoire lui proposait les images de ces courses à travers la petite ville, de ces rencontres, de ces amitiés gagnées et cultivées depuis. Tous ces moments le remplissaient comme un trésor. Il était riche de visages, de sourires, de gestes et de mots partagés.
Aujourd’hui, hypnotisé par le pas désaccordé de sa nouvelle victime, par les pans de sa robe lui offrant le spectacle de leur danse, il sent que sa faim s’apaise, il se devine serein, il entrevoit le bout du chemin.
Cela fait maintenant plus de 20 minutes qu’il suit sa proie. Il ne réfléchit plus, il s’abandonne.
Le moine pousse une lourde porte en bois. Il se retourne et la lui tient ouverte, lui offrant au passage un magnifique sourire. Il entre. Il n’a pas hésité, à peine a-t’il osé respirer. Il ne sortira plus, il le sait déjà. Cette claudication là peut bien être celle qu’il a cherchée à travers toutes les autres.
Ses déambulations seront désormais dédiées à la prière.
Sa propre démarche désordonnée rythmera ses pensées, entièrement tournées vers les pas du monde et de l’humanité.
Joli !
Oui, ce jour-là, il n’aurait sûrement pas dû.
En effet depuis quelque temps des rumeurs circulaient dans le centre de rééducation fonctionnelle voisin du jardin public. Les pensionnaires du centre affectionnaient ce charmant petit parc boisé, bien entretenu, ses allées ratissées, ses jolies chaises vertes et ses bancs intelligemment espacés leur proposant d’agréables petites pauses entre chaque promenade qu’ils appelaient ‘de santé’.
Les jours sans pluie ces éclopés-boiteux-claudicants venaient ici prendre cahin-caha leur petit exercice qui promettait de consolider chaque jour davantage et tant bien que mal les os cassés par quelque mauvais coup du sort.
Mais voilà que plusieurs avaient remarqué qu’un drôle de type les suivait des yeux et se sentaient regardés de travers. D’ailleurs, trois dames rapportaient qu’elles faisaient attention à passer assez loin du banc sur lequel il avait coutume de s’asseoir car avant qu’elles ne deviennent méfiantes, chacune, par deux fois, (ce qui fait six tentatives) avait failli avoir la jambe crochetée par la poignée de sa canne qu’il lançait subitement en avant ou avait manqué de justesse de recevoir un coup de cette même canne dans les tibias ou les chevilles, ces manœuvres malveillantes ayant pour but évident de les faire tomber.
D’autres se mirent à se plaindre trouvant bizarre que ce type se soit mis à les suivre. Était-il méchant, maniaque, vicieux, ou simplement un voyeur un peu louche ? Inquiétant en tout cas. Ils décidèrent de rester sur leur garde et d’observer durant quelques jours s’il persistait dans son curieux manège.
La situation ne fit qu’empirer. Il suivait, poursuivait, filait chaque fois d’un peu plus près quiconque boitillait ou boitait bas. Ils allaient jusqu’à se sentir presque touchés aux épaules et entendaient dans leur dos sa respiration essoufflée. Un ou deux avaient bien essayé de s’arrêter net et de se retourner pour le surprendre, l’interpeller ; nullement intimidé, il ne répondait pas, levait les yeux au ciel, faisait « pfuittttt… » et alors seulement tournait les talons pour recommencer le lendemain.
En voilà assez ! Réunion, plan d’action, décision.
Et le voilà qui remet ça. Mal lui en prît. Cet après-midi-là, dès qu’il entamât la filature d’un déhanché traînant la patte, de tous côtés du carrefour arrivèrent hurlants des convalescents en béquilles, les uns brandissant leurs cannes ou leurs attelles, d’autres en fauteuils roulants lancés à toute blinde et étonnamment véloces malgré leur handicap.
Le suiveur ne dût son salut qu’à son saut précipité dans une bouche d’égout ouverte opportunément. Et c’est du fond de ce puits malodorant qu’il expliqua à ses poursuivants acharnés qui avaient bien failli lui régler son compte qu’il n’était qu’un inoffensif détective privé à la recherche du serial killer présenté par la presse et la police comme étant « le boiteux du square » et signalé rôdant dans le quartier.
Debout devant lui se tenait un homme à la jambe de bois. Intrigué, il attendit que le chien aboie et que la caravane passe avant d’emprunter son pas avec un grand intérêt. Jim, nase au vent, lâcha sa banque route de simple guichetier pour suivre cet homme qui, malgré le même handicap que Georges, marchait comme un marteau. C’était la pire hâte de sa vie. Il crut l’avoir après l’arche perdu mais le retrouva devant « les aventuriers de l’Hispaniola », une taVerne, un bar à Jules, dans lequel notoirement, le corps sert au plaisir des flibustiers du NET.
Jim entra. Le serveur s’avança. Il avait un pas tibulaire et des yeux sans vie. Un écran à plasma diffusait « le pirate sanglant », une série Z avec un capitaine Flint eunuque. L’aveugle lui servit d’office un Long John Silver, mélange de Blue lagoon et de Cuba libre. Devant son verre, mi fuge, mi raisin, Jim resta tonique.
Tandis que le boiteux cuisinait un certain Ben, un type déguenillé et à la barbe hirsute, Jim voyageait dans le voile et la vapeur d’alcool jusqu’à des rives lointaines et des îles aux trésors. Dans ses limbes il vit le boiteux s’emparer du Ben Gunn puis faire feu. C’est alors que…
Il ne savait plus lorsqu’il se réveilla le lendemain dans une cellule grise, pas encore dégrisé. Pour lui c’était fort Alamo et il en était fort alarmé.
Chaque jour, au même endroit, je m’asseyais sur un banc et observais les passants. Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication, je lui emboîtais le pas et ne la lâchais plus. C’était ma façon de partir à l’aventure, de me fier au hasard.
Ce jour-là, je n’aurais peut-être pas dû…
Aucun des passants qui arpentaient les allées du jardin public n’avait encore attiré mon attention. Jusqu’à l’apparition soudaine de ce petit homme à l’allure mécanique. Une sorte d’automate zigzagant et sautillant entre les rares promeneurs, avec une intention fébrile d’éviter à tout prix leur contact. Je décidai de le suivre. Nous quittâmes le parc.
Au moment de traverser la rue, le gnome s’arrêta plus que nécessaire au bord du trottoir, vérifiant scrupuleusement qu’aucun véhicule ne risquait de surgir de droite ni de gauche. Prudent ou peureux ? Intriguant en tout cas. Resté à bonne distance en arrière, dès que l’homme se décida enfin à emprunter le passage clouté, je m’engageai à sa suite. Déjà, les moteurs des voitures vrombissaient d’impatience.
Une fois de l’autre côté, il augmenta d’un coup la cadence.
Nous débouchâmes dans la grande rue où la foule était dense. A deux reprises, pour ne pas perdre de vue ma cible noyée dans le flot, je fus contraint de louvoyer comme un homme soûl entre les badauds nonchalants et surpris.
Essoufflé par cette filature improbable, je pensai renoncer quand l’autre tourna brusquement les talons : le télescopage était irrémédiable. Je stoppai net pour ne pas écraser le nain monté sur ses ergots :
– Je peux savoir ce que vous me voulez ?…
Pris en faute, je ne sus que répondre et baissai la tête. L’autre en profita pour disparaître.
Depuis, lorsque l’envie me prend de suivre un inconnu, je revois la scène, l’attroupement qu’elle avait provoquée et les regards vindicatifs qui m’avaient contraint à rebrousser chemin, honteusement.
On sait bien que la curiosité est un vilain défaut…
Christine
J’aime beaucoup c’est une version cohérente
Merci
Qui est pris qui croyait …
Chaque jour,il s’asseyait sur le banc et observait les passants.Quand la démarche d’une personne révélait sa claudication il lui emboîtait pas et ne la lâchait plus. ce jour-là un matin froid de janvier il avisa une dame qui semblait frigorifiée malgré son écharpe rabattue sur le visage et son épaisse parka noire. Elle boitait bas et servait d’une canne pour équilibrer sa marche vacillante. A sa grande surprise elle allait de banc en banc et tendait la main avec un geste de supplique. les promeneurs et les mères de famille apitoyées n’osaient pas refuser de lui donner l’aumône. Quand son banc, le dernier avant la sortie fur l’objet de cette mendicité clandestine et discrète, elle s’adressa à lui. Ses yeux verts étaient vifs et voilés de tristesse. Sa main tremblait dans un gant troué. Il fouilla rapidement son porte-monnaie et en sortir sa dernière pièce : deux euros. Le regard brilla dans un semblant de sourire. Il s’étonna de son expression soudainement rajeunie. La main encaisse sans aucun merci, juste une geste de la tête. Ensuite elle s’éloigna, quitta le square en boitillant jusqu’au boulevard. Il se leva à son tour, il avait sa proie. Il suivit la silhouette de loin, se laissant guider par le martèlement de la canne. Elle traversa à l’improviste en se retournant vers lui. Avait -il été identifié ? Il marqua une pause et s’engagea dans un passage, un raccourci qui lui permettrait de la retrouver un peu plus loin. Quand il accéléra le pas, il entend une course derrière lui. Devant lui apparut une large stature pour lui barrer la route.
– Alors Pépé on nous fait de la concurrence ? Rançonner les boiteux c’est pas cool hein ! Tu crois qu’on ta pas repéré ? Ici c’est notre coin, à nous ! Donne le fric ! Allez presto !
Mais je n’ai rien fait pleurnicha t’il;
Nous prend pas pour des … Ton fric ! le portefeuille le code ! t’as compris ? T’as plus l’âge !
Il tendit ses papiers d’une main tremblante.
Une troisième tête émergea derrière les épaules du costaud. Il reconnut les yeux verts perçants. Ensuite une volée de coups sur la tête et le noir.
– Monsieur, Monsieur
– Voilà il se réveille !
– Eh bien vous avez eu de la chance, si madame n’était pas sortie, vous seriez à l’hosto ou …
– Il en sera quitte pour des bleus et une grosse bosse. Vous avez même vos papiers.
IL murmura : et les jeunes ?
– Eux envolés mais on les reverra pas de sitôt.On a leur signalement maintenant. Rentrez chez vous et passez plus par ici. Un conseil, Monsieur, prenez plus les passages c’est pas prudent à votre âge !
Chaque jour, au même endroit,
La Perche posée sur un banc
observait les passants.
Promener leur désarroi.
Elle avait l’œil pour repérer,
#parce que c’était son métier#
les clopin-clopant, les claudiquants,
les oscillants, les hésitants.
Elle leur sautait dessus
et ne les lâchait plus.
Elle proposait ses services
de compensation altruiste
faisait appel à ses collègues ;
Béquille et Canne l’anglaise,
sous la houlette d’Addiction
grande meneuse de tentation.
Au menu, donc, des réjouissances
sur la liste de l’ordonnance,
tout un tas d’accessoires :
Jeu, sport, foi, boulimie, anorexie,
achats compulsifs, sexe, cigarette, alcool…
Cher passant claudiquant
Ce jour-là, vous n’auriez pas dû…
Ne confiez pas au banc
du hasard, vos désarrois
car ce n’est pas l’aventure
# mais bien un piège #
que tend la Perche
qui vous emboîte le pas.
Et met en boite vos penchants.
En poème bravo
belle lecture
merci
Merci Odile
très aimable!
claudiCANT
c’est exact merci
j’en ai profité pour prendre une leçon de grammaire
« Ne pas confondre participe présent et gérondif »!
J’avais moi aussi fait la faute, jusqu’à ce que j’aie un doute et que je vérifie. Y’a pas mort de boiteux.