1 avis sur écrit souhaité par Sabine Huchon
Bonjour,
Je suis une femme de 45 ans qui fait du théâtre, et qui griffonne, de temps en temps. En janvier, nous voudrions présenter des monologues de femmes très variés. A cette occasion, j’ai écrit ce petit texte. Il fait 2 minutes 20 à la lecture.
Le sujet est très dur, très sombre c’est voulu. Il y aura des textes plus gais (j’espère !). Il doit émouvoir, faire pleurer, bouleverser.
Mais il doit rester propre, sans vulgarité. Il ne doit être ni lourd, ni ridicule et je déteste le misérabilisme.
Il peut faire cliché, je m’en moque. Je le dirai comme si j’écrivais une lettre à ma mère.
Alors, pari réussi ?
Demain
Demain on va me pendre. Demain je vais mourir.
Dis-moi pourquoi, ma mère, j’en suis arrivée là ? Tu m’as fermé ta porte parce que j’étais grosse. Je n’avais même pas compris que j’avais un enfant dans le ventre.
— Dehors ! Dehors !
J’avais faim. Mais demain ce sera fini. Fini, tous ces hommes qui passent sur mon corps, dans mon corps. Ces hommes avec leur laideur, leur puanteur mêlée à la mienne. Ces hommes qui me jettent un ou deux sous afin d’assouvir leurs phantasmes impossibles, ou qui ne payent pas et partent en vous insultant.
Oh ! pour manger, j’aurais pu travailler, j’aurais pu me placer. Qui aurait voulu d’une fille grosse à son service ? J’aurais pu voler mon pain aussi. Est-ce moins déshonorant ? Tu m’avais appris que Dieu punit les voleurs. Mais tu ne m’as jamais dit que Dieu punit les catins. Alors ils ont défilé.
Un crayon rouge sur mes lèvres fendues, de la poudre orange sur mes yeux noirs. Le noir de la misère et de la crasse. Mes pieds gelés, crottés, crevassés, même quand j’avais des chaussures. Mes reins sans cesse douloureux. Les chambres sordides, qu’on partage entre filles, ou seulement un mur gris dans une ruelle sombre. La violence des mots, la violence des gestes, parfois. Et toujours leurs mains sales sur mes seins avachis, leurs ventres gonflés qui frottaient le mien. Mon ventre qui avait donné naissance à un enfant mort. Il y a si longtemps.
Réjouis-toi, ma mère, le trottoir ne nourrit pas. J’ai eu faim toute ma vie.
Hier le cœur de mon chaland s’est arrêté alors qu’on montait l’escalier. Il s’est brisé la tête en dégringolant. Je l’ai regardé longtemps, le laissant crever comme un rat en bas des marches. Un rat crevé, c’est un repas de gagné, disais-tu. J’ai souris. Alors c’est moi qu’on pend.
Oh, je n’ai pas peur. Demain, je n’aurai plus faim.
Bonjour Sabine,
Je lis la nouvelle version et je ne m’émeus pas plus, puisque c’est le but de votre texte. Presque, les compléments explicatifs alourdissent la forme.
Faire rire et pleurer c’est ce qu’il y a de plus difficile dans un texte puisqu’il s’agit de déclencher un rire ou une émotion chez le lecteur.
Et pour cela, selon moi (doublement souligné), il faut se raccrocher à du vécu, ce qui ne transparaît pas dans votre texte, au delà du flou du contexte autour de cette fille.
Mon impression (caractère gras) est que vous compilez ce que vous avez lu sur ce sujet (dur) plus que vous ne retranscrivez du vécu d’une seule personne que vous connaissez et qui s’est confiée à vous. Du coup, il y a une distance par rapport à ce que vous voulez dire, certes profond intellectuellement mais qui permettra difficilement selon moi, à l’auditeur, de s’identifier et de s’émouvoir.
Peut-être je me trompe, c’est une impression autant qu’un avis, avant tout, dont le seul but est de vous aider, vous, à y voir clair !
Amicalement.
Bravo Antonio, quelle lucidité.
Le texte est exactement le résultat de mes lectures. Pour finir il va à la poubelle, car à chaque fois que je le lis à quelqu’un, je m’entends répondre: Tu n’y crois pas, donc on ne croit pas en ta prostituée
Tu le dis comme si tu t’en foutais.
Tu le récites, tu ne le vis pas. C’est sans profondeur…
Je n’avais jamais procédé comme ça pour écrire, je ne recommencerai plus.
Bonne expérience pour moi.
Merci et bonne journée.
LE TEXTE REMANIE
surtout la fin pour sa compréhension.
Demain
Demain on va me pendre. Demain je vais mourir.
Dis-moi pourquoi, ma mère, j’en suis arrivée là ? Tu m’as fermé ta porte parce que j’étais grosse. Je n’avais même pas compris que j’avais un enfant dans le ventre.
— Dehors ! Dehors !
J’avais faim. Mais demain ce sera fini. Fini, tous ces hommes qui passent sur mon corps, dans mon corps. Ces hommes avec leur laideur, leur puanteur mêlée à la mienne. Ces hommes qui me jettent un ou deux sous ou qui ne payent pas et partent en m’insultant.
Oh ! pour manger, j’aurais pu travailler, j’aurais pu me placer. Qui aurait voulu d’une fille grosse à son service ? J’aurais pu voler mon pain aussi. Est-ce moins déshonorant ? Tu m’avais appris que Dieu punit les voleurs. Mais tu ne m’as jamais dit que Dieu punit les catins. Alors ils ont défilé.
Le crayon rouge sur mes lèvres fendues, la poudre orange sur mes yeux noirs. Le noir de la misère et de la crasse. Fini. Mes pieds gelés et crottés, même quand j’avais des chaussures. Mes reins sans cesse douloureux. Les chambres sordides, qu’on partage entre filles. La violence des mots, la violence des gestes, parfois. C’est fini. Et toujours leurs mains sales sur mes seins, leurs ventres gonflés qui frottaient le mien. Mon ventre qui avait donné naissance à un enfant mort. Il y a si longtemps.
Réjouis-toi, ma mère, le trottoir ne nourrit pas. J’ai eu faim toute ma vie.
Hier mon client a trébuché alors qu’on montait l’escalier. Il s’est brisé la tête en dégringolant. Je l’ai regardé longtemps, le laissant crever comme un rat en bas des marches. Un rat crevé, c’est un repas de gagné, disais-tu. J’ai souris. Maintenant on m’accuse de l’avoir poussé, alors on me pend.
Oh, je n’ai pas peur, je ne pleure pas. Demain, je n’aurai plus faim.
Bonjour Sabine,
Le texte est approprié au sujet bien qu’il me semble convenu. Je m’explique je pense que dans des dialogues de femmes nous aurons obligatoirement le texte d’une prostituée. Peut être pas celui d’une condamnée à mort.
Le sujet doit émouvoir, faire pleurer, bouleverser. Bien qu’étant une personne sensible je n’ai rien ressenti. Le texte doit être fort, celui ci est froid, si ce n’est le paragraphe des lèvres rouges.
Peut être aussi n’ai je rien ressenti car je ne le comprends pas. Est elle condamnée parce qu’elle se prostitue (qu’elle époque ? Où ? La peine de mort n’existe plus dans notre pays), parce qu’elle a tué ? Parce-qu’elle est fille mère (c’était également une honte à cacher à une certaine époque) ?
Finalement je n’adhère pas à ce texte et je ne suis pas sûre qu’il réponde au sujet.
Excusez ma franchise, je pense que c’est le but de l’exercice. J’admire par ailleurs ce défi que vous vous lancez.
Bonne continuation.
Gwenaëlle
Bonjour Gwenaëlle
Vous êtes toute excusée, car recevoir les critiques, c’est pour cela qu’on poste un texte.
Au contraire, cela m’a servi. Je n’avais pas remarqué de mon histoire était floue!En plus les textes noirs, ce n’est pas mon truc, alors les critiques sont les bienvenues. Autant au théâtre qu’en écriture, c’est un exercice nouveau pour moi. Car pour avancer, il faut savoir se busculer un peu!
Cela semble plaire à la majorité en effet… cependant, d’une part, je partage la remarque de Marlène quant à la forme et d’autre part, celle de Laurence sur l’aspect un peu trop « flou » de l’histoire.
Cela dit, si la noirceur était le but, alors bravo ! C’est réussi.
Prostitution et misère. La forme est travaillée, mais, à l’instar de cette catin, le sujet me semble un peu pauvre et rebattu… je ne suis donc pas aussi pendu à vos lèvres qu’elle s’apprête à l’être à sa potence.
Mais cela plaît, donc bravo !
Le début du texte est en alexandrin, l’aviez vous remarqué?
On est d’accord phantasme impossible, c’est pléonastiquement impossible
Le texte est court, concis, sans fioriture, sec. Ca me plait
Ce que j’ai moins compris:
elle est pendue parce qu’un homme est mort (fin du texte)
mais tout le récit porte sur sa condition misérable et non sur les raisons de sa pendaison
Pour moi il y a un décalage entre le texte et sa chute:
« Dis-moi pourquoi, ma mère, j’en suis arrivée là ? » et « Hier le cœur de mon chaland s’est arrêté alors qu’on montait l’escalier » Pourquoi l’a t-on pendu finalement. parce qu’elle est enceinte?, parce qu’elle se prostitue?
Amicalement
je trouve ce texte très beau ! chapeau l’auteur !
D’abord, je vous remercie tous du temps que vous avez accordé à mon texte. Vous avez été nombreux à me répondre, je vais tenter de vous faire une réponse collective.
Les uns ont aimé, les autres moins, comme le publique auquel je m’adresserai le fera, là n’est pas la question, et vous l’avez compris. Vous vous êtes penchés sur les questions qui me préoccupaient davantage, j’en suis ravie. Toutes vos remarques me seront utiles.
Mais pas facile de débroussailler. Par exemple :
Marlène dit : j’émettrai quelques réserves sur la forme ; Antonio dit : la forme est accrocheuse. Peggy le trouve violent, Flobard DURAND (hahaha !!!) irait plus loin ; etc.
Ce que j’en retiens, c’est que je vais enlever les phantasmes inassouvis (partie que j’avais déjà soulignée car je doutais, cela se confirme).
Il est vrai que j’ai eu du mal à trouver l’équilibre entre une forme écrite littéraire, car je ne veux absolument pas de vulgarité, et le langage d’une prostituée. Et comme tout le monde, cette prostituée n’écrit sûrement pas comme elle parle….Je vais modifier le langage de la partie avec le crayon à lèvres, trop « littéraire ».
Comme le dit Dumouchel, ce genre de texte n’est pas dans mes habitudes, je rame un peu pour le mettre au point. Mais j’adore l’exercice, il faut parfois se faire violence pour avancer.
Bon, je pars quelques jours à la mer, et je m’y colle en rentrant, j’aurai aéré mes neurones !
Il me restera une autre paire de manche : convaincre le metteur en scène…pas gagné.
Encore un grand merci à vous tous.
Sabine
Bonjour, juste un avis de forme; je ne commencerais pas par la fin, laissez votre public en haleine et ne lui « vendez » pas la chute au depart; je deplacerais la premiere phrase pour finir sur cet epilogue.
par ailleurs la mort traduite ici comme une delivrance, me parait un peu en contracdiction avec l’enumeration de souffrances multiples et atroces qui ne sont manifestement pas intégrées; j’adoucirais le vocabulaire pour être moins miserabilis; votre texte n’en sera que plus percutant.. isabelle
Un texte abrupt, sans lamento. J’aime.
On a peut-être un peu de mal à comprendre pourquoi elle va être pendue.
Autre remarque: je n’éprouve pas vraiment d’empathie pour la victime. C’est sans doute voulu. Mais…
Je pense qu’au théâtre ça passera très très bien.
Encourageant en tous cas.
C’est ton texte et il semble correspondre à ta volonté. Tu sera la seule à juger de son impact, en le présentant à un public.
A mon avis, pas d’erreur majeure…même si, me connaissant, j’aurai traité le thème encore plus sèchement, comme un coup de fouet…en retour!
Bonjour,
Je suis assez d’accord avec le commentaire de Marlène. Pour un texte destiné à être lu, le pari est réussi. Je trouve également que le paragraphe commençant par « Un crayon rouge… » est dans un style beaucoup plus « écrit », recherché, descriptif – avec l’usage de nombreux qualificatifs – que le reste du texte. Ecrirait-on vraiment ainsi à sa mère ?
En tout cas, une chose est sûre, je n’aimerais pas être à la place de celle qui recevra cette lettre.
Bonne journée
C’est rythmé, oui, balancé même je dirais, du dixième étage d’un sentiment que je regarde de dehors sans être jamais monté dedans.
Que se passe-t-il ? Pourquoi cette colère ?
Je n’accroche pas vraiment au fond. Sans doute parce que je suis un homme.
Mais la forme est accrocheuse, elle. Et j’aime bien le « ma mère », saisissant … par le colbaque ? 😉
C ‘est une histoire à la Dickens, à la Zola ou à la Maupassant. D’où une impression de déjà lu. Cependant, l’abandon maternel, la prostitution, le dégoût du corps des hommes tout cela est rendu de manière réaliste grâce à une écriture sobre. J’ai eu envie d’en savoir davantage et j’ai terminé la lecture un peu frustrée
Dur, très dur, peut-être un peu trop d’emphase, trop de mots « qui ne collent pas » comme le signale Peggy, mais c’est du lourd. Bravo !
Sabine,
très étrange ce texte venant de toi, certains le trouve noir moi… pas tant que ça ! j’ai bien aimé. je vote POUR !!!
bon courage pour la suite !!
Bonsoir Sabine,
Noir c’est noir, nous sommes prévenus.
J’ai lu votre texte tout haut et l’ai trouvé bien rythmé. Facile à dire. C’est violent, mais j’ai bien aimé.
J’ai juste buté sur « phantasmes impossibles » pour moi « impossibles » n’est pas nécessaire. Sinon tous les mots ont leur place dans le texte.
Il est propre et sans vulgarité comme vous le souhaitiez.
Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas été émue, malgré la dureté du sujet. Peut-être que votre héroine ne cherche pas à apitoyer mais plus à régler un compte. Pour moi vous avez atteint votre but, comme si vous écriviez une lettre à votre mère.
Bon succès
Peggy
C’est le choix des Sylvie, apparemment. Moi aussi, j’ai aimé la sobriété jusqu’à la déchirure. Simplement résignée. Et le balancement des mots. Je l’ai relu aussi et j’ai envie de l’entendre, posé sur une voix. Paris réussi, pour moi.
Amicalement.
j’aime ce texte, il donne à réfléchir. j’imagine cette femme face à un non choix et à la folie des hommes.
Bonsoir Sabine,
Je trouve que le pari est complètement réussi : simple, dépouillé, pudique, rythmé juste ce qu’il faut. Bravo ! Habituellement je n’aime pas du tout ce genre de texte et décroche au bout de quelques lignes. Là, j’ai lu jusqu’au bout et même relu.
Bonjour Sabine,
Pour ma part, j’émettrai quelques réserves sur la forme. Le fond on comprend bien que ce n’est pas La Belle au Bois-Dormant.
Certains passages sont maladroits : « …AFIN d’assouvir leurs phantasmes impossibles….ET PARTENT EN VOUS INSULTANT »…. Tu m’avais appris QUE…
Sinon, le paragraphe du crayon rouge sur mes lèvres est beaucoup mieux écrit.
Ma conclusion : pour un texte à lire à voix haute, l’essentiel c’est le rythme, les sons et les respirations.
Dans ce cas, pari réussi, ou presque….du moins à mon avis.
Marlène