Exercice inédit d’écriture créative 100

Inventez une petite nouvelle, maximum 2 pages,
dont la dernière phrase sera la suivante :  « plus jamais, il eut envie de se réincarner »

10 réponses

  1. Clémence dit :

    Inventez une petite nouvelle, maximum 2 pages, dont la dernière phrase sera la suivante :  « plus jamais, il n’eut envie de se réincarner »

    HIER :
    Une fois n’est pas coutume : me voilà arrivée à un nombre fatidique : 100 C-E-N-T et sans une ride, sans lassitude aucune !
    Permettez-moi dès lors, Cher Pascal, de laisser libre cours à la folle de mon logis, alias, mon imagination. Que ces quelques instants plongent chaque lecteur et lectrice dans les délices et les délires (sans jeu de mot) du rire !

    Je me suis offert, depuis quelques mois, le luxe de voyager dans le blog Entre2Lettres, au présent, au passé et au le futur. Croisant au gré de mon humeur et de ma fantaisie les exercices d ‘écriture, les lectures des textes et des articles ainsi que les textes proposés avec demande d’avis. .

    AUJOURD’HUI :
    En ce beau jour d’été et de Mistral, je me suis sentie sous l’influence d’un tourbillon de folie et je me suis dit  : « Chiche que je fais exploser le détecteur de mensonges – euh, pardon, le détecteur de clichés » !
    Vu ce que je viens d ‘écrire ci-dessus, je suis en tête sur la piste d’envol !

    Un rapide coup d’aile sur le titre. Hein ? Une nouvelle de deux pages ? Va falloir jouer les prolongations et les digressions en tous genres. Mais cela ne risque-t-il pas de faire mauvais genre ?

    Je booste mes neurones à la douce source d’une eau chaude mentholée – feuilles issues de mon petit coin d’herbes aromatiques garanties « pure culture bio ». Quand faut y aller, faut y aller. J’ouvre simultanément les tiroirs « Investigations » et « Créativité ». Je les referme aussitôt, aussi promptement que Mistral claque une porte vitrée. Je ne chanterai pas « Encore un carreau d’cassé ! V’là l’vitrier qui passe ! Encore un carreau d’cassé ! V’là l’vitrier passé ».

    Je décide de travailler dehors, les pieds en éventail sur fond de lavandes et de vieille restanque ! J’hésite entre le concerto pour piano 21 de Mozart et le concerto pour cigalette KV 622 bis.

    Allez, ma vieille, un peu de sérieux ! C’est un exercice d’écriture. Tout ce qu’il y a de plus sérieux ! Écriture. Pas de la calligraphie, de la composition avec style et classe.
    Et voilà le mot tant attendu ! Je rebondis dessus, comme sur un matelas moelleux et accueillant : «classe » !
    Ça y est, c’est parti, dirait Philibert avec sa table de multiplication cachée sous la table !

    Ils se sont connus à la maternelle. Lui, blond comme les blés, elle, jolie comme un cœur. Ils sont usé leur culotte sur les bancs de toutes les classes : primaire, collège, lycée puis la fac.

    Ils ont slogané, comme tout un chacun, « L’imagination au pouvoir ! ». Et pourtant, leur imagination n’a pas fait preuve d’un pouvoir extraordinaire. Ils ont fait comme leurs parents et comme leurs grands parents. A ceci près, c’est qu’ils se sont choisis en toute liberté. Mais ce point viendrait plus tard !

    Leur diplôme en poche, ils ont relevé leurs manches et se sont mis au travail. Ils se sont associés professionnellement d’abord.

    Ils bénéficiaient encore des retombées des golden sixties. Leur affaire a pris de l’assurance et de l’ampleur. Leurs arrières étaient assurés. Ils se courtisèrent officiellement, fiançailles et solitaire. Puis, robe blanche et mairie. En grandes pompes !

    La suite, presque tout le monde la connaît….
    L’appartement, bien que coquet dans un quartier chic de la capitale, devenait un peu étroit. Ils voulaient une villa, un jardin, un garage pour deux voitures, une piscine, le tout, dans un environnement tout aussi chic.

    Que dire de leur vie ?
    L’ami Brel chanterait…
    « Être une heure une heure seulement
    Être une heure une heure quelquefois
    Être une heure rien qu’une heure durant
    Beau beau beau et con à la fois »
    Mais non, point de cela, ils traçaient sagement leur route.

    Un jour, elle annonça « la bonne nouvelle » en comité très restreint ! Un héritier ou une héritière, quel bonheur !
    Durant les mois qui suivirent, la « belle vie » se mua en « quelle vie » !
    Elle fit taire ses nausées et ses dégoûts. Elle mata ses envies et ses fringales !
    Elle se brodait l’image d’une belle grossesse. Une grossesse insoupçonnable. Jusqu’au jour de la sortie de maternité, bébé dans les bras, silhouette de rêve.
    Elle voulait raconter, par la suite, à ses amies et proches :
    – Rendez-vous compte, pas une seule nausée…Non, je n’ai pas pris un kilo, un demi, peut-être…
    Elle fut, à ses yeux, la future-mère parfaite. Rien n’échappait à son regard des plus pointus.

    Si, justement un détail de pointe, et pas des moindres, la fit descendre promptement de son socle !
    Elle se rendit en urgence chez son podologue, un orfèvre en la matière ! Il écouta patiemment, il regarda, il observa, il éclaira, il loupa (comprendre : examiner à la loupe) il toucha, il incisa, il pinça… Avec lenteur, il leva sa pince qui maintenait fermement la pince. Il fit pivoter son poignet. Il sourit enfin de toutes ses dents et déposa délicatement un éclat d’ongle.

    Après avoir été admiré, adulé, le petit éclat, fut jeté dans la cuvette. Le podologue affirma, avec le plus grand sérieux, qu’il avait entendu avec le dernier glouglou qui avalait le petit bout d’ongle , l’ongle du hallux se jurer, mais un peu tard que  « plus jamais, il n’aurait envie de se réincarner » .

    DEMAIN ou un peu plus tard….
    Assis confortablement dans son fauteuil, Monsieur P. P. – par discrétion, je tairai son nom – lisait son quotidien du Sud-Ouest en sirotant son café du matin :
    « Explosion inexpliquée dans une Fabrique de machine à écrire dans une bourgade proche de Bordeaux. On ne connaît pas encore la cause exacte, mais les enquêteurs émettent l’hypothèse d’une explosion d’un détecteur de ….. »

    Il partit d’un grand rire en s’exclamant :
    «  Ah, ça alors, on ne me l’avait encore jamais fait, celle-là…. »

  2. Sabine dit :

    C’est l’histoire d’une jeune fille qui s’est écriée un jour : « Ha, si j’étais une sorcière… ». Bien sûr, elle mourut peu après et devint une vieille sorcière, sinon il n’y aurait pas d’histoire.

    Egriselle est une sorcière classique : chapeau noir, nez crochu, verrue à la joue, menton pointu, robe en zaillons. Tout ce qu’il y a de plus affreulaid, bien entendu. Elle habite dans une vieille cabane en bois toute déglingandée et poussiéreuse, au pays des Quatre vents. Du coup, elle a toujours froid. Elle ne se lave pas souvent et ne sent pas très bon. Elle n’a pas changé ses vêtements depuis…Ca fait tellement d’années qu’elle ne s’en rappelle plus. On ne peut pas faire de choopine au pays des sorcières.
    Dans ce pays, on ne mange que de la choucrounouille (sorte de choucroute à la grenouille). Egriselle a donc pris trente kilos et ressemble à une boule de goulinegue. Elle est grande, un peu trop à son goût. Elle voudrait dégrandir un peu. Comme c’est une sorcière, elle est un peu bougonne et susceptible, adore faire des petites farces un peu « vaches ». Mais elle ne parvient pas à être méchante et ne terrorifie personne. Les gens se moquent plutôt d’elle. Surtout quand elle chante, elle qui aime tant chanter. D’ailleurs elle aurait aimé être Bianca Castafiotte ou Crala Burni dans son autre vie, puisqu’elle a la compétence du chantage. Elle s’entraînait en faisant des buccalises, mais elle est morte trop jeune pour devenir une diva.
    Devant les moqueries des gens du pays des Quatre vents, Egriselle décida un jour de s’instruire. Nouvel échec : elle ne possède qu’un seul livre : « Utilisage des balles de cristal et hynoptisme ». C’est Einstein qui lui avait prêté en lui faisant promettre de lui rendre au plus vite, mais elle ne lui a jamais rendu. C’est une sorcière, sapribule, elle n’a donc pas de parole ! Ou alors c’était Charles Le Gaulois, à l’époque où il a épousé la reine d’Angleterre. Elle ne sait plus. Elle a une mémoire qui fait des fautes à cause de sa vieillitude.
    Mais surtout, à son grand désespoir, Egriselle ne vit pas seule. Elle a un compagnon qui vit sur son chapeau : TOI, un rampant invertébré, espère de grand ver de terre aux cheveux rouges. Ce ver de terre a été rejeté par les siens à cause de sa grosse touffe de cheveux rouges tout ébourritouffus. Il avait été abandonné à moitié acrabouilli au bord d’un chemin. Il a résurectionné, et le chapeau d’Egriselle lui sert désormais d’habritation. Il est nourri, blanchi, logi. Il s’appelle Toi, car personne ne lui a jamais donné de prénom, tout le monde s’adressant à lui en lui disant « Hé, toi ». Chaque fois qu’Egriselle se regarde dans un miroir, elle voit cette sale petite bestiole gigoter sur sa tête. Et elle se mire souvent, la sorcière. Elle est coquette. Elle se met même du rouge à zongles. Parfois, c’est le miroir qui s’y met :
    – Si tu n’avais pas donné la pomme empoisonnée à Blanche-Neige, elle ne se serait pas endormie, n’aurait pas rencontré le Prince Charmant et serait aujourd’hui encore la serviteuse de ces affreux petits nains incultes, toute bouffie, toute usée. Tu aurais peut-être été la plus belle…
    Quand il entend ça, Toi se met à rire et à chanter : Egriselle, soleil de mes nuits, Egriselle, belle de mes jours, un jour ton prince viendra…
    Quand Toi l’énerve trop, Egriselle veut l’ensorcevouté. Elle a déjà essayé mille douze fois, mais dans l’« Utilisage des balles de cristal et hynoptisme », il n’y a rien sur l’ensorcevoutement des invertébrés. Alors le vers, qui vois tout, qui sait tout, se moque encore:
    – Dis donc, jolie fleur des près, Egriselle la ploubelle, tu joues à éliminer l’ami de ton chapeau ? Perduuuuuu !!!!!!
    -Tais-toi, Toi. Tu n’es qu’un ersatz de serpent à touffe, une nouille tombée de l’assiette, un asticot anorestique.
    Et cela dure des heures, chaque jour, entre deux plats de choucrounouille, entre deux courants d’air. Rien d’autre que la laideur, l’exaspération, le désespoir. Ainsi ira la vie d’Egriselle pendant encore des centaines d’années, avec un ver de terre qui n’a pas inventé la poudre à vapeur. Car ainsi va la vie des sorcières. Mais plus jamais elle n’aura envie de se réincarner.
    ©Margine

  3. Halima BELGHITI dit :

    Pourquoi donc ai-je accepté de me réincarner ? Lorsque mon heure fut venue et que j’atteins le Pic de l’Aigle, on m’a demandé si je souhaitais réintégré l’univers sous forme d’atome ou me réincarner. Je tenais trop à la vie, je l’avoue. Mon état d’animalité a pris le dessus. Mon instinct de survie. Ma force vitale. Alors dans un grand grognement qui parcouru toute la jungle, j’acceptais de me réincarner. Je pensais que je serais réincarné à la hauteur de mon rang dans cette vie-ci. Que j’aurais la rétribution que je méritais. Après tout, j’ai remplis ma mission dans cette existence comme un chef. Ce n’est jamais très évident d’être roi. J’ai essayé d’être un bon roi. Je le jure. Un roi juste et équitable. J’ai permis à chacun de mes sujets de trouver sa place dans la chaîne alimentaire. Bien sûr, ils me versaient des impôts. Il fallait bien que je vive ! Et, en tant que roi, je ne pouvais pas travailler. Cela n’aurait pas été bien perçu. Je suis censé donner les ordres, non les effectuer moi-même. Sinon, qu’est-ce qui me différencierait des autres ? Non, moi j’étais le roi, un être spécial, qui dépasse tous les autres en sagesse et en hauteur de vue. Alors, ils travaillaient pour moi et en échange, je leur donnais de quoi vivre. Je savais aplanir les conflits entre deux mâles dominants, répartir les richesses de la terre, permettre à chacun d’accéder le point d’eau. Bien sûr, je me servais avant tout le monde. Rang de roi oblige. J’avais des serviteurs. Il fallait bien que je me fasse payer en retour de ma protection. Car je veillais à protéger les plus faibles. Contre quelques menues compensations. Normal. Et des menaces, il y en avait aux quatre coins du royaume. Des menaces du règne animal , mais aussi du côté des humains. Je demandais donc à des militaires de veiller sur nos frontières. J’étais l’allié des grands et des puissants avoisinants, car un jour, peut-être, ils devront m’accueillir en cas de révolution dans mon royaume. Mais tout de même, j’étais un roi aimé. Enfin c’est toujours ce qu’on m’a laissé croire. Mes fidèles sujets étaient serviles à souhait, gentils, plaisants, toujours conciliants et corvéables, heureux de vivre, quoi!
    J’organisais de grand festins pour que chacun puisse faire ripaille lors de banquets offerts par leur roi ! Je leur ai donné ce que souhaite tout peuple: des jeux et du pain. J’ai assuré ma descendance. Telle qu’on l’attendait de moi. J’ai copulé plusieurs femelles, dont j’ai pris soin et que j’ai entretenu toute ma vie. J’ai une dizaine de petits mâles dont l’un deux assurera un jour ma fonction. J’y compte bien. Je les ai élevé , dans la pure tradition féline, comme de véritables prédateurs. J’ai maintenu un équilibre politique et social dans le royaume tout au long de mon règne. Même si certains persiflaient en disant que j’étais un dictateur, un roi absolu. Quelle bêtise! Et quelle coincidence! Les mêmes intriguants que je banissais régulièremennt du royaumes. Le pouvoir est un exercice solitaire. Et mal compris. A l’approche de ma mort, nombre de mes sujets se sont agglutinés autour de moi. Tous avaient des mines réjouies. Ils voulaient sûrement me donner du courage et m’aider à passer de l’autre côté. Mon trépas a donné lieu à une grande fête. Dans toutes les régions de mon royaume, des feux de joie ont été allumés et des cris d’allégresse ont retentit jusque tard dans la nuit. Mon peuple est content que mon calvaire ait pris fin. Quelle belle preuve d’amour et de loyauté ! J’en suis tout retourné. Il est vrai que je me faisais vieux. Je me voyais me décharné un peu plus à chaque lune. J’aurais pu devenir une proie facile pour n’importe quelle hyène qui croiserait ma route. Mais est-ce que quelqu’un peut m’expliquer pourquoi me suis-je réincarné en fourmi ? Moi, le lion, le roi de la jungle, le plus redoutable des félins, craint à des kilomètres à la ronde ? Comment me suis-je retrouvé vulgaire fourmi, au milieu d’une centaine d’autres fourmis identiques, dans une sombre fourmilière au milieu de nulle part? Moi qui ordonnais, orchestrais, décidais, commandais, jugeais, condamnais? Moi, dont dépendait, selon mon bon vouloir, la vie de mes congénères ? Comment avec une telle puissance passée, un tel prestige, ai-je bien pu échouer sous terre, dans l’infiniment petit ? Une fourmi ! Que l’on peut écraser d’un seul piétinement ? Moi, si adulé, si craint, si célébré, si regretté, je suis à présent sous le joug absolu d’une reine-mère minuscule ? A trimer comme un pauvre hère 12h par jour ? A faire ce que l’on attend de moi ?
    Le roi Lion devenu fourmi se tut. Pus jamais, il eut envie de se réincarner.
    – Alfred, Alfred !
    – Oui, mon roi ?
    – J’ai fais un drôle de rêve Alfred, un cauchemard plutôt. J’ai rêvé que je me réincarnais en fourmi
    – En fourmi ?
    – Oui. Et c’est une pensée teriffiante.
    – Ce n’est qu’un rêve, Sire.
    – Ça donne à réflechir, Alfred…Ça donne à réflechir…

    @ Halima BELGHITI

  4. gepy dit :

    Dans le royaume des Dieux, des anges tournoyaient tranquillement. Ils attendaient avec patience la distribution des missions par leur patron, les Dieux, à chaque début de trimestre terrien.
    Ils avaient adopté ce calendrier ; c’était plus simple pour organiser la protection de l’humain, leur principale et grande mission.
    Ils avaient le pouvoir de l’incarnation dans l’homme si cela était nécessaire.
    Certains d’entre eux en abusaient par plaisir et par jeu. En exemple : quand vous demandez à une femme au volant de prendre à droite et qu’elle tourne à gauche, elle est habitée, à ce moment précis, par un ange protecteur mais farceur.
    D’autres, au contraire, détestaient ce rôle. La vie de l’humain pouvait devenir un enfer : louper son réveil, se brosser les dents avec le gel pour cheveux… Ceux-là faisaient tout pour recevoir un ordre de « désincarnation ». Ce qui ne tardait pas bien sûr.
    L’essentiel des actes des anges était d’orienter l’homme sur la Voie de la sérénité et du bonheur.
    Oh Grand Dieu ! Qu’il y avait du travail !  L’homme ne comprenait pas grand chose aux messages divins et ne croyait plus en leurs dieux. Ils en étaient désespérés. Mais c’était tout de même un passe-temps amusant.
    Tranquilito, un ange serviable et sérieux, fut missionné : prendre en charge la belle Sarah, passionnée par les sports de l’extrême.
    Tranquilito fut surpris. Il avait l’habitude de voler avec lenteur et précision. Entraîner Sarah dans le chemin de la sagesse lui semblait difficile. Mais bon, il exécuterait, c’était ainsi.
    Il observa Sarah. Il intervint plusieurs fois. Lors de sa plongée en apnée, plusieurs requins tournèrent dans son secteur pour la dissuader.
    Pendant sa descente de piste en altitude hors piste, il provoqua une avalanche juste après son passage mais rien n’y faisait. Sarah persistait dans ses folies. Tranquilito souffrait de son côté. Il consommait de l’énergie pour limiter les risques. Il s’épuisait. Il n’était pas du genre à s’incarner. Oh là, non, c’était vraiment pas son mode opératoire.
    Lorsque Sarah entreprit un saut de haute voltige, il ne put interférer par un orage. Un de ses compagnons traitait son missionnaire contre le mal de l’air, dans le même secteur, au même moment, pas de chance !
    Pas le choix, il dut incarner Sarah pour la suivre. Ce n’était pas de gaieté de cœur, cette prise de position. Il se lança et s’installa dans l’esprit de Sarah et, ma foi, s’y sentit bien. Ce n’était pas aussi brouillon ou agité qu’il se l’imaginait. Au contraire, c’était sage et réfléchi. Il en fut déstabilisé. Un ange pouvait-il tomber amoureux ? La question l’effleura mais il la chassa rapidement de son esprit. Ce n’était pas le propos.
    Sarah sauta de l’avion. L’ange hurla, ou plutôt, se désincarna. Il détestait vraiment cette prise de vitesse incontrôlée. Il ne voulut plus jamais revivre cette expérience. Il avait abandonné Sarah. Il se sentit faible, lâche, de ne pas l’avoir accompagné jusqu’au bout de son envol. Il était incroyablement attirée par elle malgré tout.
    Comment lui dire : arrête ses sauts, arrête ! Plus jamais ! Non, plus jamais ! Ne prends plus ces risques
    Mais il avait compris que tout ces jeux étaient mesurés et faisaient partie de Sarah.
    Tranquilito était agité. Il se sentit piégé par deux sentiments opposés : son « plus jamais » face aux sensations fortes et le bien-être de l’incarnation.
    Négligeant son « plus jamais », il eut envie de se réincarner.

    Gepy

    Pas facile cet exercice !

  5. Antonio dit :

    C’est une sensation étrange que de se réincarner dans le corps d’un autre, prendre possession de son être, de ses sens. On se croit encore dans son propre corps, seulement tout est différent, à commencer par le toucher. La première fois on regarde ses doigts, le creux de ses mains avec stupéfaction.
    La vue aussi surprend, son angle, sa précision. David était myope et pour lui sa correction lui semblait déjà un miracle. Mais, là ! … C’était comme un mirage.
    Très vite la perception des sens laisse place aux troubles des souvenirs, des sentiments, autant de sensations nouvelles et intrigantes, terrifiantes parfois, qui surgissent au détour d’une pensée, d’un regard ou d’un parfum. Toute cette intimité, ces bouts d’histoires que l’on découvre dans ce grenier infini de la mémoire, ils mettent mal à l’aise et excitent à la fois… à chaque pas dans ce corps qui n’est pas le sien, dans cette nouvelle vie que l’on sent petit à petit sienne.

    Lorsque que David s’est réincarné, c’était dans le corps de Florence. Elle dormait, dans un coma profond, depuis deux mois déjà. Cela faisait long à rester à côté, immobile, impuissant, à la veiller jour et nuit. Il n’avait qu’elle dans sa vie et l’idée qu’elle ne se réveille pas lui était insupportable. Il imaginait au plus profond de lui comment la rejoindre dans son sommeil, comment ne faire qu’un pour l’éternité, comme lors de ces moments fusionnels où leurs corps s’ébattaient dans un même souffle, une même caresse, une même extase.

    Puis vint ce jour où il s’est mis l’embrasser. Ses lèvres à elle devenaient chaudes. Ses joues rougissaient légèrement. Du moins, il le croyait. Elle réagissait. David le sentait même si la main de Florence dans la sienne ne bougeait pas d’un pouce. Elle avait la chair de poule sous ses caresses. Son cerveau ne commandait plus rien mais ses sens, eux, recevaient les informations de l’extérieur. C’était sûr. Alors il recommença le lendemain, avec tout son cœur, comme s’il lui faisait l’amour. La peau de Florence devint brûlante, il avait l’impression d’entrer en elle. Il était en transe. Quand elle ouvrit les yeux, il tomba à la renverse. Les infirmières le trouvèrent à terre, inanimé, quand Florence regardait autour d’elle sans un mot, examinant ses doigts et le creux de ses mains. Elle semblait stupéfaite.

    David fut emmené au bloc de réanimation. Son coma était profond. Les médecins ne s’expliquaient pas la cause. Une infirmière témoigna de la relation étrange entre les deux amants depuis quelques jours. Les spécialistes n’avaient pas envie de croire en quelconque phénomène paranormal et préféraient privilégier la coïncidence.

    Florence sortit de l’hôpital un mois plus tard. Elle avait bien changé, reconnaîtront ses proches. Elle ne les reconnaîtra pas tous d’ailleurs. Elle était triste, livide, ne mangeait presque pas et passait la plupart de son temps au chevet de David. Pour elle, c’est lui qui l’a sauvée et elle se doit de faire de même. Ainsi s’en expliquait l’infirmière témoin auprès de ses collègues curieuses qui les épiaient à toute occasion.
    « Elle peut lui redonner la vie, je le sens ».

    Un jour, Florence demanda à passer la nuit auprès de son ami ce qui lui fut accordé. On lui plaça un lit d’appoint juste à côté. Quand la nuit fut bien installée, elle s’approcha du corps de David. Elle se pencha et se mit à l’embrasser. Ses lèvres à lui devenaient chaudes. Ses joues rougissaient légèrement. Du moins, elle le croyait. La porte de la chambre s’était entrouverte, deux oreilles en auscultaient son cœur sans que Florence ne se doute de rien, trop occupée à caresser le corps de son amour. Elle chuchotait imperceptiblement quand brusquement elle débrancha l’appareil qui le tenait en vie et lâcha ces mots :

    « Salope ! … Comment as-tu pu me faire ça ? »

    Un cri d’horreur dans le couloir se fit entendre. David voulu sortir pour rattraper cet hurlement et le faire taire définitivement. Trois hommes l’interpellèrent avec force, une force que lui n’avait plus.

    « Mais elle est féroce ! » lâcha un des infirmiers avant de l’immobiliser pour de bon.

    David ne fut pas sauvé, il décéda au petit matin. Florence fut incarcérée en attendant son procès. Mais peu importait la peine qu’elle encourait, celle que lui vivait la terrassait. Il savait à chacune de ses respirations à elle, chacune de ses pensées qu’elle ne l’aimait plus depuis longtemps, puisque c’est ce qu’il ressentait. Il était désormais un étranger dans le corps de Florence. Si seulement il avait accepté de vivre sa vie sans elle, chacun à sa place.

    C’était fini, son corps était mort. Plus jamais il n’eut envie de se réincarner.

  6. nathalie dit :

    Bernard, il est Chardonnay, un des meilleurs. Son pied de vigne travaille dur pour l’alimenter à travers le massif de craie du bassin champenois. Il s’arrondit doucement, avec ses collègues grains de raisin, sous les doux rayons du soleil. Le temps est son allié. Il est choyé, avec des petits traitements pour garder la santé. Son viticulteur prend de ses nouvelles, parfois plusieurs fois par jour, en le pesant délicatement dans la paume de sa main. « Maturité », voilà ce qu’il a prononcé aujourd’hui. Bernard va enfin se réincarner.

    Car il en rêve : changer de vie, changer de peau, qu’on lui lâche enfin la grappe ! Lui, ambitieux et fier, il vise l’excellence : il veut se transformer en millésime. Certains collègues souhaitent devenir du champagne, d’autres de banal jus de fruits…. Des malheureux n’ont pas eu de chance car ils ont fini dans l’estomac d’un oiseau, picoré d’un coup sec et précis. Heureusement, Bernard a toujours échappé à cette mort indigne.
    Il a déjà vécu longtemps sur cette terre. Aujourd’hui, c’est le jour du départ : les vendangeurs ont investi les rangs de vigne. Ici, pas d’enjambeur. Le travail se fait à l’ancienne : un coup sec et précis de sécateur tranche sa branche. Bernard s’engage alors dans un périple dangereux : transporté à dos d’humain, puis chahuté dans la benne d’un tracteur, mélangé à d’autres grains, le voilà broyé puis versé dans une cuve. Sa transformation peut commencer…
    Le temps reste son allié. Lentement, il se réincarne en vin pétillant, élevé dans un fût de chêne sous l’œil expert d’un maître œnologue ; il murit dans les profondeurs d’une cave à la température et à l’hydrométrie soigneusement contrôlées ; il élève son âme ; il devient un secret de fabrication.

    Il se nomme maintenant Balthazar. Un millésime, pur de mélange, tellement admiré des hommes qu’ils ont décoré son immense corps de couleurs festives, de son cul jusqu’à son goulot. Balthazar peut enfin prendre un nouveau départ : il est étiqueté, mis en carton, transporté, pour être exposé parmi les meilleurs crus dans une boutique fine. Cette vie est vraiment confortable (surtout par rapport à celle dans les vignes !). Il est admiré le jour, il se repose la nuit. Il voit défiler des amateurs aux papilles qui pétillent à sa vue.

    D’ailleurs, un collectionneur l’emporte pour enrichir sa cave privée, tel un joyau méritant un écrin particulier. Un soir, tard, cet amateur veut même impressionner ses invités, mieux habillés les uns que les autres (pour être dignes d’apercevoir Balthazar). Balthazar est arrivé au firmament. Sincèrement, il ne sait pas quelle meilleure vie il aurait pu choisir…
    Tiens, les invités se taisent. Bizarre ce silence. Maintenant, ils comptent, en criant, quand résonnent les coups d’une horloge…. dix, onze, douze. Voilà qu’ils explosent de rire. De plus en plus étrange…
    Ils se rassemblent avec un verre en forme de tulipe à la main. Attention, l’un d’eux tient un sabre ! Horreur, ce fou pose le sabre sur le goulot de Balthazar. Ici, encore, un coup sec et précis tranche son col. Balthazar s’échappe, il se répand, il coule dans les verres, laissant s’envoler ses fines bulles au firmament. Lui qui a évité tant de dangers, qui s’est élevé si lentement au sommet des breuvages les plus admirés de la planète, il va se dissoudre dans des foies humains ! Tout ce brillant parcours, pour cette fin si déshonorante.

    Depuis ce jour, souffle un murmure à travers les cépages. Depuis ce jour, plus jamais, un petit grain de raisin eut envie de se réincarner.

  7. Fred Nache dit :

    NE SE REINCARNE PAS QUI VEUT

    Tianhao était malade depuis longtemps, alors il envisagea le remède que lui recommandait sa mère : va prier Bhoudda et demande lui de te réincarner.
    Toujours enrhumé, toussotant, crachotant, il se rendit à Phu Si. Au pied de la montagne aux 365 marches qui surplombait le Mekong, il s’agenouilla et pria puis se releva et commença la lente ascension. Toutes les 30 marches, il se prosternait et demandait aux cieux de le réincarner. Arrivé aux 5 dernières, il s’agenouilla et les monta à genoux puis arrivé sur l’esplanade de dalles en pierre, il avança toujours à genoux jusqu’à un tronc où il mit quelques sous avant de prendre des bâtons d’encens. Il continua toujours à genoux et en se prosternant à chaque foulée jusqu’à la statue du Bhoudda.
    Arrivé près d’elle, il s’inclina profondément trois fois, alluma ses bâtons d’encens, les plaça dans le seau plein de sable à côté. Il avait bien mal aux poumons et n’arrêtait pas de tousser mais si Bhoudda voulait bien le réincarner en homme fort et en bonne santé, peu lui importaient les douleurs d’aujourd’hui alors il pria :
    « Mon karma n’est pas bon : je suis né pauvre et affamé et j’ai eu beau travailler en tirant le pousse-pousse, je n’ai réussi qu’à me fatiguer. Je peine à me nourrir et à apporter suffisamment de riz à la maison pour les repas de ma mère. Je te vénère oh Bhouda, réincarne moi bientôt en un homme en bonne santé qui ne crachote et ne tousse pas. Cette vie est trop difficile. Ecourte la et remets moi vite dans un autre monde où je peux survivre sans problème. Regarde mes mérites : je m’occupe de ma mère, je travaille continuellement et je suis honnête. Je l’aide alors c’est ton tour de m’aider.»
    Après s’être recueilli quelques minutes, il sentit une présence à côté de lui, leva les yeux vers une vieille femme qui ressemblait à sa mère et lui touchait la manche.
    « Mon ami, veux tu que je t’aide dans ta prière pour que tu te réincarnes dans une vie meilleure. »
    « Oui, je souhaite une nouvelle vie avec une santé bien meilleure mais ne sais comment l’obtenir rapidement. Je suis à bout et ne pourrai continuer longtemps comme ceci. »
    Elle lui sourit dévoilant une bouche édentée où demeuraient encore quelques chicots rougis par le bétel.
    « Je vais prier Bouddha avec toi et il nous entendra, tu verras, je te le garantis, mais pour ça il faut que tu me donnes tout ton argent pour lui montrer la bonté de ton cœur et que tu n’es plus attaché à cette vie. Fais le et tu te réincarneras bientôt. »
    Comme elle ressemblait beaucoup à sa mère et qu’elle lui tenait un langage similaire, il se dit qu’elle était certainement là comme émissaire de Bouddha : il suffisait qu’il fasse ce qu’elle disait pour qu’il se réincarne dans une vie meilleure. Il ratissa alors ses poches et lui donna tout son argent. Elle se mit alors à psalmodier à côté de lui et il répétait après elle. Mais après quelques minutes, la fatigue eut raison de lui et il s’endormit. Quand il se réveilla, elle avait disparu mais sa toux et ses douleurs, elles étaient toujours présentes.
    Il se releva péniblement et pria à nouveau Bhoudda de le transformer mais il semblait ne pas entendre. En tout cas, sa douleur dans la poitrine était encore plus forte et le besoin de tousser et cracher était toujours là. Alors il commença à redescendre les marches et arrivé chez lui, sa mère lui demanda le riz qu’il devait rapporter pour le repas du soir.
    « Mère, j’ai donné mon argent à une vieille femme qui en avait plus besoin que moi et qui a prié avec moi. »
    « Et que va-t-on manger ce soir ? Tu n’es qu’un imbécile. »
    Il alla se coucher le ventre vide et tout dépité, vraiment écoeuré de voir que le bien qu’il avait fait se retournait contre lui. Et depuis lors, il sembla acquérir beaucoup de sagesse car plus jamais, il n’eut l’envie de se réincarner.

  8. isabelle hosten dit :

    Félix ouvrit ses yeux collés de sang pour les refermer aussitôt sur ses propres cris. Des mains étrangères lui essuyèrent le front, les membres. Il se sentit plonger subitement, comble de l’horreur, dans une eau tiédasse. Aspirer une goulée d’air, hurler plus encore, se débattre vainement contre le bain forcé. Une solitude absolue, radicale s’empara de son petit corps. Il se laissa faire en proie à l’angoisse ineffable qu’il allait mourir. Contre toute attente, il se sentit enfin au sec, dans un silence nouveau, ouaté. Il écouta son souffle, rapide, saccadé et regarda autour de lui. Du bleu, du blanc, une vitre en plexiglass, plus loin, un mur. Une odeur de rien. Et cette peau étrange, rose et fripée. Où se trouvait-t-il ? Que lui avait-t-on fait ? Il profita de cet instant de calme pour rassembler ses forces. Tenter de se mettre debout, s’échapper en somme. Aucun de ses muscles n’opposa de réponse adaptée. Une gymnastique désordonnée, une absence totale de coordination. Au comble du désarroi, il demeura couché sur le dos, assailli par des questions sans réponse. Qu’allait-il devenir ? Qu’attendait-on de lui ? Pour quel obscur dessein était-t-il retenu prisonnier ? Et par qui ? Drogué sans doute mais il restait parfaitement lucide. Tout le drame de cette situation kafkaïenne. Des crampes à l’estomac, la douleur de la faim. Il se prit à rêver de lait. Et soudain du bruit, une porte qui s’ouvre, un mouvement d’air, une présence. On l’emmenait. Il sentait le déplacement, linéaire, peut-être quelque chose qui roulait ; pas de moteur. Et d’autres cris, étouffés. Il n’était donc pas seul à subir le même sort. Et de nouveau des mains, la pression sur son ventre, ses membres, un tissu léger ; il se sentit enveloppé. Une fraction de seconde, il manqua d’air, la tête plaquée contre une chose étrange, chaude et plastique. Instinctivement il ouvrit la bouche. Il entendait très distinctement maintenant des chuchotements, une voix de femme sans doute aucun. Il ne comprenait pas mais il sut qu’il ne souffrirait pas. Un parfum étrange, doucereux, la bouche remplie désormais. Un liquide, un espoir ; on lui donnait à boire, il aspira sans résultat puis se mit à téter. Du lait. Oui, il y était ; c’était cela qu’il fallait faire, téter. Avaler, respirer, recommencer. La faim céda, la panique avec. Il décida d’ouvrir enfin les yeux et là il vit. Un visage tout près, une bouche de femme qui souriait. La chaleur de la peau de la femme ; un sein. Tout était là, transparent d’évidence. Alors il se souvint. La clinique, la tumeur sur la patte arrière, la piqûre du vétérinaire et plus rien. Le mythe des sept vies, il s’était accroché à cette idée. Plus de poil, la peau rose et fripée, c’était la sienne. Tout s’expliquait. Bien sûr qu’il ne pouvait pas marcher ni courir. Il en avait déjà vu, il savait ce qu’était un bébé. Les hommes, il avait pris soin de ne pas les approcher de trop près. La cruauté, la fourberie, les brimades, quelques tendresses de temps à autre. Ils lui avaient appris la méfiance. Il s’était adapté. Un chat placide, un chat d’extérieur, peu salissant et autonome, un de ceux que l’on peut laisser dans le jardin et partir en vacances. Il comprit alors l’absurdité de sa condition. Oui, tout recommençait pour lui. Il était un petit, un petit d’homme. Il se mit à pleurer et songea que plus jamais il n’eut envie de se réincarner.

  9. Durand Jean Marc dit :

    La petite roue.

    Heureusement, avant de se planter contre un arbre, il avait eu le temps de terminer le livre. Un ami lui avait conseillé: « Le boudhisme pour les nuls ». Il l’avait emprunté à la bibliothèque intercommunale. Ca l’avait changé des SAS, lus depuis 20 ans, collectionnés depuis 19. Il lui manquait toujours le n°22. C’est en revenant d’une brocante mouillée qu’il s’enroula autour d’un tronc.(dont on fait aussi des SAS).

    Le destin est tordu. Lui, sur le point de quitter sa femme, ne pensait pas changer , de vie, du moins pas comme çà.

    L’âme étant d’évidence le plus léger chez l’homme, la sienne s’envola bien vite, à l’abri des chasseurs (des chasseurs d’âmes, évidemment!)

    A la première lecture du gros bouquin, passionné de vélo, il s’était vu, au travers de sa compréhension des cycles, réincarné en selle de vélo. Pour lui, ça avait de la gueule.

    Une vie de travail, c’est souvent « plein le cul ». Nombre de retraités, s’affaissent alors dans le cuir du fauteuil, sur le large siège d’une royale tondeuse, dans le mou du temps.
    Avec les copains le dimanche, c’est mieux, on grimpe les monts des Flandres, on déguste une bière en Belgique. On fait les pros, on se dope, avec modération.

    Il n’empêche que pour Albert Bique, la vie suivante pris son corps dans une cuisine.

    Vu le caractère qu’il se soupçonnait, il s’était plutôt attendu à se retouver en lézard. Il en avait rêvé et un psy lui avait expliqué que se chauffer la queue survivante, pour un lézard, c’était bien significatif.

    Malgré tout, Albert Bique n’avait, en soi, rien contre les cuisines. Il lui était déjà arrivé de se préparer du riz au lait, les soirs de solitude footbalistique, sans les copains. Il avait appris à mettre du beurre au fond de la poêle chaude avant d’y casser des oeufs et d’y récupérer les morceaux de coquille.

    Mais pour lui, le grand Art, le seul, c’était les ponts. A base d’alumettes et de carton, il avait déja réalisé tous les grands ponts français, celui de Normandie, Tancarville, Saint Nazaire, celui de l’Iroise, d’Aquitaine, de Brotonne…Il allait s’attaquer au viaduc de Millau.

    Il prit conscience de ses hauts talons, de sa voix haut perchée, bien trop haute: « Albert »

    – Quoi, ma puce (insecte démangeur)
    – Quand est ce que tu vas me débarasser ce brun ?
    – Quel brun, ma colombe (oiseau souvent démangé par la puce) ??
    – Arrête de jouer à l’abruti! Tu sais très bien de quoi je parle. Je te rappelle que ma soeur vient dîner ce soir, que nous avons une discussion sérieuse à mener, à savoir quel jour on place Maman en maison et combien ça va nous coûter. C’est donc pas le moment de gaspiller nos économies dans les alumettes…d’accord!

    Albert fit un quart de tour. La glace du couloir lui retourna une baffe. Une grande bonne femme emmaillotée dans un immense tablier à fleurs le menaçait d’une cuillère en bois.

    Il resta là, bouche bête, se ressaisit, posa la cuillère.

    Au fond de la remise traînait une grosse corde. Au fond du jardin trônait un marronnier.

    « Moi, je m’en vais te lui tordre le cou, à ce putain de destin »

    Albert Bique ouvrit la porte de la véranda, convaincu. Plus jamais, il n’aurait envie de se réincarner.

  10. Christine Macé, écrivaine publique dit :

    La plage était dégagée par la marée descendante. Le sable reluisait sous le soleil encore ras du petit matin. Le vent se retenait de souffler trop fort, l’air était doux, fluide, léger. Un vrai petit matin de printemps.
    Il s’étira, bailla, une fois, deux fois, impatient de retrouver sa nouvelle conquête. Le cœur lui battait : amoureux, il l’était, assurément. Ça palpitait allègrement en lui depuis hier. Depuis cette rencontre, depuis ses yeux, son sourire. Juste ça et il avait fondu. Subjugué, emporté, conquis.
    Elle avait, elle avait… tout ! Et même plus. Les mots lui manquaient, il avait juste envie de rire, très fort, un rire à balancer des ricochets jusqu’à l’horizon. Vite, vite, la retrouver. Être à nouveau près d’elle, même sans parler, juste la regarder encore et encore.
    Il chercha une belle anémone : sûr qu’elle aimait les fleurs. Il n’eut aucune peine à en dénicher une toute auréolée d’embruns, puis reprit son chemin en ralentissant un peu, conscient d’avancer vers son avenir, ce grand espace tout neuf peinturluré aux couleurs du ciel.

    ***

    Thomas émergea difficilement. La nuit avait tardé à venir : la fatigue du voyage, l’excitation de retrouver la maison familiale, les empressements de mamie qui voulait toujours en faire trop. Et le bruit de la mer, insidieuse, lancinante. Comme toujours, il lui faudrait quelques heures pour atterrir comme il disait. Heureusement son copain Gwen aurait vite fait de le remettre dans le bain. Le temps était parfait pour aller à la pêche aux coquillages.
    A demi assis dans son lit, il écouta les bruits feutrés de la maison qui craquait. Ses parents dormaient toujours mais mamie était déjà affairée en cuisine, le café sur le fourneau. Malgré son grand âge et ses mains fines qui tremblaient un peu plus chaque année, la vieille dame reprenait de la vigueur quand la famille débarquait pour les vacances. Invariablement, elle lui caressait la tête et l’appelait « mon petit ». Ici, c’était ailleurs, Oublié Paris, le collège, les copains, les rues bruyantes, la foule avalée dans la bouche du métro. Ici c’était un monde à conquérir, celui des bateaux, des marins, avec la cloche de l’église et la corne de brume. L’odeur de la mer surtout, partout, à plein nez. Déjà, il redevenait de ce pays, fier d’en être, un vrai petit Breton.

    ***

    Il fut satisfait de voir qu’elle n’était pas encore là, satisfait qu’elle se fasse désirer et lui impose cette attente cruelle et douce. C’était bien une fille, un brin capricieuse et il aimait follement ça. Il pourrait, lui aussi, se cacher dans un coin, pour l’attendre, la surprendre, lui faire peur, un peu. Sauf qu’en parfait conquérant et fin stratège, il valait mieux lui laisser croire qu’il était à sa merci. Se faire mener un peu par le bout du nez, pour voir jusqu’où. Entrer dans son jeu, un moment, avant qu’elle cède à son tour. Mélanger l’amour et le hasard. Et surtout la faire rire : ultime conquête. Il s’installa, bien en vue, le regard posé sur l’horizon et ses sens en éveil pour mieux la sentir approcher.

    ***

    – Thomas ! On y va, j’ai préparé les épuisettes !!!
    Le garçon sauta de son lit et ouvrit la petite fenêtre sous laquelle son copain Gwen criait comme un beau diable.
    – J’arrive !
    Le temps d’enfiler ses vêtements et d’avaler son bol de chocolat, Thomas retrouva son ami. Ils se serrèrent la main virilement, comme deux vieux briscards, et enfourchèrent leur bicyclette. Oui, bon temps pour la pêche : Gwen poussa leur cri de ralliement et ils firent la course en dévalant la pente qui mourrait sur la plage.
    Abandonnant les vélos dans un coin de dune, le garçon distribua le matériel. Thomas prenait en pleine figure cette nature sauvage et libre, il buvait le vent et levait son nez vers le soleil en signe d’allégeance. Il hurla à son tour :
    – A l’attaque !
    Comme toujours, chacun s’était octroyé une partie de la plage : en fin de matinée, on verrait bien qui des deux serait le champion de la récolte. Ils se toisèrent avant de se tourner le dos, adversaires désormais, le regard rivé au sol pour traquer le plus petit mollusque.

    ***

    D’abord, il les entendit. Leurs cris le firent sursauter. Ils étaient deux, des garnements apparemment bien décidés à lui gâcher son plaisir. Lui qui se croyait seul au monde, guettant sa belle comme la montée de l’astre céleste. Et voilà que ces deux petits morveux venaient bousculer ses rêves et fiche le bazar dans ses plans. Il s’affola, chercha un coin où se mettre à l’abri avec elle. Elle qui n’arrivait toujours pas. Et l’autre, là-bas, qui courait maintenant, de plus en plus vite, dans sa direction. Pressentant l’imminence du danger, il scruta une dernière fois la plage et il devina sa fine silhouette, loin là-bas, trop loin. Quand il se retourna, ce fut pour apercevoir une paire de grosses bottes, plantées devant lui. Il trembla et ferma les yeux. Brutalement arraché avec une poignée de sable, il fut jeté sans ménagement au fond de l’épuisette.
    Avant de sombrer, il pensa que plus jamais il ne s’incarnerait, ni en sautelicot, ni en pêcheur.

    Bon week-end à tous et vive le 100e… en attendant les suivants avec impatience.

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