La loi et l’interprétation du verbe saboter
Erri de Luca comparaîtra le 28 janvier 2015 devant le tribunal de Turin.
Motif, avoir dit, lors d’une interview, que la future ligne LGV Lyon-Turin bouleversant la vie et l’environnement des habitants d’une vallée est inutile, donc que des « sabotage et vandalisme étaient licites ».
La loi italienne, considérant qu’il y a incitation au sabotage, prévoit 5 ans de prison pour de tels propos. Les juges oseront-ils l’appliquer, même si elle est contraire à la liberté d’expression ?
Condamneront-ils un homme de lettres pour l’interprétation du verbe saboter ? C’est possible…
En France aussi, on a intérêt à peser ses mots. Le politiquement correct édicte ses lois. Parler d’une communauté autrement qu’en bien est sanctionné par la prison.
Talentueux écrivain et amoureux de la nature, Erri De Luca précise, dans La parole contraire, Éditions Gallimard, à paraître en janvier 2015 :
« Je revendique le droit d’utiliser le verbe « saboter » selon le bon vouloir de la langue italienne. Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle comme le prétendent les procureurs de cette affaire.
Par exemple : une grève, en particulier de type sauvage, sans préavis, sabote la production d’un établissement ou d’un service.
Un soldat qui exécute mal un ordre, le sabote.
Un obstructionnisme parlementaire contre un projet de loi le sabote. Les négligences, volontaires ou non, sabotent.
L’accusation portée contre moi sabote mon droit constitutionnel de parole contraire.
Le verbe saboter a une très large application dans le sens figuré et coïncide avec le sens de entraver.
Les procureurs exigent que le verbe saboter ait un seul sens. Au nom de la langue italienne et de la raison, je refuse la limitation de sens ».
Découvrir Erri De Luca avec Le poids du papillon, un superbe conte, âpre et poétique, mettant en scène le roi des chamois et un vieux chasseur. Une magnifique métaphore sur la vie.
Les prémonitions de Jacques Ellul, en 1981… (extrait) : « Voici venus des temps redoutables : ceux de la pensée molle et de la parole humiliée. Une indifférence empoisonnée s’élève lentement, comme un mauvais brouillard, des tumultes du moment et des querelles spectaculaires. Les discours modernes ont basculé dans l’enflure et le dérisoire. Rien ne serait plus vrai ni faux, tout deviendrait « égal » dans un monde du bavardage et du soupçon. »
La Parole humiliée, Paris, La Table Ronde, 1981
Merci à Gérard Cénec, toujours aussi vigilant
Je ne suis pas Charlie et je n’ai pas coutume de me mêler aux choses publiques, non par démission ou par lacheté mais parceque je ne donnerai jamais de miroir à ce que je ne concois pas : que ce soit la violence en tout genre ou le fonctionnement de « notre » gouvernement. Lequel je ne reconnais pas comme miens, lequel est devenu une religion pour bon nombre d’entre nous. Les gouvernements les meilleurs sont ceux qui gouvernent le moins d’après Thoreau, et je suis bien d’accord. Nombre d’écrivains ont été censurés, aujourd’hui ça continue et si ils parviennent à se faire éditer, le gouvernement selon ses propres « principes et valeurs » va juger si il est bon de le laisser s’exprimer ou pas. Nous sommes en ce moment en plein débat sur ces questions. La réponse à l’oppréssion sera pour ma part l’art dans toutes ces formes et mon individualité, ma volonté de ne pas me soumettre à la pensée unique, à l’uniformité de celle çi, ne pas céder à ceux qui donne à penser qu’elle est la communauté nationale est qu’il est « mal » de ne pas en faire partie.
Ma force est considérable en ce sens.
En tt cas, si j’avais envie de lire Hitler ou la bible ou même ce livre ; j’espère bien pouvoir le trouver. Est-il utile d’ajouter que la liberté d’expression lorsqu’elle est brandie veut bien dire qu’elle n’existe déjà plus….
« Il vaut mieux mourir debout », disaient-ils. Moi je les aimais mieux assis devant leur bureau et bien vivants. Tristesse.
Vous parliez, il n’y a pas longtemps, Pascal, d’écriture prémonitoire…
Votre article en est un illustre exemple…
Notre société fait froid dans le dos.
Quelle injustice pour, à mon avis, le plus grand écrivain de notre temps !
C’est un pur bonheur de se plonger dans le Poids du papillon et toute l’œuvre d’Erri de Lucca (Montedido, Le jour avant le bonheur, Le contraire de un, etc., etc.). Grâce notamment aux talents de sa traductrice, Danièle Valin, sans qui les lecteurs non italophones seraient privés de ces délicieuses pages, à lire, relire et relire encore sans modération.
Charb, Cabu… Je suis en état de choc !
Comment coller au plus près l’actualité.. Quoiqu’il se passe, vive la liberté d’expression !
Article prémonitoire, hélas.
Plusieurs journalistes assassinés chez Charlie Hebdo pour avoir osé écrire librement. Ce n’est qu’un début, Houellebecq est sûrement en danger, comme tous ceux qui sont attachés à notre culture et notre liberté.
A l’heure où je viens d’apprendre le massacre du droit à l’humour chez Charlie
Hebdo, je crains d’abord le retour à grande vitesse de la barbarie!
Vigilance! Ne pas saboter avant tout la liberté d’expression!
Je soutiens complètement cette liberté de dire et d’écrire et partage cette utilisation du verbe « saboter »… Mais je suis embêté dans la pétition qu’il y a derrière qui commence par l’opposition à la ligne TGV dont je ne me sens pas la légitimité de prendre position.
Cela me semble trop facile quand on utilise par ailleurs les autres lignes en France qui ont causé les mêmes bouleversements et que l’on a oubliés à grande vitesse.
Il aurait été bien de dissocier les deux sujets pour ma part.