Exercice inédit d’écriture créative 205
Racontez un repas de famille
vu par un poisson rouge
depuis son bocal
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6 chemin de la Fabrique 33410 BEGUEY, France
Je suis tout seul avec le petit .On attend tous les deux qu’ils arrivent . Ca doit faire cinq, six minutes qu’on ne fait rien , ni lui ni moi . Je le regarde sans bouger et lui pareil c’est marrant .
Deux fois il remue vaguement le menton et les dents du bas l’air de dire , toi et moi , on se comprend . Je pense très fort la même chose en me disant que si j’avais un menton je le soulèverais aussi . Je souris un peu , lui aussi et puis des cris fusent à travers la fenêtre du salon .
Le petit se met à pleurnicher , je me rend compte que j’ai faim.
Avant que les ados ne déboulent dans la pièce je fais celui qui dort comme d’habitude .
J’entend le petit hurler sous la musique des couverts qu’ils jettent sur la nappe . Puis je devine que Madame Lina sert le surgelé dans un beau plat.
A côté, René essaie de calmer les jeunes , il sait que ça ne marche pas mais il est optimiste et gentil , il continue . La paella à l’eau est avalée en une bouchée : il fait beau dehors et manger ce n’est pas si intéressant .
J’attend .
. . .
J »essaie de parler – j’ai presque réussi une fois – mais ça ne marche pas alors je fais une bulle , énorme , et j’ouvre les yeux .
Je la vois flotter , je suis le seul , elle tient , longtemps , jusqu’à la fin du dessert .
. . .
Je suis à nouveau seul avec le petit et je n’ai plus faim .
Ce fut comme une mise en bouche. Au moment où « ils » arrivaient, Brel entama sa complainte….de « Chez ces gens_là » . Vous savez, cette chanson emplie d’images plus sensorielles les unes que les autres, plus cruelles les unes que les autres.…
Bon, je suis avec mon bocal, déménagé sur le coin d’une vieille commode. Commode aussi pour voir ce qui allait se passer lors de ce repas de famille ! Je le sentais venir, celui_là : un petit coup de lustrant sur le parquet, l’argenterie, la porcelaine… bref, le grand tralala… et pour qui ! Je vous le donne en mille !
Charlotte et Charles-Edouard, jeunes mariés retraités, (mes illustres propriétaires) recevraient . En fait de jeunes mariés, ils avaient déjà été mariés chacun de leur côté et avaient eu des enfants. Deux fils pour Charlotte, deux filles pour Charles-Edouard.
Aujourd’hui, ils recevaient, dans le cadre de cette famille recomposée, la fille aînée, son mari et leur fille.
Je voyais à la tête de Charlotte qu’elle ne pouvait s’empêcher de revoir en boucle les événements depuis l’annonce à « fille chérie » jusqu’à ce qui avait précédé la rencontre d’aujourd’hui. Elle était envahie par une telle appréhension que des ondes négatives atteignirent l’eau de mon bocal.
Coup de sonnette…. J’ouvre tout grand mes yeux qui servent de décodeur car je dois lire sur les lèvres…
Sourires d’accueil et embrassades de la part de Charlotte, idem pour son mari. Tiens, tiens, il y a déjà des regards fuyants et des regards furtifs, des regards absents pour l’hôtesse et des regards énamourés pour l’hôte de ces lieux…. Ça promet….
Et les voilà à table… j’observe le manège….
Charlotte, toute souriante se décompose au fur et à mesure: le moues, les mimiques, les gestes… petit à petit elle comprend qu’elle est transparente, ou ignorée…allez savoir !
Les paroles de Charlotte ne semblent pas avoir d’écho à voir comme elle en reste bouche bée….
La cuiller reste figée dans le potage, l’assiette est ostensiblement repoussée….
La fourchette gratte l’assiette et le couteau la déchiquette rageusement…
Les pieds dansent une farandole sous la table : le mari et sa femme… des petits coups de pieds, comme pour se dire « Tu vois, je l’avais bien dit… » ; des petits coups de pieds complices entre mère et fille comme pour se dire « Là, ma fille, c’est bien, tu as du caractère ! »
Le repas ne risque pas de traîner en longueur….En effet, l’insupportable gamine, soutenue sous-tablement par sa mère, a voulu quitter la table en tragédienne. Elle se leva, le coin de la nappe se coinça dans la boucle de la chaussure qui se trouvait là où elle ne le devait pas…toute la jolie table s’en fut rejoindre le parquet en une mosaïque incroyable!
La fille, le mari et leur fille quittèrent la séjour, happant leurs manteaux au passage, rejoignirent en courant, leur SUV en bousculant Charlotte et Charles-Edouard au passage.
Charles-Edouard prit Charlotte dans ses bras et il me semble que si j’ai bien lu sur ses lèvres, il lui disait avec beaucoup d’amour : « Je ne suis pas sûr que l’on trouvera un mode d’emploi pour ces trois là ! »
PS: faites-vous plaisir, lisez les paroles de cette chanson de Brel, mieux, écoutez… !
J’étais posé là depuis quelques jours et la maîtresse de maison venait de changer mon eau. Je suis donc maintenant dans mon aquarium tout propre avec mes plantes en plastique a regarder ce qui se passe autour de moi : sur le fond de ma « cage » rectangle j’ai le paysage idyllique d’un fond de mer bleue avec par-ci par-là des coraux qui donnent une impression de vrai et me protégé de la fin chaleur de la fenêtre, sur le côté opposé, la salle a manger immense a mes yeux et je vois clairement les huit chaises autour de la table ronde nappée de rouge pour l’occasion, à la gauche de ma demeure un mur, a ma droite la cuisine, endroit de prédilection pour l’animal poilu qui se promène sur les meubles et vient de temps à autre tremper un bout de patte et boire un coup.
Aujourd’hui c’est la fête, je ne sais plus ce qui s’arose mais la belle vaisselle est sortie et les enfants sont habillés comme des poupées ! Jaime lorsqu’elles viennent me regarder mais pas de trop prêt, je ne sais plus pourquoi mais je sais que j’ai peur !
Les invités arrivaient et il y avait parmi eux des enfants très jeunes ils se jetèrent sur mon aquarium et la vue de leurs globules me rappelle pourquoi j’ai peur : ils sont énormes ! Et avec des lunettes, c’est pire, je file donc me cacher sous mon rocher posé là pour faire joli du coup, ils partent et je peux continuer mon observation. Ils sont maintenant tous assis avec des verres à la main, je les vois faire de drôles de mouvements avec leur bouche, ils appellent ça ri…. quelque chose mais j’ai perdu le mot !
Désormais assis, les a…. machin j’ai encore zappe j’ai encore zappé le mot donc ils ont ça devant eux et ça commence à manger. Ça y est rire !le mot je l’ai entendu dire il y a 1 seconde euh il mange donc…
Tiens, je suis dans un bol avec de l’eau propre ! et la déco est jolie même si elle n’est pas très nourrissante. Oh elle est jolie la table avec sa truc rouge dessus, j’ai oublié le nom bref, et la belle vaisselle est sortie : il va surement y avoir du monde aujourd’hui.
Oh tiens se dit Carambar à la vue des nombreuses assiettes sur la table, un repas de famille va avoir lieu. Son cœur se serre car c’est lors du dernier repas que son compagnon Malabar a disparu.
La famille Rascasse est nombreuse, hier décomposée aujourd’hui recomposée.
Oh les voilà :
la grosse tata avec son corps de baleine,
la mère à la silhouette de sirène sans queue,
le père à l’allure de vieux maquereau
le fils nemo, son éternelle épuisette sur l’épaule
et toutes les autres pièces rapportées.
Chacun ayant pris sa place les langues se délient :
çà sent le poisson dit l’un,
est-ce du poisson d’eau douce ou de mer dit l’autre,
Nous avons fait une bouillabaisse répond la maîtresse de maison, il y en aura donc de chaque sorte.
Carambar c’est un poisson d’eau du robinet rit Nemo comme Calamar et ce faisant il l’attrape et le jette dans le plat de bouillabaisse
Carambar ne nous racontera pas le repas de famille.
DIMANCE 13h 05’ 15’’- A LA MEDIEVALE –
Le quart de sexte a sonné il y a peu à Saint-Germain-L’auxerrois. C’est l’heure de la mangeaille et la maisonnée s’apprête à ripailler.
Le maître de céans, que ses fonctions de bailli du Roi, autorisent à se conduire en véritable seigneur, use et abuse du droit de cuissage sur les servantes et les ribaudes de la rue Tire-boudin, les riches commerçantes du quartier des Franc-Bourgeois et les lingères de la Cité. Prompt aussi à pendre au gibet de Montfaucon les maraudes et les détroussuers de tout poil
La maîtresse, gente dame et petite-fillotte d’un grand sénéchal de Champagne, dirige le logis,
La jouvencelle des manières de ribaude et l’enfançon, une sacrée défroque avec ses braies de donzelle
Jactance entre les maîtres. Criements de la femme qui se plaint de ne pas avoir eu la nuit de bonne flambée et regrette de l’avoir épousaillé. Lui, paillard ne se vergogner point de toutes ces balivernes
Prises de bec aussi entre leur géniture qui guerroye au sujet d’un poème de François Villon
Ici, point de repas de gueux. Bonne pitance. Oyez : du brouet de faisan, une poularde farcie, des rôts qui fleurent si bon …. Mortecouille ! Envie de les occire tous. Peste soit des nantis
DIMANCE 13h 05’ 30’’ – A LA RELIGIEUSE –
Le Père, Professeur de foi, se veut directeur de conscience, impose bondieuseries à sa famille
La Mère, fidèle parmi les fidèles, en adoration devant ses enfants, porte sa croix avec la foi du charbonnier
La jeune vierge Marie, en perpétuel état de grâce et à qui on donnerait le bon Dieu sans confession Une vraie grenouille de bénitier
Le jeune Joseph se démener comme un diable dans l’eau bénite
La Mère reproche la vie d’ascèse et le calvaire que son mari lui fait mener. Le Père lui jette l’anathème pour ces propos dénués de charité chrétienne et empreints d’impiété
La Cène consacrée après avoir récité le bénédicité : des hosties arrosées de quelques gorgées de Lacryma Christi
DIMANCHE 13h 05’ 45’’ – A LA MILITAIRE –
Une maison tenue comme un blockhaus. Une cuisine agencée comme le mess des officiers
Le général un caractère blindé, mène son monde manu militari.
La colonelle : une sacrée bombe malgré quelques heures de vol
Les bleus. Elle, à l’éternel béret vert, mauvaise mine, l’air de marcher au radar et toujours que le point de partir en vrille. Lui, une arpète venant d’obtenir son brevet de pilote qui l’autorise à se branler le manche
Violente escarmouche entre les plus gradés. Elle lui reproche ses manières de hussard et son manque de munitions. Il lui dresse un blâme en raison de sa tenue peu réglementaire
Bataille entre les moins gradés pour une historie de cartes. L’as des as est-il plus fort que l’as de carreau ?
Cessez-le-feu pour prendre le repas. RAS. Du rata
DIMANCHE 13h 06’ 00’’ – A LA MODE DE BANLIEUE –
L’heure de grailler chez les pétés de tunes.
Le daron, c’est un bouffon ! Un keuf qui veut envoyer en zonzon tout’la kaillera, ceux qui ont une sale cheutron, ceux qui chouravent au Monop, ceux qui zonent parce qu’ils n’ont pas de taff. Quel creuvard ! Nique sa race !
La reum ! Cette meuf c’est de la balle ! Trop bonne ! Je la kiffe trop !
La petite pouff carrément cheum. Toujours foncédée et toujours déchirée. Et mito en plus !
Son frangin ? Un keum trop chelou ! Un crevard qui se la pète trop avec ses fringues de BG
Sale ambiance entre les vieux qui se frittent parce que cette nuit il l’a pas pécho adonf. Un truc de ouf !
Et les deux djeuns qui se frittent aussi comme des boloss pour un bouquin où je comprends que dalle. Nawak !
Sont complètement teubé chez les reuch !!!
Et la bouffe ! Pas de la bouffe de la zone ! Ca déchire grave ! J’ai trop la haine. Chui trop vénère
DIMANCHE 13h 06’ 15’’ – A LA CINEMATOGRAPHIQUE
Plan d’ensemble. Une cuisine. Une famille.
Synopsis : déjeuner dominical en famille. Scénario original
La star masculine : César d’interprétation masculine
La star féminine : une belle tête d’affiche.
Deux jeunes acteurs de la génération montante. Elle meilleur espoir du cinéma français. Lui révélation du théâtre privé
Dialogues virulents filmés en champ-contrechamp entre les parents. Elle se plaint du montage raté de la nuit américaine, lui reproche son absence de profondeur de champ. Cette scène mérite une mise au point.
En voix off. Dialogues également tendus entre les enfants comédiens au sujet de l’adaptation cinématographique du dernier roman. Travelling avant pour plan rapproché. Caméra en plongée-contreplongée
Zoom panoramique sur la table de la cuisine : ouverture au noir, fondu enchaîné. Les rushes seront utilisés pour un court-métrage
Le résultat final sera un véritable navet
Ce texte m’a explosé la tête, je le quitte ivre de mots expédiés à la Kalachnikov.
C’est du lourd, du concentré de talent, une démonstration. Françoise,
tu déchires grave, tu trousses les mots tel un Frédéric Dard, alias San Antonio. Chapeau ! béret, casquette, galurin, bada, etc.
Ah bon….moi je pensais plutôt à Queneau…Un bon exercice de style!
Bon we!
oui droite-gauche, du Sieur Mondray de Queneau . amen, coupez!
Oh lala, y’a du monde aujourd’hui. Y’en a même que j’connais pas. Ca faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas réunis aussi nombreux. Zut ! Y a le sale gosse. Julien qui s’appelle. La dernière fois qu’il est venu, il a vomi dans mon bocal, à force de s’empiffrer. J’ai bien failli claquer. Pourvu qu’il se vomisse dessus aujourd’hui, pour une fois qu’il est bien sapé. Y’a même le tonton Yan. Quel saligaud, celui-la. La dernière fois je l’ai vu mettre la main aux fesses de Céline. Elle a même pas quinze ans ! Au fait, je croyais qu’on l’invitait plus ce zig là. Ah, voilà enfin Sylvie. Sylvie, c’est ma chouchoute. Elle est belle à en crever. Chaque fois qu’elle arrive, elle met un peu de nourriture dans mon bocal et elle me dit : « Bonne journée joli petit poisson rouge. » Un ange. Mais un ange qui passe tout droit sans me voir, ce midi. Où elle a la tête ? Tiens, on mange debout devant un buffet, aujourd’hui. Faut dire qu’avec tout ce monde, y’a pas assez de chaises.
Mais elle est passée où la vieille tata Jacqueline ? D’habitude on la pose dans le fauteuil marron et on lui donne la becquée. Ils l’ont pas oublié, tout de même ? Mais j’y pense d’un coup… Pourquoi ils sont tous habillés en noir ? Pourquoi ils ont tous les yeux rouges ? C’est vrai, ça rigole pas trop ce midi…
Il et revenu le temps des repas de famille. En général, je sens la proximité de cette période grâce à la météo.
Mon bocal est prés de la fenêtre. On m’appelle Bob et je suis le poisson rouge de Mamie Gilberte.
Alors, forcément des repas de famille, j’en ai vu. Ca me change de Mamie Gilberte et de sa copine Renée qui discutent de la météo net des feuilletons autour d’un café et de petits beurres.
Les jours d’été, les repas se transforment en barbecue et là je ne vois rien d’autre que des allées et venues.
C’est pourquoi je préfère l’hiver. .Là, je vois tout le monde et j’ai même droit à quelques réflexions. Je vous en livre quelques unes.
— C’est toujours le même, mamie ? (celui-là c’est Alain, le beau-frère chasseur, gaffeur, habitué aux plaisanteries stupides)
— Dis, tata, tu ne trouves pas qu’il tourne moins rond ? J’ai lu sur internet que c’était mauvais signe. (Dorothée, une petite gamine gentille comme tout). En tout cas, il est toujours aussi mignon.
— Tu ne crois pas qu’il lui faudrait un copain ou une copine ? (Albert, son frère)
— En tout cas, moi je suis plus rouge que lui ! (Frédéric, le frère de Magali, la fille de Mamie lorsque la discussion dérape sur la politique)
Bon, sans cela les repas de famille autour du gigot de Mamie ou vde son poulet aux pruneaux sont longs, animés, remplis de discussions auxquelles je ne comprends goutte.
On y parle surtout des absents, soit en mal, soit après de longs soupirs suivis soit de reniflements, ou de ricanements.
Les autres sujets sont les petits ennuis de chacun, le plaisir, les feuilletons télé, les vacances où quelqu’un a immanquablement découvert le petit resto sympa de poisson (Cannibales !), dont je te donnerai l’adresse, si, si ! Et bien évidemment les chasses mirobolantes d’Alain,
Sujet que personne n’écoute plus, occupé à dévorer le moka de Magali que personne dans la famille même Aline, la femme de Frédéric n’a pu reproduire.
Tant mieux d’ailleurs, ca lui évite ses racontars de pêcheur qui me font venir de l’urticaire et m’angoisse toute la nuit.
Et ça dure, ça dure…
Outre ceux qui demanderont pour la xiéme fois, la recette de son gigot ou de son poulet à Mamie, on échangera des banalités sur le temps et la circulation…
Cela sent la fin de repas…
Mais les femmes( pourquoi, toujours elles finiront à un moment ou un autre par gagner la cuisine pour aider Mamie à la vaisselle.
Et les hommes resteront seuls pour évoquer le seul sujet sérieux : le Sport.
Alors, plus personne ne fait attention à moi et je me repose. Je sors de cette léthargie au moment où tout ce joli monde enfile manteau, écharpes et le reste, s’embrasse et se dît à bientôt.
La seule minute pénible à ce moment là est celui où Alain file une bourrade à Frédéric et lui assène en me regardant :
— Dis, quand donc nous amènes-tu ton chat ? Qu’il serve à quelque chose au moins !
Je ne suis pas sûr que ce soit une plaisanterie.
Bonjour Régis. Je poste mon commentaire ici car votre adresse mail refuse mon message.
Vous avez trouvé le moyen de nous raconter ce repas d’une autre manière
et c’est original et bien vu.
J’aime beaucoup votre remarque : « pourquoi, toujours elles finiront à un moment ou un autre par gagner la cuisine pour aider Mamie à la vaisselle.
Et les hommes resteront seuls pour évoquer le seul sujet sérieux »
C’est tellement vrai
« j’attends que quelques arêtes leur chatouillent la gorge » encore une bonne idée
…si déjà on peut appeller ça voir et si on peut appeller ça un repas ,et de famille avec ça!
Nous sommes dans un mobil- home en bordure du périph. à la limite d’un terrain vague.
Je suis depuis quelques mois dans ce petit bocal posé dans un coin sombre,lamentablement seul, à y tourner en rond à moitié affamé,car ils ne pensent à me nourrir que tous les 36 du mois.Quand à en nettoyer les parois,ils trouvent cela dégoûtant.
Je distingue donc vaguement à travers la mousse verdâtre qui recouvre mon habitat une petite table pliante ouverte pour le repas . Trois enfants et deux adultes,c’est trop pour s’y asseoir ensemble.
Il y a Mikaël,son fils à lui,les yeux rivés sur sa tablette, Tina ,sa fille à elle,le portable vissé à l’oreille pour glousser des inepties à ses copines quand elle ne se fait pas houspiller par les « mâles » car elle n’a pas préparé le repas.
Kevin,leur fils à eux deux, envisage continuellement une ânerie à faire.
La mère avachie devant la télévision ne voit rien d’autre, tandis que le père cherche du travail dans les pages sport du journal.
On est samedi,Tina a décidé de faire un effort car elle aimerait aller au cinéma ce soir avec Jennifer et Ludivine.
Elle a ouvert une grande boîte de raviolis qu’elle oublie sur le feu.Elle braille :
« A table ,c’est prêt! »
Le père et les garçons arrivent et trouvent la pitance infect, malgré les petits coups de vin rouge et les lampées de coca qui en aident l’ingestion.
Kevin reste debout et pioche avec la main dans la première assiette venue ,réclame du ketchup puis prend un dessert dans le frigo et vient se planter devant moi en me reluquant d’un air sauvage à travers la verdure.
Le père rote un bon coup,se lève pour laisser la place à sa femme et Tina.
Mikaël met la musique à fond et cherche une crème au chocolat.Il n’y en n’a plus, son petit frère a pris la dernière .Il lui décoche une bonne taloche ce qui lui vaut un chapelet de mots choisis qu’il ignore en haussant encore le volume.
Les deux à table crient pour s’entendre,la fille plus fort car sa mère refuse,faute de moyens,qu’elle aille au cinéma .
Le père lui demande de baisser le ton ,elle hurle qu’elle n’a pas d’ordre à recevoir de lui car, grâce au ciel, il n’est pas son père.
Je regarde,entend tout ceci, figé au fond de mon bocal.Bien qu’habitué à cette ambiance,je suis confondu,terrifié une fois de plus par tant de médiocrité et décide d’en finir.
Après plusieurs essais infructueux,je réussi à sauter hors de l’eau pour atterrir sur la moquette où,après quelques soubresauts convulsifs,j’atteins enfin le calme éternel.
» tandis que le père cherche du travail dans les pages sport du journal. » j’adore!
Vous n’êtes pas la seule
Rituel des dimanches ! l’ado mal réveillé, sans me regarder, bouscule mon bocal pour faire des vagues, et j’adore. Brouhaha, rires, grandes lumières, je préfère les dîners intimes à la bougie, je peux rêver tranquille, faisant mes plus belles bulles. Bruits de verres et bouteilles colorées bizarre, bizarre. Ils parlent tous en même temps, se pâment régulièrement, mais quand je vois arriver un de mes lointains congénères, horrifié, je m’enfouis dans les herbes et rochers miniatures et, pervers, j’attends que quelques arêtes leur chatouillent la gorge …Longtemps, longtemps après, les bouches s’arrondissent, baillent désespérément, signal de fin proche. J’ai toujours cette impression d’être invisible, mais aujourd’hui une ravissante blondinette me parle doucement face à face et me souffle une bise souriante. Vivement dimanche prochain !
Quelle tristesse , quelle désolation, les voilà encore avec leurs cannes à pêche, une sortie en mer ou en rivière en perspective , à l’assaut d’un de mes congénères.
Comment éviter ce massacre ?
Dans son bocal, Titus le poisson rouge de la maison des Birboulettes, habitants du vallon des Auffres à Marseille , se lamente.
sur la table les préparatifs pour le pique nique, saucisson, jambon camenbert, litron de vin cottoie appats, amorces hameçons et mie de pain toutes les truanderies pour leurrer ses frères de a corniche.
Si seulement pour une fois il réussissait à détourner leur attention……
les voilà affairés, se remplissant la panse avant d’aller vider celle de ses humbles frères d’arêtes.
Titus prend son élan, une fois, deux fois , trois fois et se cabre et se tortille et se trémousse, émet des bulles, crache, bouscule son bocal et finit par émettre un son, énorme, guttural sorti des entrailles accompagné d’un jet d’eau : huuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu pschitt,
le bocal se vide à moitié Titus est sonné assourdi lui même mais le pari est réussi/
Tous les visages se sont tournés vers lui, la face rougeaude du père Clément s’est bloquée , un bout de saucisson encore en mastication, le rend globuleux comme les yeux d’un poisson rouge;
Sa femme Ernestine a stoppé toutes ses gesticulations et le petit Dudule comme par magie est tombée de sa chaise er crie maintenant nez contre terre.
le bocal oscille et Titus commence à avoir le mal de mer: la face d’Ernestine se superpose à celle de Clement le nez du petit est aux pied de son père le frigo traverse le canapé, et le tapis se soulève comme dans un conte des mille et une nuit.
le Bocal se rapproche dangereusement du bord de la table et dans sa vision de l’extérieur Titus entrevoie le père Clément tendre les bras vers lui. des bras gigantesques, des mais de géants se rapprochent de lui et c’est le noir total….
Un ange passe, Titus gît au fond du bocal terrassé lui même par ce tsunami.
Un coup d’oeil lui permet de comprendre que sa diversion a marché; ils sont tous là le nez collé au bocal, le petit doigt de la mère trempée dans l’eau tente de vérifier son état de santé.
Il fait le mort et tous s’agitent de nouveau, il a réussi; fini la partie de pèche , le pique nique, dit le père occupons nous de Titus
Je trouve l’idée très originale
Des bruits de vaisselle, ça y est ils ne vont pas tarder à manger.. On me donne à manger quelques graines tous les deux jours et eux toutes les quatre heures ils ont les pieds sous la table ! Tous les deux jours c’est quand on n’oublie pas de me nourrir bien sûr… pas foutu de choisir un responsable pour s’occuper de moi !
« Fifille, mets la table ». Moi je vous dis qu’elle ne va pas entendre, elle est planquée dans sa chambre, les écouteurs sur les oreilles. Mme Mère va appeler Fiston qui lui est scotché sur ses jeux vidéos et Mr Père va arriver les mains dans les poches (entre nous il ne se fatigue pas celui là) et va déloger Fiston de son jeu. Voici les débuts de chacun des repas.
Ah oui, où en étais-je ?….ce manque d’entente aboutit aussi à l’inverse, il arrive que je sois nourri trois fois dans la même journée et là, je ne vous dis pas les maux de ventre !… J’en ai pour deux jours à m’en remettre…
Quelle heure est-il ? 12h15, Oh là là , tout le monde est à table. Ils font des progrès ! Quel malin ce fiston, il a planqué un paquet de chips derrière le pot d’eau. Cette fois on va avoir droit aux récriminations d’usage : « ta serviette Fiston » , « enlève tes coudes de la table Fifille »
Mr Père – « mais Bibiche, tu as fais des tomates ? »
Mme Mère – « oui, et alors »
M P – « mais c’est dimanche ! »
MM – » avec 730 repas par an à mon actif parfois je manque d’idées ! »
…..grand silence …hum hum, ça commence fort aujourd’hui. Quand je pense que fifille n’aime pas les tomates…
Fifille – « Pourtant tu sais que j’aime pas les tomates mman »
MM – Prends en deux rondelles pour goutter »
Fifille – « J’en ai marre de goûter, c’est dégueulasse ! »
M P – « Tu es priée de parler correctement Fifille »
Fifille – « Regardez-on dirait un hamster ! »
M M – « Mais Fiston, tu as pris des chips ?, tu crois que tu en as besoin ? »
Fiston – « J’ai faim ! »
Fifille – « Passe-moi le paquet, mais c’est pas vrai, il reste presque plus rien ! »
Monsieur Père ne va pas tarder à essayer de recadrer tout le monde avec son habituel « Taisez-vous et mangez »
Ah voici le plat principal je suis curieux de voir ce qu’ils vont se mettre sous la dent eux…
Fifille – » Je ne veux pas de viande »
M P « Comment ça tu ne veux pas de rosbeef ? »
Fifille – « Je suis végétarienne ! »
M P – « C’est quoi cette mode ? »
M M – « Alors, donne ton assiette tu mangeras des carottes »
Fifille – « Quoi des carottes, mais tu le fais exprès, tu sais bien que j’aime pas ça ! »
Oh mais il y a du spectacle aujourd’hui ! la note va être bonne. Il faut que je vous dise, je m’ennuie comme un rat mort dans ce bocal, alors je note leur repas pour m’occuper ! Quand y-a pas un mot et qu’ils ont tous le nez dans la purée, c’est un 3/10 d’assuré, mais aujourd’hui, on approche des 6. Tiens Fifille se lève, qu’est-ce quelle dit ?. Elle en a marre de cette famille ! ..et la voici qui claque la porte !
7/10
En tous les cas ça ne leur coupe pas l’appétit ! je ne vous dis pas l’épaisseur des parts du gâteau qui dégouline de crème !…
M P – » Quand elle aura faim elle mangera ! »
M M – « Moi, elle m’inquiète, elle mange de moins en moins »
M P – « Si tu avais un peu plus d’autorité avec elle ! »
M M – « De quoi, de l’autorité, et c’est toi qui me dit ça ?…
8/10
… tu ne lèves pas le petit doigt et tu me fais des reproches !….j’en ai marre, moi aussi ! »
La voilà qui se lève et sort de table
9/10
Et Fiston qui en profite pour se resservir une part de gâteau !
9.5/10
M P – « mais t’es pas assez gros toi ! »
Alors là je leur accorde 10/10, ils ont été vraiment E X C E L L E N T S aujourd’hui !…
ça sent le vécu,
et certains repas chez moi avec mes enfants
Ce qu’il y a de bien quand on est poisson dans son bocal c’est qu’on peut observer tout le repas sans que personne ne vous dérange. On vous laisse tranquille. Je suis, poisson, comme ce gamin qui regarde tout le monde, observe et qu’on laisse tranquille.
Alors on regarde et on se demande. On se demande pourquoi ils ne parlent pas du fond, de l’essentiel, de la vie. Ils ont peut être peur des conséquences. C’est sûr c’est pas évident de parler du fond.
Il y a le grand-père. Pappy. Celui que sa femme fait chier à longueur de journée. Celle là même qui a traité sa belle fille de pute quand elle a osé lui prendre son fils unique. Celle là qui fait toujours une crise d’hystérie vers la fin du repas. Pappy il a pas fait d’études. Tout le monde dit qu’il a pas eu envie. mais lui il dit plutôt que c’était la guerre et qu’il avait pas trop le choix. S’il avait été à l’école il y avait personne pour rapporter un salaire à la maison. Il fait tout Pappy. il travaille, il fait les courses, à manger et rassure tout le monde. Pendant ce temps sa femme fait les poussières dans le deux pièces qu’ils occupent.
Et puis il y a pépé. Pépé il est revenu de la guerre et à trouvé dans le lit de sa femme, un collabo. Il fallait bien qu’elle survive. Ils ont vécu à trois pendant un moment. Sa femme avait envie des deux. Il a rien dit Pépé.
Là aujourd’hui c’est plutôt calme. Tout le monde fait semblant. Ca se passe. C’est un rituel. une corvée aussi. C’est les deux à la fois. On est ensemble, tant mieux, mais on ne cause de rien. Ça bouillonne en dessous. Le repos du repas n’est qu’apparent. C’est la calme avant la tempête. C’est un calme angoissant, pas reposant. On attend que la prochaine bourrasque arrive. On reprend juste des forces. C’est pas le calme de la plénitude comme après l’amour quand on l’a bien fait à deux, c’est l’apaisement comme après l’amour quand on se demande si elle a eu du plaisir, si on a bien fait et comment on fera pour la prochaine fois.
Et puis il y a le reste de la famille. Le père, absent bien sûr. La mère qui espère que ça va bien se passer. L’aîné, turbulent, bien sûr. Le cadet,silencieux, qui observe. Je l’aime bien celui là. Moi, petit poisson, j’ai l’impression de lui ressembler. Et puis le dernier qu’on considère comme un crétin. C’est plus facile, ça règle le problème. On n’a pas à s’embêter avec un crétin. Qu’est ce que vous voulez qu’on fasse, c’est un crétin! C’est le seul qui saura, plus grand, mettre des mots justes, équilibrés, sensés sur tout ça. Tu parles d’un crétin.
La bouffe est bonne. Heureusement. C’est toujours ça.
Bon je les laisse là. Je vais me faire trois petits tours dans mon bocal et me rendormir. De toute façon j’ai pas le choix, je vais pas sauter par dessus. Je survivrai pas deux minutes. Ils me font marrer ceux qui disent qu’ils faut « repousser les frontières du possible ». Tu crois qu’ils iraient passer une journée au fond de la mer sans bouteilles d’oxygène. Ça m’étonnerait!
Bon dimanche à tous
La cloche du portail tintinnabule.
De la visite!
Black et White s’agitent dans leur bocal.
« -Oh! Ils sont tous vêtus de noir et font une tête d’enterrement!
– Mais non, White! Aujourd’hui, ils se réunissent pour évoquer le passé! »
Chacun prend place autour de la table en chêne de l’arrière grand-mère, décorée pour la circonstance en noir et blanc.
Le whisky commence à couler dans les gosiers, à réchauffer les cordes vocales.
Ils racontent les blagues à deux balles de Pépé Rigolo, les bêtises de Mémé Cambrée, les inoubliables et cocasses disputes de Tante Betty et Oncle Ben.
« -Maintenant, ils ont l’air heureux comme …des poissons dans l’eau! dit White.
-Regarde, ils se lèvent! Le défilé va commencer! Surtout, regarde-les bien droit dans les yeux! Ils doivent comprendre que leur coefficient intellectuel n’est pas plus élevé que le nôtre!
-Et toi, Black, ne fais pas de bulles, ils vont croire que l’on baigne dans le champagne! »
Alors, devant le bocal, les réflexions fusent:
-Bonjour la poissonnaille!
-Eh, vous deux, on frétille!
-L’année prochaine, je viens avec mon gros chat noir, il vous grattera les nageoires!
-Jolie friture en ligne!
-Ca ne tourne pas rond aujourd’hui?
Mais Black et White restent stoïques, pas une écaille ne bouge!
Les hôtes s’en désintéressent, retournent à leur repas copieux et bien arrosé.
L’ambiance est festive.
Black et White s’amusent à faire éclater leurs bulles, à se faire des queues de bipèdes, à essayer de sauter hors du bocal.
A deux, la vie de poisson rouge n’est pas triste.
Puis, les invités partent, des bulles dans les yeux, des vapeurs dans la tête…
Ils oublièrent d’aller…
… au cimetière.
Un animal de bonne compagnie
Lily s’ennuie.
Elle est assise à table depuis près d’une heure et demie
Elle se dandine sur sa chaise, à vous donner le tournis
Monsieur Père l’exaspère
Madame Mère, en vraie mégère,
Lui coulisse des regards sévères.
Je vois bien que ce repas d’anniversaire
Est pour elle une vraie galère
Et moi, pendant ce temps ? je continue à tourner
J’ai beau lui faire de l’œil, bomber le torse
M’agiter
Remuer la queue, me coller contre la surface vitrée
C’est elle qui est en train de se noyer.
Pourtant, le médecin l’avait bien dit
Pas de provocation, pas d’interdit
Elle doit pouvoir passer à table quand le cœur lui en dit
Et puis achetez-lui un animal de compagnie
C’est à ce moment-là que j’ai atterri dans cette atmosphère délétère
Je me suis retrouvé, bouche bée, dans un bocal tout pourri
Sous le charme insolent de ma nouvelle amie
C’est toi qui lui donneras à manger, lui avait-on dit,
Au début elle a souvent oublié
Et maintenant, c’est insensé,
C’est Lily qui me nourrit !
Mais je sais qu’un jour, elle aussi,
Elle prendra un repas, de l’entrée jusqu’au dessert,
Elle avalera tout, du sucré, du salé et même de l’amer
Le médecin l’avait bien dit, cette maladie est un vrai mystère
L’anorexie.
Poisson rouge ayant tourné dans son coin toute l’année
Se trouva fort déconcerté quand sur la table il fut posé
Son bocal nettoyé et rincé, on l’y avait replongé
En compagnie de végétaux variés
Bah ! pourquoi-pas? se dit-il amusé
Les humains ont parfois de ces idées !
Propulsé sur la table au milieu des invités
Il avait commencé à tous les regarder
Puis s’était rendu compte qu’eux aussi l’observaient
Soit ! pensa-t-il, pour aussitôt l’oublier
Vu que sa mémoire après un tour s’effaçait
Soit ! repensa-t-il avant de remarquer
Que chacun dans sa main tenait un ustensile
Que voulaient-ils ?
C’est alors qu’il sentit…
Ah ! c’est terrible…
Il sentit que l’eau dans laquelle il baignait, chauffait
Etait-ce possible ?
Le bocal, tel un poêlon à fondue
Sur un réchaud reposait
C’est horrible !
Il était le repas de tous ces convives
Il n’eut pas le temps de penser : c’est foutu
Heureusement pour lui, foi de morue
Au tour suivant, il s’en rappellerait plus.
Vous voulez que je vous dise, Laurence, j’aime bien votre texte. Le ton léger, amusé et tonique me plaît.
(sans lien avec mes commentaires sur votre récit en jugement 😉 )
Je profite de l’option « répondre » personnalisé pour vous le dire et la tester.
merci Antonio, ça me fait trrrrès plaisir
Très chouette ce texte
Moi, j’ai déjà mangé ! … Hé ! … j’peux sortir de table ?
J’voudrais aller jouer dans la mare dehors.
Le chien jette un regard désolé vers mon bocal en mâchouillant ses dernières boulettes. Son museau vient flairer ma prison pour en dénicher une porte de sortie. En vain.
« Dehors, Rex ! Laisse ce poisson tranquille ! »
Hé ! … j’ai fini de manger, j’peux sortir de table ? Promis je ne vais pas loin. J’irai jouer chez Némo dans l’aquarium du voisin !
Le chat qui revient de dehors par la fenêtre passe devant moi en ignorant mon appel, il sait que s’approcher du bocal peut lui coûter sa patée. En quatre bouchées il se fait son festin et vient se lover sur les genoux de la maîtresse de maison, se laissant caresser sagement pour mieux mériter les restes. Miaou !
« C’est un bon chachat à sa maman! … Tiens, Jazz ! »
Hé ! … et moi, j’peux sortir, aller jouer avec les enfants dans la baignoire. Promis, je ferai attention de ne pas tomber dans le trou cette fois !
Les enfants s’essuient la bouche, emportant chacun avec eux une glace en guise de dessert.
« Merci maman ! … On peut prendre nos vélos ? … Ouaiiis ! »
Et moi ? … Hé ! … J’ai fini de manger. Je peux sortir de table ? Je veux bien faire une balade dans le ruisseau, s’il vous plait ?
Le petit me sourit, il a les oreilles bouchées il faut croire. Il court rattraper sa soeur.
« Attends-moi, Lisa ! »
Le père, la tête dans son assiette, se redresse brusquement, respirant un grand coup comme s’il revenait des profondeurs d’un repas en apnée.
« Hum ! … Ma Jeannette, ce cassoulet… c’était exquis, hum ! … un vrai régal ! … Je ne me suis pas empiffré comme ça depuis le bœuf bourguignon de ma mère pour mon anniversaire… à s’en faire péter le bocal ! »
Chiche !
Dimanche chez les de Machin Chose, c’est un moment, que dis-je « le moment » de la semaine à ne manquer sous aucun prétexte. J’en ai la queue qui frétille et les écailles qui pétillent ! Je me cale au fond de mon bocal, précautionneu-sement déposé par Madame sur le rebord de la cheminée, et j’attends. J’attends de les voir rentrer de la messe qu’ils ne manqueraient sous aucun prétexte, vieille tradition bourgeoise : on ne badine pas avec la tradition chez les de Machin Chose. Madame émet toujours le même commentaire en rangeant son missel dans le tiroir de la commode : quel beau sermon !… Monsieur le curé s’est encore surpassé… tu ne trouves pas, chéri ?
Chéri (c’est-à-dire Monsieur) hoche la tête, suspend manteau et chapeau à la patère et se frotte les mains en filant à la cuisine d’où émerge un fumet qui le met en appétit. Rosine, la petite bonne ramenée tout récemment du fin fond de sa Normandie, fait de son mieux. Elle est encore un peu godiche mais je gage que Monsieur aura à cœur de lui enseigner quelques petits secrets d’alcôve, et Madame les bonnes manières qu’une domestique se doit de connaître si elle veut demeurer au service d’une bonne maison comme la leur.
Les enfants sont priés de mettre le couvert : oui, celui du dimanche, bien sûr ! Pourquoi diantre posent-ils toujours la même question ? La tradition, encore et toujours ! Ce sont de bons petits : certes polissons parfois – boutonneux pour l’un, faussement niaise pour l’autre – et déjà bien dans le moule où on les fait doucement mijoter depuis leur tendre enfance. Lui sera pharmacien, médecin ou ingénieur des Mines, bien évidemment au conseil municipal de leur bonne ville de province où ils vivent et meurent depuis tant de générations. La fille, elle, ne sait pas encore et se contente d’imiter sa mère. Du moins en apparence. Car dès que la bride est lâchée, la jouvencelle ne dédaigne pas de s’encanailler avec quelques coquins de trottoirs qui lui inculquent d’autres manières, moins policées.
Reste Madame mère, presque centenaire, qui s’accroche à ses lambeaux de vie et veille sur la famille comme une poule sur sa couvée. Dispensant commentaires et suggestions sur tout, on l’écoute patiemment, toujours un peu par crainte de ses furieuses colères, de moins en moins violentes d’ailleurs, l’âge ayant brisé et sa voix et ses jambes. Coincée dans son fauteuil roulant pour ce qui lui reste d’existence, elle trône comme une douairière, exigeant d’être coiffée et fardée comme au bon vieux temps. Sa bru s’y conforme sans rechigner : il faut être charitable, monsieur le curé le dit et le répète religieusement chaque dimanche. Madame ne raterait pour rien au monde ce rendez-vous hebdomadaire qui lui redonne ce qu’elle croit être la foi de croire en toutes ces missions que Dieu, dans sa grande bonté, lui a confiées. Émergeant brusquement de la cuisine, la moustache espiègle, les joues rosies et la cravate légèrement en bataille, Monsieur se rue à la cave pour y quérir une bonne bouteille, prétexte à remettre un peu d’ordre dans son habit : cette petite Rosine a de quoi faire tourner les sangs d’un honnête homme, il vous le dirait ! Muni de son précieux nectar, il prend son temps pour déboucher le flacon, humer le parfum du bouchon et celui du goulot : toujours laisser le vin s’éventer avant de le servir. En connaisseur, Monsieur n’oublie jamais de réitérer cette précieuse consigne à son fils comme on transmet un héritage. Ah, la famille, tout de même : on n’a rien inventé de plus précieux, pense-t-il. Il sourit, lançant un regard circulaire sur son bien et sa descendance, rassemblée sur le canapé. C’est l’heure de l’apéritif. Pour les femmes, un doigt de porto, servi par Monsieur qui se réserve un alcool plus tonique ; et pour les enfants un jus de fruit, qu’ils ont suggéré depuis peu de remplacer par « un coca », ce qui fait lever les yeux au ciel de leur paternel, outré par ces nouvelles boissons exotiques. Enfin, il faut bien que jeunesse se passe, Lui-même se souvient… Il s’égaie et boit une nouvelle gorgée de son whisky hors d’âge : une boisson d’homme, celle-là ! Madame mère mâchouille avec difficulté un biscuit sec : son dentier se fait régulièrement la belle, ça va être encore joyeux pour lui faire avaler deux bouchées de rôti ! Sa belle-fille soupire en silence, espérant que cette nouvelle servitude sera mise au compte de ce paradis auquel elle aspire et qu’il faut mériter !
Le reste sera à l’avenant, de l’entrée jusqu’au dessert : comptez sur moi pour vous le raconter une prochaine fois ! Là, on vient de me gratifier d’une pincée de nourriture « spéciale poisson rouge » que je dédaigne pour retourner illico à mon spectacle favori : à table !
Bon week-end, Christine
Bubulle! C’est’y un nom sérieux pour un poisson rouge! Yzont vraiment rien
dans le citron ces monstres terriens!
Je les regarde baffrer! Et radoter. Que le poisson c’est bon. Que c’est pauvre en
calcium, que c’est riche en oligo-éléments, en vitamines. Que même son gras
est bénéfique pour leur petite santé.
Je les regarde se goinfrer. Et parfois, ce sont eux qui me contemplent.
Je les vois me sourire, déglutir, me montrer du doigt. Même pas un coin pour me
planquer. Je tremble jusqu’au fin fond de mon arête caudale. Leur regard, c’est
pire qu’un tsunami.
La nuit, je fais des accrauchemares. Dans chaque pièce de la maison sont
stockés des bocaux avec des frères, des cousins, même des ennemis.
Et chacun tourne en rond en se demandant: »A qui le tour ».
Ah les sadiques!
Puis je me réveille….et ils mangent encore du poisson. Le pire c’est le petit de la
famille. Un vicieux çuilà. Qui vient me faire des giligilis de monstre, puis va se
rasseoir, avaler un truc pané… que je sais bien ce qu’il y a dedans!
Des sadiques, comme je vous le dit!
Un jour, dans un aquarium de restaurant, j’ai vu un grand homard. Les salauds,
ils lui avaient bloqué les pinces avec des caoutchouc pour éviter qu’il se suicide.
Et dans leurs verres….qu’est ce qu’ils mettent, ce liquide jaune…ah oui…de
l’huile de foie de morue!
Bubulle, suis je bête…c’est peut être juste un nom de plat, comme Choucroute,
Raclette,… Coquille…(de poissons en sauce)… ?
La nuit suivante, j’ hallucine encore. Les monstres me tendent un catalogue. Je
dois y choisir ma propre mort. Grillé, à la vapeur, en papillote (non, je suis
claustrophobe). Ils me déconseillent le fumage. C’est pas bon pour la santé
qu’ils disent en se marrant derrière moi.
Depuis une semaine, j’ai entamé une grève de la faim. Je vois bien que ça les
inquiète. Ils viennent taper sur le carreau. Ils n’aiment pas quand j’arrête
d’agiter mes nageoires, que je fais la planche sur le dos, pour économiser mes
petites forces….
L’avenir est sombre comme un cul de poêle Tefal.
Le passé est comme une lanterne dans le dos. Il n’éclaire rien.
Je me suis fait piégé. Tout ça pour ne pas quitter Bibiche, j’ai sauté dans
l’épuisette. Et Bibiche n’a pas résisté à l’épreuve. Ils l’ont embarqué dans je ne
sait quelle conserverie.
Paix à son âme de poisson rouge, à tous ceux qui ne goûteront de leur
existence que les arêtes.
La vie de poisson n’est vraiment pas un flirt tranquille.