Exercice inédit d’écriture créative 166

Exercice d'écriture très créative
© S.Mouton-Perrat
Gribouiller

 

Au moment d’écrire le roman de ma vie,
je voudrais d’abord remercier
le mur sur lequel j’ai commencé à gribouiller.

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18 réponses

  1. Françoise - Gare du Nord dit :

    Au moment d’écrire le roman de ma vie, je voudrais d’abord remercier le mur sur lequel j’ai commencé à gribouiller.

    Ce mur, situé derrière le tableau où mes maîtres m’envoyèrent si souvent coiffée du bonnet d’âne, je l’ai connu bien souvent sous le mépris de mes éducateurs et le ricanement perfide de mes camarades, ces soi-disant bons enfants. En particulier Jean, celui qui pleure ou qui rit selon l’instant et François le bossu, ces deux nigauds

    J’étais, je l’avoue, un bon petit diable, loin de ces petites filles modèles, prompt à faire mille sottises qui me valurent bon nombre de punitions et de châtiments corporels et infligés par mes parents d’abord, mes maîtres ensuite. Mais aucun n’atteignait la violence de ceux commis par le Général Dourakine, ce mauvais génie.

    C’est sur ce mur blanc, vierge de toute trace qu’est née mon inclination pour le rêve et l’imagination ainsi que ma vocation pour l’écriture. J’ai appris que, bien que le temps ait passé, il reste des traces de mes gribouilles révérées comme autant de reliques. Un mur inspirateur et consolateur. Plus qu’un soutien. Un maître à penser et à écrire. Un véritable mentor

    Mais mes malheurs causés par une éducation très stricte n’entamaient en rien ni mon optimisme ni ma détermination. Ma devise ? « Après la pluie le beau temps » qui m’a permis d’endurer les aléas de la vie avec plus de philosophie que de résignation.

    Ils n’avaient pas compris qu’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre

    « Les mémoires d’un âne » La Comtesse de Ségur née Sophie Rostopchine

  2. Clémence dit :

    Au moment d’écrire le roman de ma vie, je voudrais d’abord remercier le mur sur lequel j’ai commencé à gribouiller.

    « Remtje, viens ici, laisse ton père travailler, cesse de dessiner dans la poussière de farine, viens manger ! »
    « Remtje, rentre, il est l’heure ! Tu as vu tes mains, elles sont encore pleine de poussière de brique et de charbon… »
    « Remtje, mais ce n’est pas possible de courir toutes les rues de la ville et de gribouiller sur les murs ! Ton père et moi finiront pas avoir des ennuis avec les voisins, avec la police… »

    J’avais beau promettre d’être sage, dès que je voyais la moindre surface, la moindre parcelle de mur, il me fallait gribouiller, dessiner… je m’améliorais, je progressais.

    Passé la douce période de l’enfance, j’ai fréquenté l’école latine puis ce fut l’université pour y étudier la philosophie, selon les désirs de mes parents. Je dois avouer que la philo et moi ne faisions pas bon ménage, et j’en déduisis que, pour l’humanité, il valait mieux avoir un bon artiste plutôt qu’un piètre philosophe !

    Après six mois d’apprentissage chez le plus important maître de l’époque, j’ouvre, à dix-huit ans, mon atelier de peinture avec mon ami Jan. Je signe mes premières toiles et à mes heures perdues, je peins mon autoportrait, habitude que je garderai jusqu’à ma mort.
    Deux années plus tard, mon atelier accueille des élèves, dont le plus célèbre: Carel Fabritius *. Mon mariage avec Saskia m’ouvre les portes de la plus haute société hollandaise.
    Ma réputation est faite : je peins, je dessine et je suis même tenté par l’eau-forte. Je laisserai à la postérité une technique qui est à l’image de ma vie : le clair-obscur.

    Avec mes peintures, eaux fortes et dessins, dont une centaine d’ autoportraits, j’ai raconté les 63 années de ma vie, les joies et les tragédies familiales.

    Avec ma palette et mes pinceaux , j’ai écrit le roman de ma vie.

    Amsterdam 1669 – Extrait du Journal de Rembrandt

    Aujourd’hui, en 2015, … de là où je vois le monde, je suis heureux d’apprendre que « L’enfant à la bulle de savon » a réintégrer sa place au Musée de Draguignan après avoir été volé avec une certaine audace.

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    Carel Fabritius : « Le Chardonneret » qui inspira Donna Tartt pour son roman éponime.

  3. Sylvie dit :

    Au moment d’écrire le roman de ma vie, je voudrais d’abord remercier le mur sur lequel j’ai commencé à gribouiller. Je n’étais pas très haut quand ma mère a pris pour habitude de me hisser sur ce tas de pierre, les après-midis, pendant qu’elle ramassait la tourbe avec Sean, Eileen, Connie, Ewan et les autres. Je passais des heures assis là, dans un petit creux fait juste pour moi, mes jambes me servaient de table et au dos de vieilles notes de bistrot, avec mes crayons de couleur mal taillés, je dessinais le ciel, les nuages, la lande, les moutons de mon oncle, l’herbe oranger des tourbières, ou le père O’Brien avec son vieux poncho rayé, qui parlait tout seul, le soir, sur le chemin d’Ashfield, quand on le croisait après la messe.

    Cher muret de mon enfance, combien de fois me suis-je assis sur toi, blotti contre toi, contre le granit froid, que ma mère recouvrait d’un plaid de tweed plié en quatre pour adoucir ta peau. Tu étais mon lit, le nid d’où je voyais le monde, les miens, les paysans qui découpaient la tourbe et chargeaient les briques brunes qui chauffaient les foyers, l’école, l’église, et les voix des chœurs gaéliques les soirs de fête au McHale. C’est assis sur tes pierres grises et la tête dans le ciel bas du Connemara que j’ai commencé à faire danser les mines sur le papier. Toi, le muret qui délimitait la petite ferme de mes parents à Leenane, au fond du fjord de Killary, tu as vu mon crayon glisser au rythme de mon imagination. Toujours contre toi je me réfugiais pour incruster dans le papier les formes de mes rêves, de mes révoltes, de mes espoirs. En toi qui fus assemblé par les mains rugueuses de mes ancêtres rejetés, exilés, n’ayant d’autre choix que de dépierrer cette terre inculte pour ne pas y mourir, j’ai puisé la force du dessin, la persévérance, la fierté et l’humilité à la fois.

    Un jour pourtant je t’ai quitté pour aller chercher fortune encore plus à l’Ouest, au-delà du fjord, au-delà du grand lac Atlantique. Mais jamais je ne t’ai oublié. Aujourd’hui, au crépuscule de mon existence, je m’apprête à écrire ma vie d’illustrateur vagabond, qui croqua le monde le long des murs, mur d’Hadrien ou de Jéricho, jusqu’à la grande muraille de Chine, en souvenir de toi, muret de mon enfance, collier de perles grises sur la robe émeraude de nos prairies.

    © Sylvie Wojcik

  4. Bénédicte dit :

    ouah, c’est bon, Stéphanie ! Ton texte est aérien, les mots s’envolent et nous avec. Bravo !

  5. Stéphanie dit :

    J’avais six ans et la cloche de la rentrée tintait. Assise dans la classe de CP, impressionnée, je ne m’attendais pas à un tel coup de foudre. Mon premier mur était posé devant moi, avec une marge rouge d’où partaient de longues lignes bleues ; aussitôt j’y ai vu des chemins vers le ciel et des allées vers des mondes parallèles. Sans hésiter, j’ai tracé mes premiers mots. Emportés par ces lignes magiciennes, ils se sont animés, jouant de poésie et construisant de facétieuses histoires.

    L’esprit envahi de rêves et de mots, je survolais les trottoirs et en oubliais les murs de pierre, bien réels eux ! Que de bosses et que de chocs, lorsque je me retrouvais le nez écrasé sur un poteau électrique ou sur l’entrée d’une maison que je n’avais pas vus! Ces murs étaient jaloux d’un petit mur de papier recouvert de signes alambiqués.
    L’imaginaire et la réalité avait du mal à cohabiter…

    Désormais addicte aux odeurs d’imprimerie, privée d’inspiration le nez hors d’un cahier, chaque jour il me faut respirer l’air saturé d’une librairie ou d’un cartable d’écolier.

    Aujourd’hui, mon mur est une mosaïque. Constitué de pages de toutes les tailles et de récits aux couleurs multiples, chacun de ses fragments est le reflet d’un moment d’enfance ingénue, d’adolescence révoltée ou de sereine maturité. À sa façon, mon mur raconte le roman de ma vie.
    Aussi je remercie le créateur des cahiers aux jolies rayures azurées : elles parcourent mon corps et mon âme, tissant leur trame jusqu’au point final.

  6. Sabine dit :

    Au moment d’écrire le roman de ma vie, je voudrais d’abord remercier le mur sur lequel j’ai commencé à gribouiller. Nous étions une bande de copains. Moi j’avais 9 ans. J’étais le plus petit. Je ne savais pas beaucoup écrire, je faisais surtout des petits dessins. Et j’écrivais Muriel partout. Muriel, c’était mon amoureuse. Elle, elle avait 10 ans. Une grande avec 2 chiffres dans son âge. Elle dessinait très bien les tags. Elle en faisait de très grands, multicolores, montée sur une sorte de cube en bois.
    Je me souviens aussi d’Alexandre. Lui c’était un vieux de 15 ans. Il dessinait des fleurs géantes qui montaient jusqu’en haut du mur. Il écrivait le mot « Paix » en toutes les langues. Je ne l’aimais pas beaucoup, car sa paix recouvrait souvent mes petits dessins. Qu’est-ce qu’il racontait, celui-là ? On n’était pas en guerre !
    Les autres sont un peu sortis de ma mémoire, mais je sais que nous étions nombreux à nous exprimer. Il était très grand, notre mur. Il y avait de la place. Il mesurait plus de 150 kilomètres. Mais moi je m’en fichais de la taille du mur. Tout ce qui comptait, c’était les rendez-vous avec Muriel. Jusqu’au jour où elle n’est plus venue. Maman m’a dit, avec une drôle d’émotion dans la voix : « Elle a passé le mur avec ses parents ».
    Je n’ai pas compris. En 1965, je n’étais qu’un petit berlinois de 9 ans. Je ne savais pas que j’écrivais sur le mur de la honte.
    ©Margine

  7. Isabelle hosten dit :

    Merci a vous je suis tres touchee…

  8. Pascal Perrat dit :

    Isabelle a publié « Belle en mai » fin 2013 chez Edilivres voir :http://www.entre2lettres.com/?s=Hosten

  9. Bénédicte dit :

    Moi aussi, Isabelle, je le trouve très beau, il nous emporte, il est émouvant. Merci !

  10. Sylvie dit :

    Isabelle, je trouve votre texte magnifique, je ne me lasse pas de le lire et de le relire. Avez-vous déjà publié quelque chose ? Si oui, pourrais-je connaître le ou les titres et l’éditeur ? Je vous lirais avec grand plaisir.

  11. isabelle hosten dit :

    (spéciale dédicace pour Michel)

    Au moment d’écrire le roman de ma vie, je voudrais d’abord remercier le mur sur le lequel j’ai commencé à gribouiller.
    C’est difficile de remercier un mur me direz-vous. Mais ce mur-là était unique, spécial, la pierre angulaire de mon futur.
    Il séparait la cour de récréation de l’école des filles et des garçons.

    Une école de village semblable à celle que votre imagination peut produire, avec sa cour de bitume, ses platanes,
    ses pneus usagés que nous faisions rouler, et au milieu le Mur.
    Un alignement de moellons crémeux, mal jointés, qui s’effritaient sous nos doigts gourds, nos bâtons taillés.
    Je me souviens, il n’était pas si haut. En faisant la courte échelle, on attrapait aisément le rebord supérieur.
    La manœuvre interdite ouvrait un univers défendu, l’extension du domaine des possibles, en couleurs chamarrées ondulantes comme le blé en herbe : la vision des filles.

    Ce mur-là était celui de la frustration et de l’interdit bravé.
    J’y ai cassé ma première dent parce que le grand Louis avait lâché mon pied, versé mon sang par la même occasion, et mes premières larmes parce que Sophie m’avait tiré la langue à la récréation.
    Et par dessus-tout, j’y ai gravé mes initiales, plus tard, un cœur percé d’une flèche avec les mêmes et le M de Mathilde.
    Mathilde avec ses nattes châtaigne, ses yeux tirés à la règle qui gonflaient ma poitrine d’un air trop lourd pour moi.
    On s’était donné rendez-vous juste avant la cloche, dans le coin tout au fond près de la route.
    Et par dessus le mur, nous avons jeté une ficelle avec un bouchon accroché, chacun vers l’autre côté.
    Elle y avait planté un dessin de nous deux main dans la main avec un cœur au dessus.
    Moi, j’y avais accroché un poème, le premier, si maladroit que j’en ai oublié les vers.
    Mais je les ai inscris, dans la pierre entre nous, avec un caillou pointu pour ne pas oublier.
    Les mots doivent y être encore.
    Et Mathilde à la sortie, alors qu’elle rentrait à pied, m’avait frôlé la main et avait dit : « tu es mon écrivain ».
    Pour le sourire de Mathilde, pour ce voile de soie de sa peau sur la mienne à cet instant, j’aurais recouvert le mur entier, avec mes ongles s’il eut fallu.

    Aujourd’hui, je pense à mon roman, je pense à Mathilde, à nos onze ans, à ce mur du Désir qui me volait son image, et qui m’offrait plus encore : celle que j’imaginais jouant, riant, sautant sur la marelle, son tablier bleu soulevé par le vent, et tous les mots que je rêvais d’écrire pour elle, impropres et impuissants à décrire le trouble, l’émoi fulgurant de mon premier amour.

  12. Peggy dit :

    Au moment d’écrire le roman de ma vie, je voudrais d’abord remercier le mur sur le lequel j’ai commencé à gribouiller.

    Comme je t’aime mon cher mur, toi qui as connu mes balbutiements, toi qui as accepté avec patience que je ne respecte pas ta blancheur éclatante sous le soleil. Des gribouillis d’un enfant qui commence à dessiner ses premières lettres jusqu’au jeune homme qui ne pouvait résister à la tentation d’aller inscrire quelques pensées drôles ou philosophiques qu’il venait de découvrir.

    La pluie, lorsqu’elle était diluvienne lavait mes élucubrations, c’était comme si je tournais une page de cahier. Jamais je n’ai eu de regrets pour ce qui était effacé. Je recommençais, je ne pouvais m’en empêcher, je te préférais à une feuille blanche sur mon beau bureau tout neuf. Je n’ai jamais réussi à comprendre pourquoi cette attirance. Bien caché au fond d’une ruelle derrière notre maison, loin de la ville, personne ne pouvait nous voir. Il n’y avait que toi et moi. Te souviens-tu de mon premier chagrin d’amour ? Je t’ai tout confié en écriture codée. J’étais inconsolable.

    Puis la vie nous a séparés, les études à l’étranger, mon engagement dans une entreprise à des milliers de lieues de toi, ma famille qui s’agrandissait… J’ai fini par t’oublier.

    Mais aujourd’hui, au moment d’écrire le roman de ma vie tu m’es apparu si proche, si fidèle dans ta blancheur resplendissante souillée. Mon ami mon bel ami comme je voudrais pouvoir graver les premières lignes de cette nouvelle aventure sur ta pierre et laisser pour toujours la trace de notre complicité.

  13. Marie Pierre dit :

    Au moment d’écrire le roman de ma vie
    Je voudrais d’abord remercier
    Le mur sur lequel j’ai commencé à gribouiller

    C’était il y a bien longtemps quand je ne savais que dessiner
    Dames aux visages d’antan et princes de contes de fées.
    Puis un mot sur le mur apparut, une phrase, une histoire
    Qui a surgi de ma mémoire et s’est ancrée dans mon vécu.
    Le mur s’est alors couvert de jolis mots, de jolis vers
    Que la fée littérature déposait sur mon mur armure.

    Mais un soir sombre d’ennui le bel édifice a sombré
    Plus de mots, plus d’envie, plus de muses ou de fées.
    De misérables ruines, c’est tout ce qu’il restait.

    Et ce fut bien longtemps après, alors que sans but j’errais,
    Oui c’est bien plus longtemps après
    Que je vis ce petit pan de mur jaune* qui m’appelait.
    Au pied du mur je me trouvais et ne pouvais plus reculer.

    Et même si ce mur n’est pas fini
    Comme ma vie,
    Même s’il n’y a que des gribouillis et beaucoup de scories
    Un jour je sais il sera reconstruit et fini
    Comme ma vie.

    *Proust dans à la recherche du temps perdu, l’écrivain Bergotte est pris d’étourdissements après avoir contemplé le tableau de Wermeer , Vue de Delft « C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. »

  14. Sabine dit :

    Mr Durand, vous me faites rire tous les dimanches matins…Quelques fois j’aimerais être une IRM pour voir un peu ce qu’il y a dans votre cerveau….
    Vous connaissez « Silex and the city »?
    Ca devrait vous plaire…
    Bon dimanche
    Sabine.

  15. Bénédicte dit :

    j’aime bien le texte d’Ourcqs. On le suit à travers les rues, on le voit graffer son mur. « Des envolées nonchalantes, sinueuses qui s’étirent en de longues phrases »… « évoquer les extravagances des émotions, les ombres passagères, la légèreté des sons emportés par le vent ». Un graffeur est un écrivain des temps modernes. Merci de nous avoir fait partager cet instant de création.

  16. ourcqs dit :

    Au moment d’écrire le roman de ma vie, je voudrais d’abord remercier
    le mur sur le lequel j’ai commencé à gribouiller, à graffer, autrement dit,des signes énigmatiques, des traits maladroits exprimant rapidement des émotions brutales, des sensations spontanées. Beaucoup de temps pour effacer les rugosités, gommer les maladresses, gratter les épaisseurs inutiles pour une transparence des idées en évitant des à-plats écrasants. Et j’ai perçu des mur mures plus subtils, mes traits sont devenus plus légers, avec des touches plus inspirées, des tons mélancoliques ou de joyeux éclats . Des envolées nonchalantes, sinueuses qui s’étirent en de longues phrases. Au pied du mur, je cherche toujours à évoquer les extravagances des émotions, les ombres passagères, la légèreté des sons emportés par le vent…

  17. durand dit :

    Au moment d’écrire le roman de ma vie, je voudrais d’abord remercier le mur sur lequel j’ai commencé à gribouiller.

    Beaucoup d’hommes de lettres s’évertuent à valoriser leurs premiers brouillons. Les éditeurs farfouillent dans les malles de notre enfance pour y dégoter nos premiers écrits parcheminés. Chacun y va de sa théorie, de son extase au sujet du phénomène de la création.

    Quel joyeux cirque! Ce qui compte, c’est de faire reluire le premier caillou poli par la patte de l’écrit, jamais vain, enfin c’est ce qu’on croit!

    A mon époque, l’idée même du mur n’existait pas.Je gravais mes primes expériences avec mon doigt trempé dans le sang du voisin. Je ramassais les cadavres des ptérodactyles. J’en arrachais un morceau de clavicule, y taillais des bâtons emplumés. Je barbouillais sur un caillou l’ombre d’une cuisse de mammouth. Je listais les besoins familiaux. Maman me disait de porter le caillou à Papa. Et Papa s’occupait des courses.

    En tant que scribe débrouillard, j’avais un bon statut par rapport à mes frères. Eux passaient leurs tristes journées à jouer avec les osselets des petites sœurs. Moi je rédactionnais, je listingeais les exigences de nourritures, les nécessités d’outils.

    Ca avait du bon! C’est d’ailleurs toujours moi qui, le premier suçait la moelle du brontosaure quand Papa en capturait un. Il paraît que ça développait mes capacités intellectuelles.

    Mon père croyait en moi: » L’avenir, disait’il est dans la communication ».

    Plus tard, je devins grimaudeur public. Je pissais du soir au matin des copies notariales, des amoureuses, des fiches lyriques, des poèmes techniques.

    A 10 ans, je rédigeais sur une ardoise naturelle mon premier gract! Pour la défense des enfants surdoués et surexploités!

    Face à mes revendications, la tribu fut convoquée. Il y eu une réunion au sommet, en bas dans la Vaste Grotte, la Gradhémicycle.

    Au bout de deux jours de palabres, ils vinrent me voir: « Fils, tu l’as bien mérité. Nous allons t’offrir des vacances et un beau cadeau! »

    La famille plia le camp. Ca allait vite, à l’époque. On a voyagé un paquet de lunes. Moi, je dormais dans un hamac ou je bouffais des droseilles sauvages. Ca m’allait!

    Au septième soleil, on m’a débarqué devant la Grande Flaque. J’en avais entendu parler mais évidemment jamais vu. On m’offrit mon premier maillot de bain en peau de crocodilion et une glace à la gousse de scolopendre.

    Puis, Papa ayant fait des progrès en bricolage m’offrit mon premier burin. Il m’emmena au pied de la falaise.

    « Tiens Fils, on va s’installer ici et toi, tu vas rédiger l’histoire de notre grande tribu »

    Puis il partit peaufiner la planche qu’il m’avait promis.

    Mon Papa était un progressiste. Il considérait qu’il fallait surfer sur le progrès.

  18. Bénédicte dit :

    C’était un mur blanc, vierge ou quadrillé selon l’heure et l’humeur. En y réfléchissant, il était blanc, sans motifs ; il m’a hypnotisée, a su percer ma carapace pour que les mots enfouis dans mon cerveau prennent vie et quittent leur forme de gribouillis. Un mur ne se contente pas d’à-peu-près : il veut tout – tout savoir, tout recueillir. Bien moins de moi l’idée d’écrire sur ma vie ! Ma vie, elle est ce qu’elle est, qui pourrait-elle intéresser à part mon for intérieur et un mur qui s’ennuie ? Le mur s’est emparé de mon stylo et a déposé ces trois lettres V I E. Ah, ah !… À nous deux, semblait-il me dire. J’ai cru que j’allais devoir fouiller, partir en introspection, etc. Que nenni ! Mon moi s’est grisé tout seul d’une telle aventure, et à ma grande surprise, a déroulé le fil de mon existence que je croyais insipide. En deux coups de cuiller à pot, l’affaire a été rondement menée ; le mur a rendu indélébile ce que j’aurais tant voulu cacher aux autres. Tu veux jouer ? lui ai-je dit, alors en piste, mon gars ; tu vas regretter d’être un mur. Tu vas noircir, crouler, demander grâce, sous mille vies narrées ; la mienne était un galop d’essai, celles d’autrui vont te porter aux nues. On ne lance pas de défi impunément à qui a une graine d’écrivain. Depuis ce jour béni (pour moi), maudit (pour lui), nous traçons la route tous deux, inondons la France de nos écrits. Comme quoi, quand on est un mur, il vaut mieux réfléchir à deux fois avant de narguer un écrivain : on n’en sort jamais indemne. Mur-ermite s’abstenir, la gloire peut être au bout du chemin.

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