Écrire c’est séduire, J Duquesne : Une vie de journaliste
Gérard Cénec, un ami abonné à Entre2lettres, m’a envoyé cet extrait. Il s’agit d’écriture journalistique, mais toute personne qui écrit peut s’en inspirer
Dans son dernier livre, « Histoires vraies, Une vie de journaliste »* Jacques Duquesne évoque son passage au « desk » de l’Express où on lui soumettait des articles à « rewriter » (réécrire) avant parution, sous la férule de Françoise Giroud.
Réécrire, cela ne signifiait pas corriger ici ou là quelques fautes ou éclairer quelques formules. Mais parfois de reprendre entièrement un article, bouleverser l’ordre des paragraphes, barrer les mots inutiles, tailler et retailler. Avec une seule préoccupation : le lecteur. Le lecteur ou la lectrice dont il fallait, dès la première phrase, saisir l’intérêt. Et qu’il ne fallait pas lâcher ensuite. Ne pas le laisser s’échapper. Établir avec lui une connivence, une complicité. Le tenir. Car c’est lui qui compte surtout, ce qu’oublient trop de journalistes, soucieux d’abord d’eux-mêmes et de l’effet que produisent leurs écrits sur leurs copains, leur entourage, leurs relations, le petit monde qui les entoure.
J’ai souvent, quand j’exerçais des responsabilités au Point ou à L’Express, connu l’expérience que voici, rude : vous êtes assis dans un train ou dans un avion. S’installe près de vous un monsieur ou une dame qui a acheté votre hebdomadaire et commence à la feuilleter. Sur quel passage va-t-il, va-t-elle, s’arrêter ? Ce sera celle de droite bien sûr. Les publicitaires le savent bien, qui payent plus cher pour occuper ces pages-là, ou l’œil, neuf fois sur dix, se pose d’abord.
Pour les pages de la rédaction, à droite aussi, du moins les premières, vous avez soigné le titre, les trois ou quatre lignes du début en caractères gras – ce que l’on appelle « le chapô » – afin d’accrocher le lecteur.
Victoire ! Il commence à lire. Mais fausse victoire. La bataille n’est pas gagnée. Le lecteur est un paresseux. Georges Clemenceau le savait qui, directeur du quotidien L’Aurore, à la fin du XIXe siècle, disait à ses journalistes : « Une phrase, c’est un sujet, un verbe et un complément, à la rigueur un attribut. Si vous voulez ajouter un adjectif, vous me demanderez la permission. Et si vous vous perdez dans les adverbes, les propositions subordonnées et ainsi de suite, je vous fiche à la porte. »
Écrire c’est séduire. Et j’écris ces quatre mots avec crainte. Car je pense au sourire qu’ils peuvent provoquer chez mon lecteur aujourd’hui. Puisque je n’écris pas ces pages pour moi – soyons honnêtes – mais pour qu’elles soient lues. Et je pense à cette phrase que Françoise Giroud répétait volontiers : « Inutile d’avoir du talent à la cinquième ligne si le lecteur vous a déjà lâché à la quatrième. » Cette règle, elle se l’appliquait avec une extrême rigueur.
« Histoires vraies, Une vie de journaliste » Jacques Duquesne, Albin Michel
Si vous êtes arrivé jusqu’ici, j’imagine, qu’il ne vous a pas échappé que ces judicieux conseils concernent aussi les auteurs de fictions.
Je suis dyslexique. Des neurones facétieux s'amusent à faire des croche-pieds aux mots et aux sons, dans mon cerveau. Mon orthographe et ma syntaxe trébuchent souvent quand j'écris. Peut-être avez-vous remarqué une faute. Merci de me la signaler : blog.entre2lettres(at)gmail.com
Bonjour
écrire c’est comme écouter de la belle musique, tout doit parler, bouger, vibrer, éclairer, faire penser,enfanter, le reste n’est que dure réalité quand les mots fuient la pensée.
Séduire par les mots écrits, c’est une autre paire de manches que séduire par la parole. Les termes, les intonations, les gestes, la sensualité du corps, celle de la voix et sa profondeur retiennent le spectateur du bonimenteur. La sympathie, même si elle ment, peut décider à l’achat. Le bon vendeur ne lâche pas. Il tient son acheteur par l’appât.
Tandis que l’écrit doit crier des mots pour stimuler les cellules de l’oreille en douceur.