C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages…
Et il m’a interpellée….
– Bonsoir, toi… Comment vas-tu ?
– Bien, et toi ?
– Je suis en rade !
– En rade de quoi ?
– En rade d’écriture !
– D’écriture de quoi ?
– Euh, mmmmm !
– Ne me dis pas…
– Si…
– Et tu es où, quel numéro de quai ?
– Ben, celui où tu es….
– Quoi ? Tu te permets d’écrire ma vie, sans m’avoir demandé mon avis ! T’es pas un peu gonflé ?
– A peine, j’en suis à la trois cent vingt neuvième page !
– Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? C’est du détail-dentelle ou du commentaire, analyse et conseil ?
– Un peu de tout, c’est selon…
J’en restai sans voix ! Quel toupet, mon livre. Il m’a pris de cours, moi qui commençais à songer à mon auto-biographie, c’est râpé !
Je restai quelques heures songeuse. Il me croyait endormie quand, tout à coup, je lui donnai un coup de coude.
– Hé, toi, je crois que j’ai une bonne idée. Je te dépanne, mais tu me donnes un droit de regard sur ce que tu as déjà écrit.
– Vendu… euh… je suis d’accord ! Tope là….
Nous nous sommes installés à ma table de travail. Lui avec ses pages, moi avec mon stylo rouge et mon stylo vert. C’est parti…
« Ma petite enfance : c’est bon, feu vert !
Mon enfance : ah, le jeu avec les cabris, très drôle ! Et le lapin bossu nourri au biberon, très attendrissant. La chute à vélo … j’en garde encore quelques rancœurs…L’école et l’ouverture au monde. Tu as très bien décrit les plaisirs de la lecture et de l’écriture, mes hésitations pour mon futur métier.
Mon adolescence : merci d’avoir gommé les quelques kilos en trop et l’acné dite juvénile (merci l’internat). Le reste ne ferait-il pas un peu trop fleur bleue ? Je crois que tu vas devoir élaguer vite fait ! Et les pages suivantes, là, stop, feu rouge sur ce sujet.
Ma vie d’adulte : tu as choisi le bon ton, ni trop, ni trop peu…Ça fait pas un peu banal ? Ne pourrais-tu épicer ma vie un peu trop rangée ? Quoi ? Cela va arriver… Ah bon….. »
Sur ce chapitre, je vous avoue que mon livre s’est régalé… il en avait à raconter, à commenter, à analyser… et des conseils….Facile, après coup….Mais, dans l’ensemble, je l’avoue, il a bien fait son boulot.
« Mais, mais…petit problème tout de même. Qui est susceptible d’être intéressé par ma vie, mes réussites, mes échecs, mes erreurs – que j’ai ou non répétées diaboliquement ?
Ah… bonne idée que celle-là ! La liste de tous les bouquins qui m’ont aidée à « grandir ». J’applaudis, je n’y aurais pas pensé ! »
Ma vie défilait à toute vitesse ! Incroyable ce que j’avais vécu. Incroyable de voir comment je m’en étais sortie…
– Et maintenant… la suite…, me dit le livre.
– Suite que tu as vécue durant quelques bonnes années à mes côtés. Le temps d’écrire quelques pages épiques, pas vrai ?
– Oui, mais maintenant, je suis en rade…
– Que veux-tu savoir ?
– Mmmm, c’est délicat…
– Mais encore ?
– J’aurais voulu savoir comment tu voyais la fin de ton histoire..
– Effectivement, c’est délicat. Mais bon, je vais être franche avec toi ! Vu mon année de naissance, je ne m’imaginais pas franchir le cap du vingt et unième siècle. Pardi, à ce virage j’allais être une vieille femme…
– Mais non…
– Alors, écoute. Au fil des années, je trouvais que l’âge que j’avais était le « plus bel âge ». Les scientifiques s’en sont mêlés et ont déclaré, dans l’ordre : que la vie commence à cinquante ans, que l’âge de la mort recule , que l’on peut garder sa jeunesse plus longtemps et maintenant, qu’elle peut même être éternelle !
Je soupirai…
– Jeunesse éternelle ou vie éternelle… c’est pas pareil. Qu’en penses-tu ?
Il ne prit pas le temps de me répondre. Je continuai :
– Je suis fatiguée, lui dis-je. Tu m’emmènes dans mon fauteuil ?
En passant, je glissai mon CD préféré dans le lecteur….
Les notes paisibles de l’adagio du concerto pour clarinette de Mozart s’envolèrent avec mon dernier souffle…
C’était un dimanche soir très tard. Un livre m’a ouvert ses pages.
C’était un dimanche soir très tard. Un livre bavard et pleurnichard qui me prenait pour un buvard, de confidences peu avare, crut bon de me faire part.
Un livre m’a ouvert ses pages, à mon dimanche mit l’abordage, me fit subir son caquetage quand moi, je ne rêvais que camouflage, calfeutrage, cloisonnage et lit-cage.
C’était un dimanche soir très tard. Il devait être onze heures et quart. J’avais pris un livre par hasard. Je suis tombé sur un polar et ce fut le début du cauchemar.
Un livre m’a ouvert ses pages, heureux de ce feuilletage. Vous comprenez, dit-il avec rage, ma crainte, c’est le pilonnage. J’ai déjà subi l’encollage et l’emballage. Je préférerais de loin un parrainage.
C’était un dimanche et cetera, et cetera… L’inspiration déliée dans le brouillard, j’écrivais sans grand courage. Quand pour éviter le verbiage, un livre de rime m’a ouvert ses pages. Les rimes en ar ce n’est pas sage. Les rimes en age c’est le bazar.
Si lundi mon livre pouvait se la fermer…
Merci.
C’était un dimanche soir très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et j’y suis tombé. Je courais sur les lignes. Je glissais sur le ventripotent D, me faufilais dans la boucle du e, plongeais dans le désempli du a. A l’instar de Tarzan qui traverse la forêt de lianes en lianes, je parcourais le texte de virgules en accent. De temps à autre, je m’octroyais une pause sur une cédille qui s’offrait à moi tel un hamac. Allongé, j’observais. Les yeux grands ouverts, je regardais ces mots encore méconnus, déroulaient leurs liés et leurs déliés. D’eux se dégageaient une fraîcheur qui berçait ma détente ; une fraîcheur qui renouvelle sans cesse mon esprit lors de ces rencontres vespérales.
« C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages comme une bouteille à la mer, il semblait me livrer un message. Au fil des lignes, sous poudrées de lyrisme, se tramait une tragique malédiction qui terrorisé le livre, malgré son acharnement à péricliter son malheur, il contait une histoire qui commençait le lundi matin et se terminait invariablement le dimanche soir. Il racontait son sortilège de manière subliminal par des mots précis intégrés dans le contenu de son histoire, comme pour crier « à l’aide » à celui qui poserait les yeux sur ses lignes maléfiques. Il ne pouvait l’avouer directement sans que son sortilège le détruise à jamais. Pour cela le subterfuge était simple, il disposait çà et là des indices pour amener le lecteur à l’accompagner afin d’annihiler son désarroi et lui offrir la possibilité de racontait une aventure au-delà du Dimanche soir. Il voulait plus que tout enlever cette épée de Damoclès qui l’empêchait de réciter sa vie et de terminer différemment son histoire. Je décidais de reprendre le récit depuis le début afin de lui proposer mes services. Je lisais donc à voix haute le roman et élevais la voix sur certains mots afin qu’il discerne ma requête. Je terminais l’histoire d’amour qui ne durait qu’une semaine et dont l’issue était quelque peu tragique. La femme en voulant sauver son homme d’une chute mortelle se précipitait avec lui dans un gouffre sans fin, un truc un peu minimaliste pour un si bel ouvrage. Bref dès que j’eus lu le dernier mot du livre, il se referma sans prévenir et automatiquement s’ouvrait à la première page. Dans cette ambiance surréaliste, je pris le temps de recommencer la lecture mais cette fois-ci dans ma tête. Les indices avait changé de place, comme si le livre avait compris mon intention et entrait en contact avec moi, ainsi avant l’épilogue, j’avais décodé que seul une larme tombant sur le dernier mot de l’histoire pouvait altérer le maléfice. Le seul inconvénient étant que la tristesse était loin de faire l’unanimité dans ce roman pour ménagère de cinquante ans, mais après plusieurs efforts je me rappelais d’une histoire troublante d’un amour impossible entre un garçon d’une famille et la fille de la famille rivale. Un scénario qui vire au drame quand la fille meurt d’un faux empoissonnement et que la tristesse du jeune homme, en fuite pour avoir tué le cousin de celle-ci, le pousse à mourir avec des barbituriques. Mais au même moment elle se réveille et pleure la mort de son amour décédé. Le titre m’échappe, toréro et buliette un truc dans le genre mais par ce stratagème, inconsciemment je laissais échappée une larme qui en tombant sur le dernier mot déclencha non pas la fermeture du livre mais la suite du roman et la page se tourna sous la plume insatiable du livre qui n’attendait que cela pour laisser courir son imagination débordante. Quant à moi je décidais de laisser l’histoire se conter sans mon influence en laissant un sourire en coin éclairer mon visage, stigmate d’une mission accomplie, mon nom, William, William S pour vous servir… »
Mickaël D
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et je suis entré. Quand, une à une, les premières se sont refermées sur moi, j’ai commencé à étouffer, il n’y avait pas de fenêtres, l’air y était irrespirable, le papier peint jauni dégageait une odeur épouvantable, on y avait littéralement pissé dessus, la moquette semblait avoir été fumée aussi, les tableaux ne tenaient pas en place, j’ai décroché, le style semblait d’une autre époque, avec un mauvais goût certain. Je suis ressorti aussi sec refermant les pages derrière moi, remerciant le livre sur son étagère.
« Non, merci, très peu pour moi, c’est glauque, sombre, étroit, exposé trop à l’ouest, sans vue dégagée. Je cherche tout à fait autre chose, moi ! »
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages…et j’avais une telle soif d’aventures, d’amour et de pittoresque que j’ai plongé entre ses lignes sans me faire prier. Avec son style épuré, il m’a séduit, avec ses envolées romanesques, il m’a conquise. Je me suis blottie en son coeur et j’ai chevauché avec lui dans son imaginaire, dans son monde de mots qui créent un univers, une ambiance, des intrigues, des peurs et des joies. J’avais un tel besoin d’émotions aussi, que j’ai parcouru ses phrases, le souffle suspendu a leur réalité, leur histoire, leurs peines et leurs émerveillements. Il m’a captivée, mes yeux dans ses termes, mes sens dans son histoire, mon ouïe a son écoute, mon odorat en harmonie avec ses odeurs, mon cœur ouvert a ses débordements… J’étais avec lui, j’étais en lui, le monde extérieur n’existait plus. Il m’ a ouvert ses pages, je lui ai ouvert mon imaginations, il était tard, nous nous sommes endormis enlacés.
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages…
Elles étaient larges et chaudes, douces et puissantes. Elles m’ont enserrée gentiment et m’ont parlé toute la nuit. Bien vite la pure et chaste étreinte est devenue caresse. Nos lèvres se sont jointes et nos souffles mêlés. Sur sa peau brune j’ai lu toutes les lignes de tous les livres du monde, tous les chapitres, toutes les phrases, tous les mots des six mille langues de sept milliards d’humains.
Au matin, le livre était parti se faire lire ailleurs. Cruel, volage, toujours à ouvrir ses pages à la première venue.
De cette étreinte d’une nuit avec cet homme-livre naquit l’enfant-rêve, que moi fille-chimère je berce chaque nuit.
C’était un dimanche soir. Un livre m’a ouvert ses pages… et j’ai pleuré. Cela faisait si longtemps que je n’avais pas été étreint de cette façon. Je le connaissais bien pourtant ce livre, deux mois qu’il était sur la table de chevet de Marie, on se disait bonjour, bonsoir, au gré du temps que ma femme lui consacrait, au coucher, au lever.
Parfois, je lui serrais la main par politesse pour éviter de le froisser quand il se trouvait malencontreusement sur mon chemin. Ma femme l’emmenait partout où elle allait et je commençais sérieusement à le regarder d’un mauvais œil.
Et puis ce dimanche soir, Marie s’est endormie, le marque-page curieusement la tête dans son corsage. L’image m’a séduit, je ne vous dévoilerai pas la première idée qui m’est venue. Sur mon chemin, ma main s’est entravée dans les pages ouvertes de ce livre tombé entre nous. Je l’ai saisi d’une main ferme avec agacement quand des mots m’ont fixé du regard avec une telle intensité que j’ai desserré ma prise. Les mots se sont mis à me parler, à me raconter, j’écoutais, j’écoutais… et quand les pages se sont enfin refermées sur moi, au petit matin, l’émotion a été trop forte à contenir. Je me suis blotti contre les seins de Marie, comme l’enfant que je me souvenais avoir été. Et quand elle s’est réveillée, elle m’a demandé :
« Pourquoi tu pleures ? », j’ai répondu « rien… rien, serre-moi fort s’il te plaît ».
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages. Je l’ai refermé et tant pis s’il n’a pas aimé. D’ailleurs il n’a pas protesté.
Pour éviter toute tentative de rébellion, je l’ai écrasé sous le plus volumineux de mes dictionnaires. J’allais éteindre ma lampe de chevet lorsque le dico m’a ouvert l’une de ses pages. Allons bon, voilà que mes bouquins jouent les révoltés du Bounty! Face à cette mutinerie j’étais partagé : employer la méthode forte en écrasant cette révolte sous une gueuse de plomb ou argumenter. Par curiosité, j’ai consulté la page du dictionnaire qui s’était ouvert à la lettre I. I comme insomnie.
Insomnie : Dans l’acception commune et courante, l’insomnie est la diminution de la durée habituelle du sommeil et/ou atteinte à la qualité du sommeil avec répercussion sur la qualité de la veille du lendemain.
J’ai voulu en savoir plus sur les différentes formes d’insomnie : l’insomnie d’ajustement, l’insomnie psychophysiologique, la paradoxale, l’idiopathique, celle consécutive à une maladie mentale, la secondaire à une drogue ou une substance.
Résultat : j’en ai pas dormi de la nuit!
C’était un dimanche soir très tard. Un livre m’a ouvert ses pages. Dans un grand élan de générosité il m’a déversé ses phrases à un débit tel que mes yeux bientôt ne pouvaient plus suivre. Mes paupières sont devenue lourdes , les mots tombaient sur mes genoux, puis glissaient par terre. Quand j’ai voulu me lever j’ai eu beaucoup de mal à soulever mes pieds. Des milliers de virgules tournaient devant mes yeux. j’ai glissé sur un point d’interrogation et me suis fracassé le front sur un point d’exclamation!
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et j’ai ouvert les yeux. J’ai regardé les chapitres de ma vie comme les chapitres du livre.
Je les ai lus et relus. J’avais envie de les réécrire. L’auteur du livre ouvert sur mes genoux, l’avait sans doute fait plusieurs fois avant édition. Il avait lu, relu, corrigé,dépoussiéré ses premiers écrits pour aller vers une certaine perfection.
J’avais envie d’effacer certaines pages du livre de ma vie. Trop de passages insipides. Tout un chapitre bien trop triste. Un paragraphe inutile. Des rencontres futiles. Mais mon encre ne s’effaçait pas. Elle était indélibile. Frustrée, déçue je l’ai fermé et j’ai éteint.
Moi, quand je relis le livre de ma vie, je saute les mauvais chapitres, et si mon histoire m’ennuie je me me dépêche d’écrire les belles page d’aujourd’hui.
Même si je sais qu’elles finiront par jaunir.
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et j’y suis entré. Tout au long de la lecture, j’ai ressenti autant l’impression d’être dans un monde différent que dans celui qui m’est familier. L’auteur du roman, me semble-t-il, y décrit une expérience de vie personnelle… donc, avec des hauts et des bas, avec du bénéfique et du tragique, avec de l’espoir et de l’abondon.
J’ai lu tout le livre. Et maintenant que j’y repense… ce qui me frappe le plus c’est qu’une histoire qui vous est contée, réelle ou qui aurait pu l’être, vous veut en spectateur seulement. Tout le monde sait cela mais on ne le dit pas assez souvent. Je veux souligner par ces mots qu’il y a une grande différence entre prendre connaissance d’une histoire et prendre part active dans une histoire. On peut apprendre en lisant un livre mais on oubliera les belles idées si on ne passe pas à l’action avec elles en tant que guide discret. En tous cas, il y aura probablement d’autres facteurs qui interviennent pour vous faire oublier ce que vous avez lu.
Autrement dit, le livre qui s’est ouvert à moi fut une aubaine… une porte ouverte vers une route, disons, un peu différente et probablement plus prometteuse par rapport à celle que je parcours en ce moment. Mais c’est à moi seul que revient la décision de faire le premier pas ou refermer la dite porte. Le contenu du livre que je lis ne décide pas pour moi. Cela est clair. Mille autres choses, petites et grandes, se trouvent déjà et depuis un bon moment en tant que moteurs virtuels dans les décisions à prendre.
Mais du moment que pour quelques heures le livre m’a fait croire que la route sur laquelle se déroule mon humaine aventure pourrait être plus heureuse ou un tant soit peu enrichie alors… je continuerai à lire aussitôt qu’un autre livre ouvrira ses pages…
Mes exercices sont des accélérateurs de particules imaginatives. Ils excitent l'inventivité et donnent l’occasion d’effectuer un sprint mental. Profitez-en pour pratiquer une écriture indisciplinée.
Ces échauffements très créatifs vous préparent à toutes sortes de marathons : écrire des fictions : nouvelles, romans, séries, etc.
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages…
Et il m’a interpellée….
– Bonsoir, toi… Comment vas-tu ?
– Bien, et toi ?
– Je suis en rade !
– En rade de quoi ?
– En rade d’écriture !
– D’écriture de quoi ?
– Euh, mmmmm !
– Ne me dis pas…
– Si…
– Et tu es où, quel numéro de quai ?
– Ben, celui où tu es….
– Quoi ? Tu te permets d’écrire ma vie, sans m’avoir demandé mon avis ! T’es pas un peu gonflé ?
– A peine, j’en suis à la trois cent vingt neuvième page !
– Hein ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? C’est du détail-dentelle ou du commentaire, analyse et conseil ?
– Un peu de tout, c’est selon…
J’en restai sans voix ! Quel toupet, mon livre. Il m’a pris de cours, moi qui commençais à songer à mon auto-biographie, c’est râpé !
Je restai quelques heures songeuse. Il me croyait endormie quand, tout à coup, je lui donnai un coup de coude.
– Hé, toi, je crois que j’ai une bonne idée. Je te dépanne, mais tu me donnes un droit de regard sur ce que tu as déjà écrit.
– Vendu… euh… je suis d’accord ! Tope là….
Nous nous sommes installés à ma table de travail. Lui avec ses pages, moi avec mon stylo rouge et mon stylo vert. C’est parti…
« Ma petite enfance : c’est bon, feu vert !
Mon enfance : ah, le jeu avec les cabris, très drôle ! Et le lapin bossu nourri au biberon, très attendrissant. La chute à vélo … j’en garde encore quelques rancœurs…L’école et l’ouverture au monde. Tu as très bien décrit les plaisirs de la lecture et de l’écriture, mes hésitations pour mon futur métier.
Mon adolescence : merci d’avoir gommé les quelques kilos en trop et l’acné dite juvénile (merci l’internat). Le reste ne ferait-il pas un peu trop fleur bleue ? Je crois que tu vas devoir élaguer vite fait ! Et les pages suivantes, là, stop, feu rouge sur ce sujet.
Ma vie d’adulte : tu as choisi le bon ton, ni trop, ni trop peu…Ça fait pas un peu banal ? Ne pourrais-tu épicer ma vie un peu trop rangée ? Quoi ? Cela va arriver… Ah bon….. »
Sur ce chapitre, je vous avoue que mon livre s’est régalé… il en avait à raconter, à commenter, à analyser… et des conseils….Facile, après coup….Mais, dans l’ensemble, je l’avoue, il a bien fait son boulot.
« Mais, mais…petit problème tout de même. Qui est susceptible d’être intéressé par ma vie, mes réussites, mes échecs, mes erreurs – que j’ai ou non répétées diaboliquement ?
Ah… bonne idée que celle-là ! La liste de tous les bouquins qui m’ont aidée à « grandir ». J’applaudis, je n’y aurais pas pensé ! »
Ma vie défilait à toute vitesse ! Incroyable ce que j’avais vécu. Incroyable de voir comment je m’en étais sortie…
– Et maintenant… la suite…, me dit le livre.
– Suite que tu as vécue durant quelques bonnes années à mes côtés. Le temps d’écrire quelques pages épiques, pas vrai ?
– Oui, mais maintenant, je suis en rade…
– Que veux-tu savoir ?
– Mmmm, c’est délicat…
– Mais encore ?
– J’aurais voulu savoir comment tu voyais la fin de ton histoire..
– Effectivement, c’est délicat. Mais bon, je vais être franche avec toi ! Vu mon année de naissance, je ne m’imaginais pas franchir le cap du vingt et unième siècle. Pardi, à ce virage j’allais être une vieille femme…
– Mais non…
– Alors, écoute. Au fil des années, je trouvais que l’âge que j’avais était le « plus bel âge ». Les scientifiques s’en sont mêlés et ont déclaré, dans l’ordre : que la vie commence à cinquante ans, que l’âge de la mort recule , que l’on peut garder sa jeunesse plus longtemps et maintenant, qu’elle peut même être éternelle !
Je soupirai…
– Jeunesse éternelle ou vie éternelle… c’est pas pareil. Qu’en penses-tu ?
Il ne prit pas le temps de me répondre. Je continuai :
– Je suis fatiguée, lui dis-je. Tu m’emmènes dans mon fauteuil ?
En passant, je glissai mon CD préféré dans le lecteur….
Les notes paisibles de l’adagio du concerto pour clarinette de Mozart s’envolèrent avec mon dernier souffle…
© Clémence
C’était un dimanche soir très tard. Un livre m’a ouvert ses pages.
C’était un dimanche soir très tard. Un livre bavard et pleurnichard qui me prenait pour un buvard, de confidences peu avare, crut bon de me faire part.
Un livre m’a ouvert ses pages, à mon dimanche mit l’abordage, me fit subir son caquetage quand moi, je ne rêvais que camouflage, calfeutrage, cloisonnage et lit-cage.
C’était un dimanche soir très tard. Il devait être onze heures et quart. J’avais pris un livre par hasard. Je suis tombé sur un polar et ce fut le début du cauchemar.
Un livre m’a ouvert ses pages, heureux de ce feuilletage. Vous comprenez, dit-il avec rage, ma crainte, c’est le pilonnage. J’ai déjà subi l’encollage et l’emballage. Je préférerais de loin un parrainage.
C’était un dimanche et cetera, et cetera… L’inspiration déliée dans le brouillard, j’écrivais sans grand courage. Quand pour éviter le verbiage, un livre de rime m’a ouvert ses pages. Les rimes en ar ce n’est pas sage. Les rimes en age c’est le bazar.
Si lundi mon livre pouvait se la fermer…
Merci.
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et un papillon s’en est échappé.
« – Que fais-tu là ? lui demandai-je. N’es-tu pas mort d’être resté si longtemps dans ce livre ?
-Justement, me répondit-il, toi et les tiens m’avez exterminé. Avec tous vos produits chimiques, vos pesticides, vos centrales nucléaires, vous avez éteint ma race. Alors je m’en vais. Quelle raison ai-je de rester dans ton livre ? Je n’existe plus … »
Alors j’ai ouvert mon dictionnaire pour vérifier si un papillon y figurait encore. Mais là se sont enfuis non seulement les papillons, mais aussi les abeilles et les libellules, les koalas et les pandas, les lions et les tigres, les cachalots et les baleines.
J’ai vite refermé le dictionnaire, de peur que l’Homme ne s’en échappe à son tour.
©Margine
zut, j’ai oublié un mot : à la dernière ligne, il faut lire : » qui renouvelle sans cesse mon esprit… »
C’est rectifié
C’était un dimanche soir très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et j’y suis tombé. Je courais sur les lignes. Je glissais sur le ventripotent D, me faufilais dans la boucle du e, plongeais dans le désempli du a. A l’instar de Tarzan qui traverse la forêt de lianes en lianes, je parcourais le texte de virgules en accent. De temps à autre, je m’octroyais une pause sur une cédille qui s’offrait à moi tel un hamac. Allongé, j’observais. Les yeux grands ouverts, je regardais ces mots encore méconnus, déroulaient leurs liés et leurs déliés. D’eux se dégageaient une fraîcheur qui berçait ma détente ; une fraîcheur qui renouvelle sans cesse mon esprit lors de ces rencontres vespérales.
« C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages comme une bouteille à la mer, il semblait me livrer un message. Au fil des lignes, sous poudrées de lyrisme, se tramait une tragique malédiction qui terrorisé le livre, malgré son acharnement à péricliter son malheur, il contait une histoire qui commençait le lundi matin et se terminait invariablement le dimanche soir. Il racontait son sortilège de manière subliminal par des mots précis intégrés dans le contenu de son histoire, comme pour crier « à l’aide » à celui qui poserait les yeux sur ses lignes maléfiques. Il ne pouvait l’avouer directement sans que son sortilège le détruise à jamais. Pour cela le subterfuge était simple, il disposait çà et là des indices pour amener le lecteur à l’accompagner afin d’annihiler son désarroi et lui offrir la possibilité de racontait une aventure au-delà du Dimanche soir. Il voulait plus que tout enlever cette épée de Damoclès qui l’empêchait de réciter sa vie et de terminer différemment son histoire. Je décidais de reprendre le récit depuis le début afin de lui proposer mes services. Je lisais donc à voix haute le roman et élevais la voix sur certains mots afin qu’il discerne ma requête. Je terminais l’histoire d’amour qui ne durait qu’une semaine et dont l’issue était quelque peu tragique. La femme en voulant sauver son homme d’une chute mortelle se précipitait avec lui dans un gouffre sans fin, un truc un peu minimaliste pour un si bel ouvrage. Bref dès que j’eus lu le dernier mot du livre, il se referma sans prévenir et automatiquement s’ouvrait à la première page. Dans cette ambiance surréaliste, je pris le temps de recommencer la lecture mais cette fois-ci dans ma tête. Les indices avait changé de place, comme si le livre avait compris mon intention et entrait en contact avec moi, ainsi avant l’épilogue, j’avais décodé que seul une larme tombant sur le dernier mot de l’histoire pouvait altérer le maléfice. Le seul inconvénient étant que la tristesse était loin de faire l’unanimité dans ce roman pour ménagère de cinquante ans, mais après plusieurs efforts je me rappelais d’une histoire troublante d’un amour impossible entre un garçon d’une famille et la fille de la famille rivale. Un scénario qui vire au drame quand la fille meurt d’un faux empoissonnement et que la tristesse du jeune homme, en fuite pour avoir tué le cousin de celle-ci, le pousse à mourir avec des barbituriques. Mais au même moment elle se réveille et pleure la mort de son amour décédé. Le titre m’échappe, toréro et buliette un truc dans le genre mais par ce stratagème, inconsciemment je laissais échappée une larme qui en tombant sur le dernier mot déclencha non pas la fermeture du livre mais la suite du roman et la page se tourna sous la plume insatiable du livre qui n’attendait que cela pour laisser courir son imagination débordante. Quant à moi je décidais de laisser l’histoire se conter sans mon influence en laissant un sourire en coin éclairer mon visage, stigmate d’une mission accomplie, mon nom, William, William S pour vous servir… »
Mickaël D
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et je suis entré. Quand, une à une, les premières se sont refermées sur moi, j’ai commencé à étouffer, il n’y avait pas de fenêtres, l’air y était irrespirable, le papier peint jauni dégageait une odeur épouvantable, on y avait littéralement pissé dessus, la moquette semblait avoir été fumée aussi, les tableaux ne tenaient pas en place, j’ai décroché, le style semblait d’une autre époque, avec un mauvais goût certain. Je suis ressorti aussi sec refermant les pages derrière moi, remerciant le livre sur son étagère.
« Non, merci, très peu pour moi, c’est glauque, sombre, étroit, exposé trop à l’ouest, sans vue dégagée. Je cherche tout à fait autre chose, moi ! »
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages…et j’avais une telle soif d’aventures, d’amour et de pittoresque que j’ai plongé entre ses lignes sans me faire prier. Avec son style épuré, il m’a séduit, avec ses envolées romanesques, il m’a conquise. Je me suis blottie en son coeur et j’ai chevauché avec lui dans son imaginaire, dans son monde de mots qui créent un univers, une ambiance, des intrigues, des peurs et des joies. J’avais un tel besoin d’émotions aussi, que j’ai parcouru ses phrases, le souffle suspendu a leur réalité, leur histoire, leurs peines et leurs émerveillements. Il m’a captivée, mes yeux dans ses termes, mes sens dans son histoire, mon ouïe a son écoute, mon odorat en harmonie avec ses odeurs, mon cœur ouvert a ses débordements… J’étais avec lui, j’étais en lui, le monde extérieur n’existait plus. Il m’ a ouvert ses pages, je lui ai ouvert mon imaginations, il était tard, nous nous sommes endormis enlacés.
© Gwenaëlle Joly
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages…
Elles étaient larges et chaudes, douces et puissantes. Elles m’ont enserrée gentiment et m’ont parlé toute la nuit. Bien vite la pure et chaste étreinte est devenue caresse. Nos lèvres se sont jointes et nos souffles mêlés. Sur sa peau brune j’ai lu toutes les lignes de tous les livres du monde, tous les chapitres, toutes les phrases, tous les mots des six mille langues de sept milliards d’humains.
Au matin, le livre était parti se faire lire ailleurs. Cruel, volage, toujours à ouvrir ses pages à la première venue.
De cette étreinte d’une nuit avec cet homme-livre naquit l’enfant-rêve, que moi fille-chimère je berce chaque nuit.
C’était un dimanche soir. Un livre m’a ouvert ses pages… et j’ai pleuré. Cela faisait si longtemps que je n’avais pas été étreint de cette façon. Je le connaissais bien pourtant ce livre, deux mois qu’il était sur la table de chevet de Marie, on se disait bonjour, bonsoir, au gré du temps que ma femme lui consacrait, au coucher, au lever.
Parfois, je lui serrais la main par politesse pour éviter de le froisser quand il se trouvait malencontreusement sur mon chemin. Ma femme l’emmenait partout où elle allait et je commençais sérieusement à le regarder d’un mauvais œil.
Et puis ce dimanche soir, Marie s’est endormie, le marque-page curieusement la tête dans son corsage. L’image m’a séduit, je ne vous dévoilerai pas la première idée qui m’est venue. Sur mon chemin, ma main s’est entravée dans les pages ouvertes de ce livre tombé entre nous. Je l’ai saisi d’une main ferme avec agacement quand des mots m’ont fixé du regard avec une telle intensité que j’ai desserré ma prise. Les mots se sont mis à me parler, à me raconter, j’écoutais, j’écoutais… et quand les pages se sont enfin refermées sur moi, au petit matin, l’émotion a été trop forte à contenir. Je me suis blotti contre les seins de Marie, comme l’enfant que je me souvenais avoir été. Et quand elle s’est réveillée, elle m’a demandé :
« Pourquoi tu pleures ? », j’ai répondu « rien… rien, serre-moi fort s’il te plaît ».
Bouquins mutins
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages. Je l’ai refermé et tant pis s’il n’a pas aimé. D’ailleurs il n’a pas protesté.
Pour éviter toute tentative de rébellion, je l’ai écrasé sous le plus volumineux de mes dictionnaires. J’allais éteindre ma lampe de chevet lorsque le dico m’a ouvert l’une de ses pages. Allons bon, voilà que mes bouquins jouent les révoltés du Bounty! Face à cette mutinerie j’étais partagé : employer la méthode forte en écrasant cette révolte sous une gueuse de plomb ou argumenter. Par curiosité, j’ai consulté la page du dictionnaire qui s’était ouvert à la lettre I. I comme insomnie.
Insomnie : Dans l’acception commune et courante, l’insomnie est la diminution de la durée habituelle du sommeil et/ou atteinte à la qualité du sommeil avec répercussion sur la qualité de la veille du lendemain.
J’ai voulu en savoir plus sur les différentes formes d’insomnie : l’insomnie d’ajustement, l’insomnie psychophysiologique, la paradoxale, l’idiopathique, celle consécutive à une maladie mentale, la secondaire à une drogue ou une substance.
Résultat : j’en ai pas dormi de la nuit!
Alain Lafaurie
C’était un dimanche soir très tard. Un livre m’a ouvert ses pages. Dans un grand élan de générosité il m’a déversé ses phrases à un débit tel que mes yeux bientôt ne pouvaient plus suivre. Mes paupières sont devenue lourdes , les mots tombaient sur mes genoux, puis glissaient par terre. Quand j’ai voulu me lever j’ai eu beaucoup de mal à soulever mes pieds. Des milliers de virgules tournaient devant mes yeux. j’ai glissé sur un point d’interrogation et me suis fracassé le front sur un point d’exclamation!
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et j’ai ouvert les yeux. J’ai regardé les chapitres de ma vie comme les chapitres du livre.
Je les ai lus et relus. J’avais envie de les réécrire. L’auteur du livre ouvert sur mes genoux, l’avait sans doute fait plusieurs fois avant édition. Il avait lu, relu, corrigé,dépoussiéré ses premiers écrits pour aller vers une certaine perfection.
J’avais envie d’effacer certaines pages du livre de ma vie. Trop de passages insipides. Tout un chapitre bien trop triste. Un paragraphe inutile. Des rencontres futiles. Mais mon encre ne s’effaçait pas. Elle était indélibile. Frustrée, déçue je l’ai fermé et j’ai éteint.
Moi, quand je relis le livre de ma vie, je saute les mauvais chapitres, et si mon histoire m’ennuie je me me dépêche d’écrire les belles page d’aujourd’hui.
Même si je sais qu’elles finiront par jaunir.
C’était un dimanche soir, très tard. Un livre m’a ouvert ses pages et j’y suis entré. Tout au long de la lecture, j’ai ressenti autant l’impression d’être dans un monde différent que dans celui qui m’est familier. L’auteur du roman, me semble-t-il, y décrit une expérience de vie personnelle… donc, avec des hauts et des bas, avec du bénéfique et du tragique, avec de l’espoir et de l’abondon.
J’ai lu tout le livre. Et maintenant que j’y repense… ce qui me frappe le plus c’est qu’une histoire qui vous est contée, réelle ou qui aurait pu l’être, vous veut en spectateur seulement. Tout le monde sait cela mais on ne le dit pas assez souvent. Je veux souligner par ces mots qu’il y a une grande différence entre prendre connaissance d’une histoire et prendre part active dans une histoire. On peut apprendre en lisant un livre mais on oubliera les belles idées si on ne passe pas à l’action avec elles en tant que guide discret. En tous cas, il y aura probablement d’autres facteurs qui interviennent pour vous faire oublier ce que vous avez lu.
Autrement dit, le livre qui s’est ouvert à moi fut une aubaine… une porte ouverte vers une route, disons, un peu différente et probablement plus prometteuse par rapport à celle que je parcours en ce moment. Mais c’est à moi seul que revient la décision de faire le premier pas ou refermer la dite porte. Le contenu du livre que je lis ne décide pas pour moi. Cela est clair. Mille autres choses, petites et grandes, se trouvent déjà et depuis un bon moment en tant que moteurs virtuels dans les décisions à prendre.
Mais du moment que pour quelques heures le livre m’a fait croire que la route sur laquelle se déroule mon humaine aventure pourrait être plus heureuse ou un tant soit peu enrichie alors… je continuerai à lire aussitôt qu’un autre livre ouvrira ses pages…
Vous avez parfaitement raison. Un livre ouvre toujours une porte, petite ou grande elle laisse passer la lumière.