761e exercice d’écriture très créative créée par Pascal Perrat


Quand le bus-accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Et, tout à coup…
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La grande rue étant encombrée, le bus accordéon s’engagea alors dans une petite rue tortueuse, enchaînant une suite de virages, tantôt à droite, tantôt vers la gauche, sans prévenir ses passagers. Leur attention fut interpellée par air d’accordéon envahissant gaiement l’espace.
D’aucuns s’en étonnèrent. L’un tendait l’oreille, le plus discrètement possible, dès fois qu’on lui chipe cette mélodie avant qu’il ne l’eût écoutée complètement. Cet autre, tripotait presque hargneusement, son appareil auditif, tout en maugréant après son fournisseur, toute-fois à voix feutrée pour ne pas troubler l’écoute des autres passagers.
Dans un coin du bus, vous savez, là où les banquettes font comme un petit salon, celui là faisait mine de ne rien entendre, au cas où ce fut la ruse d’un mécréant cherchant à détourner son attention afin de lui chaparder ce qu’il n’avait pas.
Un bébé jouait des marionnettes, avec ses mains, en suivant, assez justement, la cadence du morceau et en ravissant ses parents. L’intellectuel étourdit trouvait étrange, tout en tournant innocemment les pages de son livre, qu’une maison sérieuse comme La Pléiade, intègre dans ses ouvrages une illustration sonore frivole à des pages aussi classiques et respectables.
Un autre, encore, se prenant pour Enrico Caruso, mimait les envolées lyriques de ce dernier, en silence, et tant mieux, car il n’avait rien de la voix du ténor italien. Dans un autre coin discret, deux jeunes amoureux en profitaient pour échanger délicatement quelques douceurs au rythme des doubles croches.
Pendant ce temps un excité du smartphone tapotait fébrilement son écran dans le but de trouver, grâce à l’IA, le titre de cette pièce de musique. Quant à la vieille petite dame, serrant fermement son panier de courses, elle se demandait ce que pouvaient bien avoir les passagers du jour, pour avoir des expressions aussi étranges, passant du faciès le plus étonné, au circonspect, à l’incrédule pour finir par le soupçonneux. Seuls nos deux jeunes amoureux étaient pleinement radieux, on se demande bien pourquoi ?
Seuls ? Non. Dans son habitacle le chauffer du bus accordéon profitait pleinement du moment, se délectant de chaque mouvement, savourant chaque nouvelle harmonie. Lui, qui, s’il en avait eu les moyens, aurait aimé devenir chef d’orchestre, le voici, au volant de son bus, à la baguette. Aussi ne résistait-il pas à donner un petit coup de volant supplémentaire, à appuyer une courbe, à en atténuer une autre, également à jouer subtilement du frein et de l’accélérateur, dans le but d’ajouter sa touche, son interprétation de la partition.
Il fit si bien que les passagers, tous et toutes, se prirent au jeu, l’un ou l’autre endossant un rôle, un second arrangeant des costumes, avec ce dont il disposait. Un troisième, avec quelques complices arrangèrent une mise en scène. Quant au chauffeur, avec la connivence de son contrôleur se réserva l’adaptation de la musique, ce qui, somme toute, était légitime puisqu’il était à l’origine de cette métamorphose. Collectivement, il firent si bien et si joyeux, qu’ils se retrouvèrent, quelque temps après, sur la scène de l’Opéra pour interpréter Les Brigands* de Jacques Offenbach.
Laurent Baudinot
* Des brigands pas très doués : Falsacappa, chef de bande, et ses complices complotent pour dérober la dot d’une princesse. Déguisés en carabiniers, ils s’introduisent dans un palais pour mener à bien leur coup. Ils passent leur temps à se travestir et à changer d’identité. Mais leurs plans sont constamment déjoués par des quiproquos et des malentendus comiques…
https://www.culturefirst.fr/idee/les-brigands-jacques-offenbach-opera-de-paris
Quand le bus-accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Et, tout à coup…
Tout à coup en plein carrefour le bus s’immobilisa.
Devant lui un gros camion qui lui barrait la route.
Ce camion pour quelle raison il n’avançait plus ?
Oh ! quelle frayeur, quelle angoisse !
Soudain, de l’arrière du véhicule sortirent plusieurs instruments de musique : on reconnaissait des contrebasses, des hautbois, des violoncelles, des trompettes…
Avec une rapidité extrême et avec des engins paraissant sophistiqués, ils retirèrent en un clin d’œil l’accordéon du bus, et le chargèrent aussitôt dans leur camion.
Et à la place, avec encore plus de rapidité, il fut installé plusieurs instruments de musique miniatures.
Les voyageurs du bus qui étaient vite sortis à l’extérieur n’y comprenaient rien.
Et le chauffeur encore moins.
Au carrefour il y avait aussi un agent de police qui faisait la circulation, qui eut la trouille d’intervenir face à tous ces instruments qui – répétons le – avaient décroché l’accordéon du bus et l’avaient embarqué dans leur camion.
On vit quelque chose d’extraordinaire : des harpes sorties de nulle part et armées jusqu’au cou, gueulant au chauffeur de l’autocar de redémarrer.
Et la chose encore plus extraordinaire, alors qu’il venait de partir, le bus roulant ressemblait cette fois-ci à une symphonie joyeuse et vivante, se déplaçant en pleine ville.
Car tous les instruments dont le bus dorénavant était équipé, s’étaient mis à jouer ensemble.
Presque tous les instruments de la Terre sauf l’accordéon.
Ah ! cette farce n’était pas du tout du goût de notre accordéon, celui du bus, qui étrangement était toujours là, fièrement présent.
Comme revenu à la vie et ayant retrouvé la liberté après un long séjour dans une geôle puante, gardée par plusieurs matons.
Il voulait se venger du malheur qui lui était arrivé, d’avoir été séparé de force de son bus.
Avec ses pieds et ses mains il tapait dans tout ce qui bougeait.
Il put même remonter dans l’autocar en marche, et avec une violence inouïe, pire qu’un dingue, il frappait sur les nouveaux instruments.
Ah ! quel saccage fit notre accordéon à tel point qu’après quelques minutes, tout avait volé en éclat. Avec un véhicule complètement disloqué, meurtri.
L’accordéon regarda tristement son bus.
Il ne voulait pas dans son for intérieur parvenir à ce résultat.
Son beau bus réduit comme une loque.
Tant pis se dit-il !
C’est bien fait pour ces instruments de malheur, ils n’avaient qu’à rester tranquillement chez eux.
Oh ! Oh ! pour me remettre de toutes ces émotions, je vais prendre des vacances, pensa l’accordéon.
Il hésita un peu sur son lieu de villégiature.
Puis se dit qu’il allait partir pour le Brésil.
Il savait qu’il y a dans ce pays de nombreux kilomètres de plages.
Très certainement sur ces plages on devait bien y jouer de l’accordéon.
Il prit donc son envol car il avait appris à voler dans une grande compagnie aérienne.
Quelques heures après il arriva sur une plage brésilienne, ne semblant pas trop abandonnée…
Quand le bus-accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Et, tout à coup, tous les passagers dansaient. Oubliés les tracas quotidiens, les animosités, les rendez vous. La musique était magique. Tout le monde souriait, riait, s’embrassait. Les passagers virevoltaient au son de l’accordéon. Le chauffeur, d’habitude grincheux, poussait la chansonnette. Un moment de grâce. Dès la petite rue franchie, l’accordéon déployé , chacun reprenait sa tête maussade, le chauffeur sa mauvaise mine. Chacun à sa place, le nez sur le téléphone, sans regarder le voisin. La magie de la musique envolée.
Certaines personnes avides de gaité prenait chaque jour ce bus-accordéon pour bénéficier de ce moment de musique insolite. D’ailleurs, le chauffeur ne voulait pas laisser cette ligne à quiconque, il la conservait sans rien dire à sa Direction. Le bus était toujours plein à l’étonnement de la RATP. Que pouvaient bien faire les Parisiens tous les jours dans cette petite rue entre la rue de gaité et le boulevard de la folie. Il n’y avait rien.
Un moment magique, un instant de musique, un grain de folie bien utiles quand rien ne va plus. C’était ce que pensait le constructeur d’accordéon de bus. Il espérait redonner le sourire, créer une cadence, un nouveau rythme à sa ville. En catimini, il avait inventé le système. C’était son idée pour contribuer à la paix dans le monde. Avant, il avait exercé plusieurs métiers. Prêtre d’abord pour sauver les brebis égarées mais pas suffisant pour changer les choses. Puis, médecin. Pas terrible non plus. Pas de moyens. Puis, juge. Avec une envie de justice, il avait puni, emprisonné, etc. Pas vraiment utile. Trop de délinquants, pas assez de valeurs. Fleuriste, pour le dire avec des fleurs. Philosophe l’avait tenté mais trop de bla bla stérile. Il croyait à la musique qui adoucit les mœurs. Caché dans son atelier, il imbriquait un accordéon. Complice avec son copain le chauffeur André V., il diffusait son espoir de bonheur sur la ligne Porte des Lilas / Porte de la Chapelle.
Quand le bus-accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Et, tout à coup… une note prit son envol, suivie d’une autre, ce qui fit que la gamme en perdit son latin : elle voulut mettre un bémol, l’air de rien, mais la musique avait déjà pris ses aises et déjà, les rondes faisaient le grand bécarre avec les noires, les blanches palissaient de rage, rien qu’à la vue du spectacle. Il fallut que l’accordéoniste remonte les bretelles à tout ce petit monde afin que chacun daigne regagner sa place, et prenne la mesure de ce qui venait de se passer…
Au Secours Pascal !!
Bonjour ! Pour je ne sais pas pour quelle raison je n’arrive pas à envoyer ma petite histoire 😢😢
Les jeunes adorent le bus accordéon. Ils se placent sur la plateforme tournante et se laissent tomber sur une jolie fille ou un beau mec. Qui sait ! Peut-être que cette balancelle pourrait faire balancer deux cœurs, tout comme un air d’accordéon avait fait chavirer le cœur de nos parents ou grands parents.
Les virages étaient plébiscités ainsi que les petites rues. Il se passait souvent un truc de ouf !
Cette fois ci la mélodie mécanique de l’accordéon urbain s’était grippée. Le soufflet ne voulait plus s’ouvrir, comme s’il voulait s’accorder avec l’étroitesse de la rue.
Le chef d’orchestre ne connaissait pas les entrailles de l’instrument. Trop ringard à ses yeux. Il demanda s’il y avait un spécialiste dans le bus.
Silence radio, jusqu’à ce qu’une femme d’un certain âge s’approche doucement appuyée sur ses cannes.
Dans le bus on pouvait entendre des ricanements. Le chef d’orchestre la renvoya s’assoir sans même lui laisser le temps de s’exprimer.
Un rictus aux lèvres, elle reprit sa place, ouvrit son sac, sortit son iPhone et en quelques secondes un air d’accordéon envahit le bus. Une mélodie dynamique et entraînante.
Petit à petit, les jambes des autres voyageurs commencèrent à battre la mesure.
Petit à petit le soufflet du bus accordéon commença à s’étirer, d’abord langoureusement, puis avec de plus en plus d’énergie.
Les voyageurs applaudissaient. Certains dansaient.
Les plus jeunes découvrirent un nouveau rythme.
Une nouvelle recherche sur son iPhone et la sauveteuse lança un nouvel air plus métallique, plus fun.
Le bus devint un bal. Les habitants de la petite rue qui étaient regroupés pour voir comment l’engin allait s’en sortir se joignirent à la fête.
La rue fût bouclée. Le bus s’allongeait et se rétractait avec panache.
L’information se répandit dans la ville. Les nouveaux amateurs d’accordéon arrivèrent en masse.
La fête dura longtemps.
Depuis ce jour, notre chef d’orchestre avait téléchargé nombre d’airs d’accordéon pour que son instrument métallique monté sur roues ne se sente plus jamais seul.
761 Quand le bus-accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Et, tout à coup…
Il s’est arrêté sur une place où un orchestre au grand complet l’attendait.
Grâce aux réseaux sociaux, ils avaient réussi à organiser ce concert improvisé au milieu d’une foule digne des plus importants matchs de foot. C’était sans compter sur la colère des automobilistes bloqués, de plus à l’heure du déjeuner, impensable pour des Français !
Une jeune cheffe d’orchestre sortie d’on ne sait où, profita de cette cacophonie pour la transformer en une symphonie inattendue. Fait incroyable, ravalant leur colère les automobilistes se mirent à klaxonner au rythme de la baguette de la jeune femme grimpée sur une statue de la place.
À La dernière mesure, elle descendit de son perchoir sous les acclamations du public, des musiciens et des automobilistes.
Je ne gâcherai pas cette belle histoire en vous décrivant la pagaille qui s’en suivit !
Quand le bus accordéon se plissa pour s’engager dans la petite rue des Prés, un air d’accordéon envahit gaiement l’espace. Tout à coup je me suis aperçu que je devais tout recommencer. Cela n’avait rien à voir avec mes obligations de l’instant. Cette idée s’est imposée sans demander mon avis. Je devais l’exploiter avant de l’oublier.
Des souvenirs me revenaient malgré moi. J’étais épuisé et je devais en trouver la raison. Jeudi, j’ai perdu mon porte-cartes. Et cette découverte me fragilisa tout à coup. En réalité, j’étais au bout du rouleau. Et la vision de ce bus qui s’étire et se rétracte pour s’engager dans des boyaux improbables me fit penser aux poumons qui s’emplissent d’air pour favoriser la concentration. Et puis, cet air de musique qui enjolivait la scène ! Peut-être que le bus avait sa propre nostalgie. A chaque arrêt, il se renouvelait pour prendre en compte une nouvelle façon de vivre. Un billet pour l’avenir.
Je m’étais senti obligé de ranger toute ma maison afin de retrouver ce foutu portefeuille, miniaturisé exprès pour me faire des farces. Le malin ne s’était-il pas planqué parmi tous ces papiers épars qui décorent mon quotidien ? Il se serait dévoué de lui-même pour éplucher cette facture à payer sur le champ ! Il aurait contrer ma tendance à la procrastination ! Je devais me ressaisir : un truc en cuir marron auquel je me suis attaché inconsciemment avait disparu de mon univers et c’était la catastrophe ! Il me fallait m’appuyer sur des choses concrètes pour retrouver l’historique de ma journée de ce jeudi noir.
Voyons ! Quand je suis parti de chez moi pour prendre ce bus, est-ce qu’il était dans ma poche ou pas ? Il prit une importance incommensurable. Evidemment que je l’avais puisque j’ai pointé ma carte. Et je l’aurais perdu, juste à l’endroit où ce bus se contorsionne ? Mystère ! j’étais dans une impasse. Téléphonant au central pour leur demander s’ils l’avaient retrouver en nettoyant le bus.
« Ben non, nous n’avons rien retrouvé. – Excusez-moi ! – je vous en prie. » Et ce ton banal qui m’angoissa un peu plus. Donc, je fis une croix sur le bus. Je conservai juste l’air d’accordéon dans ma tête.
« J’y pense. Je ne pouvais l’avoir perdu qu’à la salle de danse. Vite, je téléphone à la propriétaire. Attends, dit-elle, je vais aller voir ! » De mon côte, parlant au saint des objets perdus, faites qu’elle le retrouve sinon , je devrais faire opposition. Pendant ce temp, j’entendais en direct qu’elle bougeait les chaises du vestiaire tout en commentant.
– Je regarde, mais je ne vois rien. Non, il n’est pas là !
– Excuse-moi.
– Je suis désolée.
Pourtant, après avoir reconstituer mon emploi du temps minute par minute, il ne peut que se cacher dans ce vestiaire. Entre temps je fis opposition à ma banque. Certaines étourderies se payent cash. C’est donc ce samedi que je repris ce bus pour aller faire la fête chez une amie. En même temps, je pourrais passer à la salle de danse. Cete histoire d’accordéon me cachait autre chose.
– Il n’y a pas de cour s de danse aujourd’hui, dit la prof lorsqu’elle me vit entrer.
– Je suis sûr que mon porte-cartes s’est caché entre deux chaises pliées. Les chaises pliantes serrées les unes contre les autres, feraient-elles penser aussi à un accordéon ? C’est en les désolidarisant que le prote-cartes tomba. Je me pliai pour le ramasser. De joie, j’embrassai ma prof de danse. J’étais prêt pour faire la fête !
Je regarde les soufflets se tendre et soupirer, comme si le véhicule lui-même retenait sa respiration.
Je suis monté seul. Il y avait du monde, mais mon siège, lui, est resté vide.
Je m’y accroche du regard, instinctivement. Comme si j’attendais quelqu’un.
Ou quelque chose. Et, tout à coup…Devant moi, une vieille dame essaie de me parler. Elle ouvre la bouche, mais rien ne sort.
Pire : je sens que ses mots se font effacer. Comme si une gomme invisible les avalait avant qu’ils n’atteignent l’air.
Elle panique. Elle a peur qu’un jour, plus personne ne se souvienne qu’elle ait existé.
À l’arrière, un homme en imperméable se recroqueville sous un parapluie ruisselant. Il pleut sur lui seul.
Il tente de le refermer, il se débat contre l’eau, contre l’humiliation invisible.
C’est sa peur d’être dépassé, noyé, submergé sans que personne ne l’aide.
Une femme tend l’oreille. Une petite cage vient d’apparaître sur ses genoux. À l’intérieur, une voix minuscule, familière, lui chuchote :
— Si tu parles, ils sauront.
Je vois son frisson.
Elle a passé sa vie à se taire. Elle pensait que ça la protégeait. Mais c’est sa peur qui parle, maintenant. Sa peur de dire la vérité.
Derrière moi, une odeur surgit. Un mélange de terre et de poils mouillés.
Un chien grimpe sur la banquette. Il est vieux, sale, fatigué. Mais, il fixe, une femme d’allure sophistiquée avec une intensité insupportable.
Elle détourne le regard.
Elle l’a abandonné un soir d’hiver. Et il revient maintenant, traînant avec lui cette fidélité que ni le froid ni la mort n’ont réussi à dissoudre.
Un homme s’agite. Ses jambes grandissent. Littéralement.
Elles rampent sous les sièges, s’étendent comme des racines folles.
Il crie qu’il veut rentrer. Il a les symptômes de la peur de l’échec permanent.
Et là — devant moi — un fauteuil se met à respirer.
Il bat comme un cœur. Il aspire un passager sans qu’il puisse résister. Il s’enfonce, s’efface. Il est avalé avalé.
C’est la peur de ne plus exister. De se dissoudre dans la banalité.
Et le bus le digère comme s’il n’avait jamais été là.
Mon siège reste vide.
Mais je le sais maintenant. Il n’attend pas ma peur.
Il attend que quelqu’un découvre la vérité. Que quelqu’un voie.
Car moi, je suis là pour les regarder tomber.
Je suis l’ombre qu’ils ont laissée derrière eux.
Et leur peur, c’est moi
Merci Mijoroy pour ce texte sensible, très profond. D’une grande originalité. 🙂
Le bus-accordéon étant – si j’ai bien compris – une métaphore de la trajectoire de chaque passager. Lequel est soudain convoqué à sa part d’ombre, à des peurs enfouies et non résolues.
un peu tardivement, mais je confirme
Quand le bus accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Les passagers, membres du club des aînés et fans de Verchuren, avaient des fourmis dans les jambes qui leur donnaient comme des envies de valser. Toutefois, ils reprenaient en chœur quelques refrains de leurs 20 ans.
Tout à coup, le car fut stoppé dans l’embouteillage du siècle et là ce ne fut plus la même chanson. Les futurs découvreurs d’espaces verts, tout en s’éventant avec leur dépliant, commencèrent une rengaine en sourdine. Monsieur Tartempion, râleur de profession, entama un air de cor de chasse, rejoint illico par madame la commande en chef, pipelette invétérée pour former un duo de récriminations. Ils n’avaient certainement pas payé 1 200 balles pour être emprisonnés dans cette étuve ! C’est ainsi qu’un orchestre à vent, à cordes, à percussions se forma au débotté.
Le chauffeur, qui n’avait pas dormi de la nuit — ses paupières qui battaient la mesure se prenaient pour des métronomes — demanda un itinéraire de délestage à son GPS. La symphonie fantastique cessa lorsque le bus reprit sa marche, les applaudissements fusèrent et chaque fois que les soufflets reprenaient leur exquise mélodie, le doux ramage donnait du cœur à l’ouvrage au conducteur.
Lorsque son véhicule se retrouva coincé entre les murs d’une ruelle fort étroite, après maints efforts des secouristes venus en renfort pour sortir l’ensemble vocal de ce couac, chacun rejoignit ses pénates en se jurant, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus à vouloir « faire » l’Auvergne.
———
PEINE PERDUE
Le bus accordéon s’engageait par la rue Saint-Jacques du haut-pas sur un air de Troll…et Bus. La Schola Cantorum laissait échapper des bribes d’accordéon par la fenêtre de la classe d’Yvette Horner, une artiste bien connue. De solides études de piano lui l’avaient offert le choix : la carrière de virtuose ou le piano quotidien ! Après le tour de france, et l’oeuvre dans ce temple de la musique cyclique.
Le bus à soufflets n’ira pas jusqu’à Compostelle… Un circuit ramènera, par la tombe histoire, ainsi nommé car un géant y perdit la vie, une fournée de pygmées en goguette, invitée pour une fête, ce sont de merveilleux chanteurs, on ne saurait l’ignorer !🐻
Dans le bus-accordéon…
Je ne sais plus exactement pour quelle raison et pas davantage pour quelle destination, j’étais monté dans ce bus-accordéon où l’intérieur était déjà envahi d’une épaisse chaleur qui pesait sur les épaules des passagers. Je me souviens que c’était un beau dimanche de début de printemps. Je partageais l’espace constitué de deux banquettes en vis-à-vis avec trois autres personnes. Une dame d’un âge certain me faisait face, la tête baissée et le menton, comme posé au creux de sa corpulente poitrine, agitait ses doigts noués par l’arthrose en faisant cliqueter de courtes aiguilles à crochet qui dessinaient un entrelacs complexe en fil de coton, dont seule la dame d’un âge certain, semblait pouvoir comprendre la manière dont il fallait composer les motifs.
À sa gauche, un vieux monsieur bedonnant suait à grosses gouttes dans son costume en lin de couleur crème. Sa dense et épaisse chevelure blanche était coupée en brosse. Je l’observais du coin des yeux, et, j’ai cru un instant qu’il mâchonnait sa moustache tout aussi immaculée, dont le bord des poils était roussi par la fumée de cigarette… il ne mastiquait pas sa pilosité labiale, mais à le regarder plus attentivement, j’ai pu constater qu’il parlait dans sa moustache… à lui-même… se racontait-il une histoire ? De temps à autre, il fermait les yeux et gardait les paupières closes de longues minutes, sa tête dodelinait au gré des secousses du bus-accordéon. Rien ne semblait pouvoir interrompre son silencieux monologue intérieur. Revivait-il ses souvenirs ?
Sur ma droite, une jeune femme avait le nez plongé dans un livre qu’elle ne quittait pas des yeux. Sa chevelure d’un noir de jais encadrait un visage d’ange. Ses belles lèvres fines soulignées d’un rouge vermillon laissaient entrevoir des dents d’une blancheur de porcelaine. J’étais captivé par son incroyable beauté sortie d’un rêve. Peut-être lisait-elle une histoire d’amour comme il n’en existe plus. À chaque tressautement du bus, ses boucles sombres dansaient sur son front. De ma place, j’apercevais ses yeux d’un bleu d’azur, que de longs cils noirs rendaient encore plus lumineux. De temps à autre, de sa main droite aux longs doigts fins, d’un geste d’une extrême douceur, elle tournait la page terminée. Sentant peut-être le poids de mon regard peser sur elle, il avait suffi d’une seconde et d’un regard éphémère, pour que nous soyons l’un et l’autre, troublés…
Le bus accordéon filait à une allure modérée sur un boulevard qui s’étirait en une interminable ligne droite bordée de platanes. Les rayons du soleil, déjà haut, étaient filtrés par les jeunes feuilles d’un vert pastel qui en recouvraient les branches et la luminosité émergeait par intermittence en inondant l’intérieur du bus-accordéon. Le conducteur avait ralenti et le bus-accordéon s’était alors plissé pour s’engager dans une petite rue. C’est à cet instant qu’un air d’accordéon avait enveloppé gaiement l’espace, créant soudainement une ambiance de bal musette, de celle que l’on peut retrouver dans les guinguettes des bords de Seine. Et, tout à coup, j’ignore d’ailleurs par quels stratagèmes, mais des lampions aux couleurs flamboyantes émergèrent du plafond, devant nous une tablette recouverte d’une nappe à carreaux rouges était apparue comme par enchantement. Une serveuse portant un plateau chargé de bocks de bière passait dans l’allée centrale, et s’arrêtant à notre hauteur, elle déposa devant nous quatre chopes débordantes de mousse. Sans plus attendre, le vieux monsieur bedonnant, qui suait de plus belle en saisit une qu’il porta à ses lèvres, plongeant sa moustache dans le breuvage orangé, où s’étaient accrochées quelques perles de bière…
Dès les premières notes, la plupart des passagers avaient formé des binômes et dansaient frénétiquement dans des tourbillons de folles farandoles. De son côté, le vieil homme bedonnant, qui affichait un air joyeux, battait la mesure de ses doigts boudinés. Ses jambes avaient aussi, été saisies d’un tremblement rythmique. La dame d’un âge certain, qui se trémoussait sur la banquette, était portée par le souffle de l’accordéon. N’y tenant plus, le vieil homme bedonnant s’était levé en présentant son bras à la dame d’un âge certain, cette dernière s’en saisit avec un immense plaisir, que son visage traduisait en affichant un large sourire. Ils se lancèrent tous les deux dans une énergique mazurka.
Une odeur de grillades et de frites trop grasses ondulait dans l’air au rythme des flonflons. Même les enfants participaient à la fête. Au cœur d’une chorale improvisée, les gens chantaient en chœur. C’était un peu le bal du 14 juillet avant l’heure. Le bus-accordéon s’étirait comme porté par la joie et le bonheur que partageaient tous les passagers. Le temps était en suspens, il n’existait rien d’autre que ce moment de partage.
Le bus-accordéon venait à l’instant de stopper à un arrêt, la jeune femme que l’ambiance musicale n’avait pas attirée, referma son livre et se leva pour se diriger vers la porte. En passant devant moi, j’ai senti son doux parfum léger, elle m’a soufflé quelque chose à l’oreille. Peut-être son prénom. Peut-être un adieu. Puis, d’un pas aérien, elle sauta sur le trottoir. Juste avant que les portes ne se referment. Je la regardai partir sans se retourner, ses boucles noires dansant encore une fois sous le soleil criblé de feuilles. Puis elle disparut, avalée par un angle d’immeuble. Dans un léger sifflement aussi doux qu’un soupir, les portes se sont refermées suivies d’un silence pesant, comme si le bus-accordéon retenait son souffle. Le décor festif avait soudainement disparu, les lampions s’étaient évaporés, la nappe à carreaux rouges dissoute dans l’air. Tout était redevenu morne et étouffé. Les passagers avaient regagné leur place. Les aiguilles de crochet remuaient toujours frénétiquement dans les mains noueuses de la dame d’un âge certain. Le vieil homme bedonnant s’était assoupi, le souffle de sa respiration exhalée par sa bouche, faisait frémir les longs poils de sa moustache tachés de nicotine.
Je restais là, songeur… avais-je échangé un regard éphémère avec une fée ? Et c’est alors que je le vis. Sur le siège qu’elle avait occupé, un livre demeurait, posé bien droit, comme s’il m’était destiné. Je me penchai lentement pour le saisir. Sa couverture était sobre, en toile gris perle, sans titre ni auteur. Mes doigts hésitaient sur les pages, quand je lus les premières lignes… je sentis mon cœur se figer.
Ce que je lisais, c’était exactement ce que je venais de vivre. Le trajet. La chaleur du bus. La jeune femme au livre. Le bal improvisé. Les bières, les lampions, les flonflons. Tout y était, mot pour mot, jusqu’au regard échangé.
Je feuilletai les pages avec fébrilité. Le texte s’arrêtait juste là, à la seconde où je découvrais ce livre, dans un dernier paragraphe :
« Il lut ces mots avec un vertige naissant. Et alors qu’il levait les yeux du livre, il sut que rien ne serait plus tout à fait pareil. »
Je demeurai immobile, le livre tremblant entre mes mains. Était-ce elle qui l’avait laissé pour moi ? Était-ce son livre ? Ou bien… étais-je en train de lire ma propre histoire en train de s’écrire ?
À la fenêtre, le bus-accordéon filait à nouveau sur une ligne droite longée de platanes, et tout semblait redevenu normal.
Sauf ce livre…
Et ce trouble en moi que je ne pourrais plus jamais tout à fait nommer.
C’est l’histoire
Allez-vous me croire
D’un bus accordéon
Qui adorait les flonflons
Il se trémoussait
Pour un oui ou pour un non
Se déhanchait
Pour éviter un piéton
C’était si drôle à voir !
Un jour, au coin d’une rue
Qui l’eût cru
Il stoppa net sa machine :
Devant la plus jolie vitrine
Un joueur d’accordéon !
Casquette vissée
Marinière ajustée
Lunettes au bout du nez
Clope au bec
Un vrai beau mec
Big bang
Notre bus était exsangue
Impossible de redémarrer
Il s’est mis à se dandiner
Pour le plus grand bonheur
Des gens du quartier
Quant aux clients à l’intérieur
Mais bien sûr
Ils ont battu la mesure
Quelle ambiance !
« Dans le bus 206 on danse »
A écrit le reporter dans son journal
La feuille de chou locale
Qui depuis son article peu banal
A pris une dimension…internationale !
Un dernière valse à Rochechouart
Quand le bus-accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Et tout à coup, alors que le bus s’engageait dans un virage étroit, une femme, sortie de nulle part, apparut au milieu du bus sur la plateforme pliante. L’air de musique soufflait plus fort et la femme, aux cheveux enfflammés, dandinait en rythme. Ses mains pianotaient dans le vide des touches invisibles. Je mis un coup de coude à mon pote qui somnolait sur le siège d’à côté, ses écouteurs aux oreilles :
– Kev’ matte ça !
– Quoi ?
– Regarde, la vieille là-bas.
– Bah quoi ?
– Elle joue de l’accordéon !
– Oui, et alors ?
– Bah, tu vois bien qu’il n’y a pas d’accordéon… et pourtant on entend de la musique.
– Attends, on est dans quel bus déjà ? Le 31 ?
– Oui je crois.
– Ah bah c’est normal, c’est Yvette ! T’inquiète. Préviens-moi quand on sera arrivé. On descend au terminus. Désolé gars, mais j’ai fait la fête hier soir, faut que je me repose un peu.
Il se tourna côté fenêtre, enfonçant sa casquette pour se protéger de la lumière. Je le secouai pour qu’il continue cette conversation.
– Comment ça c’est Yvette ? La meuf, elle est apparue comme par magie (j’observai vite fait les autres passagers), et personne ne s’en inquiète apparemment.
– Ça arrive souvent, les gens se sont habitués.
– Faut que tu m’expliques là.
C’est ainsi que j’ai appris l’histoire de Brigitte, qu’on appelait maintenant Yvette. À l’époque, elle faisait la manche dans les rames de métro ou dans les bus parisiens. Les chauffeurs de la ligne 31 la laissaient faire son show, alors ce bus était devenu sa scène régulière. Les usagers la connaissaient et s’étaient accoutumés à la voir débarquer avec son accordéon. Elle pouvait jouer des heures pour quelques pièces de monnaie. Un jour, Paolo, un chauffeur de cette fameuse ligne 31, lui glissa l’idée de se teindre en rousse pour ressembler à la grande Yvette Horner. Sa femme était coiffeuse, ça tombait bien, elle lui ferait ça gratos. C’était sa façon à lui de l’aider et, il en était sûr, les gens seraient plus généreux avec elle, surtout les touristes. Il appelait ça : l’effet star-system. Josiane, une usagère quotidienne du bus, qui trouva cette idée plus que géniale, participa elle aussi à la métamorphose de Brigitte en Yvette. Couturière de métier, elle lui confectionna une robe similaire à la robe tour Eiffel.
– Tiens ma belle, toi aussi tu vas porter du Gauthier ! lui avait-elle dit d’un ton pas peu fier au moment de lui offrir sa tenue.
Métamorphosée en sosie tout à fait acceptable de la reine de l’accordéon, Brigitte rencontra effectivement un succès fou. Les touristes asiatiques l’adoraient, les américains hurlaient de joie “Oh my God !” quand il la voyait et tout ceci arriva vite jusqu’aux oreilles des grands pontes de la RATP. Brigitte se vit proposer un contrat officiel pour jouer sur la ligne 31. Le trajet Gare de l’Est – Charles de Gaulle Etoile devint une attraction parisienne incontournable. Brigitte n’avait plus besoin de tendre la main après ses représentations pour glaner quelques pièces, pourtant certains touristes insistaient pour qu’elle en accepte en échange d’une photographie. Les américains, eux, lui agitaient des billets de dollars devant le nez en baragouinant des “please madame Yvette, just petit souvenir of Paris”. Des madame Yvette par-ci, des madame Yvette par-là, elle en entendait dans tous les accents. Plus personne ne l’appelait Brigitte, à part sa cousine Germaine Lepic qui la jalousait amèrement :
– Après avoir mangé son pain noir, Brigitte mange son pain blanc. Mais elle ferait bien de penser à mettre des miettes de côté, car ça ne durera pas tout ça ! lançait-elle à qui voulait bien l’entendre.
Puis vint un jour fatidique. Un matin de novembre, le quatorzième du mois. Ce triste 14 novembre 1991 qui avait point avec une pluie verglacée. Brigitte, ou plutôt Yvette, qui aimait commencer ses journées tôt, en compagnie des travailleurs, ceux qui l’avaient soutenu alors qu’elle n’était qu’une mendiante, avait rejoint le dépôt et le chauffeur René qui l’attendait déjà dans le bus pour le début de la tournée.
– Salut ma belle. Comment tu vas ma reine de la Musette ce matin ? T’as pas fait la toupie sur le bitume avec tout ce verglas ? blaguait-il en fermant les portes derrière elle.
– Salut René. Non, mais c’est bien glissant. Tu feras gaffe de ne pas nous faire danser la valse sur le boulevard.
– T’inquiète, je vais gérer, même si j’ai pas l’habitude avec ce machin derrière. Regarde donc dans le fond, ils nous ont filé un bus articulé ! Ils ont voulu agrandir la salle de spectacle pour notre vedette.
– Je te fais confiance René. Allez roule chauffeur !
Alors qu’il rejoignait l’arrêt Gare de l’Est, le premier bus accordéon de la ligne 31 fit une entrée fracassante sur le boulevard Rochechouart. René ne savait pas jouer du bus accordéon et une fausse note leur avait été fatal à tous les deux. L’heure précoce de la journée avait permis de ne déplorer aucune autre victime, les rues et trottoirs étaient encore déserts.
Dès lors, le bus 31 était régulièrement hanté par cette femme aux cheveux flamboyants et c’était a priori notoire. J’étais donc le seul à trouver tout ceci très étrange.
Tout à coup, le bus s’engagea sur le boulevard Rochechouart, Yvette devint blême et disparut. Le véhicule se mit à saccader sans raison.
Kev’ m’attappa le bras :
– Accroche-toi, ça va pas mal bouger. T’inquiète pas, ça dure juste le temps de passer le boulevard. T’es vraiment un veinard toi ! Pour ton premier jour de visite à Paname.
– Un veinard, pourquoi ?
– Ça n’arrive pas tous les jours quand même ! Et toi, t’auras vu les deux dans la même journée, c’est pas donné à tous les touristes. Y’en a qui prennent le bus dix fois par jour sans jamais les voir.
– Tu peux préciser s’il te plaît, répliquai-je avec l’angoisse de connaître déjà la réponse.
– Bah, d’abord Yvette. Tiens-toi un peu là, il va nous faire une petite embardée. Et maintenant René.
J’ouvre mon ordinateur et je découvre Valérie, votre récit. Je le trouve excellent et très plaisant à lire, grâce à un dialogue bien amené qui le rend vivant et fluide. Quant au scénario, il est original. Ainsi commence mon dimanche, avec du plaisir à vous lire. 🙂
Merci Béatrice ! Moi, j’ai eu du plaisir à lire votre commentaire.
Quand le bus-accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Et, tout à coup les gens se levaient de leur place dans le bus et dansaient. Leurs bras se rejoignaient attirés par les sourires que faisait naitre l’écoute de cette musique même furtive.
Cette particularité fit rapidement le tour de la ville et le bouche à oreille eut des conséquences immédiates. Les gens se ruèrent sur les arrêts de bus de la ligne qui voyait le bus accordéon faire ses allers et venues. La plupart des gens n’avait pas de but, de destination précises, ils venaient partager un moment de bonheur simple. Personne ne savait à quel moment du trajet le petit air d’accordéon surgirait. Il arrivait même très rarement qu’il n’arrive pas, laissant certains passagers déçus. Ils montaient donc dans le bus un petit sourire en coin guettant fébrilement la mélodie. Il se murmurait que des couples s’étaient formés sur les airs de musique. C’était beau, c’était simple, et rare. Des petits bonheurs, des miettes de lumière volées dans un monde toujours plus fou.
Fou il l’était. Désespérément. Le jour vint où le bus ne put sortir du garage. Trop vieux, trop dangereux. Pas assez fiable. Il ne passait plus le contrôle technique. On le remplaça par un autre bus accordéon flambant neuf qui ne « couinait » pas, comme disaient ses détracteurs.
Le bruit se répandit comme une trainée de poudre. Les gens y ayant connu des instants de vrais partages se fédérèrent pour le racheter, fomentant tout à coup des projets les plus fous. Mais ils se firent coiffer au poteau par la société propriétaire du parc de bus. Il partit un matin sans tambour ni trompette à la casse. Personne n’était au courant. On recycla ce qui put l’être.
Et courut bientôt le bruit que des pneus de voiture chantaient parfois en freinant…
« des miettes de lumière volées dans un monde toujours plus fou. »
Un récit doux et tendre et je ne doute pas un seul instant que le bruit qui court sur les pneus qui chantent encore ait quelque chose de bien fondé. Merci Iris 🙂
J’aime bien, les « miettes volées » aussi, c’est ce que je tente de reproduire aussi tant dans mes écrits que mes dessins.
merci Laurent:)
Merci Béatrice:)
Certaines nuits de canicule, alors que le soleil couche-tard chauffe encore les tuiles de mon toit, ma chambre devient bouilloire sèche, mon pieu, dune désertique, mon ensommeillement, torture moyenâgeuse. Je finis par chuter dans des caucherêves, des images improbables, des que même l’irréalité, elle y croirait pas.
Hier par exemple, mon inconschiant m’a débarqué dans un musée. Mais pas un truc réputé, avec des affiches partout, des articles dans Télérama, des queues à faire rougir un gorille et des tarifs toujours prohibitifs.
Non un musée, rien qu’à moi, gratuit et ouvert 48h sur 24. Ce soir-là, justement, je m’étais concocté une exposition originale. La fameuse inconnue, celle présentant toutes les combinaisons possibles entre véhicules et instruments de musique.
C’était parti d’une drôle d’idée de mon ami Pascal, un bête bus accordéon batifolant dans une ruelle, chantant la fredaine aux ouvriers trop heureux d’aller gagner leur droit de mourir dans la dignité, couronnés, au moins pour un jour.
Partant de là, j’ai tout vu défiler. Que même le « Grand embouteillage » du cinéaste italien Comencini, c’est du pipi de serin, même pas sorti de l’œuf.
Donc, dans l’ordre, dans le désordre, dans le mésordre…..
Un camion de pompier gong, un cabriolet mandoline, un break cor de chasse, un pick-up banjo, une coccinelle glockenspiel, un semi-remorque piano à queue, une cacahuète guimbarde, un immense monospace hélicon. D’époque, je vous le garantis, un fiacre cymbalum, un coupé contrebasson, un omnibus bugle…une bêcheuse, une limousine traversière, un tank caisse roulante, un camping-car biniou et même un aéroglisseur xylophone.
Pas une pause, pas un banc, une nuit d’enfer dans un encombrement culturo traditionnelograndgignolo,la tentative d’évacuation ratée du charnier improbable d’une salle de spectacle plus que dévissée.
Finalement quand le car cornemuse a failli m’écraser, j’ai couiné si fort que j’en suis tombé du lit. J’ai rampé jusqu’au rez de chaussée, ouvert la porte du jardin et me suis jeté dans le bassin, celui où mes carpes coïcoites ont tenté de sortir un mot.
Peine perdue ? Suis je noyé, suis je mort….le corbillharpe m’attend t’il ??
« Partant de là, j’ai tout vu défiler. Que même le « Grand embouteillage » du cinéaste italien Comencini, c’est du pipi de serin, même pas sorti de l’œuf. »
Et c’est vrai ! 😀 Bravo Jean-Marc !
Merci Béatrice!
Il manque juste le violoncelle cerebos et le rossignol des cavernes sinon, l’ orchestre est au complet… Et quel orchestre !👍🐭
Merci Souris verte!
Quand le bus accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace.
Tout à coup, un grand choc, une ambulance, toute sirène hurlante, lui brûla la priorité, le percutant de plein fouet . L’accordéon continua de jouer tandis que la sirène gémissait de douleur. Quelqu’un appella la maréchaussée qui arriva en courant, le sifflet à la bouche, les deux chauffeurs s’invectivaient en termes fleuris tandis que dans le bus, une jeune femme se rendant à la maternité hurlait de douleur aux premières contractions.
Accoudé à sa fenêtre, un riverain savourait le moment en battant la mesure, puis il alla chercher une feuille de partition pour mettre en note cette merveilleuse cacophonie.
Un vrai chef d’oeuvre, une symphonie urbaine, un récital plein de rebondissements !
Emu, le compositeur remercia en lui même la RATP, les ambulances Delamare, les policiers du commissariat voisin, et souhaita longue vie au bébé du 62.
Quand le bus accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace.
Et tout à coup, juste au niveau de l’accordéon, surgissait Yvette Horner, droite et fière dans sa robe bleu, blanc, rouge. Elle croyait, dur comme fer, être toujours dans sa caravane du tour de France et se déchaînait sur son piano à bretelles. Certains l’écoutaient avec délice, d’autres levaient les yeux au ciel, et les derniers criaient « faites la taire, on veut voyager tranquilles ».
Il y avait aussi André Verchuren qui donnait de sa personne. Et du cœur à l’ouvrage, ce n’est pas ce qui lui manquait. Il se croyait dans un rodéo avec son instrument, le tempo accélérait, et André s’emballait. Des passagers, sourires aux lèvres, marquaient le rythme avec leurs pieds. D’autres se bouchaient les oreilles avec des écouteurs, ou à défaut avec leurs mains. « Ringard de chez ringard, râlaient les derniers, on a le droit de voyager tranquilles ».
Ils ne connaissent pas leur chance. Ils n’avaient pas connu l’époque où Yvette et André avaient découvert le bus accordéon et voulaient jouer tous les jours de chaque semaine, de chaque mois, de chaque année. Aucun ne voulaient partager. Ils jouaient ensemble, coincés dans l’accordéon du bus. C’était une belle cacophonie et chaque jour le bus perdait des passagers.
C’est le grand Marcel Azzola, l’as des as de l’accordéon, il fallait bien ça, qui leur fit accepter un ordre de passage : les jours pairs étaient pour Yvette, André jouait les jours impairs. Cela sauva le bus accordéon.
Les années passaient, le réchauffement climatique s’accentuait à la vitesse d’un cheval au galop. Yvette ne supportait plus les grandes chaleurs. « Moi je joue l’hiver et le printemps » décida-t-elle. « Et pourquoi je me taperai l’été et l’automne. Quel culot la rouquine !» ronchonnait André. Marcel étant occupé ailleurs, la cacophonie reprit de plus belle. Les passagers quittaient le bus à grandes enjambées et couraient s’acheter des vélos.
Ce fut la fin des bus accordéon.
L’accordéon
« Quand le bus-accordéon se plisse pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahit l’espace. Et, tout à coup… » les élèves de la Classe-Horaires-Aménagée-Musique du lycée chantent « Le Petit Bal perdu ».
Cette vieille chanson, que nos chanteurs, déguisés en jeunes gens des années 40, aux teintes ternes comme l’étaient les vêtements d’après-guerre, aux socquettes blanches pour les femmes et les pantalons taille haute pour les hommes, sont heureux de mettre en scène cette période. Ces amoureux d’une autre époque dansent dans l’autobus et sur les ronds-points du circuit du bus-accordéon.
Comme dans le contexte de la chanson, ils sont censés oublier les décombres et la désolation ambiante du décor d’après-guerre. Les spectateurs, voyageurs et piétons, sourient à cet air d’accordéon et cette interprétation des jeunes gens. Chacun s’arrête et apprécie tandis que le bus s’éloigne.
Les chanteurs et musiciens restés sur le rond-point, entament une seconde mélodie plus nostalgique, une valse musette sur le thème d’un chanteur des rues et de son accordéon. Un élève violoniste vient compléter la formation.
Quel moment superbe, hors du temps, pendant lequel jeunes et anciens reprennent ensemble ces morceaux avec enthousiasme et en esquissant quelque pas de danse.
Chacun resterait bien sur place, oubliant son projet initial, pour cohabiter encore un peu avec les élèves et les magnifiques chansons choisies.
Parfois, la joie, l’envie d’être ensemble, tient à peu de choses…
Quand le bus-accordéon se plissait pour s’engager dans une petite rue, un air d’accordéon envahissait gaiement l’espace. Et, tout à coup… distrait par mes souvenirs, je me rends compte qu’il me sera difficile de freiner ma monture avant que le bus qui me coupe la voie. Le sol est humide et glissant sur les pavés parisiens, comme à chaque fois qu’il pleut après une longue période de chaleur. Le gras du bitume déposé en surface par 80°C en plein été d’un Paris suffoquant, les traces d’huile des moteurs et échappements et les restes d’un marché tout proche, insuffisament nettoyé …tout ce joyeux mélange se touve dillué par une pluie fine et matinale. J’entends l’accordéon et me souviens ma passion d’enfant pour cet instrument si joyeux à mes oreilles. Je voulais faire danser les filles. Raté. Tu ne fais danser personne avec un matériel aussi imposant posé sur le ventre. Peut-être était-ce un acte inconscient. J’avais peur d’être rejeté par les filles. L’accordéon était un prétexte, une arme défensive pour m’èviter un soufflet. J’en avais déjà un.. Combien d’heures ai-je passé avec ce lourd instrument posé sur mes genoux trop frêle ? Je disparraissais derrière sa masse imposante, comme s’il m’effaçait. De si longues heures d’entrainement pour me rendre compte, bien des années plus tard, de mon manque d’aptitude et de virtuosité. Le type qui jouait dans la rue, massacrait allègrement « l’hymne à l’amour » de Piaf, mais c’était quand même mieux ce que j’aurais jamais pu produire. Le temps de penser à tout ça, la moto se couchait sous le bus et j’allais pousser mon dernier souffle contre l’armature du bus, caché derrière son soufflet.
Un air de musette envahissait gaiement la rue Blanche que le bus descendait en freinant en cadence. Les passagers et les passants remuaient discrètement des hanches quand, tout à coup, un drôle de bus arriva à contresens. Il avait surgi de la rue de la Chaussée d’Antin, à fond la caisse, de basses assourdissantes d’une sonorisation plein d’entrain. C’était le bus-discothèque qui venait de partir des Galeries-Lafayette. La collision était inévitable.
Boum boum ! Hiiiiiiiiiiii ! Le bus-accordéon pila comme il put, faisant crisser ses notes aigües. Il se créa alors un bouchon derrière lequel toutes les oreilles cherchèrent à se mettre à l’abri, d’autres remirent instinctivement entre leurs doigts leur vulnérable ouïe.
Boum boum ! Hiiiiiiiiiiii ! Oh non ! Deux malheureux tympans, qui traversaient l’espace aérien imprudemment, furent percutés de plein fouet. Ils saignaient abondamment. Des cris de détresse retentirent dans la rue, les premiers secours leur emboîtèrent la voix de leur sirène stridente qui ne faisait qu’ajouter de la confusion sonore au tintamarre ambiant.
Boum boum ! Hiiiiiiiiiiii ! « Quelqu’un va éteindre cette p… de sono ! »
Un cri du cœur s’extirpa du bus-musette. D’un clic, un homme en uniforme coupa le moteur du bus-discothèque. C’était un flic de la gendarmerie mobile du neuvième arrondissement.
« C’est terminé la musique au volant. Tout le monde descend ! »
Et, tout à coup… un homme se met à hurler :
« Cessez – Cessez – C’est insupportable ! Ce chauffeur joue faux !»
Le bus s’arrête net.
Les passagers (heureusement attachés) sont projetés en avant puis en arrière violemment.
Le chauffeur, vexé, se dirige vers l’homme contrarié.
– C’est quoi le problème Monsieur ?
– C’est dans les nuances que ça ne va pas mon cher… Vos enchaînements sont trop saccadés – Pas d’harmonie – aucune sensualité – C’est un massacre.
C’en est trop pour le chauffeur qui éclate en sanglot.
– Bouhou ! Bouhou !
Les passagers retiennent leur souffle.
L’homme est quelque peu dérouté.
Le chauffeur se mouche et se justifie : « j’ai passé mon permis poids lourds/accordéon du premier coup pourtant.
– Il est là le problème (enchaîne l’homme). Pourquoi avoir pris l’option accordéon alors que vous n’avez pas l’oreille musicale ?
– chais pas moi Monsieur ! J’ai coché accordéon parce que c’était mieux payé – C’est tout vous comprenez ?
– Non !
– Bouhou ! Bouhou !
– Bon… Ressaisissez vous mon cher ! Vous devez à présent nous conduire à destination.
Mais s’il vous-plaît, pouvez-vous débrancher l’option accordéon ? Je vous en saurais gré !
À chaque fois que le bus-accordéon passait dans une petite rue, cela nous faisait des plis dans l’âme. Celle-ci, jusque-là immobile, devenait vivante, plus que jamais. Elle se déployait, se contractait, se déployait encore pour retrouver son souffle initial.
Elle n’était plus ce corps-prison qui la limitait — tel un poisson rouge dans un bocal — alors qu’elle se savait appartenir à l’Océan. Elle pouvait palper à nouveau la peau des vagues. Sentir dans ses reins les courants marins. Faire des ourlets de rire dans l’écume des jours et le sable oublié. Ensemencer son chant au cœur des coquillages.
Dans le bus-accordéon, les mains ne tremblaient plus. Elles battaient la mesure d’un temps retrouvé.
Quel beau texte Béatrice. Merci🐭
Merci souris verte ! Bon dimanche ! 🙂
Accordez- accordez- accordez-donc-la-place-au- bus-accordéon…
Ça, c’était depuis que l’ R.TAPageuse avait mis ‘ses billes’ dans la société de transports urbains. Les bus étaient fins et s’insinuaient dans les plus petites ruelles de ce vieux pays, et à ressorts à cause des marches qui grimpaient les rues ‘casse-culs’ qui menaient toutes à l’église romane qui jouxtait le château. Les premières classes et les secondes étaient réunies par un soufflet qui ‘accordéonnait’ au lieu de klaxonner. On aurait pu croire que cette musique allait égayer les habitants mais ce fut le contraire. De jour comme de nuit on les entendait seriner leur chansonnette qui bouclait dans les têtes des gens qui, eux, ne trottaient plus. Ils avaient ouvert des portes dans les caves et les vides-sanitaires, établissant ainsi un réseau souterrain, faiblement éclairé par des loupiotes qui permettaient aux habitants de faire des échanges de vivres. Si ce fut une période de ‘marché noir’, les relations n’avaient jamais été aussi ‘étroites’ !. Maintenant les passages souterrains se visitent pendant que certains touristes prennent les petits-trains derniers vestiges de ces bus à soufflets mis en place par le syndic d’initiative. S’ils font toujours autant de bruit ils ne cabriolent plus et ne circulent plus que sur terrain plat. Autant dire qu’ils ne servent à rien, c’est le folklore et on attend les drones qui eux sauteront de clochers en minarets… Peut être que les passages souterrains resserviront… Allez savoir ! 🐭