– Mamie, tu me racontes encore l’histoire de la cousine Routine
– Je te l’ai déjà racontée mille fois, petite Rouquine.
– Tu es drôle quand tu parles d’elle. Je l’aime bien ta cousine.
– Je t’ai déjà dit mille fois que je n’ai pas de cousine qui s’appelle Routine. Cette histoire, c’est une invention, un conte, une…
– Un conte ? Mais Routine n’est pas une reine, ni une princesse, encore moins une fée.
– Ecoute-moi attentivement, petite Rouquine, Routine n’existe pas. C’est comme une blague…
– C’est pas drôle. Et puis, arrête de m’appeler « petite Rouquine ». Est-ce que je t’appelle Mamie Blanchette ?
– Comme la chèvre de Monsieur Seguin ?
– La chèvre de Monsieur Seguin, elle s’appelle Blanquette et je…
– Ah ! Blanquette ! Ça me fait penser que je dois mettre à cuire la blanquette de veau pour demain.
– Tu peux donc attendre demain. Tu as toujours la manie de faire les choses avant l’heure.
– Tu dois savoir, petite Rouquine qu’avant l’heure c’est pas l’…
– Je la connais par cœur cette phrase. Tu la dis souvent. Encore une de tes manies.
– C’est bien pour ça qu’on m’appelle ainsi !
– Comment ?
– Mamie Manie, M-A-N-I-E. C’est mon surnom.
– Moi, je ne t’appelle pas comme ça.
– Je sais, petite ! Mais tes demi-frères oui.
– Ça te rend triste alors ! Mais, ta cousine Routine, c’est aussi un surnom ?
– Ah, oui ! Et ça lui va bien !
– Mais, je croyais que tu n’avais pas de cousine Routine.
– C’est aussi une blague. Bon, c’est bien tout ça, mais j’ai du travail maintenant ! Ton grand-père va bientôt rentrer. Tu n’auras qu’à lui demander qu’il te raconte une histoire !
– Une histoire de princesse ?
– En quelque sorte ! L’histoire de sa cousine Coquine. !…
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
Cousine Roue Roue Tine habitait à l’autre bout du monde. En pleine montagne avec son papa et sa maman.
À l’école elle n’y allait presque jamais. Préférant rouler avec son grand vélo, là-haut sur la haute colline. Zaï-zaï-zaï. Accompagnée d’un petit moineau. Toujours le même et paraît-il extrêmement âgé.
Un jour elle ne revint pas dans son village. Disparue elle et son moineau. Plus de trace non plus du grand vélo.
À cette époque on se déplaçait beaucoup avec ce moyen de locomotion. Dans le village de Roue Roue Tine et dans ceux avoisinants, les bicyclettes n’arrêtaient pas de crever, de rendre l’âme. À peine réparées, quelques mètres parcourus et puis puis un autre petit trou dans la chambre à air. Pschiiiitt.
Il fallait toujours réparer, regonfler les pneus.
Et puis un jour catastrophe ! Une pénurie de rustines s’abattit dans le pays.
Alors le curé du village de Roue Roue Tine, un dimanche à l’homélie évoqua on ne sait pourquoi, la belle et petite cousine Roue Roue Tine qui n’avait pas reparu. Et sans le faire exprès certainement il redit plusieurs fois la petite Rustine la petite Rustine. Qui n’est qui n’est plus, que le seigneur a peut-être repris dans ses bras.
L’assemblée présente s’esclaffa. Rustine Rustine ah ah que c’était joliment trouvé pour ce jeune curé de la ville.
Puis très vite après ce sermon on fit le lien entre la disparition de la petite Roue Roue Tine, les multiples crevaisons (des vélos) et la Pé pé nurie de rustines.
Ra ra ras pou tine aurait pu chanter Boney M il y a quelques années !
Au village on pria : Sainte Faustine, saint Joseph, sainte Roue Tine, sainte Rustine, saint Antoine, saint Michel … On ne sait jamais, il vaut mieux prier plusieurs saints que pas assez !
Malheureusement la petite ne fit pas son retour. On ne cessa de la pleurer.
Un jour un petit moineau arriva au village sur un petit vélo. Peut-être celui de la cousine Roue Roue Tine ou un autre, c’est vrai que les moineaux se ressemblent tous.
Il avait aussi un petit microphone.
Il chanta : « braves gens braves gens, ne vous en faites pas, la petite est partie loin d’ici. À l’autre bout du monde. Rejoindre son prince charmant. Elle vous transmet ses salutations ».
Vous savez elle roule toujours en vélo la petite Roue Tine.
Qu’elle est gentille la cousine Roue Roue Tine. Cui cui cui. Qu’elle est gentille et jolie !
Elle avait fait de la bienveillance son métier. Utiliser sa disponibilité pour autrui, sans distinction. C’était ça son but. Il s’agissait d’un choix personnel. Il n’est pas nécessaire d’imposer quoi que ce soit à celui ou celle qui se rend disponible. C’est superflu. Même l’imposition devenait un plaisir rendu à la société.
Elle avait réussi, ainsi à créer son monde personnel dans l’objectif précis aussi de se soustraire aux contraintes quotidiennes qui lui avaient été imposées par son éducation, puis par ce métier même.
La routine, la routine !
Lors du temps qu’elle consacrait aux soins, elle oubliaiat tout. Elle était concentrée sur ce qu’elle avait à faire en dépit des aléas qui ne manquaient pas d’être aux rendez-vous, tous les jours.
Elle parcourait jusqu’à des 200 km par jour. La route, la route in ! Elle était dedans tous les jours.
C’était devenu un plaisir harassant certes, mais tellement fratifiant au point qu’elle prit conscience que sa liberté avait ce prix. Elle avait fait de sa routine, sa liberté.
La cousine Routine habite dans un village qui s’appelle Saint-Zébulon-sur-Sambre.
Et le mois de novembre à Saint-Zébulon-sur-Sambre, c’est pas de la rigolade, croyez-moi !
Que l’on ait vingt ans ou nonante, on tremble, on a mal aux dents, on a les chocottes et les deux mollets qui s’entrechoquent.
Y’en a qui ont mal au ventre et d’autres qui errent dans les rues, le nez en l’air, pour essayer de retrouver leur chambre.
Y’en a qui obligent ceux qui ont mal au ventre à manger du gingembre ou à ingurgiter de la liqueur d’ambre.
Et puis y’en a aussi qui poursuivent « ceux qui obligent ceux qui ont mal au ventre à manger du gingembre » pour leur dresser une contravention salée.
Sans parler, bien sûr, de ceux qui boulottent des kilos de berlingots toute la journée pour tenter d’oublier tout ça.
Heureusement, une fois le mois de novembre passé, chaque Saint-Zébulonais et chaque Sainte-Zébulonaise peut recompter ses abattis et récupérer tous les membres de sa famille.
Puis petit à petit, reprendre une vie normale ou, tout du moins, qui semble normale aux yeux des honnêtes gens.
678/S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
Ah Cousine Routine paix à son âme ! on l’appelait comme çà car elle faîsait ce qu’elle avat à faire chaque jour à la même heure . Elle aimait répéter ‘Se coucher et se lever tôt
rend sage, riche et dispos ». C’était sa maîtresse , qui le tenait d’un écrivin anglais, qui lui avait glissé à l’oreille (la maline).
Elle allait à l’école quand elle était jeune ?
Bien sûr et elle était très fière d’avoir obtenu son certificat d’étude et aimait répéter qu’elle n’avait fait que trois fautes d’orthographe à sa dictée (au début de cet examen avec 5 fautes tu échouais)
Mais ses parents n’étaient pas riches et ils la placèrent comme domestique chez des Bourgeois (c’est ainsi que l’on appelait les femmes mariées qui restaient à la maison et prenaient des « bonnes » pour faire le ménage , la cuisine etc etc. Et là elle tomba folle amoueuse du patron. La femme de celui-ci le prit mal et la chassa un soir d’hiver.
On ne sut jamais ce qu’elle devint.
Pauvre cousine Routine ! Çà a dû être dure dêtre privée de routine.
Ce n’est certainement pas ce qui a été le plus terrible.
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
Et, comme d’habitude, Mamie Manie s’exécuta…
La cousine Routine avait épousé le cousin Train-Train qui était cheminot. Ils avaient eu une fille qui s’appelait Micheline. Mais celle-ci, avait déraillé et sans cesse ils étaient à essayer de raccrocher les wagons, ce qui n’était pas pour leur plaire : ils auraient préféré végéter plutôt que d’être obligé de prendre le TGV.
Mais un jour, Micheline décida de se racheter une conduite. Bien lui en prit : elle rencontra un contrôleur qui n’était point sonné et avait conservé un brin de bon sens. Ensemble, ils partirent à la conquête du monde à bord de l’Orient-Express. Après avoir convolé et s’être gondolé à Venise, ils poursuivirent leur périple jusqu’aux portes de l’Asie. Ne voulant pas jouer les pékins moyens, ils décidèrent de mener grand train. Mal leur en prit : à court de ressources, ils se virent contraints de rentrer en gare sous peine de finir sur une voie de garage.
La morale de cette histoire, est qu’avec l’habitude, il est difficile de changer d’attitude et qu’être agent ne signifie pas avoir de l’argent : rouler sur l’or n’empêche pas le dérapage…
– S’il te plaît, mamie Manie, raconte encore l,histoire de la cousine Routine.
– Alors il faut se dépêcher. Dans trente cinq minutes, elle sera là. Avec elle l’heure c’est l’heure. Dès le berceau cousine Routine a eu la poisse. Elle a grandi comme ça. C’est elle qui prenait les portes en pleine face, qui loupait les bordures de trottoir. Tout lui échappait des mains. Un moustique par ci, c’était pour elle, une seule huître toxique par là, c’était pour elle. Elle s’en moquait, elle riait toujours et faisait n’importe quoi.A l’époque c’était cousine Follette.. Qui plus tard est devenue cousine Guignette.
Mais pourquoi cousine Guignette ?
Comme elle avait toujours la guigne, elle compensait en levant un peu trop le coude. Un soir nous étions à La Rochelle à « La Guignette ». C’était une ancienne cave converti en bar. Les tables étaient des tonneaux et les sièges des caisses de vins retournés ou des tonnelets. A dix huit heures la cloche sonnait et on commandait des pots en plastique de vin blanc aromatisés à différents sirops. On buvait dans des verres ronds en pyrex qu’on devait taper sur le tonneau avant de faire cul sec. Bref l’ambiance bar bien aviné. Trop de cul sec ont donné envie à la cousine l’envie de danser. Elle a sauté sur le tonneau et bien sûr, est passée à travers. Çà n’a pas été une mince affaire de la sortir de là. Elle est alors devenue cousine Guignette.
– Maintenant c’est cousine Routine, pourquoi ?
– Ça c’est plus tard. Un soir au cours d’une fête où elle avait un peu trop dégusté le punch, elle est tombé sur le ventre de Pépé Ronfleur qui faisait un petit somme sur un banc. Pépé en a éructé son dentier qui s’est projeté sur les fesses à mamie Ronchon, qui, outrée, et sans chercher à comprendre a ouvert les bras et les mains et en tournoyant a mis en branle sa machine à baffes. Ça a dégénéré en bagarre générale et fini au commissariat. Comme il fallait un bouc émissaire, toute la famille lui est tombée dessus. Même son chéri l’a laissé tomber en disant qu’il ne supportait plus cette famille de dingues. Ça l’a définitivement éteinte. Elle ne veut plus de surprise et croit qu’une routine de fer lui permet de tout contrôler. Mais elle ne rit plus, y’a plus d’éclat dans son regard. Elle s’ennuie à mourir. Et voilà pourquoi Follette, Guignette, et maintenant Routine.
– Avec toi, mamie Manie, parfois on s’agace mais on ne s’ennuie pas.
– C’est une autre histoire. Ça a sonné. Va ouvrir. Et n’oublie pas de lui faire mettre les patins et vérifie que tu as bien fermé la porte.
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
-D’accord. Couche toi confortablement comme d’habitude…Voilà, laisse-moi une petite place.
Il était une fois, une petite dame toute rondelette qui sentait bon le chocolat. (oui elle, c’est moi). C’est du moins ce que me disait ma petite cousine qui passait une bonne partie de ses vacances ici. J’ adorais cette petite, arrivée tardivement dans la famille. C’était la fille de ma plus jeune cousine et dès son plus jeune âge, elle adorait pointer le bout de son nez dans la maison de sa cousine Manie. A chaque fois qu’elle venait, le même cérémonial se répétait. Je lui ouvrais la porte en lui lançant ; » comment va ma merveilleuse princesse ? » et invariablement elle répondait : « ça ira mieux après un bon chocolat chaud » Eté comme hiver, la demande était la même ! J’essayai bien une ou deux fois au cœur de la fournaise de l’été de lui proposer une citronnade pour la désaltérer mais il n’en était pas question, la routine a du bon ! C’est ce qu’elle se mit à répéter dès qu’elle comprit le sens de ce mot qu’elle adorait faire rouler sous sa langue bien pendue. Pendant les semaines d’école, elle m’envoyait toujours un message le mercredi, attention, pas le mardi ni le jeudi, non, le mercredi ! qui disait : n’oublie pas de me préparer mon déjeuner préféré : purée, saucisse et en dessert crème au chocolat ! Nous adorions ça ! Nous retrouver le week-end, dès le samedi à 10h pétantes n’était absolument pas négociable ! Elle avait une façon bien à elle de faire chanter la sonnette et j’adorais le bruit de ses pas quand elle marchait dans le couloir. Même quand les années lui ont fait le pas un peu plus lourd, je savais que c’était elle. Après le repas, nous jouions aux cartes, au rami plus précisément. Et attention, seule notre règle du jeu prévalait. Elle s’offusquait très régulièrement face aux autres enfants et adultes qui ne suivaient pas la stricte règle transmise dans la famille depuis des générations. On ne joue pas avec les principes fondamentaux ! Notre week-end suivait invariablement le même rythme et je trouvais très touchant son obstination à dérouler notre petite vie comme un jour sans fin mais avec tant de joie et de bonheur.
Elle avait aimé le petit surnom que je lui avais donné le jour de ses cinq ans « cousine Routine » quand elle m’avait confié que le plus beau des cadeaux que je puisse lui faire c’était d’être toujours la même et de ne rien changer à nos retrouvailles de fin de semaine. Je me suis toujours très appliquée à ne pas la décevoir. Et quand le temps commença à s’immiscer entre nous, je sus qu’il fallait tourner une page mais pas complètement. Je savais qu’elle ne resterait pas trop loin de moi…Et quand tu es arrivé à ton tour, il fut bien inutile de se dire que tous les rituels de nos routines seraient toujours là.
-mais dis pourquoi déjà je t’appelle Mamie si tu ne l’es pas ?
-ça tu sais, c’est une autre histoire et c’est ta maman qui te la raconte.
-oui c’est vrai, c’est une autre routine mais ce n’est pas la nôtre !
-exactement mon petit !
-A demain Mamie. pour le chocolat chaud et le rami. Et une petite madeleine ? C’est ma petite touche personnelle. Je la rajoute à la routine.
-oui je sais.
-je t’aime Mamie
-je t’aime aussi !
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-nous encore l’histoire de la cousine Routine !
Luc et Sophie sont en vacances chez leur Mamie. On est en 1960 et à cette époque on se couche tôt. Mamie a une habitude à laquelle elle tient depuis que ces petits enfants viennent dormir chez elle. Elle leur raconte une petite histoire une fois qu’ils sont au lit.
Ils ont pris l’habitude que Mamie leur conte une anecdote de son enfance. Difficile pour elle de déroger à ce rite du soir.
Dis Mamie, tu nous racontes l’histoire de la cousine Routine, dit Luc, d’accord ajoute Sophie, mais avant tu nous racontes pourquoi on t’appelle Manie.
Mamie se gratte la tête, vous êtes bien exigeants ce soir, l’histoire de la cousine est déjà bien longue, et je vous l’ai déjà racontée plusieurs fois. Mais bon, vous avez été sages alors je vais vous obéir. Les enfants se calent au centre de leurs oreillers respectifs. Sophie prend sa poupée dans ses bras, Luc porte son pouce à la bouche…mamie a promis, on ne dira rien aux parents….
Quand j’étais petite, au début du siècle, j’étais une enfant très ordonnée, à l’époque on n’était pas très exigeant avec l’ordre et le rangement. Moi, je me suis toujours fait remarquer, à la maison comme à l’école par des habitudes bien précises. Je mettais mes chaussures et mes chaussons toujours à la même place, ma cuillère et ma fourchette devaient être placées toujours de la même façon à côté de mon assiette… je ne vais pas vous faire la liste, car j’avais plein d’habitudes comme celles-ci. Un jour mon père ne put s’empêcher de dire, notre Marie, elle en a des manies !…. mes frères toujours prêts à m’embêter répliquèrent : oh la Manie, la Manie…. Mon père tapa un coup sur la table pour les faire taire, mais leur remarque arriva aux oreilles des voisins et des enfants de l’école, et en peu de temps je suis devenue la Manie, il faut dire que jusqu’à aujourd’hui dans nos villages on donnait souvent des surnoms, ou on appelait les gens par leur deuxième prénom. Il y a une habitude qu’on n’arrive pas à perdre encore actuellement, c’est de mettre ‘’le’’ ou ’’la’’ devant le prénom … je ne sais pas si c’est très français mais personne n’y trouve à redire, et quand on retire cet article, eh bien ça fait tout drôle, on a l’impression que l’on ne parle plus de la même personne.
Et la cousine Routine, dit Luc, tu ne l’oublies pas ?
Non mais laissez-moi prendre mon temps répliqua mamie Manie.
Ah la cousine Marguerite qu’on appelait la Routine, c’était un phénomène. Dès qu’à huit, neuf ans elle a su faire du vélo sur la grande bicyclette de sa mère, il faut dire qu’à l’époque les enfants n’avaient pas de petits vélos, elle pédalait en se déhanchant sur le vieux clou, le maitrisant comme elle pouvait. Elle arrivait à quatre heures et demie précises quand on avait classe et à dix heures précises quand on était en vacances. C’était l’occasion pour elle de venir jouer avec moi mais aussi de manger un quignon de pain en guise de goûter car chez elle, on était bien pauvres.
Un jour mon père qui n’était pas avare de bons mots dit à table, ah la Marguerite et la routine ça ne fait qu’un !…. mon père avait son certificat d’étude et on disait de lui qu’il parlait bien….. Mon frère François qui n’avait pas compris son jeu de mot dit : ça veut dire quoi ? et ben t’as pas remarqué qu’elle arrive toujours à la même heure et après avoir guigné la comtoise elle repart toujours à la même heure. On n’a qu’à l’appeler Routine dit mon autre frère. Comme pour moi le surnom fit le tour de village et la Marguerite devint la Routine.
Routine avait deux frères, Joseph et Fernand. Leurs vieux parents décédés, ils continuèrent de vivoter tous les trois sur les maigres revenus de la petite ferme. Joseph qui était très paresseux, passait la majeure partie de son temps dans le fauteuil de son père une fois les deux vaches traitent. IL occupait ses journées à lire des almanachs, à parcourir le dictionnaire…. Sa seule activité était de prononcer quelques bons mots qui eux aussi faisaient le tour du village. A l’époque il n’y avait pas de radios, alors la moindre distraction était bonne à prendre. Un jour il dit à son frère, avec ses cheveux blonds roux, ce n’est pas la Routine qu’on devrait l’appeler, mais la Roustine.. ah ah… se fendit son frère, voilà qui lui va bien parce que pour ce qui est de la routine concernant le ménage on peut dire qu’elle oublie souvent l’heure !…. oui mais le fricot est sur le feu à 11h30 précise ajouta Joseph, tu parles répliqua Fernand, une fois c’est le lapin qu’est pas cuit, une fois c’est le bout de lard qu’est roussi … oui ta raison la Roustine voilà un nom qui lui va à merveille.
Roustine avait une vie bien réglée, le dimanche à dix heures c’était la messe à quatorze heures elle retournait aux vêpres. Le vendredi à neuf heures elle était présente sur le marché, à trois heures elle faisait déjà fondre la cancoillotte pour la semaine. Tous les jours elle passait me voir à la même heure.
Un jour le vieux médecin lui dit, on n’a pas d’infirmières et moi je ne peux pas me déplacer pour faire les piqures, je vais t’apprendre à les faire.
A partir de ce jour tous les matins à 8h, elle enfourchait son vélo, munie de sa boîte de seringues. Elle allait faire les piqures de pénicilline aux malades de plusieurs villages.
Les pneus de son vélo étaient souvent lisses et les routes qui n’étaient que des chemins de terre battues, obligeaient la Roustine à zigzaguer entre les flaques d’eau et les bouses de vaches. Immanquablement elle passait sur un caillou ou des ronces.
Un jour que le Fernand en eu assez de réparer son vélo, il se fâcha : mais cette nouille de Roustine, c’est Rustine qu’il faut l’appeler et c’est comme cela…
Mamie leva les yeux, Sophie dormait à poings fermés et Luc lutait tant bien que mal en clignant des yeux. IL se tourna et sombra à son tour dans le sommeil.
La grand-mère descendit l’escalier sans faire de bruit, une fois à la cuisine, elle ne put s’empêcher de dire : je crois qu’ils ne connaîtront jamais la fin de l’histoire !…
Geneviève T. (petite chronique franc-comtoise)
Ah ah, ça me rappelle ces histoires que je racontais à mes enfants avant le dodo, quand ils étaient tout petits. Eux aussi, s’endormaient parfois avant la fin. Ton histoire m’a amusée. Merci Geneviève.
─ S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
─ La cousine Routine avait l’habitude toutes les veilles de Noël de proposer une table recouverte de trois nappes blanches, pour y déposer les treize desserts de Noël. C’était une tradition dans sa famille qui se transmettait de mère en fille, de tante en cousine.
─ Pourquoi treize ?
─ Pour symboliser le dernier repas de Jésus avec ses douze apôtres plus lui cela faisait treize.
─ Ah bon je croyais qu’elle était juste gourmande !
─ Si elle l’était depuis l’incident des treize desserts, elle ne l’était plus. Donc, elle avait commencé le rituel depuis le début décembre. Elle avait ramassé des pommes de pins, coupé des branches de houx, ressorti de la cave noix et noisettes, figues et raisins secs, quelle avait remisés pour l’occasion et là, la malheureuse avait trouvé trois gros rats repus à l’abdomen bien rempli. Ils s’étaient rassasiés des trésors qu’elle avait mis de côté pour les treize desserts. La surprise passée, elle avait constaté que les gourmands avaient eu leur dernier repas avant de rendre l’âme et chose étrange, toutes leurs petites dents étaient éparpillées autour d’eux. Les cousins Foldingue et Imprévu qui détestaient Noël et les desserts. Ils raffolaient de saucissons, pâtés, boudins, le blanc de préférence avaient en horreur les listes codifiées de la cousine Routine, toujours les mêmes activités, décoration, confection de cartes de Noël, de bonhommes de neige, Illuminations, vin chaud et j’en passe sans oublier le grand rituel des treize desserts. Ils en en avaient assez de ce même refrain de et des mêmes chansons à longueur de journée. Eux préféraient vraiment l’inattendu, le surprenant, l’effervescence face à l’inconnu. Donc, ils avaient vaporisé une substance sur les réserves de la cousine Routine. Cela devait l’endormir ainsi que tout ceux et celles qui se laisseraient tenter par les noix, les figues, les raisins sec ect… bref que des gourmandises sucrées. Seulement Foldingue et Imprévu avaient abusé du vin chaud et s’étaient trompés dans le dosage et les ingrédients de la potion, si bien que l’orgie des rats, trop heureux de trouver à manger à cette période de l’hiver, leur avait été fatale. Depuis ce jour, la coutume des treize desserts est tombée aux oubliettes. Les jeunes couples n’y pensent plus. Tu vois tes parents n’y pensent même pas.
─ Mais pourquoi les rats ont-ils perdus leurs dents ?
─ Il se dit, que trop de choses sucrées d’un coup, ça aurait fragilisé leurs gencives. C’est pour cela petite chipie que tu vas filer te brosser les dents avant de dormir sinon toi aussi demain tu pourrais avoir toutes tes dents éparpillées dans ton lit.
─ Bin mamie Manie, c’est toi qui me donnes un morceau de nougat ou un chocolat tous les soirs lorsqu’on regarde un film toutes les deux ou que tu me racontes une histoire. En fait tu me fais les treize desserts mais un par soir.
Ah, la monomanie de Mamie Manie, nous chuchotant chaque soir l’histoire, au fond des bois de nos lits ! Sans jamais déchoir, tard le soir. A l’heure du chut, dormez les enfants, elle nous chahutait le sommeil avec son histoire sans fin d’un écho sans chute.
C’était toujours le souvenir de la cousine Routine, celle qui escaladait sans cesse son escabeau à l’heure où les moutons bêlent. Tout ça pour torchonner les carreaux. Toujours, à l’heure où les chevêches pensent à faire leur lit, la cousine Routine montait dans le train-train de sa manie. L’enfantine cousine chaque soir chutait de son perchoir. Elle se croyait déchue à choir ainsi sans espoir.
Son mari, Raymond, un ravi moustachu chipotait sur le choix du perchoir.
Mais la cousine cabotine cheminait chaque soir sous la charge de son chez-soi.
Elle montait, tombait et pleurait toutes les chagrins de son corps. Chaque chiche mouchoir se changeait en chalut, chaviré du salé.
Même si Raymond se devait de la choyer, à la fin, il se contrefichait de son charme.
Raymond faisait sa tête de veau et sortait.
Accoudé au comptoir de son nouveau dortoir, il chantournait son charabia. Plus question de chercher Routitine.
Au bar du chat châtré, il osait chanter sur un air de sa rogne (ou de charogne !)
« Forcément, les histoires de bonne femme, ça n’a ni queue ni tête ! »
S’il te plaît, Mamie, raconte-moi l’histoire de la cousine Routine.
– Attends que je m’en souvienne. Ah oui ! Nous l’avions affublée de ce surnom quand nous étions gosses. Déjà, elle était maniaque. Elle ne voulait pas jouer avec nous pour ne pas salir ses jolies robes et pour ne pas déranger ses anglaises que sa mère lui faisait tous les matins.
– C’est quoi des anglaises ?
– Ce sont des boucles de cheveux que l’on faisait à l’aide d’un fer à friser.
– Ah oui ! Tu me l’avais déjà expliqué, mais j’avais oublié. Après, elle faisait quoi ?
– Elle faisait sa maline avec ses idées fixes et elle en devenait ridicule. Elle savait tout mieux que personne, alors à force, on l’ignorait. Ensuite, elle allait chouiner dans les jupes de sa mère et je ne te dis pas les embrouilles dans la famille. Nos parents nous grondaient et nous forçaient à l’accepter dans nos jeux. Elle était riche et n’a jamais eu le besoin de travailler. Elle n’avait pas d’amis et restait recluse chez elle. On la voyait sortir à 7 heures tapantes pour faire ses courses et fermer ses volets à 18 heures 30, quelle que soit la saison. À cause de sa rigidité, elle ne s’est jamais mariée. Un prince charmant avait tenté sa chance auprès d’elle, mais il n’a pas tenu trois jours avec ce chronomètre. Elle éteignait sa télé à 22 heures précises, même si l’émission ou le match de foot n’étaient pas terminés. Parfois, nous l’invitions à déjeuner, mais elle s’en allait avant la fin du repas sous prétexte qu’elle faisait sa sieste à 14 heures.
– Tu m’avais pas raconté son prince charmant ni le truc de la télé ni celui de sa sieste, la dernière fois. Et chaque fois tu la racontes pas pareil.
– Ah bon ! À mon âge, je perds parfois la mémoire. Je devrais les écrire mes histoires.
– J’adore quand tu me la racontes cette histoire, on dirait que c’est celle de « un jour sans fin. »
– Il est bien triste ce conte ; elle n’a pas profité de sa courte vie, la cousine. La routine l’a tuée. Un matin, elle s’est fracturé le crâne sur une plaque de verglas, pour aller chez le boulanger à 7 heures tapantes. Comme si elle n’avait pas pu attendre le dégel. En plus, elle avait de ces manies exaspérantes, cette pauvre femme, comme de se curer les ongles à table avec son couteau.
– Beurk, c’est dégueu ! Dis mamie, je peux te dire un secret ?
– Bien sûr, ma poupée. Les mamies ont été créées pour écouter tous les petits secrets de leurs petits-enfants.
– Tu sais quoi ! Avec mes cousines, on te surnomme Mamie Manie.
– Ah bon ! Et pourquoi ?
– Parce que t’as la manie de faire claquer ton dentier quand tu parles et c’est trop rigolo.
– Je comprends mieux maintenant pourquoi tu me fais raconter toutes ces histoires que j’invente au gré de mon imagination. Et moi, j’adore ta franchise.
Kenneth Bridge, Président de Marvel Studio, venait ainsi d’introduire de façon directe, comme à son habitude, la réunion de fin d’année avec l’ensemble de la Direction Artistique.
– Les chiffres ne mentent pas. Notre part de marché est en déclin chez les 10-34 ans, qui sont, je vous le rappelle, notre clientèle principale. La population vieillit et du coup, notre part de marché également. Nos clients se lassent de plus en plus rapidement de nos super-héros qui ne se démarquent pas suffisamment. Bref, il nous faut un nouveau super-héros et un bon. J’écoute vos propositions. Jeff, à toi!
Jeff Stelbrook, en charge de la création des personnages se senti un peu coincé. Ses collaborateurs ne l’avaient pas préparé à répondre à ce genre de question directe et son adjointe qui aurait pu l’aider à se sortir de cette désagréable situation était en retard. Il ressortit donc sa cassette habituelle…
– Nos excellents créateurs sont à l’œuvre, Kenneth et nous prévoyons présenter une panoplie de nouveaux super-héros, dès le prochain trimestre. Je suis confiant qu’on arrive à renverser la tendance et créer un buzz incroyable.
– Trop peu, trop tard, Jeff, désolé. Samantha, ton avis?
Samantha Goodman, Vice-Présidente au contenu cinématographique, pris la parole.
– Haheummm…Je voudrais d’abord vous présenter nos derniers résultats, suite au lancement de la série Avenger sur les plateformes de Streaming. Vous allez comprendre qu’il s’est passé un changement significatif au cours de la dernière année et….
La porte s’ouvre soudainement et Julia, lunette sur le bout du nez et les bras plein de dossiers franchit la porte et toutes les têtes se tournèrent vers elle.
– Heu…désolée pour mon retard, j’ai été retardée par des problèmes, heu, personnels et mon Uber a eu une crevaison en route.
Julia Beaudoin, adjointe principale de Jeff Stelbrook, était en charge de coordonner le travail des créateurs, pendant que son patron courait les conférences, les restos et le bon vin.
– Encore en retard, Julia. C’est une très mauvaise habitude. Il va falloir vous y mettre et rapidement. Je ne tolérerais plus ces écarts.
– Oui, désolée encore, vous avez raison. Répondit Julia en posant ses dossiers sur la table. D’ailleurs, j’espérais pouvoir vous présenter aujourd’hui quelque chose qui pourrait vous intéresser.
– Julia, retorque le Président, aujourd’hui, ce que je veux, c’est un nouveau Super-Héros. Rien d’autre!
– Oui, oui, bien sûr et heu, oui, en fait, ça tombe vraiment bien, parce que c’est ce dont je voulais vous parler.
– Ah? Je vous écoute!
– Oui et bien voilà…Je suis toujours en retard, vous le savez. Mon équipe le sait, bref tout le monde le sait et j’ai beau essayer tous les trucs et méthodes possibles, je n’y arrive pas. On rigole dans mon dos à cause de cela. La semaine dernière, Louis, un de nos créateurs est venu me consoler, en me disant que l’on avait tous une mauvaise habitude dont on n’arrivait pas à se défaire. Pour moi, c’est d’être à l’heure, pour d’autres, c’est la cigarette, l’alcool, le jeu, la sédentarité, la malbouffe, pour les serial killer c’est tuer les gens, etc…Bref, il m’a dit que ça l’avait inspiré à créer un nouveau personnage, complètement hors champs par rapport à nos personnages habituels, mais un personnage qui aurait le potentiel d’aller chercher une plus large clientèle, bref, pratiquement tout le monde.
– Continuez, vous m’intéressez.
– Oui, je continue. On dit qu’il faut persister trois semaines pour adopter un nouveau comportement et que par la suite, ça devient un acquis au point tel, où, pour le cerveau ça devient plus facile de continuer que d’arrêter. Un peu comme la loi de l’inertie. Un mouvement est difficile à mettre en route, mais une fois que c’est parti, ça demande plus d’énergie pour l’arrêter. Donc, notre super-héros, aurait des super-oreilles pour entendre toutes les demandes sur la planète et se téléporterait instantanément pour venir aider, coacher la personne en difficulté en lui proposant un plan pour remédier à sa mauvaise habitude, mais aussi l’accompagner pendant trois semaines pour que ça devienne un acquis. On en ferait un show genre télé-réalité, mais basé sur des cas biens réels. Je sais que c’est complètement hors-champs, par rapport à nos super-héros habituels, mais moi, si j’avais accès à un tel super-héros, je pense que ça me permettrait de conserver mon emploi chez Marvel et c’est un super-héros que j’adorerais rencontrer. Les parents pourraient même en faire un personnage comme la fée des dents et raconter ainsi de belles histoires à leurs enfants au moment du dodo, tout en leur donnant des outils qui leur seront utiles toute leur vie d’enfant et d’adulte.
– Hummmm…Intéressant. Comment s’appellerait ce personnage et à quoi ressemblerait-il?
– Ce serait un personnage sympathique, une dame souriante d’une cinquantaine d’années, mais avec un costume de super-héros super-cool tout en vert signe d’espoir et avec un gros R signifiant l’importance d’adopter une routine, soit pour acquérir une bonne habitude, soit pour se défaire d’une mauvaise.
Mamie Manie, raconte moi encore l’histoire de la cousine Routine.
Il était une fois une cousine que tu n’as pas connue. C’était la fille unique de mon frère Monotone et sa femme Tatillonne.
Un joli bébé sans surprise, faisant des dents sans rechigner, marchant à l’âge requis. Routine fit des études sans histoire.
Après le bac , elle choisit une filière comptabilité et obtint son C A P avec mention assez bien.
Embauchée dans une société de bonne réputation, Routine commença, habitant toujours chez ses parents, sa vie professionnelle.
Lever : 7h32, le bus 28 de 8h15 jusqu’à République, dix minutes de marche à pied, trottoir de gauche où, dans la vitrine de l’horloger, s’ alignaient réveils et pendules tous à l’heure exacte.
Neuf heure trois, elle était assise derrière son bureau, lunettes sur le nez, comptabilisant efficacement
A midi elle mangeait seule le repas préparée par Tatillonne, ses collègues ne l’appréciant guère. Un collègue, Jean Foutiste partit en retraite, remplacé par un jeune homme tout droit sorti de l’école de comptabilité fréquentée par Routine.
Elégant, bel homme, il devint la coqueluche de ces dames, Routine excepté, mais il semblait en faire fi. Ponctuel, à 9h05, pour travailler jusqu’à l’heure de la pause déjeuner….
– Oui, oui mamie, c’est le moment que je préfère. Il mangeait à côté de ta cousine et lui a proposé un morceau de tarte aux pommes
– Exact, elle l’a accepté avec timidité et….
– De fil en aiguille…
– Ils sont tombés amoureux.
– Tu la connais par coeur! A partir de ce moment là, ils n’eurent d’yeux que l’un pour l’autre.
Ils arrivaient en retard, se bécotaient dans les archives,, s’échangeaient des dossiers avec des regards langoureux.
Routine, à trente deux ans, semblait rajeunie, soignant sa tenue, les cheveux coupés, elle se permettait même un rose à lèvres nacré! Ses parents ne la reconnaissait plus, elle se faisait attendre pour les repas, avait changé les meubles de place, chantait sous la douche.
Puis un soir, elle est rentrée les yeux rougis par les larmes, sans un mot ,reniflant avec tristesse.
– Oh, je n’aime pas ce passage, c’est quand l’élégant n’a plus eu d’yeux que pour une nouvelle nommée Pitchounette
– Hé oui mon petit, Routine devint une » vieille fille », insignifiante, ponctuelle et efficace.Je sais qu’elle a vécu dans la maison de ses parents après leur mort, mais je ne l’ai guère revue.
– C’est triste. Dis donc mamie, ce ne serait pas l’heure de la verveine avec tes délicieuses madeleines ?
– S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
– Tu la connais déjà, cette histoire ma Biche.
– STP Mamie…
– Bien. Tu te souviens que Routine vivait à la montagne ?
– Oui, dans une ferme.
– Bien. Routine est née dans cette ferme alpine et y a séjourné toute sa vie.
Elle ne l’a pas choisi mais cet endroit lui plait beaucoup. L’air y est doux, le bourdonnement des insectes très présent. Les taons la reniflent.
La ferme est composée de plusieurs bâtiments posés sur le sol pentu. Les parents et frères de Routine vivent là aussi. Routine prend plaisir à explorer tous les recoins parfumés de la ferme à chaque retour de la pension où elle est scolarisée :
Les deux chevaux de traie dans une prairie, la porcherie et la truie au repos, le hangar à foin au-dessus de l’habitation, le poulailler, le local du four à pain. Seules deux vaches sont sur place en été.
Les vacances passent vite. Routine apprécie de redécouvrir son décor à chaque retour.
Elle aime la régularité des taches en fonction du cycle des saisons et des habitudes de chacun : humains comme animaux. La traie des vaches chaque soir au retour du pâturage. Elle commence toujours par traire la Noireaude. C’est la plus grande des bêtes que l’on installe à côté de la porte de l’étable. La cueillette des œufs, chaque matin est aussi un grand plaisir. La cousine aime le parfum du poulailler et la fête que les volailles lui font lorsqu’elle arrive. Routine a l’impression que le concert du petit jour lui est alors donné. Rouler et glisser dans les empilements de foin de la haute grange est son toboggan personnel. Chaque lieu, chaque action lui rappellent d’autres souvenirs plus anciens et développent ses sens :
Le parfum des bêtes, de leur litière, celui du lait chaud dans le seau, des haies, des baies et fleurs sauvages…
La musicalité des clarines au cou des troupeaux, des clochettes au col des chevaux, les aboiements qui résonnent entre les cimes ; le caquetage des poules et canards, les cloches de l’église au loin, l’affutage des lames sur la roue de pierre, le jet du lait trait qui touche la paroi du seau métallique…
Les pelages soyeux et chauds, le malaxage de la terre glaise près du cours d’eau, la pierre chauffée au soleil sur laquelle les cuisses viennent s’asseoir…
Le goût du gros pain découpé en longues tranches recouvertes de confiture, les fruits mûrs et juteux cueillis sur les arbres….
Les rais de lumière obliques à l’entrée des bâtiments brillent de milliers d’éléments en suspension…
Oui, Routine aime la régularité de la vie au sein de la nature. Elle a vu de nombreux animaux y naître et mourir.
Elle sait qu’il en sera de même pour elle, qui perd maintenant la mémoire.
L’autre jour, elle voulait évoquer cette plante sauvage qui grimpe le long des fourrés et était incapable d’en retrouver le nom. Son frère l’a aidée, éloignant un instant de stress provoqué. Depuis, ce jour, Routine tente régulièrement de se remémorer le nom de la plante. Souvent sans succès. Un moyen mnémotechnique de son invention devrait l’y aider : « le liseron » qu’elle rapproche du prénom « Lise » qui commence de la même manière, mais la réussite n’est pas souvent là…
Tu sais ma Biche, les absences de mémoire de Routine nous atteignent tous, aux moments de la vie, où souvent, nous sommes isolés et inquiets de perdre nos capacités physiques et psychiques. Il faut le savoir, même à ton jeune âge. Si tu apprivoises ces modifications qui mènent à la vieillesse, tu seras moins craintive de voir les gens que tu aimes se transformer. Moi, comme cousine Routine, je change mais mon amour pour toi reste intact. Si un jour je ne suis plus capable de te raconter la vie de Routine à la ferme, tu pourras peut-être à ton tour me la raconter et sans doute cela me fera-t-il le plus grand bien.
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
J’adore cette manie que nous avons tous les deux de répéter 100 fois la même histoire. Tu la connais par cœur et tu souries d’avance. Une jolie habitude, dit mamie Manie à son petit-fils Rituel.
Ma cousine germaine Routine, ce samedi-là, à son habitude partit au marché avec son panier d’osier.
Depuis 30 ans, elle n’en n’avait raté aucun. Une routine, certes, mais utile. Elle y achetait ses courses pour 2 ou 3 jours. Et surtout, comme des rendez-vous pris, elle y rencontrait du monde. Elle connaissait tout le monde. Tout le monde ? demanda Rituel étonné.
Oh pratiquement ! et si elle croisait un inconnu, elle le saluait aimablement.
Elle achetait ses commissions toujours dans même ordre. Pain et sa petite brioche, poissonnerie où elle attendait patiemment en bavardant. C était ce qu’elle aimait, bavarder, sourire, écouter…
Sa routine depuis sa naissance, d’où son prénom, c’était la relation !
A sa naissance, elle avait souri à la sage-femme.
Après avoir échangé avec la poissonnière au sujet de ses enfants et ses douleurs au genou, elle allait chez le boucher. Ventrêche et jambon. Le même poids chaque fois. « Et bien pesé ma pte dama » Puis, elle s’attardait à saluer la marchande de vêtements pour lui parler de ses chiens.
Elle croisait une copine, une connaissance, un chien, un enfant… elle avait toujours quelque chose à dire et à entendre.
Mais sa routine hebdomadaire préférée c’etait quand elle rencontrait tous les samedis depuis 18 ans sa meilleure amie. Bisous et embrassades. Et bras dessus bras dessous, elles continuaient le marché ensemble.
Une petite halte chez le libraire pour un café ! Un rituel sur la terrasse au soleil. Elles badaient avec plaisir. Écoutaient les bruits du marché. Les odeurs, les couleurs… Saluaient de la main une connaissance.
« c’est drôle au marché, l’interrompue son petit-fils, les gens sont joyeux. Oui, dit mamie Manie, la cousine Routine disait cela aussi. Ici, on papote, on échange, on s’embrasse. Tout semble léger.
Quelle belle habitude que la joie partagée !
Ma cousine avait des routines et moi des manies comme tu le sais.
La manie de faire plaisir, par exemple, de manger des bonbons le soir.
On s’entendait bien toutes les deux.
Manie et Routine dans le même bateau et elles ne tombent pas l’eau !
– S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
– Tu sais que ma cousine est née, comme moi, et comme toi mon petit hêtre adoré, à Morez. Notre famille est originaire de cette vallée jurassienne et nous y sommes tous très attachés. Cousine, bien plus que nous autres. Alors, quand elle a été envoyée travailler dans une ferme de Normandie, elle n’a plus été la même…
– Elle a été triste de partir ?
– Oh, plus que ça ! Elle était meurtrie. Et le voyage n’a pas été de tout repos pour elle, c’est le moins que l’on puisse dire. Le chauffeur de la camionnette qui s’était proposé de l’emmener, un marchand de poires qui prospectait dans le coin, affectionnait le calva sans modération. Un matin, très tôt, alors qu’il chantait à tue-tête, il ne vit pas qu’un sanglier traversait la route et il le percuta de plein fouet. Le véhicule s’est retrouvé sur son flanc gauche et a glissé en tournant comme une toupie, sur au moins cent mètres. Cousine a brinqueballé car elle n’était pas attachée – la sécurité routière à l’époque ça n’existait pas tu sais – et elle a eu le pied droit cassé. Je pense qu’elle a eu très peur et c’est à partir de là que quelque chose s’est détraqué en elle.
– Elle a été à l’hôpital des pieds cassés ?
– Oh non, il était trop loin de l’endroit où c’est arrivé. La famille chez qui elle devait aller, a été mise au courant de l’accident et a envoyé leur fils pour récupérer cousine. Il est arrivé deux jours après et a décrété que ce n’était pas si grave, qu’elle pourrait finir le voyage sans qu’on s’occupe de son pied tout de suite.
– Pauvre cousine, elle a du avoir mal.
– Heureusement, elle n’avait pas à marcher et le fils des fermiers l’avait installée avec plus de prévoyance dans sa fourgonnette, calant son pied de façon à ce qu’il ne bouge pas, et il l’avait même emmitonnée dans une couverture. Ainsi, elle a terminé son périple avec plus de confort, son pied ne lui faisait pas trop mal, mais son âme, elle, était la plus endolorie. Elle se sentait seule et fragile.
– Il était gentil le fils des fermiers de là-bas ?
– Oui, c’était un jeune homme au caractère doux malgré la rustrerie de son éducation. Cousine appréciait sa présence. Après leur arrivée à la ferme, il s’était bien occupé d’elle. Il avait réussi à la faire marcher quand tout le monde pensait qu’elle ne le pourrait plus et il savait la remonter quand elle était au plus bas. C’était un personne précautionneuse.
– Cousine l’aimait bien ?
– Énormément. Mais, ce seul réconfort fut de courte durée. Quelques semaines après l’arrivée de cousine dans le Calvados, la guerre a appelé ce jeune fermier dans de ses rangs. Avant de partir, il l’a longuement regardée et il lui a dit « Le temps continuera toujours de s’écouler, avec ou sans moi, alors ne t’arrête jamais de compter les jours qui nous séparent de mon retour ».
– Elle a encore été meutie cousine ?
– Meurtrie tu veux dire, mon chéri. Oui, et chamboulée, encore une fois.
– Et il est rentré quand ?
– Jamais.
– Pourquoi il est pas revenu ?
– Il est mort. Pour son pays.
– Et cousine, elle a su qu’il est mort ?
– Oui et non. Elle est dans le déni, elle l’attend toujours.
– Et elle, pourquoi elle est rentrée ?
– Ce sont les fermiers normands qui ont décidé de la rapatrier. Ils connaissaient l’attachement de leur fils pour elle alors, en sa mémoire, ils l’ont mise à la porte proprement. A vrai dire, ils ne la supportaient plus. La voir plantée dans un coin d’une pièce, immobile et silencieuse toute la journée, encore ça ils le toléraient. Bien qu’elle n’était plus d’aucune utilité à la ferme. Mais l’entendre tous les soirs, à minuit pile, gémir et résonner dans toute la maison, les rendaient fous.
– On peut pas soigner son chagrin ?
– Personne n’y est jamais parvenu. Elle est pourtant passer entre les mains de professionnels chevronnés, de spécialistes en tout genre. C’est un mystère pour toute la profession. C’est un mal irréparable, qu’ils disent. Elle ne sort de son mutisme qu’à minuit, perpétuellement, inlassablement, sans l’intervention de quiconque.
– C’est pour ça qu’on l’appelle cousine Routine ?
– Oui, car elle n’est dirigée que par sa propre routine, le temps se compte en jours pour elle, alors que pour nous les heures et les minutes défilent naturellement.
– Je l’ai vu hier quand je suis allé à l’atelier. Elle a l’air tellement malheureuse.
– Au moins, elle est revenue à la maison, j’aime croire que c’est un réconfort pour elle.
– Mais qu’est-ce qu’elle est belle !
– Oui c’est vrai. C’est une très belle horloge comtoise.
– Et toi mamie, pourquoi on t’appelle mamie Manie ?
– Oh ça mon petit, c’est parce que j’ai la vilaine habitude de sonner mes heures un millième de seconde en avance. J’aime être la première à tinter.
EQUIN SYBILLIN
Difficile de résister à l’attraction du cheval, surtout quand le manège de chevaux de bois offre un tour gratuit. Un forain philanthrope, lors de la foire de printemps, invitait les enfants des écoles. Il exploitait un manège qui serait maintenant inscrit au patrimoine mondial ou titulaire à Luna Park. Décor et musique de la belle époque, la piste mue par la courroie de transmission d’une machine à vapeur, une cavalerie en bon ordre. Des miroirs reflétaient la beauté d’une statuaire féminine éclairant de torchères à gaz au soir tombant, la machine se rythme au son de l’orgue des frères Limonaire. Sise non loin des trois maisons, dès l’entrée du cours qui recelait auto-tampon, avalanche, labyrinthe, rotor et lutteur.
Un cavalier va à pieds ça sa monture fatiguée marque le pas. Le long du canal, ils cheminent sur l’ancien chemin de halage. Ils gardent leurs habitudes, la bête murmure à l’oreille de l’homme : te souviens-t-il de mamie Manie, de cousine routine ? C’était avant que, d’une ruade, je les envoie dans la fontaine pétrifiante. Mais que t’ avaient t-elles fait ? Rien. Sinon la force de l’habitude peut-être, l’ennui, et quand on le chasse le naturel, il revient au galop !
🐻 Luron’Ours
Mamie Manie aimait raconter les histoires, cette histoire particulièrement. Elle avait ce petit rictus des lèvres qui trahissait son excitation dès que sa choupinette la lui réclamait avant de se coucher. C’était le même rituel chaque soir, la même comédie, car mamie avait la manie de commencer toujours ainsi :
— Pas ce soir, il est tard ma petite chérie. Il faut dormir.
Ce qui avait pour effet immédiat de faire fondre la petite Émilie en larmes et le cœur de la grand-mère avec. S’ensuivait alors une étreinte de plusieurs minutes avant que la mamie ne pince la joue droite de sa choupinette, de sa main droite, toujours.
— Bon, tu as encore gagné, ma petite chérie, lui dit-elle, les yeux aussi étincelants que ceux de l’enfant. Installe-toi bien au chaud sous la couette.
Mamie Manie n’avait aucun livre entre ses mains, trop occupées à caresser les cheveux d’Émilie tout en contant son histoire qu’elle connaissait par cœur puisqu’elle l’avait elle-même écrite, il y a, oh là ! bien des années de cela.
— Il était une fois la cousine Routine qui vivait seule à l’orée d’un bois. Je dis seule, mais en fait, elle ne l’était pas. Sur la branche voisine de l’arbre dans lequel son papa lui avait construit autrefois une petite cabane en bois avant que le ciel ne le cueille un jour noir d’automne, il y avait deux écureuils gris, Tic et Toc, qui venaient frapper à sa porte, chaque matin, vers onze heures, et la saluaient en lui offrant un gland ou une noisette qu’elle conservait soigneusement dans un pot sur une étagère, pour prévenir d’un rude hiver. En échange, elle leur donnait quelques champignons, certains hallucinogènes pour leur récréation, car ils étaient un peu allumés, à leurs façons.
Tic avait cette manie de remuer la queue en partant comme s’il époussetait la branche sur son passage, ce qui avait le don de troubler Toc, qui ne pouvait s’empêcher de cracher et frotter chaque feuille derrière, si bien que l’arbre tout en entier, sous la lumière du soleil, reluisait comme un lampadaire dans la forêt.
Tous les oiseaux s’y donnaient rendez-vous au crépuscule pour y nicher, non sans donner leur traditionnel concert qui enchantait chaque soir Routine, après une journée bien machinale, à l’usine des fruits des bois où elle cueillait tout ce qui était comestible pour nourrir la communauté.
Elle pointait à six heures, sept jours sur sept, et rentrait vers dix heures pour la pause déjeuner et faire un peu de ménage juste avant l’arrivée de Tic et Toc. Sa maison était toujours impeccable et prête à recevoir. Puis elle repartait vers midi pour revenir un peu avant le coucher du soleil et l’arrivée de tous ses amis.
Ça se battait sur la canopée pour avoir les meilleures places. L’orchestre était bon, improvisant, comme chaque soir, avec leurs instruments à cordes vocales. C’était un moment de détente qu’appréciait Routine, elle les admirait à se laisser aller ainsi au gré de l’inspiration du vent. Qu’elle aimerait pouvoir jouer, chanter et danser avec eux. On ne lui avait jamais appris.
— Mais cela ne s’apprend pas, la taquina un merle moqueur, un brin dragueur. Il n’y a qu’à se laisser porter par le vent de l’instant et écouter son cœur, lui trompetait-il.
Cela n’avait pas de sens pour Routine qui avait besoin d’instructions précises, comme son papa lui avait appris.
« Sois consciencieuse et studieuse et tu réussiras dans la vie. Pas comme ta mère qui a préféré la vie de bohème et qui l’a emporté par-delà l’océan. »
Sa maman vivait à New-York et travaillait dans un cabaret. Routine avait toujours écouté son papa qui l’avait élevée seul, dans la droiture d’une vie sans imprévu, sans incertitude. Toujours se prémunir du pire, ne pas s’attarder sur le meilleur. Travailler dur, toujours. Il lui serinait les mêmes adages.
Siffleur, le merle moqueur qui jouait du cuivre de sa voix, l’emmena tout en haut de la canopée, au petit matin, pour admirer le lever du soleil derrière la montagne dorée.
— Comment crois-tu que je me suis envolé de cette branche, la première fois ? lui siffla-t-il.
Routine ne répondit pas.
— Un matin comme celui-là, il ne restait plus que moi dans le nid, poursuivit-il. Mes frères et sœurs n’étaient plus là. Le ciel avait vêtu son aube blanche aux éclats d’aurore, comme pour une première communion. Je savais que c’était aujourd’hui le jour du grand saut. J’appréhendais autant que j’étais excité. Quelque chose au fond de moi savait qu’il ne fallait pas s’inquiéter. L’instinct de vie, le désir d’envol. Et me voici oiseau, ténor au cabaret de l’arbre rutilant.
Il s’envola et tourna autour de Routine. Il riait comme s’il se moquait d’elle.
— Allez ! à toi ! Libère-toi, Routine. Sens le vent qui t’appelle, écoute ton cœur !
— Vas-y Routine ! Écoute ton cœur !
Émilie ne tenait plus, les yeux embués, comme ceux de mamie Manie à la voix tremblante. Elle se tut et laissait sa choupinette terminer l’histoire.
— Routine prit son élan et sauta dans le vide, écartant les bras comme pour voler et tomba dans les bras du vent qui la souleva et la hissa jusqu’à Siffleur, fou de joie.
Je ne connais pas cette histoire, Geneviève. Juste les écureuils de Pancol à Central Park. Sauf que les miens ne sont pas triste le samedi, juste un peu allumés. Merci pou votre lecture. 🙂
Ma cousine Routine vivait au Manie
Vieux pays conservatiste
Dont les pratiques d’invariabilité
S’accoutumait de règles et de rites persistants
La coutume voulait que chaque usager
Suive ses marottes
Et ses habitudes immuables
Chacun roulait en automatisme
Et mangeait avec accoutumance
Un jour Routine rencontra Innov
Entré par étrangeté sur le territoire
Il avait la fraicheur de l’audace
Un cœur à variation
Et des idées progressistes
Aussi opposés que des antonymes
Ces deux-là finirent pourtant par s’apprivoiser
Ils se sont mis à la nuance
En mesure et avec retenue
Et ils ont créé un nouveau parti :
L’équilibrisme
Harmonie et Tempo sont leurs enfants
C’est en équeutant les haricots verts que cousine Léontine nous racontait ses plus belles histoires. Toutes vraies mais si bien enjolivées par son accent et son sourire qu’en l’écoutant, nous, les gosses avions l’impression de boire un sirop de bien-être.
D’abord dans cette maison bêtes et gens étaient affublés d’un prénom en ‘ine’ en l’honneur de la maîtresse de maison sans doute qui était une véritable ménagerie : chiens et chats pour le confort amical, les poules (Fifine et Janine) pour les oeufs et Amine le coq comme réveil matin.
Donc, je jour-là Léontine nous raconta les facéties de la tortue Capucine déjà là du temps de la grand-mère Alphonsine. Elle promenait sa carapace d’un pas tranquille en propriétaire des lieux. Aussi le matin tôt elle veillait à la sortie des chats-chiens. Victorine, le scottish prenait le soleil devant la porte vitrée. Ce moment délicieux de détente était hélas systématiquement troublé par l’arrivée de la coquine Capucine qui venait lui faire pipi juste sous son nez.
Ça nous a bien amusée et tous les matins qui suivirent, nous regardâmes le manège si bien rodé des bestioles.
En vieillissant, j’ai compris que tante Leontine avait trouvé ce moyen pour et nous occuper et préparer sa soupe ! Une main-d’œuvre pas cher qui disons le, devançait l’appel.
🐀 Souris verte
Mes exercices sont des accélérateurs de particules imaginatives. Ils excitent l'inventivité et donnent l’occasion d’effectuer un sprint mental. Profitez-en pour pratiquer une écriture indisciplinée.
Ces échauffements très créatifs vous préparent à toutes sortes de marathons : écrire des fictions : nouvelles, romans, séries, etc.
– Mamie, tu me racontes encore l’histoire de la cousine Routine
– Je te l’ai déjà racontée mille fois, petite Rouquine.
– Tu es drôle quand tu parles d’elle. Je l’aime bien ta cousine.
– Je t’ai déjà dit mille fois que je n’ai pas de cousine qui s’appelle Routine. Cette histoire, c’est une invention, un conte, une…
– Un conte ? Mais Routine n’est pas une reine, ni une princesse, encore moins une fée.
– Ecoute-moi attentivement, petite Rouquine, Routine n’existe pas. C’est comme une blague…
– C’est pas drôle. Et puis, arrête de m’appeler « petite Rouquine ». Est-ce que je t’appelle Mamie Blanchette ?
– Comme la chèvre de Monsieur Seguin ?
– La chèvre de Monsieur Seguin, elle s’appelle Blanquette et je…
– Ah ! Blanquette ! Ça me fait penser que je dois mettre à cuire la blanquette de veau pour demain.
– Tu peux donc attendre demain. Tu as toujours la manie de faire les choses avant l’heure.
– Tu dois savoir, petite Rouquine qu’avant l’heure c’est pas l’…
– Je la connais par cœur cette phrase. Tu la dis souvent. Encore une de tes manies.
– C’est bien pour ça qu’on m’appelle ainsi !
– Comment ?
– Mamie Manie, M-A-N-I-E. C’est mon surnom.
– Moi, je ne t’appelle pas comme ça.
– Je sais, petite ! Mais tes demi-frères oui.
– Ça te rend triste alors ! Mais, ta cousine Routine, c’est aussi un surnom ?
– Ah, oui ! Et ça lui va bien !
– Mais, je croyais que tu n’avais pas de cousine Routine.
– C’est aussi une blague. Bon, c’est bien tout ça, mais j’ai du travail maintenant ! Ton grand-père va bientôt rentrer. Tu n’auras qu’à lui demander qu’il te raconte une histoire !
– Une histoire de princesse ?
– En quelque sorte ! L’histoire de sa cousine Coquine. !…
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
Cousine Roue Roue Tine habitait à l’autre bout du monde. En pleine montagne avec son papa et sa maman.
À l’école elle n’y allait presque jamais. Préférant rouler avec son grand vélo, là-haut sur la haute colline. Zaï-zaï-zaï. Accompagnée d’un petit moineau. Toujours le même et paraît-il extrêmement âgé.
Un jour elle ne revint pas dans son village. Disparue elle et son moineau. Plus de trace non plus du grand vélo.
À cette époque on se déplaçait beaucoup avec ce moyen de locomotion. Dans le village de Roue Roue Tine et dans ceux avoisinants, les bicyclettes n’arrêtaient pas de crever, de rendre l’âme. À peine réparées, quelques mètres parcourus et puis puis un autre petit trou dans la chambre à air. Pschiiiitt.
Il fallait toujours réparer, regonfler les pneus.
Et puis un jour catastrophe ! Une pénurie de rustines s’abattit dans le pays.
Alors le curé du village de Roue Roue Tine, un dimanche à l’homélie évoqua on ne sait pourquoi, la belle et petite cousine Roue Roue Tine qui n’avait pas reparu. Et sans le faire exprès certainement il redit plusieurs fois la petite Rustine la petite Rustine. Qui n’est qui n’est plus, que le seigneur a peut-être repris dans ses bras.
L’assemblée présente s’esclaffa. Rustine Rustine ah ah que c’était joliment trouvé pour ce jeune curé de la ville.
Puis très vite après ce sermon on fit le lien entre la disparition de la petite Roue Roue Tine, les multiples crevaisons (des vélos) et la Pé pé nurie de rustines.
Ra ra ras pou tine aurait pu chanter Boney M il y a quelques années !
Au village on pria : Sainte Faustine, saint Joseph, sainte Roue Tine, sainte Rustine, saint Antoine, saint Michel … On ne sait jamais, il vaut mieux prier plusieurs saints que pas assez !
Malheureusement la petite ne fit pas son retour. On ne cessa de la pleurer.
Un jour un petit moineau arriva au village sur un petit vélo. Peut-être celui de la cousine Roue Roue Tine ou un autre, c’est vrai que les moineaux se ressemblent tous.
Il avait aussi un petit microphone.
Il chanta : « braves gens braves gens, ne vous en faites pas, la petite est partie loin d’ici. À l’autre bout du monde. Rejoindre son prince charmant. Elle vous transmet ses salutations ».
Vous savez elle roule toujours en vélo la petite Roue Tine.
Qu’elle est gentille la cousine Roue Roue Tine. Cui cui cui. Qu’elle est gentille et jolie !
Elle avait fait de la bienveillance son métier. Utiliser sa disponibilité pour autrui, sans distinction. C’était ça son but. Il s’agissait d’un choix personnel. Il n’est pas nécessaire d’imposer quoi que ce soit à celui ou celle qui se rend disponible. C’est superflu. Même l’imposition devenait un plaisir rendu à la société.
Elle avait réussi, ainsi à créer son monde personnel dans l’objectif précis aussi de se soustraire aux contraintes quotidiennes qui lui avaient été imposées par son éducation, puis par ce métier même.
La routine, la routine !
Lors du temps qu’elle consacrait aux soins, elle oubliaiat tout. Elle était concentrée sur ce qu’elle avait à faire en dépit des aléas qui ne manquaient pas d’être aux rendez-vous, tous les jours.
Elle parcourait jusqu’à des 200 km par jour. La route, la route in ! Elle était dedans tous les jours.
C’était devenu un plaisir harassant certes, mais tellement fratifiant au point qu’elle prit conscience que sa liberté avait ce prix. Elle avait fait de sa routine, sa liberté.
J’ai inventé un nouveau mot : fratifiant. Je voulais dire gratifiant. Mais fratifiant, c »est pas mal. Alors, voilà !
La cousine Routine habite dans un village qui s’appelle Saint-Zébulon-sur-Sambre.
Et le mois de novembre à Saint-Zébulon-sur-Sambre, c’est pas de la rigolade, croyez-moi !
Que l’on ait vingt ans ou nonante, on tremble, on a mal aux dents, on a les chocottes et les deux mollets qui s’entrechoquent.
Y’en a qui ont mal au ventre et d’autres qui errent dans les rues, le nez en l’air, pour essayer de retrouver leur chambre.
Y’en a qui obligent ceux qui ont mal au ventre à manger du gingembre ou à ingurgiter de la liqueur d’ambre.
Et puis y’en a aussi qui poursuivent « ceux qui obligent ceux qui ont mal au ventre à manger du gingembre » pour leur dresser une contravention salée.
Sans parler, bien sûr, de ceux qui boulottent des kilos de berlingots toute la journée pour tenter d’oublier tout ça.
Heureusement, une fois le mois de novembre passé, chaque Saint-Zébulonais et chaque Sainte-Zébulonaise peut recompter ses abattis et récupérer tous les membres de sa famille.
Puis petit à petit, reprendre une vie normale ou, tout du moins, qui semble normale aux yeux des honnêtes gens.
678/S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
Ah Cousine Routine paix à son âme ! on l’appelait comme çà car elle faîsait ce qu’elle avat à faire chaque jour à la même heure . Elle aimait répéter ‘Se coucher et se lever tôt
rend sage, riche et dispos ». C’était sa maîtresse , qui le tenait d’un écrivin anglais, qui lui avait glissé à l’oreille (la maline).
Elle allait à l’école quand elle était jeune ?
Bien sûr et elle était très fière d’avoir obtenu son certificat d’étude et aimait répéter qu’elle n’avait fait que trois fautes d’orthographe à sa dictée (au début de cet examen avec 5 fautes tu échouais)
Mais ses parents n’étaient pas riches et ils la placèrent comme domestique chez des Bourgeois (c’est ainsi que l’on appelait les femmes mariées qui restaient à la maison et prenaient des « bonnes » pour faire le ménage , la cuisine etc etc. Et là elle tomba folle amoueuse du patron. La femme de celui-ci le prit mal et la chassa un soir d’hiver.
On ne sut jamais ce qu’elle devint.
Pauvre cousine Routine ! Çà a dû être dure dêtre privée de routine.
Ce n’est certainement pas ce qui a été le plus terrible.
Bonjour, Françoise. pouvez-vous me donner votre adresse mail pour que je puisse vous répondre ?
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
Et, comme d’habitude, Mamie Manie s’exécuta…
La cousine Routine avait épousé le cousin Train-Train qui était cheminot. Ils avaient eu une fille qui s’appelait Micheline. Mais celle-ci, avait déraillé et sans cesse ils étaient à essayer de raccrocher les wagons, ce qui n’était pas pour leur plaire : ils auraient préféré végéter plutôt que d’être obligé de prendre le TGV.
Mais un jour, Micheline décida de se racheter une conduite. Bien lui en prit : elle rencontra un contrôleur qui n’était point sonné et avait conservé un brin de bon sens. Ensemble, ils partirent à la conquête du monde à bord de l’Orient-Express. Après avoir convolé et s’être gondolé à Venise, ils poursuivirent leur périple jusqu’aux portes de l’Asie. Ne voulant pas jouer les pékins moyens, ils décidèrent de mener grand train. Mal leur en prit : à court de ressources, ils se virent contraints de rentrer en gare sous peine de finir sur une voie de garage.
La morale de cette histoire, est qu’avec l’habitude, il est difficile de changer d’attitude et qu’être agent ne signifie pas avoir de l’argent : rouler sur l’or n’empêche pas le dérapage…
– S’il te plaît, mamie Manie, raconte encore l,histoire de la cousine Routine.
– Alors il faut se dépêcher. Dans trente cinq minutes, elle sera là. Avec elle l’heure c’est l’heure. Dès le berceau cousine Routine a eu la poisse. Elle a grandi comme ça. C’est elle qui prenait les portes en pleine face, qui loupait les bordures de trottoir. Tout lui échappait des mains. Un moustique par ci, c’était pour elle, une seule huître toxique par là, c’était pour elle. Elle s’en moquait, elle riait toujours et faisait n’importe quoi.A l’époque c’était cousine Follette.. Qui plus tard est devenue cousine Guignette.
Mais pourquoi cousine Guignette ?
Comme elle avait toujours la guigne, elle compensait en levant un peu trop le coude. Un soir nous étions à La Rochelle à « La Guignette ». C’était une ancienne cave converti en bar. Les tables étaient des tonneaux et les sièges des caisses de vins retournés ou des tonnelets. A dix huit heures la cloche sonnait et on commandait des pots en plastique de vin blanc aromatisés à différents sirops. On buvait dans des verres ronds en pyrex qu’on devait taper sur le tonneau avant de faire cul sec. Bref l’ambiance bar bien aviné. Trop de cul sec ont donné envie à la cousine l’envie de danser. Elle a sauté sur le tonneau et bien sûr, est passée à travers. Çà n’a pas été une mince affaire de la sortir de là. Elle est alors devenue cousine Guignette.
– Maintenant c’est cousine Routine, pourquoi ?
– Ça c’est plus tard. Un soir au cours d’une fête où elle avait un peu trop dégusté le punch, elle est tombé sur le ventre de Pépé Ronfleur qui faisait un petit somme sur un banc. Pépé en a éructé son dentier qui s’est projeté sur les fesses à mamie Ronchon, qui, outrée, et sans chercher à comprendre a ouvert les bras et les mains et en tournoyant a mis en branle sa machine à baffes. Ça a dégénéré en bagarre générale et fini au commissariat. Comme il fallait un bouc émissaire, toute la famille lui est tombée dessus. Même son chéri l’a laissé tomber en disant qu’il ne supportait plus cette famille de dingues. Ça l’a définitivement éteinte. Elle ne veut plus de surprise et croit qu’une routine de fer lui permet de tout contrôler. Mais elle ne rit plus, y’a plus d’éclat dans son regard. Elle s’ennuie à mourir. Et voilà pourquoi Follette, Guignette, et maintenant Routine.
– Avec toi, mamie Manie, parfois on s’agace mais on ne s’ennuie pas.
– C’est une autre histoire. Ça a sonné. Va ouvrir. Et n’oublie pas de lui faire mettre les patins et vérifie que tu as bien fermé la porte.
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
-D’accord. Couche toi confortablement comme d’habitude…Voilà, laisse-moi une petite place.
Il était une fois, une petite dame toute rondelette qui sentait bon le chocolat. (oui elle, c’est moi). C’est du moins ce que me disait ma petite cousine qui passait une bonne partie de ses vacances ici. J’ adorais cette petite, arrivée tardivement dans la famille. C’était la fille de ma plus jeune cousine et dès son plus jeune âge, elle adorait pointer le bout de son nez dans la maison de sa cousine Manie. A chaque fois qu’elle venait, le même cérémonial se répétait. Je lui ouvrais la porte en lui lançant ; » comment va ma merveilleuse princesse ? » et invariablement elle répondait : « ça ira mieux après un bon chocolat chaud » Eté comme hiver, la demande était la même ! J’essayai bien une ou deux fois au cœur de la fournaise de l’été de lui proposer une citronnade pour la désaltérer mais il n’en était pas question, la routine a du bon ! C’est ce qu’elle se mit à répéter dès qu’elle comprit le sens de ce mot qu’elle adorait faire rouler sous sa langue bien pendue. Pendant les semaines d’école, elle m’envoyait toujours un message le mercredi, attention, pas le mardi ni le jeudi, non, le mercredi ! qui disait : n’oublie pas de me préparer mon déjeuner préféré : purée, saucisse et en dessert crème au chocolat ! Nous adorions ça ! Nous retrouver le week-end, dès le samedi à 10h pétantes n’était absolument pas négociable ! Elle avait une façon bien à elle de faire chanter la sonnette et j’adorais le bruit de ses pas quand elle marchait dans le couloir. Même quand les années lui ont fait le pas un peu plus lourd, je savais que c’était elle. Après le repas, nous jouions aux cartes, au rami plus précisément. Et attention, seule notre règle du jeu prévalait. Elle s’offusquait très régulièrement face aux autres enfants et adultes qui ne suivaient pas la stricte règle transmise dans la famille depuis des générations. On ne joue pas avec les principes fondamentaux ! Notre week-end suivait invariablement le même rythme et je trouvais très touchant son obstination à dérouler notre petite vie comme un jour sans fin mais avec tant de joie et de bonheur.
Elle avait aimé le petit surnom que je lui avais donné le jour de ses cinq ans « cousine Routine » quand elle m’avait confié que le plus beau des cadeaux que je puisse lui faire c’était d’être toujours la même et de ne rien changer à nos retrouvailles de fin de semaine. Je me suis toujours très appliquée à ne pas la décevoir. Et quand le temps commença à s’immiscer entre nous, je sus qu’il fallait tourner une page mais pas complètement. Je savais qu’elle ne resterait pas trop loin de moi…Et quand tu es arrivé à ton tour, il fut bien inutile de se dire que tous les rituels de nos routines seraient toujours là.
-mais dis pourquoi déjà je t’appelle Mamie si tu ne l’es pas ?
-ça tu sais, c’est une autre histoire et c’est ta maman qui te la raconte.
-oui c’est vrai, c’est une autre routine mais ce n’est pas la nôtre !
-exactement mon petit !
-A demain Mamie. pour le chocolat chaud et le rami. Et une petite madeleine ? C’est ma petite touche personnelle. Je la rajoute à la routine.
-oui je sais.
-je t’aime Mamie
-je t’aime aussi !
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-nous encore l’histoire de la cousine Routine !
Luc et Sophie sont en vacances chez leur Mamie. On est en 1960 et à cette époque on se couche tôt. Mamie a une habitude à laquelle elle tient depuis que ces petits enfants viennent dormir chez elle. Elle leur raconte une petite histoire une fois qu’ils sont au lit.
Ils ont pris l’habitude que Mamie leur conte une anecdote de son enfance. Difficile pour elle de déroger à ce rite du soir.
Dis Mamie, tu nous racontes l’histoire de la cousine Routine, dit Luc, d’accord ajoute Sophie, mais avant tu nous racontes pourquoi on t’appelle Manie.
Mamie se gratte la tête, vous êtes bien exigeants ce soir, l’histoire de la cousine est déjà bien longue, et je vous l’ai déjà racontée plusieurs fois. Mais bon, vous avez été sages alors je vais vous obéir. Les enfants se calent au centre de leurs oreillers respectifs. Sophie prend sa poupée dans ses bras, Luc porte son pouce à la bouche…mamie a promis, on ne dira rien aux parents….
Quand j’étais petite, au début du siècle, j’étais une enfant très ordonnée, à l’époque on n’était pas très exigeant avec l’ordre et le rangement. Moi, je me suis toujours fait remarquer, à la maison comme à l’école par des habitudes bien précises. Je mettais mes chaussures et mes chaussons toujours à la même place, ma cuillère et ma fourchette devaient être placées toujours de la même façon à côté de mon assiette… je ne vais pas vous faire la liste, car j’avais plein d’habitudes comme celles-ci. Un jour mon père ne put s’empêcher de dire, notre Marie, elle en a des manies !…. mes frères toujours prêts à m’embêter répliquèrent : oh la Manie, la Manie…. Mon père tapa un coup sur la table pour les faire taire, mais leur remarque arriva aux oreilles des voisins et des enfants de l’école, et en peu de temps je suis devenue la Manie, il faut dire que jusqu’à aujourd’hui dans nos villages on donnait souvent des surnoms, ou on appelait les gens par leur deuxième prénom. Il y a une habitude qu’on n’arrive pas à perdre encore actuellement, c’est de mettre ‘’le’’ ou ’’la’’ devant le prénom … je ne sais pas si c’est très français mais personne n’y trouve à redire, et quand on retire cet article, eh bien ça fait tout drôle, on a l’impression que l’on ne parle plus de la même personne.
Et la cousine Routine, dit Luc, tu ne l’oublies pas ?
Non mais laissez-moi prendre mon temps répliqua mamie Manie.
Ah la cousine Marguerite qu’on appelait la Routine, c’était un phénomène. Dès qu’à huit, neuf ans elle a su faire du vélo sur la grande bicyclette de sa mère, il faut dire qu’à l’époque les enfants n’avaient pas de petits vélos, elle pédalait en se déhanchant sur le vieux clou, le maitrisant comme elle pouvait. Elle arrivait à quatre heures et demie précises quand on avait classe et à dix heures précises quand on était en vacances. C’était l’occasion pour elle de venir jouer avec moi mais aussi de manger un quignon de pain en guise de goûter car chez elle, on était bien pauvres.
Un jour mon père qui n’était pas avare de bons mots dit à table, ah la Marguerite et la routine ça ne fait qu’un !…. mon père avait son certificat d’étude et on disait de lui qu’il parlait bien….. Mon frère François qui n’avait pas compris son jeu de mot dit : ça veut dire quoi ? et ben t’as pas remarqué qu’elle arrive toujours à la même heure et après avoir guigné la comtoise elle repart toujours à la même heure. On n’a qu’à l’appeler Routine dit mon autre frère. Comme pour moi le surnom fit le tour de village et la Marguerite devint la Routine.
Routine avait deux frères, Joseph et Fernand. Leurs vieux parents décédés, ils continuèrent de vivoter tous les trois sur les maigres revenus de la petite ferme. Joseph qui était très paresseux, passait la majeure partie de son temps dans le fauteuil de son père une fois les deux vaches traitent. IL occupait ses journées à lire des almanachs, à parcourir le dictionnaire…. Sa seule activité était de prononcer quelques bons mots qui eux aussi faisaient le tour du village. A l’époque il n’y avait pas de radios, alors la moindre distraction était bonne à prendre. Un jour il dit à son frère, avec ses cheveux blonds roux, ce n’est pas la Routine qu’on devrait l’appeler, mais la Roustine.. ah ah… se fendit son frère, voilà qui lui va bien parce que pour ce qui est de la routine concernant le ménage on peut dire qu’elle oublie souvent l’heure !…. oui mais le fricot est sur le feu à 11h30 précise ajouta Joseph, tu parles répliqua Fernand, une fois c’est le lapin qu’est pas cuit, une fois c’est le bout de lard qu’est roussi … oui ta raison la Roustine voilà un nom qui lui va à merveille.
Roustine avait une vie bien réglée, le dimanche à dix heures c’était la messe à quatorze heures elle retournait aux vêpres. Le vendredi à neuf heures elle était présente sur le marché, à trois heures elle faisait déjà fondre la cancoillotte pour la semaine. Tous les jours elle passait me voir à la même heure.
Un jour le vieux médecin lui dit, on n’a pas d’infirmières et moi je ne peux pas me déplacer pour faire les piqures, je vais t’apprendre à les faire.
A partir de ce jour tous les matins à 8h, elle enfourchait son vélo, munie de sa boîte de seringues. Elle allait faire les piqures de pénicilline aux malades de plusieurs villages.
Les pneus de son vélo étaient souvent lisses et les routes qui n’étaient que des chemins de terre battues, obligeaient la Roustine à zigzaguer entre les flaques d’eau et les bouses de vaches. Immanquablement elle passait sur un caillou ou des ronces.
Un jour que le Fernand en eu assez de réparer son vélo, il se fâcha : mais cette nouille de Roustine, c’est Rustine qu’il faut l’appeler et c’est comme cela…
Mamie leva les yeux, Sophie dormait à poings fermés et Luc lutait tant bien que mal en clignant des yeux. IL se tourna et sombra à son tour dans le sommeil.
La grand-mère descendit l’escalier sans faire de bruit, une fois à la cuisine, elle ne put s’empêcher de dire : je crois qu’ils ne connaîtront jamais la fin de l’histoire !…
Geneviève T. (petite chronique franc-comtoise)
Ah ah, ça me rappelle ces histoires que je racontais à mes enfants avant le dodo, quand ils étaient tout petits. Eux aussi, s’endormaient parfois avant la fin. Ton histoire m’a amusée. Merci Geneviève.
─ S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
─ La cousine Routine avait l’habitude toutes les veilles de Noël de proposer une table recouverte de trois nappes blanches, pour y déposer les treize desserts de Noël. C’était une tradition dans sa famille qui se transmettait de mère en fille, de tante en cousine.
─ Pourquoi treize ?
─ Pour symboliser le dernier repas de Jésus avec ses douze apôtres plus lui cela faisait treize.
─ Ah bon je croyais qu’elle était juste gourmande !
─ Si elle l’était depuis l’incident des treize desserts, elle ne l’était plus. Donc, elle avait commencé le rituel depuis le début décembre. Elle avait ramassé des pommes de pins, coupé des branches de houx, ressorti de la cave noix et noisettes, figues et raisins secs, quelle avait remisés pour l’occasion et là, la malheureuse avait trouvé trois gros rats repus à l’abdomen bien rempli. Ils s’étaient rassasiés des trésors qu’elle avait mis de côté pour les treize desserts. La surprise passée, elle avait constaté que les gourmands avaient eu leur dernier repas avant de rendre l’âme et chose étrange, toutes leurs petites dents étaient éparpillées autour d’eux. Les cousins Foldingue et Imprévu qui détestaient Noël et les desserts. Ils raffolaient de saucissons, pâtés, boudins, le blanc de préférence avaient en horreur les listes codifiées de la cousine Routine, toujours les mêmes activités, décoration, confection de cartes de Noël, de bonhommes de neige, Illuminations, vin chaud et j’en passe sans oublier le grand rituel des treize desserts. Ils en en avaient assez de ce même refrain de et des mêmes chansons à longueur de journée. Eux préféraient vraiment l’inattendu, le surprenant, l’effervescence face à l’inconnu. Donc, ils avaient vaporisé une substance sur les réserves de la cousine Routine. Cela devait l’endormir ainsi que tout ceux et celles qui se laisseraient tenter par les noix, les figues, les raisins sec ect… bref que des gourmandises sucrées. Seulement Foldingue et Imprévu avaient abusé du vin chaud et s’étaient trompés dans le dosage et les ingrédients de la potion, si bien que l’orgie des rats, trop heureux de trouver à manger à cette période de l’hiver, leur avait été fatale. Depuis ce jour, la coutume des treize desserts est tombée aux oubliettes. Les jeunes couples n’y pensent plus. Tu vois tes parents n’y pensent même pas.
─ Mais pourquoi les rats ont-ils perdus leurs dents ?
─ Il se dit, que trop de choses sucrées d’un coup, ça aurait fragilisé leurs gencives. C’est pour cela petite chipie que tu vas filer te brosser les dents avant de dormir sinon toi aussi demain tu pourrais avoir toutes tes dents éparpillées dans ton lit.
─ Bin mamie Manie, c’est toi qui me donnes un morceau de nougat ou un chocolat tous les soirs lorsqu’on regarde un film toutes les deux ou que tu me racontes une histoire. En fait tu me fais les treize desserts mais un par soir.
Une bonne façon de motiver les enfants a brosser leurs dents avant le dodo. 🙂
Ah, la monomanie de Mamie Manie, nous chuchotant chaque soir l’histoire, au fond des bois de nos lits ! Sans jamais déchoir, tard le soir. A l’heure du chut, dormez les enfants, elle nous chahutait le sommeil avec son histoire sans fin d’un écho sans chute.
C’était toujours le souvenir de la cousine Routine, celle qui escaladait sans cesse son escabeau à l’heure où les moutons bêlent. Tout ça pour torchonner les carreaux. Toujours, à l’heure où les chevêches pensent à faire leur lit, la cousine Routine montait dans le train-train de sa manie. L’enfantine cousine chaque soir chutait de son perchoir. Elle se croyait déchue à choir ainsi sans espoir.
Son mari, Raymond, un ravi moustachu chipotait sur le choix du perchoir.
Mais la cousine cabotine cheminait chaque soir sous la charge de son chez-soi.
Elle montait, tombait et pleurait toutes les chagrins de son corps. Chaque chiche mouchoir se changeait en chalut, chaviré du salé.
Même si Raymond se devait de la choyer, à la fin, il se contrefichait de son charme.
Raymond faisait sa tête de veau et sortait.
Accoudé au comptoir de son nouveau dortoir, il chantournait son charabia. Plus question de chercher Routitine.
Au bar du chat châtré, il osait chanter sur un air de sa rogne (ou de charogne !)
« Forcément, les histoires de bonne femme, ça n’a ni queue ni tête ! »
un peu machiste cette dernière remarque! 😉
Nous sommes d’accord. Et c’est bien pour cela que l’ai mise dans la bouche « d’une charogne! » 😎
S’il te plaît, Mamie, raconte-moi l’histoire de la cousine Routine.
– Attends que je m’en souvienne. Ah oui ! Nous l’avions affublée de ce surnom quand nous étions gosses. Déjà, elle était maniaque. Elle ne voulait pas jouer avec nous pour ne pas salir ses jolies robes et pour ne pas déranger ses anglaises que sa mère lui faisait tous les matins.
– C’est quoi des anglaises ?
– Ce sont des boucles de cheveux que l’on faisait à l’aide d’un fer à friser.
– Ah oui ! Tu me l’avais déjà expliqué, mais j’avais oublié. Après, elle faisait quoi ?
– Elle faisait sa maline avec ses idées fixes et elle en devenait ridicule. Elle savait tout mieux que personne, alors à force, on l’ignorait. Ensuite, elle allait chouiner dans les jupes de sa mère et je ne te dis pas les embrouilles dans la famille. Nos parents nous grondaient et nous forçaient à l’accepter dans nos jeux. Elle était riche et n’a jamais eu le besoin de travailler. Elle n’avait pas d’amis et restait recluse chez elle. On la voyait sortir à 7 heures tapantes pour faire ses courses et fermer ses volets à 18 heures 30, quelle que soit la saison. À cause de sa rigidité, elle ne s’est jamais mariée. Un prince charmant avait tenté sa chance auprès d’elle, mais il n’a pas tenu trois jours avec ce chronomètre. Elle éteignait sa télé à 22 heures précises, même si l’émission ou le match de foot n’étaient pas terminés. Parfois, nous l’invitions à déjeuner, mais elle s’en allait avant la fin du repas sous prétexte qu’elle faisait sa sieste à 14 heures.
– Tu m’avais pas raconté son prince charmant ni le truc de la télé ni celui de sa sieste, la dernière fois. Et chaque fois tu la racontes pas pareil.
– Ah bon ! À mon âge, je perds parfois la mémoire. Je devrais les écrire mes histoires.
– J’adore quand tu me la racontes cette histoire, on dirait que c’est celle de « un jour sans fin. »
– Il est bien triste ce conte ; elle n’a pas profité de sa courte vie, la cousine. La routine l’a tuée. Un matin, elle s’est fracturé le crâne sur une plaque de verglas, pour aller chez le boulanger à 7 heures tapantes. Comme si elle n’avait pas pu attendre le dégel. En plus, elle avait de ces manies exaspérantes, cette pauvre femme, comme de se curer les ongles à table avec son couteau.
– Beurk, c’est dégueu ! Dis mamie, je peux te dire un secret ?
– Bien sûr, ma poupée. Les mamies ont été créées pour écouter tous les petits secrets de leurs petits-enfants.
– Tu sais quoi ! Avec mes cousines, on te surnomme Mamie Manie.
– Ah bon ! Et pourquoi ?
– Parce que t’as la manie de faire claquer ton dentier quand tu parles et c’est trop rigolo.
– Je comprends mieux maintenant pourquoi tu me fais raconter toutes ces histoires que j’invente au gré de mon imagination. Et moi, j’adore ta franchise.
– Il nous faut un nouveau super-héros!
Kenneth Bridge, Président de Marvel Studio, venait ainsi d’introduire de façon directe, comme à son habitude, la réunion de fin d’année avec l’ensemble de la Direction Artistique.
– Les chiffres ne mentent pas. Notre part de marché est en déclin chez les 10-34 ans, qui sont, je vous le rappelle, notre clientèle principale. La population vieillit et du coup, notre part de marché également. Nos clients se lassent de plus en plus rapidement de nos super-héros qui ne se démarquent pas suffisamment. Bref, il nous faut un nouveau super-héros et un bon. J’écoute vos propositions. Jeff, à toi!
Jeff Stelbrook, en charge de la création des personnages se senti un peu coincé. Ses collaborateurs ne l’avaient pas préparé à répondre à ce genre de question directe et son adjointe qui aurait pu l’aider à se sortir de cette désagréable situation était en retard. Il ressortit donc sa cassette habituelle…
– Nos excellents créateurs sont à l’œuvre, Kenneth et nous prévoyons présenter une panoplie de nouveaux super-héros, dès le prochain trimestre. Je suis confiant qu’on arrive à renverser la tendance et créer un buzz incroyable.
– Trop peu, trop tard, Jeff, désolé. Samantha, ton avis?
Samantha Goodman, Vice-Présidente au contenu cinématographique, pris la parole.
– Haheummm…Je voudrais d’abord vous présenter nos derniers résultats, suite au lancement de la série Avenger sur les plateformes de Streaming. Vous allez comprendre qu’il s’est passé un changement significatif au cours de la dernière année et….
La porte s’ouvre soudainement et Julia, lunette sur le bout du nez et les bras plein de dossiers franchit la porte et toutes les têtes se tournèrent vers elle.
– Heu…désolée pour mon retard, j’ai été retardée par des problèmes, heu, personnels et mon Uber a eu une crevaison en route.
Julia Beaudoin, adjointe principale de Jeff Stelbrook, était en charge de coordonner le travail des créateurs, pendant que son patron courait les conférences, les restos et le bon vin.
– Encore en retard, Julia. C’est une très mauvaise habitude. Il va falloir vous y mettre et rapidement. Je ne tolérerais plus ces écarts.
– Oui, désolée encore, vous avez raison. Répondit Julia en posant ses dossiers sur la table. D’ailleurs, j’espérais pouvoir vous présenter aujourd’hui quelque chose qui pourrait vous intéresser.
– Julia, retorque le Président, aujourd’hui, ce que je veux, c’est un nouveau Super-Héros. Rien d’autre!
– Oui, oui, bien sûr et heu, oui, en fait, ça tombe vraiment bien, parce que c’est ce dont je voulais vous parler.
– Ah? Je vous écoute!
– Oui et bien voilà…Je suis toujours en retard, vous le savez. Mon équipe le sait, bref tout le monde le sait et j’ai beau essayer tous les trucs et méthodes possibles, je n’y arrive pas. On rigole dans mon dos à cause de cela. La semaine dernière, Louis, un de nos créateurs est venu me consoler, en me disant que l’on avait tous une mauvaise habitude dont on n’arrivait pas à se défaire. Pour moi, c’est d’être à l’heure, pour d’autres, c’est la cigarette, l’alcool, le jeu, la sédentarité, la malbouffe, pour les serial killer c’est tuer les gens, etc…Bref, il m’a dit que ça l’avait inspiré à créer un nouveau personnage, complètement hors champs par rapport à nos personnages habituels, mais un personnage qui aurait le potentiel d’aller chercher une plus large clientèle, bref, pratiquement tout le monde.
– Continuez, vous m’intéressez.
– Oui, je continue. On dit qu’il faut persister trois semaines pour adopter un nouveau comportement et que par la suite, ça devient un acquis au point tel, où, pour le cerveau ça devient plus facile de continuer que d’arrêter. Un peu comme la loi de l’inertie. Un mouvement est difficile à mettre en route, mais une fois que c’est parti, ça demande plus d’énergie pour l’arrêter. Donc, notre super-héros, aurait des super-oreilles pour entendre toutes les demandes sur la planète et se téléporterait instantanément pour venir aider, coacher la personne en difficulté en lui proposant un plan pour remédier à sa mauvaise habitude, mais aussi l’accompagner pendant trois semaines pour que ça devienne un acquis. On en ferait un show genre télé-réalité, mais basé sur des cas biens réels. Je sais que c’est complètement hors-champs, par rapport à nos super-héros habituels, mais moi, si j’avais accès à un tel super-héros, je pense que ça me permettrait de conserver mon emploi chez Marvel et c’est un super-héros que j’adorerais rencontrer. Les parents pourraient même en faire un personnage comme la fée des dents et raconter ainsi de belles histoires à leurs enfants au moment du dodo, tout en leur donnant des outils qui leur seront utiles toute leur vie d’enfant et d’adulte.
– Hummmm…Intéressant. Comment s’appellerait ce personnage et à quoi ressemblerait-il?
– Ce serait un personnage sympathique, une dame souriante d’une cinquantaine d’années, mais avec un costume de super-héros super-cool tout en vert signe d’espoir et avec un gros R signifiant l’importance d’adopter une routine, soit pour acquérir une bonne habitude, soit pour se défaire d’une mauvaise.
On l’appellerait Cousine Routine!
Mamie Manie, raconte moi encore l’histoire de la cousine Routine.
Il était une fois une cousine que tu n’as pas connue. C’était la fille unique de mon frère Monotone et sa femme Tatillonne.
Un joli bébé sans surprise, faisant des dents sans rechigner, marchant à l’âge requis. Routine fit des études sans histoire.
Après le bac , elle choisit une filière comptabilité et obtint son C A P avec mention assez bien.
Embauchée dans une société de bonne réputation, Routine commença, habitant toujours chez ses parents, sa vie professionnelle.
Lever : 7h32, le bus 28 de 8h15 jusqu’à République, dix minutes de marche à pied, trottoir de gauche où, dans la vitrine de l’horloger, s’ alignaient réveils et pendules tous à l’heure exacte.
Neuf heure trois, elle était assise derrière son bureau, lunettes sur le nez, comptabilisant efficacement
A midi elle mangeait seule le repas préparée par Tatillonne, ses collègues ne l’appréciant guère. Un collègue, Jean Foutiste partit en retraite, remplacé par un jeune homme tout droit sorti de l’école de comptabilité fréquentée par Routine.
Elégant, bel homme, il devint la coqueluche de ces dames, Routine excepté, mais il semblait en faire fi. Ponctuel, à 9h05, pour travailler jusqu’à l’heure de la pause déjeuner….
– Oui, oui mamie, c’est le moment que je préfère. Il mangeait à côté de ta cousine et lui a proposé un morceau de tarte aux pommes
– Exact, elle l’a accepté avec timidité et….
– De fil en aiguille…
– Ils sont tombés amoureux.
– Tu la connais par coeur! A partir de ce moment là, ils n’eurent d’yeux que l’un pour l’autre.
Ils arrivaient en retard, se bécotaient dans les archives,, s’échangeaient des dossiers avec des regards langoureux.
Routine, à trente deux ans, semblait rajeunie, soignant sa tenue, les cheveux coupés, elle se permettait même un rose à lèvres nacré! Ses parents ne la reconnaissait plus, elle se faisait attendre pour les repas, avait changé les meubles de place, chantait sous la douche.
Puis un soir, elle est rentrée les yeux rougis par les larmes, sans un mot ,reniflant avec tristesse.
– Oh, je n’aime pas ce passage, c’est quand l’élégant n’a plus eu d’yeux que pour une nouvelle nommée Pitchounette
– Hé oui mon petit, Routine devint une » vieille fille », insignifiante, ponctuelle et efficace.Je sais qu’elle a vécu dans la maison de ses parents après leur mort, mais je ne l’ai guère revue.
– C’est triste. Dis donc mamie, ce ne serait pas l’heure de la verveine avec tes délicieuses madeleines ?
autrefois, dans tout les familles il y avait une vieille fille à la vie bien cadrée!…
– S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
– Tu la connais déjà, cette histoire ma Biche.
– STP Mamie…
– Bien. Tu te souviens que Routine vivait à la montagne ?
– Oui, dans une ferme.
– Bien. Routine est née dans cette ferme alpine et y a séjourné toute sa vie.
Elle ne l’a pas choisi mais cet endroit lui plait beaucoup. L’air y est doux, le bourdonnement des insectes très présent. Les taons la reniflent.
La ferme est composée de plusieurs bâtiments posés sur le sol pentu. Les parents et frères de Routine vivent là aussi. Routine prend plaisir à explorer tous les recoins parfumés de la ferme à chaque retour de la pension où elle est scolarisée :
Les deux chevaux de traie dans une prairie, la porcherie et la truie au repos, le hangar à foin au-dessus de l’habitation, le poulailler, le local du four à pain. Seules deux vaches sont sur place en été.
Les vacances passent vite. Routine apprécie de redécouvrir son décor à chaque retour.
Elle aime la régularité des taches en fonction du cycle des saisons et des habitudes de chacun : humains comme animaux. La traie des vaches chaque soir au retour du pâturage. Elle commence toujours par traire la Noireaude. C’est la plus grande des bêtes que l’on installe à côté de la porte de l’étable. La cueillette des œufs, chaque matin est aussi un grand plaisir. La cousine aime le parfum du poulailler et la fête que les volailles lui font lorsqu’elle arrive. Routine a l’impression que le concert du petit jour lui est alors donné. Rouler et glisser dans les empilements de foin de la haute grange est son toboggan personnel. Chaque lieu, chaque action lui rappellent d’autres souvenirs plus anciens et développent ses sens :
Le parfum des bêtes, de leur litière, celui du lait chaud dans le seau, des haies, des baies et fleurs sauvages…
La musicalité des clarines au cou des troupeaux, des clochettes au col des chevaux, les aboiements qui résonnent entre les cimes ; le caquetage des poules et canards, les cloches de l’église au loin, l’affutage des lames sur la roue de pierre, le jet du lait trait qui touche la paroi du seau métallique…
Les pelages soyeux et chauds, le malaxage de la terre glaise près du cours d’eau, la pierre chauffée au soleil sur laquelle les cuisses viennent s’asseoir…
Le goût du gros pain découpé en longues tranches recouvertes de confiture, les fruits mûrs et juteux cueillis sur les arbres….
Les rais de lumière obliques à l’entrée des bâtiments brillent de milliers d’éléments en suspension…
Oui, Routine aime la régularité de la vie au sein de la nature. Elle a vu de nombreux animaux y naître et mourir.
Elle sait qu’il en sera de même pour elle, qui perd maintenant la mémoire.
L’autre jour, elle voulait évoquer cette plante sauvage qui grimpe le long des fourrés et était incapable d’en retrouver le nom. Son frère l’a aidée, éloignant un instant de stress provoqué. Depuis, ce jour, Routine tente régulièrement de se remémorer le nom de la plante. Souvent sans succès. Un moyen mnémotechnique de son invention devrait l’y aider : « le liseron » qu’elle rapproche du prénom « Lise » qui commence de la même manière, mais la réussite n’est pas souvent là…
Tu sais ma Biche, les absences de mémoire de Routine nous atteignent tous, aux moments de la vie, où souvent, nous sommes isolés et inquiets de perdre nos capacités physiques et psychiques. Il faut le savoir, même à ton jeune âge. Si tu apprivoises ces modifications qui mènent à la vieillesse, tu seras moins craintive de voir les gens que tu aimes se transformer. Moi, comme cousine Routine, je change mais mon amour pour toi reste intact. Si un jour je ne suis plus capable de te raconter la vie de Routine à la ferme, tu pourras peut-être à ton tour me la raconter et sans doute cela me fera-t-il le plus grand bien.
S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
J’adore cette manie que nous avons tous les deux de répéter 100 fois la même histoire. Tu la connais par cœur et tu souries d’avance. Une jolie habitude, dit mamie Manie à son petit-fils Rituel.
Ma cousine germaine Routine, ce samedi-là, à son habitude partit au marché avec son panier d’osier.
Depuis 30 ans, elle n’en n’avait raté aucun. Une routine, certes, mais utile. Elle y achetait ses courses pour 2 ou 3 jours. Et surtout, comme des rendez-vous pris, elle y rencontrait du monde. Elle connaissait tout le monde. Tout le monde ? demanda Rituel étonné.
Oh pratiquement ! et si elle croisait un inconnu, elle le saluait aimablement.
Elle achetait ses commissions toujours dans même ordre. Pain et sa petite brioche, poissonnerie où elle attendait patiemment en bavardant. C était ce qu’elle aimait, bavarder, sourire, écouter…
Sa routine depuis sa naissance, d’où son prénom, c’était la relation !
A sa naissance, elle avait souri à la sage-femme.
Après avoir échangé avec la poissonnière au sujet de ses enfants et ses douleurs au genou, elle allait chez le boucher. Ventrêche et jambon. Le même poids chaque fois. « Et bien pesé ma pte dama » Puis, elle s’attardait à saluer la marchande de vêtements pour lui parler de ses chiens.
Elle croisait une copine, une connaissance, un chien, un enfant… elle avait toujours quelque chose à dire et à entendre.
Mais sa routine hebdomadaire préférée c’etait quand elle rencontrait tous les samedis depuis 18 ans sa meilleure amie. Bisous et embrassades. Et bras dessus bras dessous, elles continuaient le marché ensemble.
Une petite halte chez le libraire pour un café ! Un rituel sur la terrasse au soleil. Elles badaient avec plaisir. Écoutaient les bruits du marché. Les odeurs, les couleurs… Saluaient de la main une connaissance.
« c’est drôle au marché, l’interrompue son petit-fils, les gens sont joyeux. Oui, dit mamie Manie, la cousine Routine disait cela aussi. Ici, on papote, on échange, on s’embrasse. Tout semble léger.
Quelle belle habitude que la joie partagée !
Ma cousine avait des routines et moi des manies comme tu le sais.
La manie de faire plaisir, par exemple, de manger des bonbons le soir.
On s’entendait bien toutes les deux.
Manie et Routine dans le même bateau et elles ne tombent pas l’eau !
il est vrai qu’autrefois la vie était faite essentiellement de routines… les temps ont bien
changé!… 🙂
– S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !
– Tu sais que ma cousine est née, comme moi, et comme toi mon petit hêtre adoré, à Morez. Notre famille est originaire de cette vallée jurassienne et nous y sommes tous très attachés. Cousine, bien plus que nous autres. Alors, quand elle a été envoyée travailler dans une ferme de Normandie, elle n’a plus été la même…
– Elle a été triste de partir ?
– Oh, plus que ça ! Elle était meurtrie. Et le voyage n’a pas été de tout repos pour elle, c’est le moins que l’on puisse dire. Le chauffeur de la camionnette qui s’était proposé de l’emmener, un marchand de poires qui prospectait dans le coin, affectionnait le calva sans modération. Un matin, très tôt, alors qu’il chantait à tue-tête, il ne vit pas qu’un sanglier traversait la route et il le percuta de plein fouet. Le véhicule s’est retrouvé sur son flanc gauche et a glissé en tournant comme une toupie, sur au moins cent mètres. Cousine a brinqueballé car elle n’était pas attachée – la sécurité routière à l’époque ça n’existait pas tu sais – et elle a eu le pied droit cassé. Je pense qu’elle a eu très peur et c’est à partir de là que quelque chose s’est détraqué en elle.
– Elle a été à l’hôpital des pieds cassés ?
– Oh non, il était trop loin de l’endroit où c’est arrivé. La famille chez qui elle devait aller, a été mise au courant de l’accident et a envoyé leur fils pour récupérer cousine. Il est arrivé deux jours après et a décrété que ce n’était pas si grave, qu’elle pourrait finir le voyage sans qu’on s’occupe de son pied tout de suite.
– Pauvre cousine, elle a du avoir mal.
– Heureusement, elle n’avait pas à marcher et le fils des fermiers l’avait installée avec plus de prévoyance dans sa fourgonnette, calant son pied de façon à ce qu’il ne bouge pas, et il l’avait même emmitonnée dans une couverture. Ainsi, elle a terminé son périple avec plus de confort, son pied ne lui faisait pas trop mal, mais son âme, elle, était la plus endolorie. Elle se sentait seule et fragile.
– Il était gentil le fils des fermiers de là-bas ?
– Oui, c’était un jeune homme au caractère doux malgré la rustrerie de son éducation. Cousine appréciait sa présence. Après leur arrivée à la ferme, il s’était bien occupé d’elle. Il avait réussi à la faire marcher quand tout le monde pensait qu’elle ne le pourrait plus et il savait la remonter quand elle était au plus bas. C’était un personne précautionneuse.
– Cousine l’aimait bien ?
– Énormément. Mais, ce seul réconfort fut de courte durée. Quelques semaines après l’arrivée de cousine dans le Calvados, la guerre a appelé ce jeune fermier dans de ses rangs. Avant de partir, il l’a longuement regardée et il lui a dit « Le temps continuera toujours de s’écouler, avec ou sans moi, alors ne t’arrête jamais de compter les jours qui nous séparent de mon retour ».
– Elle a encore été meutie cousine ?
– Meurtrie tu veux dire, mon chéri. Oui, et chamboulée, encore une fois.
– Et il est rentré quand ?
– Jamais.
– Pourquoi il est pas revenu ?
– Il est mort. Pour son pays.
– Et cousine, elle a su qu’il est mort ?
– Oui et non. Elle est dans le déni, elle l’attend toujours.
– Et elle, pourquoi elle est rentrée ?
– Ce sont les fermiers normands qui ont décidé de la rapatrier. Ils connaissaient l’attachement de leur fils pour elle alors, en sa mémoire, ils l’ont mise à la porte proprement. A vrai dire, ils ne la supportaient plus. La voir plantée dans un coin d’une pièce, immobile et silencieuse toute la journée, encore ça ils le toléraient. Bien qu’elle n’était plus d’aucune utilité à la ferme. Mais l’entendre tous les soirs, à minuit pile, gémir et résonner dans toute la maison, les rendaient fous.
– On peut pas soigner son chagrin ?
– Personne n’y est jamais parvenu. Elle est pourtant passer entre les mains de professionnels chevronnés, de spécialistes en tout genre. C’est un mystère pour toute la profession. C’est un mal irréparable, qu’ils disent. Elle ne sort de son mutisme qu’à minuit, perpétuellement, inlassablement, sans l’intervention de quiconque.
– C’est pour ça qu’on l’appelle cousine Routine ?
– Oui, car elle n’est dirigée que par sa propre routine, le temps se compte en jours pour elle, alors que pour nous les heures et les minutes défilent naturellement.
– Je l’ai vu hier quand je suis allé à l’atelier. Elle a l’air tellement malheureuse.
– Au moins, elle est revenue à la maison, j’aime croire que c’est un réconfort pour elle.
– Mais qu’est-ce qu’elle est belle !
– Oui c’est vrai. C’est une très belle horloge comtoise.
– Et toi mamie, pourquoi on t’appelle mamie Manie ?
– Oh ça mon petit, c’est parce que j’ai la vilaine habitude de sonner mes heures un millième de seconde en avance. J’aime être la première à tinter.
EQUIN SYBILLIN
Difficile de résister à l’attraction du cheval, surtout quand le manège de chevaux de bois offre un tour gratuit. Un forain philanthrope, lors de la foire de printemps, invitait les enfants des écoles. Il exploitait un manège qui serait maintenant inscrit au patrimoine mondial ou titulaire à Luna Park. Décor et musique de la belle époque, la piste mue par la courroie de transmission d’une machine à vapeur, une cavalerie en bon ordre. Des miroirs reflétaient la beauté d’une statuaire féminine éclairant de torchères à gaz au soir tombant, la machine se rythme au son de l’orgue des frères Limonaire. Sise non loin des trois maisons, dès l’entrée du cours qui recelait auto-tampon, avalanche, labyrinthe, rotor et lutteur.
Un cavalier va à pieds ça sa monture fatiguée marque le pas. Le long du canal, ils cheminent sur l’ancien chemin de halage. Ils gardent leurs habitudes, la bête murmure à l’oreille de l’homme : te souviens-t-il de mamie Manie, de cousine routine ? C’était avant que, d’une ruade, je les envoie dans la fontaine pétrifiante. Mais que t’ avaient t-elles fait ? Rien. Sinon la force de l’habitude peut-être, l’ennui, et quand on le chasse le naturel, il revient au galop !
🐻 Luron’Ours
Mamie Manie aimait raconter les histoires, cette histoire particulièrement. Elle avait ce petit rictus des lèvres qui trahissait son excitation dès que sa choupinette la lui réclamait avant de se coucher. C’était le même rituel chaque soir, la même comédie, car mamie avait la manie de commencer toujours ainsi :
— Pas ce soir, il est tard ma petite chérie. Il faut dormir.
Ce qui avait pour effet immédiat de faire fondre la petite Émilie en larmes et le cœur de la grand-mère avec. S’ensuivait alors une étreinte de plusieurs minutes avant que la mamie ne pince la joue droite de sa choupinette, de sa main droite, toujours.
— Bon, tu as encore gagné, ma petite chérie, lui dit-elle, les yeux aussi étincelants que ceux de l’enfant. Installe-toi bien au chaud sous la couette.
Mamie Manie n’avait aucun livre entre ses mains, trop occupées à caresser les cheveux d’Émilie tout en contant son histoire qu’elle connaissait par cœur puisqu’elle l’avait elle-même écrite, il y a, oh là ! bien des années de cela.
— Il était une fois la cousine Routine qui vivait seule à l’orée d’un bois. Je dis seule, mais en fait, elle ne l’était pas. Sur la branche voisine de l’arbre dans lequel son papa lui avait construit autrefois une petite cabane en bois avant que le ciel ne le cueille un jour noir d’automne, il y avait deux écureuils gris, Tic et Toc, qui venaient frapper à sa porte, chaque matin, vers onze heures, et la saluaient en lui offrant un gland ou une noisette qu’elle conservait soigneusement dans un pot sur une étagère, pour prévenir d’un rude hiver. En échange, elle leur donnait quelques champignons, certains hallucinogènes pour leur récréation, car ils étaient un peu allumés, à leurs façons.
Tic avait cette manie de remuer la queue en partant comme s’il époussetait la branche sur son passage, ce qui avait le don de troubler Toc, qui ne pouvait s’empêcher de cracher et frotter chaque feuille derrière, si bien que l’arbre tout en entier, sous la lumière du soleil, reluisait comme un lampadaire dans la forêt.
Tous les oiseaux s’y donnaient rendez-vous au crépuscule pour y nicher, non sans donner leur traditionnel concert qui enchantait chaque soir Routine, après une journée bien machinale, à l’usine des fruits des bois où elle cueillait tout ce qui était comestible pour nourrir la communauté.
Elle pointait à six heures, sept jours sur sept, et rentrait vers dix heures pour la pause déjeuner et faire un peu de ménage juste avant l’arrivée de Tic et Toc. Sa maison était toujours impeccable et prête à recevoir. Puis elle repartait vers midi pour revenir un peu avant le coucher du soleil et l’arrivée de tous ses amis.
Ça se battait sur la canopée pour avoir les meilleures places. L’orchestre était bon, improvisant, comme chaque soir, avec leurs instruments à cordes vocales. C’était un moment de détente qu’appréciait Routine, elle les admirait à se laisser aller ainsi au gré de l’inspiration du vent. Qu’elle aimerait pouvoir jouer, chanter et danser avec eux. On ne lui avait jamais appris.
— Mais cela ne s’apprend pas, la taquina un merle moqueur, un brin dragueur. Il n’y a qu’à se laisser porter par le vent de l’instant et écouter son cœur, lui trompetait-il.
Cela n’avait pas de sens pour Routine qui avait besoin d’instructions précises, comme son papa lui avait appris.
« Sois consciencieuse et studieuse et tu réussiras dans la vie. Pas comme ta mère qui a préféré la vie de bohème et qui l’a emporté par-delà l’océan. »
Sa maman vivait à New-York et travaillait dans un cabaret. Routine avait toujours écouté son papa qui l’avait élevée seul, dans la droiture d’une vie sans imprévu, sans incertitude. Toujours se prémunir du pire, ne pas s’attarder sur le meilleur. Travailler dur, toujours. Il lui serinait les mêmes adages.
Siffleur, le merle moqueur qui jouait du cuivre de sa voix, l’emmena tout en haut de la canopée, au petit matin, pour admirer le lever du soleil derrière la montagne dorée.
— Comment crois-tu que je me suis envolé de cette branche, la première fois ? lui siffla-t-il.
Routine ne répondit pas.
— Un matin comme celui-là, il ne restait plus que moi dans le nid, poursuivit-il. Mes frères et sœurs n’étaient plus là. Le ciel avait vêtu son aube blanche aux éclats d’aurore, comme pour une première communion. Je savais que c’était aujourd’hui le jour du grand saut. J’appréhendais autant que j’étais excité. Quelque chose au fond de moi savait qu’il ne fallait pas s’inquiéter. L’instinct de vie, le désir d’envol. Et me voici oiseau, ténor au cabaret de l’arbre rutilant.
Il s’envola et tourna autour de Routine. Il riait comme s’il se moquait d’elle.
— Allez ! à toi ! Libère-toi, Routine. Sens le vent qui t’appelle, écoute ton cœur !
— Vas-y Routine ! Écoute ton cœur !
Émilie ne tenait plus, les yeux embués, comme ceux de mamie Manie à la voix tremblante. Elle se tut et laissait sa choupinette terminer l’histoire.
— Routine prit son élan et sauta dans le vide, écartant les bras comme pour voler et tomba dans les bras du vent qui la souleva et la hissa jusqu’à Siffleur, fou de joie.
— Allez, viens ! dit-il, New-York, c’est par là.
Joli, joli… un vrai conte. Bisous bravos
Merci mamie Sylvianne. As-tu aussi gardé la manie de lire une même histoire à Félix ? bisou à toute la famille… et l’écureuil de la cabane ;-).
ça me fait penser à l’histoire »d’Emma à New york » cette petite moinelle qui rêve de découvrir Paris!…
Je ne connais pas cette histoire, Geneviève. Juste les écureuils de Pancol à Central Park. Sauf que les miens ne sont pas triste le samedi, juste un peu allumés. Merci pou votre lecture. 🙂
Magnifique. J’aime beaucoup cette histoire. Bravo Antonio.
Merci Pierre. Au plaisir aussi de vous lire le samedi.
Ma cousine Routine vivait au Manie
Vieux pays conservatiste
Dont les pratiques d’invariabilité
S’accoutumait de règles et de rites persistants
La coutume voulait que chaque usager
Suive ses marottes
Et ses habitudes immuables
Chacun roulait en automatisme
Et mangeait avec accoutumance
Un jour Routine rencontra Innov
Entré par étrangeté sur le territoire
Il avait la fraicheur de l’audace
Un cœur à variation
Et des idées progressistes
Aussi opposés que des antonymes
Ces deux-là finirent pourtant par s’apprivoiser
Ils se sont mis à la nuance
En mesure et avec retenue
Et ils ont créé un nouveau parti :
L’équilibrisme
Harmonie et Tempo sont leurs enfants
679/CONTINE DE LÉONTINE
C’est en équeutant les haricots verts que cousine Léontine nous racontait ses plus belles histoires. Toutes vraies mais si bien enjolivées par son accent et son sourire qu’en l’écoutant, nous, les gosses avions l’impression de boire un sirop de bien-être.
D’abord dans cette maison bêtes et gens étaient affublés d’un prénom en ‘ine’ en l’honneur de la maîtresse de maison sans doute qui était une véritable ménagerie : chiens et chats pour le confort amical, les poules (Fifine et Janine) pour les oeufs et Amine le coq comme réveil matin.
Donc, je jour-là Léontine nous raconta les facéties de la tortue Capucine déjà là du temps de la grand-mère Alphonsine. Elle promenait sa carapace d’un pas tranquille en propriétaire des lieux. Aussi le matin tôt elle veillait à la sortie des chats-chiens. Victorine, le scottish prenait le soleil devant la porte vitrée. Ce moment délicieux de détente était hélas systématiquement troublé par l’arrivée de la coquine Capucine qui venait lui faire pipi juste sous son nez.
Ça nous a bien amusée et tous les matins qui suivirent, nous regardâmes le manège si bien rodé des bestioles.
En vieillissant, j’ai compris que tante Leontine avait trouvé ce moyen pour et nous occuper et préparer sa soupe ! Une main-d’œuvre pas cher qui disons le, devançait l’appel.
🐀 Souris verte