454e exercice d’écriture créative imaginé par Pascal Perrat
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante…
Inventez la suite.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante…
Inventez la suite.
Chaque nuit, elle rêvait qu’elle avait un pied dans la tong. Tourmentée par ce sinistre présage, elle consulta une voyante…
Cette dernière, une dénommée Roselyne, était parait-il, spécialiste de ce genre de problème. Elle avait soulagé sa meilleure amie dont le rêve était d’avoir la main sur le beurre, mais aussi son père qui rêvait d’un costard dans le placard.
Nul doute que cette femme allait résoudre son problème.
Elle arriva un peu tendue à son rendez-vous, mais Roselyne se montra charmante et la mit vite à l’aise en l’installant dans un canapé douillet avec une tasse de thé.
-Qu’est-ce qui vous amène ma fille ?
-Et bien voilà, toutes les nuits depuis un mois, je rêve que j’ai un pied dans la tong. Au début je ne m’inquiétais pas, mais j’en ai parlé une collègue qui m’a dit que c’était mauvais signe.
-Mmh, je vois.
-J’ai regardé la signification de ce rêve sur un internet et depuis je suis très angoissée. Je crains pour mes orteils.
-Effectivement, ce n’est pas anodin. Un pied dans une tong peut avoir de grandes souffrances. Par exemple, une barrière qui s’ouvre et qui vient se cogner contre les orteils, sans parler du retournement de la tong toujours très traumatisant si elle est un peu lâche… Vous avez bien fait de venir me voir.
-J’ai peut-être un peu tardé.
-Non, n’ayez crainte mon enfant. Ce n’est pas comme si vous aviez rêvé que vous aviez les deux pieds dans le même paquebot !
-Oui, c’est vrai, je suis nerveuse, excusez-moi.
-Mais je suis là pour ça, ne vous excusez pas, j’ai cent pour cent de réussite. Ce que je vais vous demander à présent est de trouver par quoi vous voudriez remplacer la tong. Ma méthode fonctionne par la substitution. Normalement dès ce soir votre rêve aura changé. Si ce n’est pas le cas, je vous rembourse. Ah oui, vous ai-je parlé du prix ?
-Non.
-C’est assez coûteux de remplacer un mauvais présage par un bon, c’est 2000 zéros tout rond.
-Ce n’est pas donné mais je suis prête à faire le sacrifice. Je n’ai entendu que du bien de vos actions.
-A la bonne heure ! Allons, ne perdons pas une minute, je vous propose dès à présent de réfléchir un objet de substitution pour remplacer la tong.
-Mais je n’ai aucune idée !
-Dans ce cas, je peux vous proposer une pelote de chien. C’est doux, tiède, confortable, et comme vous le savez, portée au pied gauche, elle porte bonheur.
-C’est parfait !
-A présent, vous allez tremper vos pieds dans la mare de café. Voilà, très bien comme ceci ! Vous voyez c’est indolore. Lorsque vous serez partie, je vais continuer à travailler sur la mare pour procéder à la substitution et demain matin vous n’aurez que le souvenir d’avoir mis le pied dans la pelote de chien !
-Merci madame. Je peux faire un chèque.
-Oui, avec 2000 zéros comme convenu.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage – il s’imaginait ruiné, dormant sur la paille, errant tel un va-nu-pieds – il consulta une voyante.
Madame Bonnaventure qui répondait au doux prénom d’Irma, était reconnue sur la place publique pour ses dons à retrouver les existences antérieures et à prédire les destinées futures. En totale confiance, il lui confia ses craintes et ses espoirs.
« Il est vrai que dans le passé vous n’avez guère connu la fortune commença d’un ton sibyllin la sibylle : une première vie de traîne-savates ; une autre très austère, voire spartiate ; puis je ne vois que des sabots tout boueux, des sandales aux semelles laminées, des godillots crottés. Que voulez-vous que je vous dise, assena d’un ton implacable l’impitoyable chiromancienne. N’ayons pas peur des mots : des existences de godasses.
Mais, je puis vous l’affirmer prophétisa la tireuse de cartes, votre existence va être bouleversée. Je ne perçois que du positif à compter de ce jour. Vous êtes verni, mon cher Monsieur. Vous allez gagner de l’argent d’une façon inattendue et votre destin va se trouver transformé . Terminée votre vie casanière et pantouflarde, finies les soirées en charentaise. A vous les mocassins en cuir de veau véritable, les derbies de marque anglaise ..
De plus, une femme vous chérit d’une passion vive et inconditionnelle, elle ne va pas tarder à se manifester. Un lien très fort vous unit à elle, je vous le garantis, l’amour est là assura la cartomancienne. »
En sortant de la roulotte de la devineresse, confiant et ragaillardi, il acheta un ticket de loterie.
Le lendemain, il découvrit que les 3 numéros lui rapportaient la tonitruante somme de 3,76€ et, dans sa boîte aux lettres, une carte d’anniversaire adressée par sa très aimante vieille maman.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante qui discrètement regarda comment il était chaussé ? Il portait des boots apparemment fourrés et on était au mois de juillet. Qu’allait -elle pouvoir inventer ? C’était la première fois qu’elle se trouvait à court d’idées..
Prétextant une course urgente à faire, elle lui demanda de revenir la semaine prochaine, soit le vendredi 13 à 13H de l’après-midi avec des tongs au pied.Il lui avoua qu’il était superstitieux et qu’il ne prenait jamais de rendez-vous un vendredi 13 et surtout pas à 13 H et que de plus il n’avait pas de tong.
Je crois lui dit-elle que dans ce cas je ne puis rien pour vous et se leva pour mettre fin à leur rendez-vous.
Quelques mois plus tard, c’est à dire en janvier, elle le vit revenir avec des tongs au pied avec des chaussettes à orteils. Il lui dit que désormais il rêvait qu’il avait des boots au pied.
Ecoutez Monsieur je vais vous donner un calendrier sur lequel je vais marquer au stabilo rouge les dates où vous porterez des boots, au bleu les dates où vous vous chausserez avec des tongs.Agacée, elle se trompa dans ses couleurs .N’ayant pas son numéro de téléphone elle ne put lui faire part de sa bévue.
De temps en temps, principalement au changement de saison, elle pensait à lui avec amusement.
Il consulta une voyante de grande réputation :
Mme BERTHE
Bon Pied Bon Œil
– Guidez-moi je vous prie car ce rêve me fait perdre pied .
– Je vois . Je vois 2 personnalités en vous qui se marchent dessus . C’est pas le pied votre vie en ce moment , n’est ce pas ?
Je vois un pantouflard du genre traîne-savate le week-end qui se transforme en lèche-bottes la semaine . Vous devez reprendre pied .
– Eh ! levez un peu le pied sur vos visions me concernant . J’ai un employeur qui ne me lâche pas d’une semelle , face à lui je suis dans mes petits souliers et je me sens à l’étroit dans ma vie privée . Je préfèrerais savoir ce que vous voyez à venir ?
– Je vois . Je vous vois retomber sur vos pieds grâce au projet dont vous rêvez depuis tant d’années et que vous allez mettre sur pied :
Peindre des portraits en pieds , ainsi vous pourrez prendre le vôtre et je la vois , trouver chaussure à votre pied .
Attention ! Une seule condition pour que cela prenne forme : garder secret notre entretien .
Alors un conseil : Restez muet comme une tong .
Qui dit voyant peut dire aussi passé et non seulement avenir….. le temps est à compter l’histoire de la tong.
On la retrouve dans l’Égypte antique pour éviter la brûlure du sable, comme soulier de luxe par les impératrices de Rome puis chaussure caractéristique des courtisanes japonaises, la tong traversera les époques avant de devenir votre indispensable accessoire
Brève histoire de la tong
C’est donc environ 4 500 ans avant J-C que les Égyptiens imaginent une chaussure faite d’une semelle en feuille de papyrus tressée et d’une bride en cuir. Le premier modèle de tong est né ! D’abord utilisée par les travailleurs, elle devient petit à petit la sandale nationale et est même portée par les pharaons ! que de classes sociales les séparent ! Affranchissement d’un peuple !
Le concept plaît aux Romains qui l’adaptent à leurs mœurs plus coquettes : les semelles sont moulées dans de l’or (eh oui, rien que ça ! ) et ornent les pieds des impératrices.
En même temps, l’Asie adopte la tong en utilisant les matériaux à leur disposition. En Inde on trouve alors des chaussures à semelle en paille ou en bois (aille, guère confortable). En migrant plus à l’Est, la tong prend de la hauteur en Chine et au Japon, où un talon compensé en paille de riz remplace la semelle plate et l’entre-doigts la bride latérale. C’est la « zori », qui se porte avec la fameuse (ah bon ? ) chaussette à un doigt ! Au 20ème siècle, le talon compensé est remplacé par des patins en bois et cette nouvelle chaussure, la « geta », est principalement portée par les courtisanes (tient on retourne à la classe sociale supérieure ;-)).
De l’autre côté de la planète, sur les plages de Copacabana, la tong connaît un véritable succès au pays du soleil et du bikini. Moins nous sommes habillés, mieux on se porte !
Enfin, lors de la guerre du Vietnam, les Américains observent cette drôle de chaussure à lanière en V que les vietnamiens portent dans les rizières et la surnomment thong, soit « lanière » en anglais. La tong est désormais internationale et on la traite de tous les noms… (non de non !)
– Bref, mon bon monsieur, n’ayez pas peur du passé et de l’Histoire que s’insinue en vous. Sentez vous plutôt priviligié de toute cette connaissance qui vient à vous. L’Homme est fait, pétrie, de son histoire. C’est ainsi que vous concevrez mieux votre aujourd’hui. Mais peut être me direz vous que vous n’êtes guère avancé.
Eh oui, pour une fois, pont de bonne aventure annoncée.
AH ! Kikipédia – que ferait-ton sans toi …
L’histoire des soldats américains ne figure pas dans l’article de Wikipedia. Il faudrait la confronter à celle des frères Tong, industriels chinois implantés au Cambodge et dont les usines de sandales en caoutchouc (lequel provenait des les plantations de Chhup, province de Kampong Cham) prospéraient jusqu’aux temps agités suivant le coup d’état du général Lon Nol en 1970.
A l’époque, on disait « une Tong » comme on dit encore « une Mobylette ».
Etonnant que Wikipedia ne dise pas mot de cette autre version de l’histoire… à croire que c’est une mystification 🙂
Intéressant, merci.
Les 3 docs diffusés récemment sur ARTE sur les tenants et aboutissants de la guerre du Vietnam étaient aussi passionnants qu’édifiants.
C’est chouette ce blog, on en apprend des choses..
Merci 🐀
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante.
Il savait en trouver sur les pelouses qui entourent le Wat Phnom, la colline symbolique au sommet de laquelle la vieille Penh, selon la légende, a construit un temple pour abriter l’image de Bouddha qu’elle avait trouvée flottant sur le fleuve. Aujourd’hui encore les habitants de la ville sont nombreux à monter pieusement à cette pagode. Ils viennent honorer les statues du sage éveillé tout autant que celle, nichée sous un petit auvent derrière le temple, de la fondatrice tutélaire de la ville.
Outre une tribu de singes braillards, les pentes et les abords de la colline sont parsemés de marchands ambulants, d’artistes de rue et autres vagabonds à la recherche d’un coup de chance. Un touriste inattentif peut vite y perdre plus que le coût modique d’accès au temple ou celui du jus de canne dont il voudra se désaltérer au retour – autre imprudence, digestive celle-là. Mais lui n’était pas un touriste. Il habitait là, c’était sa ville. Il parlait un peu Khmer, savait négocier le prix d’un polo au marché Russe ou celui d’un trajet en moto-taxi. Et il savait qu’au pied du Wat Phnom, on trouve aussi des voyantes.
Bien qu’ayant choisi une heure peu fréquentée, il était un peu inquiet en approchant de la colline. Et si l’un de ses amis l’apercevait? Qu’allait-il raconter? Aller rencontrer une voyante, on pouvait faire ça entre copains, pour s’amuser, sans se prendre au sérieux. Mais là, justement, c’était sérieux, et autant une part de lui trouvait ridicule cette idée de consulter ces charlatans notoires, autent une autre part l’y attirait impérieusement, comme si cette démarche irrationnelle était la seule réponse appropriée à ce rêve incongru: avoir un pied dans la tong… Il était devenu impossible de ne pas agir. Ces dernières nuits, il s’était réveillé avec des sueurs froides – et ce n’était certainement pas l’effet du ventilateur qui brassait mollement l’air étouffant des nuits d’avril.
Sur qui allait-il tomber? Et s’il ne trouvait pas de voyante? Et si les conducteurs oisifs de cyclo-pousse ou de touk-touk, toujours curieux et trop heureux du moindre événement inhabituel, venaient s’agglutiner autour de lui, ruinant l’intimité dans laquelle il souhaitait accomplir sa démarche?
Armé de tout son courage, il paya son chauffeur et s’aventura, d’un pas désinvolte, sur la pelouse la plus proche. Des regards indifférents le suivirent quelques instants. Mais personne ne s’approcha ou ne le héla pour lui vendre un quelconque service: il était assez sûr de lui au moins pour ne pas être confondu avec un touriste.
Il avisa une vieille qui, assise en tailleur sur une natte, employait méthodiquement ses dernières dents à mâcher de l’arec et du bétel, qu’elle recrachait en taches rouges sur la terre battue derrière elle. Non loin d’elle, avec des mouvements gracieux, une jeune fille remplissait de nourritures diverses des récipients d’aluminium ciselé qu’elle se préparait probablement à porter aux moines de la pagode. Accroupie sur ses talons à la mode paysanne, elle rejetait par instants en arrière, d’un geste léger, la cascade noire et lisse de ses cheveux qui descendait presque jusqu’au sol. L’ombre mouvante des arbres jouait sur son visage et brouillait l’image qu’il essayait de s’en former.
Il reporta son attention sur la vieille qui le regardait approcher, toujours mâchonnante, avec maintenant un petit sourire énigmatique. Alors qu’il arrivait devant elle, son regard sembla le transpercer un instant. Puis soudainement, se tournant vers la jeune fille, elle lui lança avec un fort accent du nord-ouest: « នេះចៅ មកហើយ ! »; il se demanda s’il avait bien entendu, bien compris. Mais il n’y avait pas de doute, malgré l’accent. Elle avait dit clairement, à peu de chose près: « Le voici, (ma) petite fille, il arrive! ».
Après l’avoir d’un geste invité à s’asseoir, plus lestement que ne le laissaient penser son corps décharné et sa figure ridée, la vieille se leva et se dirigea vers la jeune fille. Il entendit encore « អោយមក » (« donne-moi ça ») et docilement celle-ci se redressa; elle vint s’assoir face à lui, à la place qu’occupait un instant auparavant la vieille qui semblait maintenant se désintéresser complètement de lui. Le projet de consultation semblait fort compromis, mais cet échange intrigant devait avoir un sens, qui allait peut-être bientôt lui être révélé.
Une fois assise sur la natte, les jambes repliées derrière elle à la manière traditionnelle, d’un geste délicat elle écarta de nouveau la masse sombre de ses cheveux et découvrit son visage. Il fut saisi par sa beauté. Ce teint mat, ces pommettes hautes, ces fossettes encadrant une bouche légèrement charnue comme celles des danseuses sculptées aux frontons des temples antiques… Les yeux noirs en amande le fixaient avec une tranquille et étonnante assurance qui semblait se teinter d’une pointe de raillerie tandis que, subjugué, il en oubliait d’engager la conversation.
Ce fut donc elle qui, finalement, rompit le silence:
« Il semble bien – dit-elle malicieusement dans un français irréprochable – que tu as déjà un pied dans la tong! »
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante…
Non, mais attendez ! Cela ne se passe pas comme ça ! Pour consulter une voyante, il faut d’abord se renseigner. Le bouche à oreille, c’est très important ! Oui, mais attendez ! A qui confier que l’on a un impétueux besoin de consulter une voyante ? A ses collègues de travail ? Pour que la rumeur se mette à courir dans les couloirs ? Non, mais attendez, ça ne peut se faire ! A son meilleur pote ? Pour que cette idée saugrenue explose sur les réseaux sociaux ? A sa bonne vieille copine ? Pour qu’elle pousse des cris d’orfraie et me prescrive illico-presto la lecture du dernier bouquin à la mode : « Psychologie de la connerie » ?
Non, mais attendez, c’est sérieux ce qui m’arrive. Ce n’est pas anodin de rêver chaque nuit d’avoir un pied dans la tong alors que mon boss est le créateur de la chaussure à la semelle rouge…L’exaspération me gagna bientôt, puis ce furent des colères noires qui hantèrent mes soirées. J’ai pensé qu’une rasade de Johnny W. les ferait fuir, mais hélas, cela ne servit à rien.
Ce rêve, sinistre présage récurrent, vira au tourment. Il devait avoir une signification, j’en étais convaincu ! Mais ce dont j’étais moins convaincu, c’était de la voie qu’emprunterait cette signification. Un autre rêve ? Une rencontre ? Un livre ? Une peinture ? Une chanson peut-être ? Un mail égaré dans les spams ?
Après un mois de tortures nocturnes, je dus me rendre à l’évidence : j’étais en train de prendre un sale coup. Manque de concentration, besoin de caféine, manque d’appétit, besoin de compléments alimentaires, manque d’enthousiasme, besoin de solitude. La liste devenait alarmante, jusqu’au jour où je n’y tins plus. Je pianotai sur mon clavier : voyance. La géolocalisation de ma bécane me fournit un nombre impressionnant de voyants et voyantes dans les environs.
Et cette fois, la chance me sourit. Dès le premier appel, une voix rassurante me répondit :
– Je vous attends. Demain. 17 heures.
Je sautai de joie. Une nuit. Plus qu’une seule nuit ! Je me glissai avec délice dans mon lit, attendant avec délectation ma délivrance certaine.
Non, mais attendez ! Imaginez ma stupeur le matin : je n’avais pas rêvé de pied dans la tong ! Mais bon, mon rendez-vous était pris. Je profitai de cette journée interminable pour choisir soigneusement ma tenue. A 16 heures tapantes, je reçu un appel de ma voyante. Elle me conseilla de faire attention à tout ce qui allait se passer dès que j’aurais coupé la communication.
Je pris un petit carnet et commençai à noter. Mes hésitations quant à la couleur de ma tenue, le miroir que le bouchon du flacon de mon eau de toilette brisa, l’oiseau qui regardait chez moi, un de mes voisins qui ouvrit son parapluie dans le hall, le chat noir qui me coupa la route, l’échelle du peintre au travers du trottoir, une bonne femme qui râlait sur son homme en lui disant qu’il s’était encore levé du pied gauche, et ce même bonhomme qui l’accusait d’avoir renverser du sel. Perturbé par cette querelle, je faillis me faire renverser par un camion.
Tout cela me paraissait incongru. Mais comme la voyante me l’avait demandé, autant ne pas la contrarier avant même de commencer. Je regardai discrètement sa montre. J’étais à l’heure.
J’ appuyai fermement sur le bouton de la sonnette et la porte laquée de bleu nuit s’ouvrit sans bruit.
Une voix m’invita à m’engager dans le couloir et de pousser la première porte à droite.
Le cœur battant, j’obtempérai. Et le spectacle qui s’offrit à mes yeux me subjugua.
Une grande pièce blanche, un parquer couleur miel, une véranda offrant une vue sur un jardin luxuriant. Une table de verre et deux fauteuils en cuir noir qui se faisaient face.
Je m’assis sur celui qui était légèrement décalé.
Et puis, elle apparut, aussi sculpturale qu’une cariatide. Lentement, elle prit place et me regarda dans les yeux. Je tombai sous le charme. Mais ce charme se brisa lorsqu’elle prit la parole. Elle avait une voix de rombière.
– Avez-vous fait ce que je vous ai demandé ?
Timidement, je sortis mon carnet et commençai la lecture. A chaque fait, elle opinait et murmurait quelques paroles incompréhensibles.
Je terminai en évoquant cet accident que j’avais évité de justesse. Elle haussa les sourcils et posa ses deux mains sur la table et déclama :
– Vendredi 13, nous sommes le vendredi 13. C’est normal.
J’en restai sans voix. Je respirai profondément et déclamai à mon tour :
– Je rêve. Toujours le même rêve.
– Ah, un rêve ? Vous êtes sûr ?
– Oui, et il n’a rien à voir avec le camion, mais il a à voir avec des tongs.
– Ça rime, me dit-elle, pince-sans rire.
Je pris mon élan et débitai d’une traite :
– Chaque nuit, je rêve que j’ai un pied dans la tong. Et je suis tourmenté par ce sinistre présage . C’est la raison pour laquelle…
Aussi brusquement qu’ elle leva la main et m’intima l’ordre de me taire, elle se pencha et regarda sous la table. Je sentis le rouge me monter aux joues, prêt à entendre quelque remarque douteuse, voire scabreuse.
Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque je la vis se pâmer en regardant mes pieds. Je devins écarlate en constant que j’avais gardé mes havaianas préférées… des tongs dorées…
Je la vis tout à coup se prosterner devant moi.
– Chaque nuit, je rêve de cet instant, déclama-t-elle avec emphase. Cela fait une éternité que je vous cherche. Et tout était là, tout près de moi…le camion… tout dans le camion. Vous êtes… vous êtes…
Aussi vite que mes neurones me le permirent, je repassai tout en revue : le camion, mes pieds, mes tongs aux lanières dorées et je fis le lien. J’étais un descendant de Toutânkhamon !
© Clémence.
Chaque nuit il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante. Celle-ci n’ayant qu’un sablier en guise de boule de cristal lui décompta son temps dès qu’il entra dans une pièce qu’elle avait conçue exprès pour ses rendez-vous.
– Entrez cher Monsieur, dit-elle en le retournant. Asseyez-vous, mettez-vous à l’aise et concentrez-vous sur votre question.
Elle voyait Paul pour la seconde fois et d’emblée elle savait adopter une attitude très étudiée à peine commerciale. L’essentiel était que son client se sente en confiance. Paul fixa un moment sur le sablier soutenu par un cadre en laiton doré. On aurait dit de l’or. Il pensa : « Le sablier c’est cool ! »
– Concentrez-vous, dit la femme. Je vois une tong. Vous allez à la plage ? questionna-t-elle. Mais je ne vois pas très bien, il y a un flou à la fin du mot.
– Le sablier s’écoule, dit Paul.
– C’est ça, je vois du sable. Elle présenta un jeu de cartes à jouer normales qu’elle ouvrit en éventail. Tirez trois cartes sans me les montrer et recouvrez-les sans me les montrer et recouvrez-les de trois cartes chacune toujours sans me les montrer. Paul se conforma docilement sans réfléchir. maintenant tirez une des cartes au hasard. Je vois un grand malheur ! dit-elle. Tirez une nouvelle carte pour plus de précisions. Et Paul tira à nouveau. Je vois un jeu musclé avec des barres parallèles. Mais vous n’êtes pas content du tout.
A cet instant, il pensa à un gymnase et au grand malheur, à un athlète qui aurait chuté sur le tapis. Retournez une autre carte. Il découvrit la seconde carte. La France perd contre les Îles Tonga !
– C’était ça le grand malheur ! Ce n’est pas possible.
– Taisez-vous, c’est moi la voyante. Je ne voyais pas bien la fin du mot, si c’était un O ou un A. Si c’est un O, c’est contre l’Argentine qu’elle perd.
– Attendez, qu’est-ce que vous me racontez ?
– Cent euros, dit la dame sympathique.
De retour à la maison, Paul réfléchit. Cent euros, c’était ça le grand malheur. Elle m’a bien eu avec ses barres parallèles. L’athlète qui chutait c’était un essai marqué entre les poteaux. Je n’essayerai pas une troisième fois. Elle m’a complètement transformé. Je ne me mêlerai plus de connaître mon avenir, à l’avenir. Je croyais avoir une touche avec elle mais je déclare forfait. Si elle confond le O avec le A, le beau avec le bas, le tango avec Tonga, le devant avec le derrière, mes cent euros, j’aurais mieux fait de les mettre dans un billet. J’aurais au moins vu un match.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta Irma Cadillac, la voyante de son quartier.
C’était compliqué pour lui parce qu’il était unijambiste. Il se traîna donc avec ses béquilles chez la voyante. Dans la salle d’attente, bien en évidence, une affiche précisant le tarif : 300 euros la consultation.
Invité à pénétrer dans le salon d’Irma Cadillac, celle-ci lui demanda :
— Pourquoi venez-vous me voir ?
— C’est vous la voyante, non ?
— Ma boule de cristal me dit que vous n’avez pas 300 euros sur vous.
— Votre boule de cristal raconte n’importe quoi.
— Pour l’instant, elle tourne au ralenti. Comme une voiture, elle a besoin de carburant pour fonctionner correctement. Et elle carbure aux euros. Posez 300 euros sur la table et vous ne serez pas déçu.
— C’est cher !
— Normal ! Je m’appelle Irma Cadillac, pas Irma Deux Chevaux.
Il paya à regret.
— Je vous écoute, fit-elle.
— Voilà : Je rêve chaque nuit que j’ai un pied dans la tong.
— Achetez un mocassin.
— Ils ne se vendent que par paires, et maintenant que je vous ai payée, je n’ai plus les moyens d’en acheter.
Elle se concentra sur sa boule de cristal.
— Je vois que vous cherchez une solution gratuite.
— C’est exact.
Sa concentration était extrême.
— À mon avis, ce qui vous manque, c’est une deuxième jambe.
— Votre don de divination est ex-tra-or-di-naire ! Pouvez-vous faire quelque chose pour moi ?
— Oui. Ce n’est pas moi qu’il faut voir, mais un bon médecin.
— Le mien m’a déjà dit qu’il ne pouvait rien pour moi.
— Je vous ai dit un BON médecin. Qui vous enverra dans un service d’orthopédie, et qui vous fera faire une prothèse aux frais de la sécu. Ça ne vous coûtera pas un centime.
— Vous en connaissez un ?
— Oui. C’est un de mes clients. Allez le voir de ma part et précisez bien que cela vous empêche de travailler, et que ce sentiment d’inutilité risque de vous faire tomber en dépression. Prenez exemple sur Oscar Pistorius. Lui, il était amputé des deux jambes et il a fait des choses pas mal, non ?
— Il a quand même tué sa compagne.
— Que voulez-vous, cher monsieur, nul n’est parfait !
— Et vous non plus ! Je doute de votre don de voyance.
— Vous avez parfaitement raison, mais il y a des gens qui y croient, et ça leur suffit. Ne vous ai-je pas donné une solution à votre problème ? Donc, je mérite bien vos 300 euros.
— Ce docteur est un de vos clients. Est-ce qu’il croit à votre don de voyance.
— Pas du tout. C’est un copain que j’ai rencontré sur les bancs de la fac de médecine. J’ai trouvé plus marrant d’ouvrir un cabinet de voyance que de m’occuper des vrais malades.
— Vous le regrettez ?
— Rarement. Parce que je me sens presque aussi utile. Au revoir monsieur.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante…
Mais non, rassurez vous, lui dit la voyante. Vous avez bien rêvé « un pied dans la tong » et non pas pas « un pied dans la tombe ». Manifestement, vous n’avez pas compris le message et c’est tout à fait autre chose. En fait, ce rêve montre, même si vous n’y voyez qu’une psychologie de bas étage, tout simplement votre désir de rencontrer une nouvelle (ou un nouveau) partenaire. Pensez à l’expression « prendre son pied » ! Et vous l’aurez compris, la tong, c’est le string des pieds. Alors quand vous aurez rencontré cette personne, revenez me voir et je vous dirai si c’est la bonne personne. Ça fera 100 euros !
💖👍🌼😁
Merci Pascal d’avoir rétabli le début de mon textounet. 🐀
C’était une photographe très célèbre pour ses flashs bien que son compagnon parti, elle ne sût jamais ce qu’il devint. Loin d’être spartiate, sa pièce de travail faisait « sandale ». Elle recevait en grande pompes dans sa chambre, consultant les Augures sous un ciel de lit. Mais point de délit tarifé ni de Karma sous toit, l’Oracle était sérieuse. Elle officiait, assise sur de multiples coussins car elle avait mal occulte. Depuis quelque temps déjà elle avait les boules, elle en avait marre du café. Alors, philosophe, elle se réfugia dans Descartes. Elle étalait devant elle différentes cartes Michelin pour déterminer votre prochain trajet de vie. Comme elle était spirituelle, elle maniait souvent l’humour avec ses clients. Juchée sur de hauts escarpins, elle les tenait à sa botte, sans morgue, mais avec l’assurance d’un Richelieu. Ce riche lieu était décoré de méduses translucides, de mules très lucides et d’une famille sanglier avec ses petits mocassins.
Quelque peu gêné par son bouquet d’œillet qu’il serrait dans ses mains agitées, Bernard regardait ses santiags. Il demeurait muet comme une tombe derrière la bière qu’elle lui avait offerte. Par sa magie et sa gentillesse, la médium parvint à exorciser les visions funèbres de Bernard. Manipulant des cendres, elle invoqua une entité qui chassa ses mauvais rêves. Grace à l’oracle, Bernard put enfin jouir du résultat des urnes sans associer funérailles avec son nouveau statut de Maire.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante.
— Je fais sans cesse le même rêve inachevé, lui dit-il en prenant mollement place face à elle.
De la poche de son pantalon élimé il sortit un grand mouchoir humide, qui autrefois avait dû être blanc et, usant de gestes lents et las, il écarta une mouche puis s’essuya le front.
— Comment commence-t-il ?
— Quoi ?
— Ben… votre rêve, pardi, comment commence-t-il ?
— Après deux mois et demi passés en mer, mes camarades et moi sommes enfin descendus à terre. Quelques bouteilles de trop, la fatigue accumulée, une réflexion malvenue, une énième partie de poker qui a mal tourné et, soudain, sans même que l’on comprenne pourquoi, voilà qu’éclate une vilaine bagarre.
Soudain, deux bras puissants exercent une forte pression dans mon dos : me voilà précipitamment éjecté hors d’un sinistre tripot doublé d’un bar à putes. Je me retrouve sur un trottoir d’une ville portuaire asiatique dont je ne sais plus trop s’il s’agit de Hong-Kong, de Shanghai ou de Macao. Dans mon rêve, je ne parviens pas à identifier exactement ni le lieu ni les deux grands « blacks » qui me poursuivent. J’accélère le pas et me retourne. Punaise, ils sont encore là ! Je me mets donc à courir, au petit trot d’abord, puis, voyant qu’ils sont toujours à mes trousses, de plus en plus vite.
Mes copains et moi avons traîné dans les bars, les bordels et joué au poker toute la nuit. À présent, il doit être seulement six ou sept heures du matin. Déjà, une chaleur moite et épaisse, presque gluante, enveloppe chaque chose. Les divers bruits de ce qui me semble être un marché de rue sont assourdis dans un nuage de brume de chaleur sortant du macadam mêlée de fumée de tabac et de cannabis. De partout s’élèvent et se marient les odeurs âcres de l’urine et de la sueur de la veille ainsi que les parfums d’épices, les fumets de viande grillée et de poissons bouillis, de légumes cuits au wok, les vapeurs des cuiseurs de riz et le nuoc-mâm.
De toutes parts, des bruits parviennent à mes oreilles : non loin de la porte du bouge, quelques filles de joie, la « relève » du matin sans doute, en sueur et en cuissardes à talons aiguille, le maquillage déjà luisant, la mini-jupe collée aux hanches, se disputent un bout de trottoir tout en fumant leur première cigarette de la journée. Un peu plus loin, des marchandes de toutes sortes de denrées odoriférantes hèlent les passants, de jeunes enfants poursuivent en criant ce qui autrefois fut un ballon de foot, des ménagères à la voix aiguë, forte et nasillarde discutent ferme avec les vendeurs de légumes afin d’obtenir un bon rabais, des bébés joufflus en quête de lait braillent dans les bras de leurs jeunes mères à la poitrine déjà aplatie et décharnée, les chauffeurs de taxi tentent de fendre la foule à grands coups de klaxon, les vendeurs ambulants s’époumonent, chacun donnant de la voix pour couvrir celle de l’autre.
Dans ma course, je me fraie un chemin parmi les étals dont plusieurs se renversent sur mon passage. Soudain, une pile de casseroles, de marmites et d’autres ustensiles en aluminium s’écroule et se déverse sur la chaussée sale. D’épais flacons de verre suivent le mouvement et se brisent au sol. Cette casse provoque la colère des marchands qui hurlent sur mon passage, quelques passants se joignent à eux… Certains tentent de m’agripper par le bras, en vain. Dans ma course, je bouscule une fluette femme âgée et fais choir le maigre contenu de son cabas. Elle pousse un cri suraigu et vibrant qui me perce les tympans.
L’homme interrompt son récit, s’essuie de nouveau le front et avale une gorgée de la bière tiédasse que la voyante lui a servie. Songeur, il semble réfléchir quelques instants.
— Poursuivez, je vous prie.
— Je me retourne de nouveau, mes poursuivants sont là et, à présent, l’un d’eux agite un bras au bout duquel se trouve un objet que, les yeux brûlants de sueur, je ne vois pas bien. Je me mets à courir de plus belle. Il fait de plus en plus chaud. Je sens la transpiration couler dans mon dos et envahir chaque fibre de ma chemise tandis que, simultanément, une étrange sensation de froid intense envahit mon corps de l’intérieur. Je grelotte, j’ai sans doute de la fièvre, je titube, ma vue se brouille. Je m’aperçois alors que les deux individus me poursuivent toujours. Par chance, il y a encore de la distance entre nous. L’un d’eux agite de nouveau l’objet dont je ne discerne pas la forme, un revolver, un couteau sans doute. « Ils veulent me faire la peau ! Il faut que je m’échappe, que je sauve ma vie. » En dépit de mon intense fatigue, je cours, je vole, porté par une soudaine poussée d’adrénaline. L’adage dit que la peur donne des ailes, en voilà la preuve. Mes jambes flageolent, mon cœur bat comme jamais il n’a battu, je sens le sang affluer à mes tempes et les vaisseaux battre sous celles-ci, dans ma gorge mes muqueuses sont collées tant j’ai soif.
Parvenu à un angle de la rue, je profite de la cohue pour échapper à mes poursuivants en entrant dans un vieil immeuble miteux. Le salpêtre a envahi les murs. Ça empeste. Je me cache et retiens ma respiration tant par peur d’être rattrapé que pour essayer d’éviter d’inhaler les remugles qui se dégagent de cet endroit. Je sens que mon corps vacille. Tous les bruits de la rue continuent à tourbillonner dans mon crâne, se mêlent, se frayant un chemin jusqu’à mon cerveau où ils s’amalgament et s’amplifient comme dans une caisse de résonance, créant un vortex qui finit par exploser dans une cacophonie d’enfer. C’est alors que je tombe à terre et m’évanouis… On m’emmène au dispensaire où, toujours dans mon rêve, je reviens à la conscience en compagnie de deux jolies infirmières asiatiques en blouse collante et en cuissardes à talons aiguille. C’est alors que je m’aperçois que j’ai le pied gauche dans la tong droite, la seule qui me reste. Mon rêve prend fin et je me réveille en sursaut et en nage.
L’homme avale une seconde gorgée de bière, reprend sa respiration, s’essuie à présent le front, le visage et la nuque. La voyante esquisse un sourire.
— Entre nous soit dit, lui lance-t-elle, il vaut mieux avoir un pied gauche dans une tong droite que les deux pieds dans…
— … dans la tombe ?
— Non, dans… une déjection canine !
En prononçant ces mots, la voyante étouffe un rire moqueur.
— Comme si j’avais le cœur à plaisanter ! s’impatiente notre homme. Alors, madame, voyez-vous quelque chose ?
— Ne le prenez pas mal. C’était une petite plaisanterie pour détendre l’atmosphère… Figurez-vous que dans ma boule de cristal j’ai très bien vu la conclusion de votre rêve : vos deux poursuivants, tout essoufflés, en nage eux aussi, entrent dans le dispensaire où vous avez été amené et l’un d’eux, arborant un sourire angélique, vous tend très aimablement la seconde tong, la gauche, celle que vous aviez égarée non pas dans la rue, mais dans le tripot, et que depuis, courant après vous et agitant ledit objet, ils tentaient de vous rendre.
🐀 MON VOYAGE AU PAYS DES TONG’U
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante
C’était un funeste présage.
Chaque soir en me couchant, avant même de dormir, revenait la même image.
Je me voyais allongé dans un sampan en forme de tong.
Une sorte de pirogue longue
Avec en son extrémité un tout petit mat qu’on pouvait ouvrir ou fermer tel un parapluie.
L’ensemble était joli et même raffiné mais très fragile.
La famille des Tong’u les fabriquaient depuis des temps immémoriaux.
À grands coups de faux et de rabots, ils ciselaient des feuilles ou assemblaient des copeaux.
Forts de leurs convictions et de leurs devoirs, ils y mettaient beaucoup d’ardeur.
Une fois terminé l’œuvre,
ils allaient la porter au destinataire dont le nom était soit dessiné dans le ciel, soit gravé dans le sable.
C’était: la destinée.
Cette embarcation était la dernière, l’ultime, ne se commande pas.
Elle sait où elle va.
Pas forcément sur l’eau. En matière fine, dès qu’on s’y allonge et si vous n’ouvrez pas le parapluie, l’embarcation se replie et vous enveloppe telle une feuille de bananier.
Libre à vous de rester sur place pour dormir… Mais vous réveillerez-vous ?
Ou de vous laisser rouler en bas de la dune jusqu’à la mer, en espérant de ne pas couler… Ou le contraire !
Si elle pouvait être un refuge, elle avait tout de même pour vocation d’être
celle qu’on prend quand on est tout au bout du tunnel
Pour partir vers d’autres cieux, voire nulle part.
C’est la fin point.
Mon Tong me fut livré au domicile dont je venais de prendre possession après que le vieux tonton eût dégagé la piste.
Je ne pensais pas à un cadeau de bienvenue ! Pas de cette tribu dont on connaissait la réputation.
‘Il’ s’est posé droit devant ma porte, sans bruit.
Pour moi qui venais d’arriver dans ce village, je vous affirme que ça fait un choc lorsqu’au petit matin, vous vous trouvez en face de votre Destin, sous la forme d’un homme grand, sans couleur, mais pas blanc, plutôt du gris-rose des coquillages qui bordent le rivage. Il tient dans sa dextre une fau, son outil de travail, de l’autre une sorte de canoë qu’avec fermeté il m’a tendu.
Une personnalité forte se dégage de l’individu.
Sa tête déjà longue est surmontée d’un tortilloni de poils frisés comme des ressorts le tout fixé par un radius, agrémenté et d’une clochette et d’une plume.
Ça m’a intrigué ça, la plume !!
Il était évident que chez eux rien ne se perdait, aurais-je donc à faire à un spécimen mi- homme mi-poulet ?
Pour moi qui suis médecin.
ça demande réflexion !
Comme l’os du chignon descend bas ça l’oblige à se tenir droit, raide même,
car, coincé en dessous et en travers des épaules, un tibia l’aide à porter ses baluchons.
Des vertèbres séchées que j’ai bien reconnues: les L4- L5 les plus douloureuses dans le quotidien ! accrochées à ses oreilles déformées et pendantes jusque sur le torse étaient probablement censées adoucir ses traits taillés au couteau.
Un doigt dans le nez.
Ça, me direz-vous c’est du déjà vu ! Non, pas dans ce sens là..
Phalange, Phalangie, Phalangette… Il y avait bien le compte.
C’était extraordinaire, j’avais en face de moi le vivant et ses os.
Nu ?
Pensez-vous !
Un pagne en plumes…
Et aux pieds des semelles de plumes aussi.
Il était si fin, si grand, si racé que je vous assure il ne donnait pas à plaisanter. J’étais conscient d’avoir devant moi un spécimen unique des Tong’u.
Il coucha son œuvre devant la porte et m’y fit allonger.
Doucement elle s’est repliée et un bien-être merveilleux m’envahit.
Mais ma tête tournait aussi vite qu’une lessiveuse.
Mon passé défilait et j’allais dans mon avenir sans crainte car avec beaucoup de discernement je voyais ce qui allait m’arriver.
Doucement j’ouvris ma feuille des songes.
J’étais seul, Destin s’était envolé🐀
– Allo ? Madame Ming ?
– Bonjour Nao !
– Mais…mais… vous connaissez mon prénom ?
– J’ai rêvé de vous la nuit dernière. J’attendais votre appel.
– Vous… vous…êtes une vraie…voyante ?
– Voyons, Nao ! Dites-moi vos tourments !
– Chaque nuit, je rêve que j’ai un pied dans la tong. Et j’ai peur…de mourir !
– Voyons Nao ! Calma ! Je sais que vous mourrez centenaire et des poussières.
– Vraiment ? Vous êtes certaine ? Et ce pied dans la tong ?
– Un phantasme de votre esprit.
– Et … que puis-je faire pour retrouver la zénitude ?
– Simplicemente Nao ! Suivez mes conseils : ce soir, mettez une tong noire au pied gauche, une blanche au pied droit et dormez ainsi. Le lendemain soir vous faites la même chose MAIS avec une tong blanche au pied gauche et une tong noire au pied droit. Enfin, le surlendemain soir : nu intégral exigé ! Et adieu les tourments !
– Mamma Mia ! Je suivrai scrupuleusement vos conseils. Merci Madame Ming !
– Sayõnara Nao.
Fou de joie, Nao cassa sa tirelire. Tel un tigre, il s’élança hors de son tipi. Traversa comme une flèche le boulevard. Fut happé par un mastodonte.
Nao, cassé de partout, avant son dernier soupir, put lire sur le camion :
TRANSPORTS TONG
Cha tong bin, je r’vins d’el plag d’Oyé. Savez-pas d’où kcé Oyé ? Oyez donc attintivement. Ouais, j’te vois déjà. Ché pas du français correct que s’ti là y yécrit . Bin non, pour ti sin doute pas, mais pour mi qui suis chti, ché toudi naturel d’parler ainsin. Tention, j’méloigne pas dl’angle imposé par Pascal en c’beau jour du mois d’oût. Oyez oyez c’qui d’est arrivé à ma tong sur l’imminse plage d’Oyé-plage (et poul’facilité de t’lectur, je rvins au français qu’taime bin :
Il faut savoir d’emblée que cette plage est immense. Elle s’étend sur vingt kilomètres entre Boulogne-sur-Mer et Calais. De la côte à marée basse, il faut parfois deviner la mer située à plus d’un kilomètre. En ce mardi de mois d’août ensoleillé, je retombe en enfance en compagnie de deux de mes petits-enfants, Arthur sept ans et Gatien cinq ans. Après la construction d’un immense château de sable (« deux heures de boulot Patou, mais c’est formidable ») j’entend la supplique de Gatien : « Patou, je veux voir la mer, je veux toucher les vagues ». Qu’à cela ne tienne, nous voici partis. En Tong bien entendu. Rapport à la vase qu’on trouve en légère couche fine mais très glissante sur cette immensité jamais tout à fait sèche. De jolis Tong de couleurs vives comme on les fait aujourd’hui. Les « Crocs » à la mode, vous connaissez ? Devant moi, difficiles à suivre, deux petits gaillards qui font à peine douze ans à eux deux. Dangereux de marcher pieds nus m’avait avancé le gardien de plage. On aurait mieux fait de ne pas l’écouter. Car voilà qu’après déjà cinq bonnes minutes de marche rapide, j’entends un cri d’Arthur (le plus grand, sept ans): » patou, je m’enfonce, ma Tong a disparu dans le sable et je ne sais plus sortir mon pied ! Stop immédiat. Regard rapide sur la zone sableuse incriminée. Evaluation du danger. Je me précipite, n’écoutant que mon courage (?) et voilà que je m’enfonce à mon tour (ben oui, je fais pas le même poids que mon petit -fils de vingt-cinq kilos!) . Je m’étale. J’aspire. Je respire. Je sussure : « tous à plat ventre » (comme dans le film Rambo en mission de sauvetage) Vous voulez la scène finale : Gatien, cinq ans, tirant de toutes ses forces son grand frère enlisé. Ouf, un pied sort sain et sauf du sable, mais la Tong elle, a belle et bien disparue. Et puis voilà que ces deux jeunes soldats se mettent vaillamment à sortir du sable un patou un peu à bout de souffle, maculé de vase de la tête au pied. Fiers comme Artaban ils sont convaincu d’avoir sauvé leur patou d’un mortel enlisement. Sur six Tong présentes au début de la promenade, il n’en restait plus que…quatre au retour. Devinez donc où sont les deux manquantes et à qui elles appartiennent ?
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante dont il avait trouvé le numéro de téléphone sur la toile.
Après avoir enduré l’écoute du Boléro de Ravel pendant cinq bonnes minutes, une voix d’outre-tombe lui demanda de patienter quelques secondes. Les secondes se transformant en minutes interminables, il était près de raccrocher quand il entendit :
– Bonjour, Reza à votre écoute. Que puis-je pour vous ?
– Bonjour monsieur, je vous téléphone parce que…
– Ce n’est pas monsieur, mais mademoiselle, lui répondit une voix rauque, éraillée et à l’accent étranger.
– Ah bon ! Excusez-moi, alors. Je vous téléphone parce que…
– J’entends bien que vous me téléphonez. Pourriez-vous abréger un peu car vous n’êtes pas le seul en attente.
Un tantinet désappointé de cet accueil, il en resta bouché bée pendant cinq secondes et ne savait même plus le but de son appel.
– J’ai un problème, dit-il finalement.
– Qui n’en n’a pas ? lui répondit la voix. Je vous écoute.
– Ben, voilà chaque nuit je rêve que j’ai un pied dans la tong et je m’inquiète énormément, dit-il d’un ton où perçait toute son anxiété.
– Un pied dans la tombe ! Mais voyons, mon chéri, depuis notre naissance nous avons tous un pied dans la tombe.
– Non, pas la tombe mais la tong, s’agaça-t-il de n’être pas compris et, qui plus est, par ce ton bien familier.
– La ton, quoi ? Je n’ai jamais entendu ce mot. Je ne suis pas français… française je veux dire.
– J’avais cru comprendre, dit-il ironique. Une tong est une sandale à brides retenue par les orteils du pied.
– Ah ! Les strings des pieds ! Perso je préfère les escarpins à talons aiguille.
– Oui, c’est beaucoup plus sexy, ils donnent une belle chute de reins et c’est bien la raison de mon appel. Pourquoi ce rêve de tong ? Je me demande si mon subconscient ne fait pas un transfert de mots.
– Ici, mon chou, tu n’es pas chez un psy.
– Mais je pensais que vous verriez mon avenir dans votre boule de cristal ou dans vos cartes.
– Nous ne sommes plus au Moyen Âge, mon loulou. Patiente quelques secondes, je vais lancer l’algorithme.
Pendant que le Boléro reprenait de plus belle, il se rongeait les ongles d’impatience et de doutes quand, enfin, il entendit :
– Bonne nouvelle pour toi ! Ma voyance me dit que dans quelque temps tu vas faire un merveilleux voyage au Brésil et voilà pourquoi tu fais ce beau rêve. Crois-moi, tu vas d’éclater !
– Mais je suis déjà en vacances à Copacabana depuis quinze jours ! s’étonna-t-il.
– Ben ça alors ! s’exclama Reza. Nous pourrions nous donner rendez-vous, je vis à Rio ! dit-elle toute minaudière.
– Comme le monde est petit ! ironisa-t-il conscient de s’être fait piéger. Mais, voyez-vous, je suis en voyage de noces.
– Comme c’est dommage ! Le feeling passait si bien entre nous, mais tu peux toujours m’appeler au cas où ; tu comprends ? Ta carte bancaire vient d’être débitée de 95 euros.
La tong de Jules
Non, Jules n’opterait pas pour l’insertion d’une certaine Monique : « Don ancestral. Répond à toutes vos questions. Estimation précise à partir des mois, années & âges. Recherche d’animaux perdus. Energies du corps et de vos biens. Nombreux témoignages de remerciements »
Après avoir recherché dans l’annuaire professionnel la rubrique Voyance, il trouva un encart qui lui paru mieux correspondre à sa recherche : « Voyante très expérimentée (cartes, pendule) sur rdv et par téléphone. CB sécurisée. http://www.carmen-medium.com/voyance-cartonancie-becon-les-bruyères ».
Préférant ne pas se rendre à l’adresse de cette Carmen, il se connecta sur le site indiqué. Jamais auparavant, il n’avait consulté dans ce domaine mais là, il était intrigué de ses rêves récurrents depuis plusieurs semaines et avait besoin de les comprendre. Il composa et envoya donc le message suivant : « Bonjour, je rêve régulièrement que j’ai un pied dans la tong. Pourriez-vous m’aider ? »
A peine quinze minutes plus tard, il entendit le tintement particulier de son Smartphone l’informant qu’un message l’attendait. Il l’ouvrit sur le champ, impatient d’apprendre ce que lui répondait Carmen.
Le dit message, lui demandait, en premier lieu, de bien vouloir valider le règlement de cent dix euros. Il s’acquittât de la somme et attendit que Carmen le joigne de nouveau.
Carmen remercia du paiement et lui écrivit : « j’espère que les informations et conseils données vous aideront à résoudre vos problèmes actuels ».
Jules ne comprit pas immédiatement l’arnaque et patiemment, subit trois nuits complémentaires de rêves quasi identiques. D’abord anxieux, il était maintenant tourmenté par le message sibyllin que véhiculaient ses songes.
Pourquoi avait-il un pied dans la tong ? Quel message lui fallait-il comprendre ? L’escroquerie de la voyante, l’amena à tenter d’analyser par lui-même ces scenarii nocturnes. Il partit de l’hypothèse que le mot tong symbolisait, par ressemblance auditive, au mot tombe. C’est ce qui l’angoissait. Le rêve lui signifiait-il qu’il allait mourir ? En effet, il restait persuader qu’il ne pouvait s’agir de la tong, chaussure de plage ; il avait horreur de porter ce genre d’attribut qui lui cisaillait les chairs entre le gros orteil et le suivant.
Pourtant, dans sa symbolique personnelle, la chaussure a un sens positif. Prendre son pied est une expression qu’il affectionne. Alors, pourquoi rester focalisé sur l’interprétation négative de l’image rêvée. Il reprit l’ouvrage de référence de S. Freud et relut quelques passages. Ah ; il trouva : « La technique de l’association libre des idées : dire le plus librement possible ce à quoi le contenu manifeste du rêve fait penser devrait permettre, de proche en proche, de remonter du contenu manifeste au contenu latent ».
Bien, alors allons-y décida Jules : Tong égal vacances, plage, beau temps et…mal aux pieds. Avoir un pied dans la tong suppose peut-être que mes besoins sexuels sont bien engagés ? Oui, si vous le dites ! Mais je ne vois pas l’objet de ce rapprochement. Est-ce que la fille de mes désirs porte des tongs ? Est-elle sur la plage ? Si je rêve à cela chaque nuit, cela signifie-t-il que mon désir est toujours présent et inassouvi ? Plusieurs interprétations cohérentes sont possibles, dit S. Freud. Cette condition est donc nécessaire, mais non suffisante. Y a-t-il une vérité de moi-même, ou suis-je ce que je comprends de moi ?
En tous cas, je ne me sens pas malade ; aussi ne dois-je pas craindre la maladie et la mort. Et l’interprétation du rêve est un vrai pensum qui lui, risque de me donner des céphalées.
Je crois que je vais dorénavant, observer attentivement ce que je vois et entends. Je chercherai les rapprochements cohérents entre ma vraie vie et mes rêves.
Ainsi Jules passa-t-il ses mois d’été attentif aux autres. Rapidement, son rêve disparut sans qu’il en prenne conscience. Il avait repéré une jolie pépette en short et tongs dont le sourire le faisait fondre. Ses préoccupations diurnes et nocturnes se focalisèrent dorénavant sur ce nouvel élan vital et notre ex-angoissé trouva ainsi le remède idéal sans voyante ni psy d’aucune sorte.
Un dernier coup de Tong
Chaque nuit, il rêvait
Il rêvait qu’il avait
Qu’il avait, qu’il avait
Un pied dans la tong.
Tourmenté qu’il était,
– Lui qui toujours assure-,
Par cette foutue chaussure
Qui n’était pas le pied
Et ce foutu présage
Qui gâchait sa journée !
Prit la décision sage
Comme il était à bout
De voir un marabout
Et lever le tabou,
Qu’il lui livre un message
Et puis qu’il le rassure.
Eh ouais , bien sûr !
Alors…
Il vit son marabout !
Qui dit …
Je vois, je vois…
Des doigts de pied en éventail
Qui vit, qui dit …
Je vois, je vois…
Le voilier qui tangue sous la houle
Qui vit, qui dit et qui prédit…
Je vois, je vois…
La tong qui glisse et puis qui coule
Qui vit, qui dit …
J’entends, j’entends…
Le cri sourd de l’épouvantail
Qui vit, qui dit …
Je vois…
Un avenir qui se chamboule
Et la morsure de la mort sûre…
Qui dit …
… Je peux entrer dans les détails…
Mais faut qu’la monnaie, t’aboules !
Comme chaque nuit, il rêvait
Il rêvait qu’il avait
Qu’il avait, qu’il avait
Un pied dans la tong.
Et qui glissait, glissait !
Comme il était tourmenté,
-Lui qui toujours assure-,
Par cette foutue chaussure
Qui n’était pas le pied
Et ce foutu présage
Qui gâchait sa journée !
Comme il était à bout
Avait vu l’marabout
Pour lever le tabou.
Mais pour qu’il le rassure,
Eh ouais, bien sûr !
Il fallait abouler
Abouler les pépètes
Pour savoir, savoir TOUT !
Alors, il aboula !
Ce qu’il apprit le chamboula !
Le bouleversa !
Et même le tourneboula !
C’était fini, la bamboula !
La fiesta, la java, la samba et le cha cha cha !
A présent fallait marcher droit !
Une! Deux !
Serrer les rangs,
Les orteils droits !
Marcher au pas
Une! Deux !
Mais pas en tong !
Ni en santiags,
Avant le gong
Et puis la schlague
Et la mort longue
Et sa morsure.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmentée par ce sinistre présage, il consulta une voyante.
Je me rends chez Madame Hong. Elle est vietnamienne, je la paierai en dong, il m’en reste quelques uns de mon voyage à Hanoï.
Elle me reçoitvêtue d’un sarong et porte aux pieds des… tongs.
Lorsque j’entre dans la pièce, une douce odeur de thé oolong enveloppe le décor. Je m’assois, lui explique mon rêve. Elle me tend un jeu de cartes dont j’en retire quelques et fait retentir un petit gong : la séance d’interprétation commence.
La première carte est le Pendu , elle dit : « Vous avez les tongs dans la tombe ! »
Mon cœur bat à tout rompre :
« Vous êtes sûre ?
Oui, mais vous pouvez modifier votre comportement et la tombe, si elle est inéluctable pour tout un chacun, peut s’éloigner.
Que voulez-vous dire ?
Ben, les tongs dans la tombe, c’est facile, dit-elle, un beau sourire sur ses lèvres rouges.
Vous en avez de bonnes pour me dire que je vais mourir ! Pour vous, c’est facile : j’ai non seulement un mais les deux pieds dans la tombe ! »
Je me lève, furieux, prêt à partir sans payer. Madame Hong, toujours souriante, me dit : « Rasseyez-vous »
Encore furieux mais intrigué, je m’exécute. Elle me propose une tasse de oolong. J’accepte. Le thé glisse en moi, sa saveur boisée m’apaise.
Madame Hong fait retentir un deuxième coup de gong. La deuxième carte est le Diable. Elle dit :
« Je vois des espadrilles.
Quoi ?
Oui, vous savez, vous, des chaussures en toile et en corde ? Enfin, ce
n’est pas moi, qui vais vous apprendre qu’il existe des espadrilles ! »
Je ne suis plus furieux ni intrigué mais complètement désespéré. Que suis-je venu faire chez cette cartomancienne vietnamienne en sarong et en tongs, qui boit du oolong, qui tape sur son gong et qui me parle d’espadrilles ? Je m’effondre sur la table au milieu des cartes.
Pour me réconforter, Madame Hong m’offre une autre tasse de oolong.
La consultation reprend, le gong retentit une troisième fois. Toutes les autres cartes confortent le verdict : je dos porter des espadrilles.
« Mais enfin, dis-je, c’est incroyable, vous vous moquez de moi, vous vous trompez , c’est pas possible enfin, des espadrilles ! Pourquoi pas des pataugas ?
-Ne criez pas . Allez au cinéma voir ou revoir King Kong et Indian Song, jouez au ping-pong et au mah-jong. Et bien sûr, allez à Hong Kong. »
Je ne discute plus , sors les dongs de ma pocher pour payer Madame Hong qui acquiesce en faisant résonner son petit gong.
Sur le chemin du retour, je prends la décision d’acheter une concession dans un cimetière du Limousin, le pays de ma grand-mère, à Ladignac-le Long.
Et la baie d’Halong alors ? Sans doute peu pratique en espadrilles …
La semelle en corde ça glisse tout comme ce texte rigolo.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante…
Il ne sut pas vraiment pourquoi cette perspective l’effrayait autant mais il avait décidé de tirer cela au clair. Droit dans ses bottes lui aurait convenu autrement, il aurait même compris et accepté de prendre un pied aux fesses mais un pied dans la tong, ça non…
Il prit son courage à deux mains et mit un pied devant l’autre pour aller faire part de ses craintes à une voyante renommée qui l’accueillit chaleureusement dans une ambiance sereine et calme. Il ne fut pas surpris de devoir quitter ses chaussures en entrant. Les magnifiques tapis épais qu’il foulait pour se rendre à la place que lui indiquait la voyante lui procurait un sentiment de bien-être bienvenu. Il se fit la réflexion du bienfait de cette sensation, douce et sensuelle. Il revit des images de lui enfant foulant nu-pieds l’herbe fraichement coupée. Des larmes lui montèrent aux yeux brusquement…Cela faisait si longtemps…
Quand la voyante fit le point sur ce qui amenait notre cher touriste, elle éclata d’un rire solaire qui le surprit puis l’embarqua. Il se retrouvait à rire d’un présage qui l’avait tant effrayé jusque-là.
-Mon cher, des gens qui avaient peur de retourner au travail, j’en ai vu des centaines, mais des personnes comme vous qui appréhendent à ce point ses vacances, jamais ! De quoi avez-vous peur ? Qu’est-ce qui vous effraie autant ? De vous prélasser au bord d’une piscine ? De dormir sur une plage ? De laisser vos orteils s’enfoncer dans le sable en regardant la mer ? D’entendre le clac clac de vos tongs sur vos pieds en allant au marché ? De compromettre un plan drague en sentant trop fort des pieds ? Vous avez peur de l’inconnu ! Comme bien des gens ! Lâcher prise mon ami ! Pro-fi-tez ! Je ne vois aucun mauvais présage à l’horizon ! Qu’un homme à l’étroit dans sa tête comme dans des chaussures trop petites ! Mettez-y les deux pieds dans vos tongs, et éclatez-vous ! Il se pourrait même que vous soyez amené à rencontrer des tas d’autres tongs ! Plongez-y! Sans retenue, sans peur de l’inconnu ! Non vous ne serez pas seul ! Le sol vous porte, vous allez vous libérer ! Finie l’époque où vous aviez les deux pieds dans le même sabot ! Vos pieds beaux et magnifiques vont fouler le monde et vous emmener vers des contrées magnifiques ! en tongs, en baskets, ou en chaussettes ! Qu’importe ! Je vous prédis même que les plus jolis pas seront ceux que vous ferez sans sans chaussures, sans marcher…
partir vers d’autres cieux, voire nulle part.
C’est la fin point.
Mon Tong me fut livré au domicile dont je venais de prendre possession après que le vieux tonton eût dégagé la piste.
Je ne pensais pas à un cadeau de bienvenue ! Pas de cette tribu dont on connaissait la réputation.
‘Il’ s’est posé droit devant ma porte, sans bruit.
Pour moi qui venais d’arriver dans ce village, je vous affirme que ça fait un choc lorsqu’au petit matin, vous vous trouvez en face de votre Destin, sous la forme d’un homme grand, sans couleur, mais pas blanc, plutôt du gris-rose des coquillages qui bordent le rivage. Il tient dans sa dextre une fau, son outil de travail, de l’autre une sorte de canoë qu’avec fermeté il m’a tendu.
Une personnalité forte se dégage de l’individu.
Sa tête déjà longue est surmontée d’un tortilloni de poils frisés comme des ressorts le tout fixé par un radius, agrémenté et d’une clochette et d’une plume.
Ça m’a intrigué ça, la plume !!
Il était évident que chez eux rien ne se perdait, aurais-je donc à faire à un spécimen mi- homme mi-poulet ?
Pour moi qui suis médecin.
ça demande réflexion !
Comme l’os du chignon descend bas ça l’oblige à se tenir droit, raide même,
car, coincé en dessous et en travers des épaules, un tibia l’aide à porter ses baluchons.
Des vertèbres séchées que j’ai bien reconnues: les L4- L5 les plus douloureuses dans le quotidien ! accrochées à ses oreilles déformées et pendantes jusque sur le torse étaient probablement censées adoucir ses traits taillés au couteau.
Un doigt dans le nez.
Ça, me direz-vous c’est du déjà vu ! Non, pas dans ce sens là..
Phalange, Phalangie, Phalangette… Il y avait bien le compte.
C’était extraordinaire, j’avais en face de moi le vivant et ses os.
Nu ?
Pensez-vous !
Un pagne en plumes…
Et aux pieds des semelles de plumes aussi.
Il était si fin, si grand, si racé que je vous assure il ne donnait pas à plaisanter. J’étais conscient d’avoir devant moi un spécimen unique des Tong’u.
Il coucha son œuvre devant la porte et m’y fit allonger.
Doucement elle s’est repliée et un bien-être merveilleux m’envahit.
Mais ma tête tournait aussi vite qu’une lessiveuse.
Mon passé défilait et j’allais dans mon avenir sans crainte car avec beaucoup de discernement je voyais ce qui allait m’arriver.
Doucement j’ouvris ma feuille des songes.
J’étais seul, Destin s’était envolé🐀
Cette nuit, elle avait rêvé qu’elle avait un pied dans la tong.
C’était un rêve prémonipoire, un songe préventif lui évitant de se faire piéger par les vacheries du quotidien.
En effet, le lendemain, elle égarait la tong du pied droit sur l’immense plage. Alors qu’elle arpentait la laisse de ce paradis mexicain, son mari, un petit Neptune imberbe l’interpella. Il avait juste les genoux de ses prétentions à la hauteur du flux marin:
» Alors, toujours pas récupéré ta godasse, t’es vraiment nulle… pauvre cloche, je la vois d’ici! »
– Ah oui, mon chéri, où ça, où ça ???
– Là, andouille, à 10 mètres sur ta gauche, à côté du sac poubelle de la station balnéaire. Yen a qu’une de poubelle, si tu ne la vois pas, ça devient grave, je ne pensais pas avoir épousé une solde!
– Ah oui, je la vois, je la vois…Merci mon cœur!
Et tandis qu’elle se déplaçait prestement pour récupérer sa deuxième tong rose, le squale chopa le mari par derrière. Le jogger avait le mollet ferme et musclé et le requin se régala.
Quand elle se retourna pour lui montrer sa trouvaille, le mari avait disparu. La mer, d’ordinaire si limpide avait pris une couleur quelque peu vinasse.
Sa fille accourait au loin, joyeuse, battant de ses encore petits bras d’innocence: « ……Pa….Pa…pas…Tu n’as pas vu Papa ?? »
Et la mère se retournant vers l’horizon découvert lui rétorqua: » Ma chérie, je crois que ton père nous a quitté…et franchement, c’était de bon tong… »
Depuis qu’il était revenu de là-bas, le pays où la tong était la chaussure nationale, Mike, devenu quasi clochard au fin fond de son Ohio natal était un personnage hanté.
Chaque nuit revenait le même cauchemar : il rêvait qu’il avait un pied dans la tong.
Hélas cette image récurrente ne sortait pas de son imagination. Elle le poursuivrait toute sa vie, symbole de la revanche de l’adversaire et sa pénitence à lui.
Et il savait bien pourquoi :
Abandonné, ignoré, méprisé de tous, on lui faisait payer son passé. Comme si c’était lui qui en avait décidé ?
A 20 ans, il n’avait eu d’autre choix que d’opter entre le combat là-bas ou la prison ici. Embarqué sous la bannière aux 50 étoiles, parachuté sur une rizière,Il avait « fait son devoir », obéi aux ordres, fermant par force les yeux sur l’atrocité de la puissance de feu d’un côté, de l’art de la dissimulation sournoise et efficace de l’autre.
Tout cela finit mal, un immense gâchis, à la honte des citoyens qui oublièrent les GI sacrifiés au combat, renièrent les vétérans rescapés, à l’indifférence du monde.
Horrifié, il tournait sans cesse dans sa tête le film de ces groupes de villageois jetés affolés sur les routes, abandonnant leur tongs pour mieux courir devant les torches de napalm en furie.
Puis, plus rien sauf ….. une mine sous les bambous. Chargé sur la civière qui le ramenait au pays, personne ne réussit à lui ouvrir le poing pour en ôter la tong qu’il serrait de toutes ses forces.
Miséreux désormais claudiquant épaulé d’une béquille, il s’était retourné vers les lumières de Bouddah où il lut le signe que son tourment cesserait le jour où il parviendrai à chausser la tong talisman.
La prédiction ne se réalisa jamais, il avait perdu la jambe gauche, la seule où il aurait ou enfiler la tong.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante.
– Vous voyez quelque chose ?
Elle ouvrit un œil, psalmodiant toujours des mantras onomatopéiques, puis le deuxième et souffla d’un air agacé.
– Bien entendu que je vois. Je vous vois, je vois votre pied dans la tong sans problème. Je vois tout, moi, monsieur !
– Et alors ?
– Et alors ? … Je cherche l’autre pied, voyez-vous ?
– Bah, non… pas bien. Il est dans une autre tong, peut-être…
– C’est ce que j’aimerais bien voir, justement. Si seulement, vous vous étiez levé du bon pied pour enfiler deux tongs au lieu d’une seule appareillée à… je ne sais quoi. Oh !
– Quoi ?
– Je vois une espadrille de combat chevillée au corps, marchant au pas. Elle est dans un sale état. Elle a dû ramper dans la boue ou quelque chose comme ça. Votre pied souffre. Il n’a pas l’air bien dans ses baskets. Vous comptez partir à la guerre ? Ou en vacances à la mer au mois d’août ? C’est pareil.
– Bah non. J’ai horreur de ça. Les espadrilles comme les tongs, le sable qui rentre dedans. Je ne quitte jamais mes chaussettes dans mes pantoufles. Même pour sortir Sym’pa… C’est mon chien.
– Je vois…. Une espadrille, une pantoufle, on ne va pas chipoter. Vous avez le pied dedans, c’est certain.
– Dans quoi ?
– Mais dans la merde ! Je vois votre chien au fond du jardin, vous lui courez après et splash ! Le pied dedans. La pantoufle reste collée, vous vous tordez la cheville et cassez le gros orteil. Plus de chaussette, plus de pantoufle, pas de plâtre non plus, mais le pied nu dans la tong, un moindre mal.
– Mais que faire pour éviter ça ?
– Ne sortez plus votre chien en pantoufles mais avec de bonnes chaussures et votre rêve aura déjà un pied dans la tombe.
– Vous croyez ?
– Mais bien sûr. Et je ne crois que ce que je vois. Ça vous fera 150 euros. C’est le tarif dans le quartier.
Chaque nuit il rêvait qu’il avait un pied dans la tong.Tourmenté par ce sinistre présage,il consulta une voyante.
Celle ci,Vanessa,une accorte jeune femme fort aimable,lui proposât les tarots.
» Ma boule de cristal est en révision et je ne bois plus que du chocolat chaud ».
lui annonçât-elle en préambule.
Elle lui fit choisir cinq cartes qu’elle retournât.
Sandale sous Mai,un Richelieu sous Saturne,un Mocassin en Lune Montante,Escarpin avec la Grande Ourse,la dernière, Espadrille vers Jupiter.
Vanessa examinât soigneusement les cartes et sourit.
» Cher monsieur,j’ai rarement vu une suite aussi favorable.Vous êtes né sous une bonne étoile dirait-on.
Le Richelieu signifie un avancement intéressant dans votre profession,accompagné de substantiels émoluments.Le Mocassin vous annonce des voyages.Vous voyagez?
– Oui un peu, en France
– Hé bien profitez de ces perspectives financières,découvrez le monde,prenez l’avion,faites des croisières
Ebahi,notre rêveur la dévorait des yeux,ébloui par tant de promesses.
– Ah!Vous croyez?
– Mais oui, bien sûr,faites moi confiance.Par contre en Escarpin il y a sûrement une femme intéressée par votre chance qui vous fera du charme pour profiter de l’aubaine
– Juliette?
– Ah! ça,je ne peux pas aller plus loin,c’est à vous d’être prudent.
Le meilleur pour la fin,mon cher ! Sandale et Espadrille.Le couple idéal,l’association du coeur et de l’esprit.
A vous de ne pas laisser passer votre chance.Vous la reconnaîtrez,j’en suis sûre,elle aura des tongs aux pieds.
Vanessa portât la main à son front.
Nous allons en rester là,je suis lasse.La concentration vous comprenez.Cela fera 150 euros. »
Etourdi,déjà plein de rêves dans la tête,il se se dirigeât vers la porte pour sortir.
Rangées sous un porte manteaux,une collection de tongs lui souriaient malicieusement.
Chaque nuit, il rêvait qu’il avait un pied dans la tong. Tourmenté par ce sinistre présage, il consulta une voyante…
– Vous voulez dire dans la tombe ?
– Non ! je vous dis dans la tong !
– Remarquez… à une syllabe près…
– Alors ? Vous voyez quoi ?
– Je vois… je vois… des petits bateaux
– Des petits bateaux ?
– Oui… il était tong petit navire, il était tong petit navire….