437e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne un escalier déprime.
Racontez
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne un escalier déprime.
Racontez
Ce que je craignais depuis le XIXe siècle et son maudit modernisme s’est produit! Un ascenseur est arrivé.
Je songe avec nostalgie et même une infinie tristesse à tous ces personnages, illustres ou inconnus, qui ont monté et descendu mes marches, en authentique marbre de Carrare, inusable et autrement plus esthétique et fidèle que ces horribles machineries hideuses et à l’humeur grinçante et versatile.
Plus jamais, ma rampe ne sera effleurée, mes marches ne seront empruntées, mes paliers ne seront une halte, ma cage n’abritera de commérages, mon garde-fou ne sauvera de vies.
Jamais plus je n’assisterai à ces conversations, tonitruantes ou en aparté, ces confidences livrées ou soutirées, ces cris ou ces chuchotements, ces secrets d’état ou d’alcôve, ces discussions stériles, ses discours vibrants ces conciliabules informels, ces monologues vains, ces palabres futiles, ces bavardages incessants, ces homélies pompeuses ..
Et je me souviens surtout, avec émoi et respect, de toutes ces hautes personnalités ayant grimpé tous mes degrés, chacun à leur façon :
⁃ le plus glorieux, altier et martial, qui gravissait les marches avec lenteur alors que ses grandes jambes lui auraient permis de les franchir quatre à quatre. Ce fut l’ère de la longueur
⁃ le plus provincial, onctueux et cultivé, qui essoufflait le malheureux à m’ascensionner. Ce fut l’ère de la langueur
⁃ le plus sibyllin, retors et manipulateur, se hissant vers les étages supérieurs d’un pas nonchalant. Ce fut l’ère du sang et de la sueur puis celle de la rigueur
⁃ le plus remuant, d’abord jeune loup affamé puis vieux lion harassé m’enjambant alertement puis laborieusement. Ce fut l’ère de la fureur et ensuite celle des erreurs
⁃ le plus agité, irritable et entreprenant, qui montait sans me voir. Ce fut l’ère de la terreur
⁃ le plus paterne, indécis et toujours complaisant, ahanant à me hisser et tremblant à la simple idée de me décliner. Ce fut l’ère de la torpeur
Aujourd’hui, c’est le plus jeune, sémillant et ensorceleur, alerte à m’escalader. Avec lui c’est l’ère de la stupeur
« Ma vie à l’Élysée – Mémoires de l’escalier Murat sous la Ve République »
Ca y est j’entends un bruit, enfin, quelqu’un va passer par ici, ah j’ai hâte de savoir si c’est un homme, une femme, de quel âge , si c’est une femme, avec des talons, ou si ce sont des enfants, j’ai hâte d’entendre leurs cris de joie.
Ca fait longtemps que je n’ai pas vu d’enfants.
Très longtemps.
Depuis que l’autre est là. L’ascenseur je veux dire, depuis 1 an déjà, rares sont ceux qui passent encore par chez moi.
Avant ça, au moins je voyais du monde, je connaissais toutes les petites habitudes.
Jacques du 2e, sortait à 10h30 tous les jours chercher son pain, et puis il ressortait l’après midi, pour faire, une promenade je suppose, ou peut être qu’il allait à son club de bridge.
J’essayais de deviner ou ils allaient tous, l’air si pressés de sortir de l’immeuble.
Quelquefois, certains s’arrêtaient pour se parler, et là j’apprenais des choses.
Clémentine, la jeune fille du 4e, ne tenait pas en place, elle sortait et rentrait 4 fois par jour.
Toujours de bonne humeur, l’air dynamique, elle portait souvent un pantalon souple et des baskets.
Je l’aimais bien.
Il y avait aussi le couple du 3 e. Des jeunes, trentenaires.
Quelquefois, ils se disputaient en passant par là. Ou bien, elle descendait l’escalier, d’un air fâché, et lui suivait tranquillement.
Quelquefois, ils rentraient main dans la main après une dispute, et ça me faisait chaud au coeur.
Avant qu’il n’arrive, ici, c’était toujours propre, la concierge de l’immeuble venait nettoyer tous les jours. C’était bien éclairé, je me sentais important, je rendais service à toutes les personnes de l’immeuble;
Aujourd’hui, ça a bien changé, la concierge ne vient plus qu’une fois par semaine, elle passe l’aspirateur, puis la serpillière, et c’est tout. Evidemment, plus personne ne passe par là, je ne suis pas sali donc.
Et puis, je ne vois plus personne. C’est rare quand quelqu’un passe par ici. Il y a bien Camille qui a décidé que c’était meilleur pour la santé de monter l’escalier, mais ça n’est pas tous les jours.
A croire qu’elle oublie.
Quelquefois je l’entends rire dans l’ascenseur, et les autres aussi, je les entends rire, se disputer.
J’aimerais tellement qu’ils reviennent.
Je me sens seul, vraiment seul.
Je ne sais plus quoi faire… Alors je me nourris des bruits étouffés de l’ascenseur.
En espérant fortement qu’il tombe en panne!
C’est arrivé une fois, j’étais vraiment heureux. Très heureux.
J’espère que ca arrivera d’autres fois, il est tout neuf, ça peut mettre du temps, avant que ca n’arrive encore, mais bon, j’attendrai… Voilà, en tous cas, moi je ne tombe pas en passe. Je suis toujours présent.
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne un escalier déprime…
Ce qu’il craignait ne tarda pas à arriver. Les gens dont il connaissait toute la vie dans ses moindres détails, le moindre secret passaient devant lui sans même un regard et se précipitaient dans l’antre de leur nouvel ami. Il vit ainsi défiler Marguerite du 4 ème étage et ses 80 printemps. Il faut dire qu’elle ne l’avait pas volé ce confort après lequel tout le monde courrait, il fallait bien l’admettre. D’ailleurs on aurait privatisé l’ascenseur rien que pour elle, il aurait entièrement validé l’idée. Il faut dire que ces derniers temps, elle lui avait bien fait peur en montant les marches qu’elle franchissait difficilement d’un pas lourd et mal assuré, faisant des pauses de plus en plus longues avant d’arriver sur son palier Sa main fragile et délicate avait plus d’une fois agrippé la rampe de ses doigts fluets et ridés.
Quand il vit passer Olivier en courant s’engouffrer dans l’ascenseur, il eut envie de le voir tomber ! Non mais sans rire ! Olivier ! Celui qui dans la fougue de sa jeunesse adorait glisser sur sa rampe bien que ce fut interdit. Il ne manquait jamais une occasion de faire le pitre dans les bras de l’escalier en défiant la surveillance de ses parents pour s’élancer du 3ème et se laisser glisser jusqu’au rez-de -chaussée. Non, Olivier… Cette défiance à son encontre ou du moins cette indifférence était vraiment très cruelle. C’est surement celui qui lui causa son plus grand chagrin.
On aurait pu parler des amoureux du 2ème …Toujours à se bécoter dans la cage d’escalier. Ils en faisaient des escales sur ses marches tellement leur fougue les emportait. Alors évidemment, l’ascenseur…Promesse de nouveaux fantasmes bien sûr…Il ne les entend plus se promettre la lune, il ne les entend plus se chuchoter des secrets.
Pourtant un matin, la belle amoureuse prit grand soin de le descendre. Elle prenait tout son temps sur un air solennel ce qui faisait beaucoup rire son amoureux…Ils se posaient des questions qu’il ne comprenait plus et passaient de plus en plus de temps à discuter sur les marches à effleurer les barreaux de la rampe.
Puis un jour spécial arriva. IL le sentit tout de suite. Il régnait dans sa cage, (oui dans SA cage…) une ambiance toute particulière, une frénésie joyeuse, un bonheur de printemps. Quand il vit de grandes caisses de fleurs blanches posées sur les marches du bas, il ne comprit pas tout de suite ce qui se passait. Puis de petites mains vinrent les accrocher sur la rambarde et il fut étourdi d’émotions et de parfums.
Maintenant des tas de gens le gravissaient au pas de course, cela faisait si longtemps qu’il n’avait plus connu ça… Des visages inconnus apparurent. Il vit aussi que son meilleur ennemi ne chômait pas non plus, pris d’assaut par des caisses pleines à craquer prenant en charge des cartons de victuailles et autres objets étranges.
Quelques temps plus tard, il comprit enfin quand tout s’arrêta, quand des dizaines de personnes prirent place à ses pieds tous armés de leurs appareils photos, téléphones et autres caméras à bout de bras. Beau comme un roi, paré de ses plus beaux atours qu’il ne lui ait jamais été donné de porter, il accueillit sur le seuil, les amoureux du 2ème. Mais oui ! Ils se mariaient aujourd’hui ! dans son antre à lui ! L’escalier ! Noble et fier ! Il était immortalisé sous les flashs qui crépitaient. Oui, c’est lui, pas l’ascenseur que l’on regarderait encore des années plus tard en se rappelant cette journée en feuilletant les albums de famille ou les écrans de smartphones. Il était enfin rassuré, remit à sa place. Il n’éprouva plus alors de ressentiment pour son vieil acolyte l’ascenseur.
Et ce n’étaient pas les petites mains potelées des petits cousins des mariés assis à califourchon sur la rampe qui allaient le contredire…
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne un escalier déprime.
Laissons-lui la parole.
– Depuis des années, je participe à la vie de l’immeuble. Pour eux, je ne suis pas comme la concierge un témoin parfois embarrassant de leurs faits et gestes… du moins le croient-ils.
J’ai la chance d’être installé dans un de ces beaux bâtiments qui au moment de leur construction, personne ne pouvait soupçonner qu’ils seraient un jour tous dotés de cette machine qui les ferait monter les étages sans effort. De ce fait, je suis large, parfaitement proportionné, longé par une rampe de fer forgé aux volutes de toute beauté. Vous comprendrez qu’il y a très peu de place pour installer un ascenseur. Pourtant, dès que ceux-ci sont vulgarisés, les locataires n’ont eu de cesse d’en demander un. Il me semblait que ce fut impossible, étant donné l’espace restreint de la cage d’escalier, comme on l’appelle. C’était sans compter sur les fabuleux progrès techniques.
Sa mise en place ne me posa aucun problème. Il avait l’air sympathique et surtout je croyais qu’il n’empièterait pas sur ma vocation. Je m’amusais à imaginer les gens serrer comme des sardines dans une boîte, se faisant des sourires gênés ou tout simplement regardant en l’air en attendant leur libération après un bref « bonjour » !
Sournoisement, ma vie devenait vide et triste.
Par exemple, j’étais très attaché aux jumeaux du deuxième dont j’avais suivi les premières ascensions, d’abord sur les genoux puis petit à petit un pied devant l’autre. Maintenant je ne les voyais qu’à travers le grillage de la porte de l’ascenseur.
Madame Ruttenberger, la merveilleuse cantatrice, qui habite au quatrième étage, me ravissait lorsqu’elle montait en chantant. Ce ne sont plus que quelques notes étouffées par l’ascenseur qui me parviennent, elle est si vite arrivée.
Mon moral a commencé à se dégrader lorsque j’ai ressenti que je ne retrouvais plus ma place de gardien de la bonne tenue de l’immeuble qui m’avait permis de remettre de l’ordre, lorsque tout allait à vaut l’eau. Je me souviens des ados du troisième qui ne cessaient de hurler en glissant sur la rampe. Je me débrouillais toujours pour qu’ils atterrissent sur la boule du bas de la rampe. Je triomphais en entendant leurs hurlements ! C’est fini évidemment, puisque l’espace est trop étroit pour se mettre à califourchon !
Ah oui, madame de Laroque, une femme charmante, mariée un à homme tout aussi charmant. Il y a toujours de la musique agréable chez eux et je les entends souvent rire. Leurs enfants étant bien élevés, je n’ai jamais eu à intervenir.
Figurez-vous qu’un jour, je vois un inconnu monter avec elle. Vous croyez que j’imagine des choses ? Pas du tout. Je dois vous avouer un secret. Étant donné ma position, j’ai accès, si je puis dire, à ce que d’autres ne voient pas. Et bien ce jour-là, j’avais été attiré par quelque chose d’inhabituel, les dessous très sexy de madame de Laroque ! Je me devais de la surveiller. Plus tard, des bruits sans équivoque me parvinrent. Alors là non ! Monsieur de Laroque est trop aimable, je ne pouvais accepter que sa femme le trompe. Lorsque l’amant, je ne peux l’appeler autrement, est descendu pour partir, subrepticement la barre de laiton qui retient le tapis a légèrement bougé et le voilà dévaler les escaliers plutôt que de les descendre!
Je pourrais remplir des pages de tout le bien que j’ai apporté à cet immeuble entre chutes dans les escaliers, fesses et autres parties endolories pour qui osait prendre la rampe comme toboggan. Il y a eu aussi la jolie Amandine, seize ans, qui croyait en sa totale liberté. Il fallait la protéger lorsqu’elle cherchait à sortir sans la permission de ses parents. Malgré ces efforts pour marcher sans bruit, je craquais de toutes mes forces jusqu’à ce que son père ou sa mère ne se réveille. Que m’a-t-elle maudit !
Et tant d’autres d’histoires !
Cette nouveauté a vraiment bouleversé ma vie ! Je me sens vidé de mon essence. Comment surveiller mon monde correctement dans ces conditions ?
J’ai donc demandé à l’ascenseur de se mettre en panne (nous étions devenus amis et surtout il me voyait dépérir). Il le fit pour me faire plaisir, mais au moment où le syndic a décidé que la prochaine fois il le changerait, il n’a plus voulu, il aimait trop notre immeuble.
Ce ne sont pas les quelques personnes qui, de temps à autre, ont encore le courage d’utiliser leurs jambes qui peuvent me remonter le moral.
Peggy Malleret
Vous êtes l’escalier d’un immeuble hausmannien. C’est dire que vous êtes beau. En pierre, équipé d’un tapis traditionnel, retenu par des tringles et des pitons à chaque contremarche. La classe ! Certes, vous avez connu des vicissitudes. Vous avez perdu la boule ! Oui, votre boule de départ. Elle était en cuivre et faisait votre fierté. Un malotru l’a volée. L’assemblée des copropriétaires vous a payé une remplaçante, en marbre — du faux, bien sûr. Mais le pire fut l’installation de l’ascenseur… Des travaux pharaoniques, du bruit, de la poussière, qui vous ont complètement déstabilisé. Certaines de vos marches n’ont pas aimé du tout, elles se sont affaissées. Il a fallu les soutenir. Vous n’êtes pas content de partager votre cage avec un ascenseur ? Qu’est-ce qui vous chiffonne ? Vous étouffez ? L’entresol ? Il n’y a plus d’entresol ! Ah bon : l’entresol serait devenu le premier. Et c’est un problème ça ? Quoi ? Vous dites que, seuls, les escaliers de standing ont un entresol. Que plus personne ne vous grimpe quatre à quatre, ni ne vous dévale. Que c’est d’un ennui… Qu’on ne pourrait même plus vous utiliser pour se suicider. Vraiment, en 1961, la jeune fille qui habitait l’entresol est montée au troisième étage pour enjamber la rampe et s’écraser à vos pieds ? Pour un chagrin d’amour ? Votre photo était dans le journal ! Je comprends ; que voulez-vous : « On ne peut pas être et avoir été ! »
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne un escalier déprime.
L’escalier tournait en rond, comme un poisson rouge dans son bocal et sa déprime l’enlaçait comme une amante dévorante.
Sans aucune mémoire, chaque matin est comme le premier matin de son monde.
Il réveille ses marches pour entendre leur léger craquement, mais c’est le silence qui répond.
Il tend la main pour caresser le poli de la rampe, mais c’est un froid glacial qui l’anesthésie.
Il frémit pour retrouver la délicatesse des essences de son bois, mais c’est l’anosmie qui coule dans ses veines.
Quand le soleil est au plus haut, l’escalier doit se rendre à l’évidence : il est mort.
Et pourtant, lorsque la fin de la journée s’annonce, une lueur d’espoir filtre délicatement.
Avec les cris et les rires des enfants,
Avec le tap tap des ballerines ou des talons aiguilles,
Avec les mots doux chuchotés au téléphone….
Et puis avec cette chanson qui s’envole…. voir sous les jupes de filles !
Le bonheur de tout escalier !
C’est alors que le malheur arrivait et plombait son moral.
Un chantier sans pareil pour une machine infernale en acier.
Adieu, cris et rires, chuchotements et chansons.
Les chuintements, les grincements et les roulis gangrènent son existence. Chaque jour un peu plus. Jusqu’au jour fatal où il tombera en ruine.
Mais, un soir, un miracle se produit.
Une porte mal refermée. Un vieux poste de TV, le son poussé à fond. Un film en noir et blanc sur fond de Miles Davis. Des acteurs à la diction parfaite et à la morale imparfaite. Louis Malle et son intrigue diabolique.
Ça y est, il la tient, sa revanche.
Un coup de vent mauvais. Un vis qui traîne sur une marche et roule, juste au moment de la fermeture des portes.
Un couinement affreux.
L’ascenseur est en panne.
Le réparateur est en vacances.
L’escalier soupire, respire et renaît.
Les cris et les rires.
Le tap tap des talons aiguilles.
Les chuchotements et les odeurs
Et Souchon chante !
Voir sous les jupes des filles !
© Clémence.
Excellent. Merci pour le rappel du sublime « Ascenseur pour l’échafaud ». Si Maurice Ronet avait emprunté l’escalier, hein ?
Je vous remercie, Grumpy.
Après votre texte jubilatoire sur les escaliers de Montréal, je me disais qu’il n’y avait plus rien à écrire…Mais voilà, il y avait un défi à relever!
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que lui, un escalier déprime
Oui, c’est vrai j’ai un peu déprimé au début lorsque l’entreprise ANHO est venue installer à grand fracas la cage, réelle celle-là, de l’ascenseur. C’est vrai , la panique s’est emparée de moi en voyant tous mes habitués se ruer vers la nouveauté, tout affairés à appuyer sur les boutons, à monter et descendre, bref à me dédaigner. Moi qui suis là depuis plus de quinze décennies, toujours vaillant, toujours prêt à rendre service.
Les handicapés, les trop vieux, les pressés, les logés au 6ème étage, oui, ceux-là m’ont abandonné. Mais les sportifs, ceux qui prennent soin de leur cœur, ceux des premiers étages, les romantiques – oui, il y en a – tout ce monde-là m’emprunte encore.
Bien sûr, ce n’est plus comme avant, du temps des robes et jupons qui me frôlaient de leur dentelle et linon, des bottines en veau délicat, des souliers lacés. Joggings et baskets ont pris le dessus mais je m’en moque car ils me font littéralement craquer sous leurs pas et ça, j’adore.
Si je craque, je brille aussi car le syndic prend soin de moi : il m’astique, me bichonne, m’époussette. Je dois cette considération au couple du 3ème qui met tout en œuvre, lors des fameuses AG pour ma préservation et mon classement au patrimoine du quartier. Car je suis logé dans un immeuble qui a du chien, un haussmannien, rien que ça ! La cage ANHO , elle peut encore attendre avant d’être classée.
Donc, pour résumer, je me sens bien dans mon immeuble.
Vous avez dit modernité ?
Oui, Monsieur
J’y ai assisté
A la mort de notre escalier
On sentait déjà sous nos pas
Depuis quelques temps
Que le cœur n’y était pas
Plus de délicats craquements
Sous nos semelles
Pour souligner tout simplement
Que la vie était belle.
Non, Monsieur
Notre escalier n’était pas en cage
Mais plutôt comme l’oiseau de Pierre Perret
Épris de liberté
Il nous voyait aller et venir
Toujours avec un p’tit sourire
Et même quand il était bien ciré
Il faisait attention aux pieds de mon pépé
Et lui permettait de souffler
Sur chaque palier.
En rentrant de l’école avec petit Paul
Juste avant le goûter
On sautait sur la rampe
Comme de fiers cavaliers
Et on l’entraînait ainsi dans nos folles chevauchées
Certes, quelquefois, il a eu peur
Il lui est même arrivé de trembler
En entendant certaines portes claquer
Mais très vite c’était le retour du bonheur
Quand les amoureux venaient s’y réfugier !
Oui, Monsieur
Vous me fendez le cœur
En venant installer votre ascenseur
Mes rêves et mes souvenirs
Vont tellement souffrir
De se sentir prisonniers …
Cet escalier Haussmannien avait connu la marche sociale conformiste des bourgeois qui se cantonnaient dans les premiers étages. Ces financiers ou rentiers bedonnants ne voulaient point se fatiguer. Ils daignaient aux commerçants et chefs de bureau les étages suivants. Une fois les collets montés, les employés méritants avaient droit d’entrer dans le giron, de réchauffer les degrés des étages supérieurs. Quant aux domestiques, ils survivaient dans les pièces exigües et mansardées du dernier étage. Mais voilà qu’un jour les fils de ces bourgeois firent installer un ascenseur afin de palier leur manque de mobilité pour visiter le petit peuple. L’escalier se sentait pris en cage quand la concierge gagnait ses gages sans l’emprunter. Il la voyait s’élever dans cette prison grillagée pour effectuer ses démarches ou bien livrer des colis maçons. Il n’était plus sous les feux de la rampe, le garde-corps de leur mise en forme. Il se sentait abandonné. Son vis était de voir l’ascenseur dévisser pour emporter dans l’abîme tous ceux qui l’avaient abimé à force de le dédaigner. Il aurait voulu porter plainte, déposer une main courante à la police pour qu’à nouveau des peaux lisses daignent lui marcher dessus. Avec l’ascenseur tout avait changé. Les bourgeois déménageaient vers les étages pour profiter de la vue et ne plus respirer le gaz des autos de plus en plus mobiles, de plus en plus nombreuses. La concierge avait été remplacée par un digicode et les domestiques avaient gagné la banlieue pour laisser place à des étudiants boutonneux et bruyants. Lui qui se rêvait Chambord, qui s’envolait la nuit en double hélice, ne se sentait foulé et rapidement franchit que par des chaussures pressées de le quitter lorsque l’ascenseur était en panne. Sous le poids de la dépression, ses marches se creusaient comme des rides d’une vieillesse précoce.
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne, un escalier déprime. Voyant l’arrivée de son colocataire comme un soulagement, il regrette finalement le temps où il supportait tant bien que mal le poids de ses usagers. Les cris des enfants du 3ème étage qui rentrent de l’école avec leur maman, les aboiements du chien du 1er qui entend ces mêmes enfants, le célibataire du 2ème qui part promener son chien Tobi, les sonneries de téléphone et les « allo » qui suivent, les clefs qui tombent lorsque les dames les cherchent dans leur sac, les étourdis qui oublient toujours quelque chose en partant de chez eux… Il se retrouve désormais seul jusqu’à ce que l’ascenseur ne tombe en panne. Tout ce petit monde retrouva ses habitudes d’avant en râlant. L’escalier, bien que soulagé, fut surpris de cet incident si soudain. L’ascenseur lui confia alors qu’il s’était détérioré volontairement car il ne supportait plus le brouhaha qui manquait tant au 1er occupant de cette cage. Bien que désapprouvant le geste de son coloc, l’escalier ne fut pas mécontent de retrouver ses usagers et de faire de nouveau partie de leur vie.
Moi ? Déprimé à cause d’un ascenseur ? Sûrement pas…
On pourrait croire que je déprime de par ma situation, mais non, pas du tout. La vie est belle, je suis libre, je suis heureux.
J’habite à New York, dans le Village, je vis suspendu à un immeuble de briques rouges à l’angle de la 42ème et la 65ème. C’est là que beaucoup de gens, des amoureux surtout, se donnent « rendez-vous » en français, par dérision ou parce que ça fait chic. ‘J’vas te waiter sur le corner’ qu’ils disent.
Ce n’est pas un quartier snob, ici c’est intello, cool, relax, fauché, paumé : le melting pot. Perché comme je suis, je vois tout, je regarde grouiller la vie de toutes les couleurs sur les trottoirs.
Je suis un escalier métallique, cabossé un peu, rouillé beaucoup, forcément, dehors par tous les temps, à la pluie, au vent, à la neige … Je m’accroche de toutes mes forces à mon immeuble adoré-mi-fa-sol : la joyeuse musique que chantent mes marches quand un de « mes »locataires me fait le plaisir de m’emprunter. Et c’est souvent, il n’y a que quatre étages ici, d’ascenseur nul besoin.
Ils sont sympas mes locataires, blancs, jaunes, noirs, glabres à lunettes, barbus tatoués, en jeans universels, de tout, mais moi j’arrive à faire le tri : écrivain, poète, comédien, crack accro, dealer, femme de ménage, même qu’à force de les écouter je connais des tas de mots, surtout des gros, dans plein de langues.
Ailleurs, il y en a qui vantent le confort et la rapidité des ascenseurs, je ne les envie pas. Ils auraient l’impression de déchoir d’avoir à emprunter un escalier si marbré soit-il. Bof, des cadres sup, culs-bénits ou talons hauts, qui bossent dans les tours.
Serrés comme des sardines dans ces cages d’acier vertigineuses qui les propulsent en quelques secondes au 60ème étage. Qu’est-ce que ça a d’humain ça ? A ce train, sûr qu’un jour le système hydraulique va péter, la cage va monter encore plus vite et va gicler à travers le toit de béton. La ville va croire à un second 11 septembre.
Mais si c’est chez moi qu’arrive un accident, je suis là, moi, l’escalier de secours, tout le monde peut sortir en cinq secs. Au feu les pompiers y’a la maison qui brûle, au feu les pompiers la maison a brûlé, tout le monde est sauf, moi itou.
Mes locataires et moi, on est ensemble pour le meilleur et pour le pire et c’est pas un ascenseur qui va nous coller le bourdon. On picole sur mes marches, on fume et on se marre !
Un très beau texte on le voit. Comme je connais un peu New York je me suis baladée un petit voyage par la lecture merci
Merci Odile, c’est Montréal où j’ai vécu plusieurs années qui m’a inspirée, je crois que vous connaissez et qu’il a dû vous arriver à vous aussi de waiter quelqu’un sur le corner ! Là on ne peut sa se louper…
C’est vrai je connais aussi Montréal et les escaliers … ça me rappelle aussi plein de choses des quartiers sympas Mont Royal … oui je me souviens bien…
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne, un escalier déprime. Voyant l’arrivée de son colocataire comme un soulagement, il regrette finalement le temps où il supportait tant bien que mal le poids de ses usagers. Les cris des enfants du 3ème étage qui rentrent de l’école avec leur maman, les aboiements du chien du 1er qui entend ces mêmes enfants, le célibataire du 2ème qui part promener son chien Tobi, les sonneries de téléphone et les « allo » qui suivent, les clefs qui tombent lorsque les dames les cherchent dans leur sac, les étourdis qui oublient toujours quelque chose en partant de chez eux… Il se retrouve désormais seul jusqu’à ce que l’ascenseur ne tombe en panne. Tout ce petit monde retrouva ses habitudes d’avant en râlant. L’escalier, bien que soulagé, fut surpris de cet incident si soudain. L’ascenseur lui confia alors qu’il s’était détérioré volontairement car il ne supportait plus le brouhaha qui manquait tant au 1er occupant de cette cage. Bien que désapprouvant le geste de son coloc, l’escalier ne fut pas mécontent de retrouver ses usagers et de faire de nouveau partie de leur vie.
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne un escalier déprime.
Les incessantes allées et venues des résidents, les galopades des gamins, les papotages des deux commères du second, les baisers fougueux des amoureux assis sur mes marches me manquaient déjà tant. Depuis cette après-midi, je n’en peux vraiment plus, je vais craquer, c’est sûr ! Pourquoi ? Eh ben tout simplement parce que le piano à queue du musicien du troisième, qui ne rentrait pas dans la technologie, a défoncé ma si belle rampe en fer forgé. En plus, je n’en peux plus de chez plus de renifler cette odeur de pisse de chats du premier que la gardienne de l’immeuble n’a pas remarquée et pour cause : un coup de serpillière une fois par mois suffit largement dorénavant. S’il ne tenait qu’à moi, je me jetterais bien volontiers du haut de mes trois étages, mais voilà comment faire ? Hein ! Comment faire ? Dis-le moi, toi qui es en train d’écrire ma dépression.
– Ne t’en fais pas mon cher escalier. Avec moi tu vas retrouver toute ta joie de vivre.
– Ah, bon !
– Pas plus tard que ce soir tu vas entendre des hurlements dans l’ascenseur.
– Ah !
– Oui, les amoureux et les deux commères se retrouveront pris au piège entre deux étages. Les techniciens accourus au bout de deux heures ne parviendront pas à les extraire de leur prison. Aussi, appelleront-ils les pompiers. Attends-toi à une belle cavalcade sur tes marches. Tu ne vas pas t’ennuyer, crois-moi.
– Chouette ! Un peu de distraction. Mais ça colle pas du tout ton truc ; Pascal va froncer les sourcils. Quand ils seront parvenus à les délivrer tout redeviendra comme avant.
– Attends, tu vas voir : Les pompiers esquinteront tellement l’ascenseur que le syndic refusera le devis exorbitant des réparations. Lors de la réunion houleuse, les propriétaires se demanderont pourquoi ils avaient eu cette idée saugrenue de faire installer cet engin qui les privait d’exercice physique.
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne, un escalier déprime.
Voilà une semaine qu’il entend les différentes conversations entre les propriétaires et les locataires du 13, rue du Paradis.
Oh ! Chouette ! S’écrie Mme Durand du 5ème, une vieille dame de 80 ans, je n’aurais plus à faire livrer mes commissions.
Super sympa ce nouvel ascenseur s’extasie M. Lenoir, le professeur de Dessin du 4ème.
Des Ah ! Des Oh ! D’émerveillement. Toutes ces exclamations de joie lui brisent le cœur.
Du coup Mme Ferreira s’active avec ardeur au nettoyage de ce nouvel engin de la modernité.
Tout nouveau, tout beau, laissant un peu à l’abandon l’escalier dont elle a pris grand soir pendant toutes ces années.
Revenant de son jogging matinal, un peu essoufflée, Melle Pâquerette s’assoit sur les dernières marches de l’escalier, caressant la rambarde avec nostalgie, lui dit : moi, je continuerai de t’emprunter, (sauf lorsque j’aurai mes courses bien sûr). Pour galber jambes et muscler les cuisses, tu n’as pas ton pareil.
Elle eut juste le temps de retirer sa main, du 1er, le petit Nicolas, glisse le long de la rampe, c’est son jeu préféré. L’ascenseur est interdit aux enfants non accompagnés. L’ascenseur Beurk !
Avant l’arrivée du Sieur ascenseur, Monsieur l’escalier faisait l’orgueil de tous les habitants de l’immeuble, il brillait, il sentait bon la cire antidérapante et depuis, il y en avait que pour le nouvel engin des temps modernes.
Un matin, Mme Ferreira vint tout son attirail de nettoyage sous le bras s’attaque à le nettoyer avec soin, avec plus d’ardeur qu’à l’accoutumée, presque avec tendresse, cela lui manquait un peu…
Elle agrémenta même le hall d’une magnifique plante verte mettant en valeur l’escalier.
Avant, il faisait l’orgueil des habitants de l’immeuble, en entrant, on ne voyait que lui, cet escalier monumental.
Alors, l’escalier sourit et de ne déprima plus, on ne l’avait pas oublié. Il fit même « ami-ami » avec l’ascenseur , ils étaient dans la même cage, pourquoi ne pas s’entendre ?
Et au cas où ce dernier tomberait en panne, il serait là, lui.
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne un escalier déprime.
Pas possible, je n’en peux plus. Quel vacarme ! Avant, régnait une certaine paix. Mme DeSouza,la concierge montait tous les matins, de bonne heure, avec un seau et une serpillière ; elle me nettoyait soigneusement, me laissant tout propre, ça sentait bon ! Ensuite, les enfants descendaient mes marches avec leur cartables sur le dos, encore un peu endormis, pour aller à l’école… sans enthousiasme il est vrai. L’après-midi, en revanche, ils montaient mes marches très joyeusement, 4 à 4, car ils savaient qu’un bon goûter les attendaient, qui embaumait depuis un moment déjà car Mathilde, leur grand-mère aimait à les voir manger goulûment les délices qu’elles leur avait préparées. Mais ce bruit là était bien agréable et bien joyeux ! Et le dimanche, quand toute la famille du 2e se rendait à la messe, le groupe descendait calmement, religieusement même, dirais-je, en faisant attention à ne pas salir les beaux habits du dimanche. C’était le bon temps, je vous dis !
Maintenant, plus rien de tout ça. La société de nettoyage passe une fois par semaine avec du matériel bruyant. Quelle idée de passer l’aspirateur sur mes marches que presque plus personne ne foule ! Mais je soupçonne l’employé de ne le faire que pour être entendu des habitants et prouver par là qu’il est passé ! Et quand il me lave, à grande eau, il me laisse tout mouillé, sans rincer, sans doute pour les mêmes raisons !
Dorénavant, toute la journée, ça monte et ça descend, juste à côté. Et en plus ça parle: «Première é.Tage», «Ray.de.chossé» avec une drôle de vois synthétique ; sans compter le livreur de pizza qui trouve l’ascenseur trop lent (oui, j’vous jure !, trop lent !), et qui appuie de nombreuses fois sur le bouton : ding, ding, ding, ding, comme si ça le faisait descendre plus vite ! Et puis il y a aussi le jeune Nolan du dessus qui vient avec sa bicyclette et qui appuie comme un malade sur le bouton avec son pied, mais oui, avec son pied ! Avec l’énergie qu’il met à introduire le vélo dans ce petit ascenseur, il pourrait quand même le monter à pied en le portant sur les épaules !
Et pourtant, on me trouvait bien joli. Même qu’un jour homme tiré à 4 épingles avait proposé de me classer «monument historique» ! Quelle drôle d’idée ! D’après lui, ça m’aurait protégé des dégradations. Mais le syndic et les copropriétaires ont opposé leur véto. Pas question de se laisser embêter par une réglementation contraignante ! Non, non et non. S’ils avaient pu, ils m’auraient même fait démonter mais ils n’en avaient pas le droit. Et puis…. en cas de panne d’électricité. C’est ça ! En cas de panne ! Je ne suis plus qu’un pis aller et je suis triste, triste, triste…………..
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne,un escalier déprime.
Un escalier déprimé cela fait peine à voir.La rampe s’affaissait,les marches se creusaient en grinçant,le tapis qui les recouvrait s’élimait,tandis que les barres de cuivre maintenant le dit tapis se ternissaient.
Heureusement, une guillerette petite bonne femme vint à passer par là,qui vit le désastre et s’en alarma.
» Hé monsieur l’Escalier ,que vous me semblez triste,que vous arrive t-il donc?
– Oh, soupira le pauvre bougre,l’on me néglige,l’on m’ignore depuis que cette horrible boîte en verre et en acier s’est installée près de moi.Chacun s’y enferme pour arriver à bon port le plus vite possible.
Mais si ce n’était que de ça!Tous les jours, j’entends les commentaires des habitants:
– Ouf,il était temps qu’ils installent un ascenseur
– On n’en pouvait plus de monter ces étages à pied
– En plus avec le bébé dans les bras,les courses
– Ce vieil escalier était un peu…
– Je comprends – coupa la donzelle – il y a sûrement quelque chose à faire.Laissez moi réfléchir »
Quelques jours plus tard fut placardée dans le hall de l’immeuble une affiche tout ce qu’il y a de plus officielle,émanant du ministère du Bien être et de la Cohabitation harmonieuse.
Prenez soin de votre santé grâce à nos recommandations ci dessous:
AU MOINS UNE DEMI HEURE DE MARCHE PAR JOUR
PRENEZ LES ESCALIERS LE PLUS SOUVENT POSSIBLE
HYDRATEZ VOUS REGULIEREMENT
JETEZ VOS CIGARETTES DANS LE VIDE ORDURE MIS A VOTRE DISPOSITION DANS L’ ENTREE
O. CONSEIL Attachée au ministère du Bien être et de la Cohabitation harmonieuse
Petit à petit l’on vit les occupants se déplacer,une vaporette à la main,une bouteille d’eau dans l’autre,s’engager dans l’escalier? chacun à sa manière.
Celui ci avait été entre temps réhabilité par un mouvement de bénévoles plein d’entrain qui lui apportèrent un je ne sais quoi de pimpant et accueillant.L’élévateur n’en fut pas abandonné pour autant,la tâche fut équitablement partagée entre leurs deux services comme chacun l’entendait.
L’escalier, reconnaissant,aurait voulu remercier sa petite donzelle guillerette mais il ne la revit jamais.
Certaines nuits on entend,de ce fait, glisser des soupirs sur la rampe restaurée..
Je suis un escalier à la volée harmonieuse.
Je desserts depuis 20 ans une cage à 7 étages. Je suis en pierre marbrière. Avec le temps la patine s’est installée lustrant mes veines. Une belle rampe en fer forgé me parcourt. Les volutes y sont reposantes. La vie s’est installée dans ma cage. Que d’émotions me parcourent ! Je pourrais vous conter les différents marches de chaque palier. Chacun y épouse l’entrée de 2 appartements. Imaginez vous : 14 vies à raconter, des changements d’humeur,…
Chaque pas imprime une émotion. Il y a les talons fins qui martèlent. Les chaussures des marcheurs qui déposent de la terre. Les baskets aux odeurs de sueurs. Les chaussions doux allant relever le courrier. Les botes de pluie humides. Les épaisses chaussures des déménageurs. Les premiers pas fins balbutiants des enfants avec leurs premières chutes. Les pieds nus calleux ayant oublié leurs chausses. Les coups de canne des personnes en souffrances montant avec lenteur. Les roues de charrettes au retour du marché. Les poussettes à remonter. Des milliers de pas avec des sensations uniques ; les rythmes de la vie.
Que je suis heureux !
Mais un jour des messiers sont venus installant un drôle d’engin montant et descendant. Ma vue en a été bouchée. La vie s’y est intériorisée, peu à peu me délaissant. Avec le temps je me suis terni, devenant granuleux, acariâtre. Je me sens aujourd’hui abandonné, nostalgique. Les bruits de la vie me sont devenus lointains, par bribe. Rien n’est plus comme avant. Je ne vis qu’avec les regrets du passé. Ma rampe se rouille, grinçant de douleur. Pourtant à chaque entrée, je me dis, » ils vont venir me fouler ! » Mais non, cet ascenseur à la primeur.
J’étais un escalier à la volée harmonieuse.
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne, un escalier déprime.
Trop vieux l’ascenseur des années 20.
Trop bruyant l’ascenseur des années 20.
Trop coûteux en entretien l’ascenseur des années 20.
Trop lent l’ascenseur des années 20.
Trop étroit l’ascenseur des années 20.
Trop démodé l’ascenseur des années 20.
Trop la honte l’ascenseur des années 20 !
Maintenant, on veut du neuf.
Maintenant, on veut du silence.
Maintenant, on veut un entretien raisonnable.
Maintenant, on veut du rapide.
Maintenant, on veut de la place.
Maintenant, on veut être à la mode.
Maintenant, on veut être moderne.
Maintenant, on veut être à la page !
Alors, les vieux ascenseurs, on les dégage.
Alors, les vieux ascenseurs, on les rejète.
Alors, les vieux ascenseurs, on les bazarde.
Alors, les vieux ascenseurs, on les traite mal.
Alors, les vieux ascenseurs, on les désosse.
Alors, les vieux ascenseurs, on les recycle.
Alors, les vieux ascenseurs, on ne les garde pas !
A la place, le nouvel ascenseur nous demande quel étage.
A la place, le nouvel ascenseur, on ne fait plus rien.
A la place, le nouvel ascenseur se débrouille tout seul.
A la place, le nouvel ascenseur obéit à tout.
A la place, le nouvel ascenseur, il est hyper rapide.
A la place, le nouvel ascenseur, c’est de la technologie.
A la place, le nouvel ascenseur, c’est comme un robot !
Mais, moi, j’en veux pas de cette modernité.
Mais, moi, j’en veux pas de celui-là, je préférais l’autre.
Mais, moi, j’en veux pas de celui-là, l’autre, c’était une œuvre d’art.
Mais, moi, j’en veux pas de celui-là, l’autre, c’était du solide.
Mais, moi, j’en veux pas de celui-là, l’autre, j’avais une relation avec lui.
Mais, moi, j’en veux pas de celui-là, l’autre était en mouvement.
Mais, moi, j’en veux pas de celui-là, je préférais l’ancien temps !
Voilà ce qui arrive aux vieux comme nous, juste bons pour le rebus !
En effet, je déprime. Imaginez, depuis un siècle, je suis le centre névralgique du petit immeuble. Tout le monde passe par mes marches. J’en vois des personnes et des situations défiler…
Or, le propriétaire, âgé de 95 ans et poussé par ses trois enfants, vient d’investir dans un ascenseur. Bien sûr, il en bénéficiera pour atteindre le troisième et n’aura plus à s’asseoir à chaque étage sur le rebord de la fenêtre afin de reprendre son souffle et reposer ses vieilles jambes. Mais il sera bien le seul ou presque. En effet, comme une tuile n’arrive jamais seul mais en escadrille, comme disait l’autre, les dentistes du deuxième viennent d’annoncer pour cette année, leur fin d’activité. C’est grâce à leur patientèle, que je m’amusais le plus. Non par sadisme, mais par intérêt pour leur art. Je pourrais dire lequel des deux praticiens est le plus attentionné à rassurer et éviter la souffrance. Je pourrais vous raconter combien les devis et factures sont différentes suivant qu’elles soient établies par l’un ou l’autre, enfin, je suis le mieux placer pour observer la tête des patients qui entrent et sortent de l’appartement et qui, se croyant seuls, laissent s’exprimer leur ressenti. Certains sont uniquement souffrants mais d’autres expriment la colère, le doute ; les soucis se lisent sur leur front, la souffrance sur leurs mâchoires crispées sans parler des enfants qui pleurent et crient leur crainte ou leur douleur. Une véritable Comédie Humaine est ici à observer.
Sans ces passages jusqu’au deuxième, il n’y aura plus grand-chose à analyser. Le premier étage est occupé depuis plus de vingt ans par un couple d’allemands qui, maintenant en retraite, passent une partie de leur vie ici et l’autre quelque part là-bas dans l’est. Eux sont peu intéressants ; ils reçoivent peu d’amis et passent peu de temps sur mes marches ; ils n’ont que dix-sept marches à monter pour atteindre leur appartement et si cela se trouve, ils emprunteront l’ascenseur dorénavant.
Quant au rez-de-chaussée, il est réservé au fils du propriétaire qui n’y passe qu’une fois ou deux par quinzaine. Il vient seul et ne reçoit pratiquement personne non plus.
Les boites à lettres sont dans la cour, alors je ne vois pas le facteur. Il n’y a que quelques livreurs qui amènent occasionnellement un colis. Par contre, chaque samedi, Grégoire vient me nettoyer. J’aime bien son passage. Il siffle ou chantonne tout le temps ; cela change des jérémiades des malades transportés en semaine. Greg, par ailleurs, est très doux et respectueux de mon vieux bois, du tapis qui monte de marche en marche, des angles qu’il aborde sans les cogner. C’est simple, le passage de Greg est une sorte de massage thérapeutique qui me remet de ma semaine. Malheureusement, je crains fort que les trois enfants du propriétaire, soucieux de la gestion familiale ne réduise les passages de Greg à une unique fois par quinzaine pour tenter d’amortir le coût des travaux d’installation de l’ascenseur.
Cela dit, la cage de cet intrus n’est pas venue réduire ma ligne assez majestueuse. Elle a été positionnée à l’extérieur comme une excroissance qui monte contre le pignon de l’immeuble. C’est déjà cela. J’aurais été encore plus déprimé si les travaux avaient réduit ma largeur et ma clarté légendaire.
Maintenant que la déprime s’est installée, j’ai peur. J’ai peur que le vieux monsieur du troisième ne disparaisse. Que feront alors ses enfants ? Vendront-ils l’immeuble à un promoteur ou un marchand de biens ? S’il est décidé de démolir l’immeuble pour en faire un autre plus moderne, je disparaîtrai comme dans tous les immeubles du XXIème siècle où les escaliers sont réduits à une taille minimale, sans ouverture vers l’extérieur ni accessoire de décoration ; construits uniquement comme sortie de secours alors que l’ascenseur sera, lui, recouvert de boiseries vraies ou fausses, de miroir et de matériaux sombres mais chics. Quelle misère !!!!
» Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne, un escalier déprime »
C’est tout ce qu’il avait trouvé comme Une pour son journal scolaire, le petit journaleux de 15 ans. N’importe quoi! Il n’était même pas passé m’interviewer, le futur roi de la rubrique des marches affaissées. A tous les étages, ces journaux, ils ne racontent vraiment que des conneries.
Moi, on m’a mis à la retraite et je m’en porte très bien. C’est le repos bien mérité après un bon siècle de services rendus, de cochonneries déversées, de médisances vomies, à chaque niveau, selon l’origine des voisinages, selon les guerres, selon les forces inertes des vents qui tournent.
Plus de courses effrénées, plus de traînages de savates, plus de pisses félines ou canines, plus de caresses câlines contre la rampe, plus de saoulard rampant dans son vomi, plus de grande lessive de la concierge, plus de ses engueulades après les gosses du dessus … la concierge, enfin a déserté l’escalier.
Plus de, plus de…je n’en finirai pas d’énumérer tous les désagréments perdus depuis qu’ils ont installé leur boîte à sardines.
Demeurent encore les passages des souris, les frôlements des insectes, mais tout est si léger et menu. Ca flotte sur moi, contrairement aux poids des humains, aux godasses boueuses des ouvriers, aux talons vicieux des femelles transperçant mes nœuds, aux semelles ferrées des bottes guerrières.
Comment je vois l’avenir… aucune idée précise…je continuerai à accueillir les corps malades, ceux qu’on ne peut pas plier dans l’ascenseur … et les tout raides. Ca montera, ca descendra, sur la pointe des pieds … ça respectera un peu plus du silence, c’est peut-être moi qu’on entendra grincer le plus… normal, les tournures de la vie, cet escalier…les marches du temps.
Il était trop vieux, craquait de partout, c’était ce qu’il entendait à longueur de journées, interminables, 22 heures sur 24, avec un répit pour dormir, entre 3 heures et 5 heures du mat.
Il allait bientôt avoir 85 ans et personne ne le ménageait ces derniers temps, à part la femme de ménage, bien sûr, une fois par semaine, le mercredi. Et encore, elle ne faisait que passer en coup de vent quand son prédécesseur passait l’aspirateur et un coup de cire, tout en chantant un de ces fados qu’il aimait tant. Les journées lui paraissaient moins longues avec Maria. Mais depuis que Stéphanie l’avait remplacée, elle lui pourrissait la vie et le bois, un supplice jusqu’à la lie.
Un coup de cire, à notre époque, quand l’ascenseur est roi, voyons !
Les temps avaient changé. Les gens se plaignaient, le maudissaient. Ils n’en voulaient plus. Il était vieux et crade, dangereux même, affirmaient certains. Trop raide pour ce pauvre Léon qui s’était fracturé une hanche en ratant une marche. Un drame de trop.
Ils réclamaient un ascenseur, comme au 4 bis, il n’y avait pas de raison. L’escalier avait fait son temps, il avait besoin d’aide, c’était évident pour l’ensemble des copropriétaires. Tous avaient voté. Une aide à domicile qui saurait prendre en charge ses montées et ses descentes.
Pouah ! Et pourquoi pas finir comme son cousin Escalatores sur chaise roulante !
Il l’avait vu déprimer dans une de ces EPHAD commerciales et s’enfoncer six pieds sous terre dans une vie mécanique qui menait à l’enfer du RER.
Il était mort. Il ne craquait plus. Dans l’indifférence totale. Au rez-de-chaussée, une odeur de pied incommodait les visiteurs, ça puait le renfermé, lui qu’on avait condamné au silence. Plus haut, il refoulait du corridor, quand quelqu’un osait encore lui adresser le pas. Mais c’est bien au septième étage que ça ne tournait pas rond.
Maria, à la retraite, habitait toujours le même studio sous les toits. Elle le regardait broyer du noir sans un mot. À quoi bon, il ne répondait plus.
Elle avait beau chanter un de ces fados qu’il aimait tant, son cœur ne battait plus la mesure de leurs pas.
Elle avait beau chanter un de ces fados qu’il aimait tant, son cœur ne battait plus la mesure de leurs pas.
Depuis qu’un ascenseur s’est installé dans la même cage que la sienne un escalier déprime.
Le plus dur, c’est le silence !
Du jour au lendemain, ils m’ont coupé de tout et de tous.
Comment un humain peut-t-il être autant inhumain ?
Pas un mot….pas une explication….même pas un au-revoir.
Pire ! Je les ai entendus se réjouir de ne plus avoir à m’emprunter.
Cruels, ingrats… Va !
– Souviens toi poussive Marguerite de ta difficulté à grimper jusqu’au 3ème ! Tu étais bien contente que je t’accueille généreusement sur ma 20ème marche plus large que les autres où tu t’asseyais pour souffler un peu !
– Souviens-toi cardiaque Joseph ! Je te laissais du temps pour arriver jusque chez toi ? Non ? Rappelle-toi tout de même !
– Souviens-toi Josette. C’est grâce à moi que tu as rencontré Raymond. OUI ! Tu étais chargée comme un âne ce jour là et lorsque Raymond qui descendait a vu ta difficulté, il t’a proposé de monter tes provisions ; depuis, vous ne vous êtes plus quittés.
– Souviens-toi douce Clémence. Je t’ai toujours laissée chanter quand tu montais ou descendais… et puis, tu chantais si bien !
– Et vous les enfants ? La sortie de l’école ? Vous avez oublié vos courses et vos disputes ? Vos arrêts au 1er étage pour échanger vos cartes de pokemon ? Et vos rires et vos cris et vos cartables qui voltigeaient ? Et vos mères qui vous grondaient ?
C’est terrible ce silence….terrible….terrible….
Quoi ? Quoi ?
Que se passe-t-il ?
Vous êtes en colère ? Il est en panne ? L’ascenseur est en panne ?
Hi Hi Hi !!!!!! L’ascenseur est en panne !
Mais bien sûr…. Mais bien sûr….Heureusement que je suis là ! Marguerite, Joseph, Raymond, Clémence, les enfants et tous les autres ! Je suis là, toujours en vie pour vous servir, vous accueillir, vous réunir.
Venez… Venez ! C’est pas la peine d’essuyer vos chaussures, montez, descendez, remontez, redescendez, faites du bruit, vivez quoi ! Vivez !
Et MERCI !
Un joli texte tout guilleret merci
Rien de pire qu’un déprimé, mon copain Siemens le répétait ! Il grince toute la journée et maintenant il grelotte. On dirait même qu’il sanglote. Je n’y peux rien moi, je n’ai pas demandé à étre installé ici. J’aurais préféré un endroit plus chaud que la Sibérie. On choisit pas. Je vais faire quelques aller-retours du 0 au 6, ça va nous réchauffer. Pas un merci ! Des plaintes à longueur de journée. Qu’il est inutile, qu’il ne sert à rien, qu’il est trop jeune pour prendre sa retraite, ça n’arrête pas. Ça me gonfle et il nous est interdit de modifier la structure. On est complémentaire, je lui ai dit. Sans lui je ne serai pas là et sans moi… mais têtu et dépressif il ne veut rien entendre et reste muet. Je ne vais pas me laisser contaminer. Ici au milieu de nulle part pour la conversation je n’ai que lui, je vais finir par craquer.
Depuis qu’elle, la Grosse, est installée on ne voit plus le soleil, on a tout ce poids…je sers à peine plus que lui, moins même … j’attends le grand jour et lui notre Mister Triste il sera aux premières loges, et même le plan B. Quel honneur ! Mais non il joue la mélancolie permanente, l’ame russe, qui sait, moi je suis composite, je viens d’un peu partout. Tiens justement une visite, il s’intéresse à lui, il monte et moi, je n’en fais pas un drame, s’il ne m’utilise pas. Mais qu’est-ce qu’il fait ? Un saboteur ? Non il prend son temps… pas de coup de marteau, pas de testeur, bizarre ! Il serait venu consoler notre grand dépressif ? Mais non ça bouge un peu … il monte dans les étages que je n’atteins pas. Tiens il vient à moi… je vais voir qui c’est. Badge, tenue de technicien et un ruban rouge dans la main, un décorateur de fusée ! On me l’avait dit … il a posé des rubans pour porter chance à la Grosse. Eh bien il devrait être content mon acolyte il a été utile, très utile même. Tant mieux le jérémiades vont cesser, bientôt le grand jour, Madame la fusée va s’envoler. On aura les vedettes en grande tenue blanche, les officiels et ensuite allumage, chaleur torride et bye bye Baikonour ! Seraient quatre dont un Français, plutôt beau gars… alors content Monsieur la déprime ? Il ne répond pas eh …toi eh toi … ah non ça recommence on va le détruire, il …. Ça suffit, je n’en peut plus. On le savait qu’on était à usage limité. Un ascenseur pour le Ciel et un escalier de secours …