423e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double. Une vendeuse s’approcha : Puis-je vous renseigner ?
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Chaque proposition d’écriture créative est une bataille contre la routine et l’endormissement de l’imagination. Un petit combat pour maintenir en vie l’enthousiasme d’imaginer, d’inventer, de créer. Quand aucun défi n’est à relever, notre créativité somnole.
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit, mais les prix variaient du simple au double. Une vendeuse s’approcha :
– Bonjour Mademoiselle, je peux vous aider ?
D’où venait cette voix charmante ? Elle se retourna intriguée. Une femme d’un certain âge aux cheveux bruns la regardait en souriant.
– Bonjour Madame.
Voyant que l’effet surprise avait fonctionné, la vendeuse révéla discrètement :
– Ce que vous avez entendu, ce n’est pas le son de ma voix, c’est celui de la dernière tablette Sonsu. Il est ressemblant à s’y méprendre, n’est-ce pas !
Le timbre n’était pas mécanique ni automatique ni ponctué de hoquets. La voix suave glissait dans l’oreille, décontractait et donnait envie d’en savoir plus. La sage demoiselle, en réponse aurait aimé plaisanter aussi pour déstabiliser la commerçante. Elle s’apprêta à lui dire : « M’aider à payer mon achat ! » Mais quand elle vit quelques cheveux gris sur ses tempes, elle se reprit et dit simplement :
– En effet, je suis étonnée par le son numéro un !
– Vous parlez de numéro, justement un tirage est organisé à l’entrée. Vous remplissez ce ticket que vous mettez dans la boîte et la tablette est à vous si vous gagnez. Quel genre de tablette cherchez-vous ici ?
– Celle que vous avez est intéressante. Mais je ne suis pas venue pour une tablette, je cherche une table, une vraie table.
– Laissez-moi vous présenter d’autres tablettes…
Mais la demoiselle soudain attirée se dirigea vers une splendide table massive aux pieds sculptés.
– Sous celle-ci se cache un billard. Vous retirez le plateau du dessus et vous avez une salle de jeux à domicile, dit la vendeuse.
La jeune femme parcourut lentement l’allée et passa en revue les meubles alignés, puis elle répondit :
– Très jolie mais un peu chère pour mon budget. Mais pourquoi avoir installer cette table d’opérations à côté du billard ? Y aurait-il une allusion ?
– Je n’avais pas fait le rapprochement, mais maintenant que vous le dites, c’est vrai, les opérations s’effectuaient sur un billard autrefois. Mais c’est une table d’examens.
– Ah ! Je comprends aussi que si vous avez posé celle-ci avec toutes ses tables de multiplications imprimées juste à côté, c’est pour faire penser aux examens.
– Nous sommes dans un magasin de tables. L’association des idées est faite pour guider le client dans ses choix. Si vous pensez opération, on vous oriente sur opération de communication mais on évite la soustraction.
– Pourquoi ?
– A cause du porte-monnaie. Ensuite, on vous réconforte avec cette table-ci sur laquelle sont disposés des matelas à eau et on vous masse comme si vous étiez dans une piscine avec de la musique douce et de belles paroles. Quand je dis de belles paroles, ce sont des paroles qui parlent à votre corps pour qu’il acquiert la pleine conscience de ses capacités physiques. C’est une table relaxante.
En écoutant cette voix si douce, la demoiselle se vit comme sur un nuage et se sentit transportée, comme envoûtée par cette ambiance exotique. La vue de toutes ces tables bien rangées comme un parterre étalé sur l’ensemble du magasin lui rappela une patinoire à mi-hauteur comme un lac gelé verni donnant l’envie de passer les patins.
– Impressionnant toutes ces tables !… Mais je crois que je viens d’entendre mon nom. Aurais-je gagné à la tombola ?
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit.
Le choix était grand. Que de tables ! Des tables à manger et des tables à langer, des tables de chevet et des tables à rivet, des tables en frêne et de stables en chêne, des tables en formica et des tables Ikéa, des tables à repasser et des tables à débarrasser, des tables de la loi et des tables de la foi., des tables d’observation et des tables de présentation, des tables de multiplication et des tables d’adjudication,
Bref. Des tables de toutes matières. Mais les prix variaient du simple au double.
Une vendeuse s’approcha : Puis-je vous renseigner ?
– Je cherche une table parlante
– Nous vous proposons une table très diserte, la table à rallonges que vous…
– Non trop prolixe
– Nous avons un article très tendance actuellement, étant donné le contexte social : la table ronde que …
– Non trop babillarde!
– Je vous suggère cette table d’hôte, propice aux échanges et aux débats qui…
– Non trop bavarde!
– Avez-vous envisagé une table ouverte très en vogue en …
– Non trop volubile
– Un modèle plus laconique, alors ? Une table à torture qui invite à se mettre à table si vous me passez ce mauvais jeu de mots …
– Non encore trop loquace
– Nous vous proposons également des tables tournantes si vous souhaitez convoquer les esprits de vos aïeux ou de défunts célèbres
– Ah, non, surtout pas. Je n’y tiens pas car voyez-vous, mes grands-par …
– Je vois. En fait, ce que vous voulez c’est une table rase du passé, n’est-ce-pas ?
Hey, j’adore :=))
Je confirme! j’adore aussi! 🙂
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double. Une vendeuse s’approcha :
– Puis-je vous renseigner ? Ces tables sont illustres et il paraît qu’elles parlent vraiment à ceux qui savent les entendre
Toute de bleu vêtue, penchée sur une table trop basse, elle se retourna vers la voix aimable et d’un air facétieux répondit
– Pour l’instant j’ai besoin de ressentir les choses… En silence
Amelie avait déjà caressé de nombreuses tables, toutes rondes. Elles semblaient toutes normales, mais le toucher en était différent.
Une en bois d’érable faisait ressortir les 26 lettres de l’alphabet invisibles dès qu’elle l’effleurait
– Victor Hugo a écrit dessus durant 3 ans
Elle s’approcha d’une autre en bois d’ébène qui résonnait dans sa tête comme les gammes d’un piano
– Cette table a appartenu à Chopin
Un frisson traversa le corps d’Amelie comme un prélude à l’amour, Sa robe fluide frémit contre sa peau.
Elle respira profondément et fut attirée par une table qui semblait pleurer. En s’approchant elle constata que c’était le bruit d’une fontaine qu’elle entendait. Elle se retrouva dans le jardin de Mamidyvette là où elle avait reçu son premier baiser sur la margelle du puits. Avec Pierre ils avaient lancé une pièce et fait un voeu chacun. C’était le même et ils avaient vécu 10ans d’amour fou. C’est pour Pierre disparu il y a 6 mois qu’elle recherchait un moyen de communication avec l’eau-delà.
– Celle ci vient d’un manoir de Charente et nous a été vendue la semaine dernière, par une femme veuve et en phase terminale de cancer.
– Quel est son nom?
– Je ne peux pas vous le dire, mais son prénom était Yvette
– Comme ma grand mère charentaise, morte il y a 2 ans.
Le coeur d’Amelie fut pris par une tachycardie, son souffle devint court, elle paniqua et s’effondra.
– Vous allez bien madame, demanda la vendeuse ?
Mais Amelie ne voyait plus rien, n’entendait que son intuition. Sa petite voix intérieure lui parla au travers des tables.
Toutes se mirent à tourner, comme pour lui dire quelque chose. Les unes chantaient, les autres jouaient d’un instrument, et la majeure partie s’exprimait par différentes syllabes comme si elles slamaient des mots d’amour dans des tessitures différentes et harmonieuses. Un doux chant pénétra son coeur.
Les lettres invisibles de la table en érable tombèrent sur la robe d’Amelie qui lut « je t’aime toujours de là où je suis »
Promptement, elle se releva et sut que cette table avait encore beaucoup de choses à lui dire
– Peu importe le prix, je vous achète celle de Victor Hugo
– Vous faites un bon choix, mais qu’est ce qui vous a incité à ce choix ?
Amelie la regarda, sourit et très calmement répondit
– J’ai ressenti ce que je devais… En silence.
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double. Une vendeuse s’approcha : Puis-je vous renseigner ?
Je vis seul et je m’ennuie. Chaque soir, j’écoute le silence. Parfois, j’entends une voix. Une petite voix un peu métallique, mais ce n’est pas distinct. Quand je lui pose une question, elle me répond. Mais je ne comprends pas. Je me disais si j’avais une table parlante, cela ferait peut-être caisse de résonance.
Oh oui ! Vous avez tout à fait raison. J’ai en stock une table de bois de charme qui saura adoucir vos soirées. Elle parle avec mesure. Mais elle est imposante. J’ai aussi un guéridon fait de bois de saule pleureur. Et une jolie table ronde avec rallonges fabriqué avec une noyer. Elles ont chacune leur tempérament.
Oh ! Le charme m’aurait plu mais mon habitation est minuscule. Il me faudrait une tablette, en fait.
Ah… je vois. Il y a bien ces tablettes modernes en acier, esthétique mais un peu froide avec un « Mr Sri » dedans qui parle sans se lasser. Il répond à toutes vos questions. Il est très érudit. Il pratique même l’humour, parait-il. Les enfants en sont friands. Mais ce n’est pas pareil. Pas le charme du bois et du petit bruit sourd qu’on attendait. Mais que voulez-vous c’est le progrès…
Je prends la tablette, le bois m’est déconseillée, ma maison est infestée de puces !!
La voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double.Un homme s’approcha :
– Puis-je vous renseigner ? lui demanda-t-il
– Oui, je veux bien car je ne tourne pas rond en ce moment et si je suis ici c’est sur les conseils de ma Voyante .
-,Il serait certainement plus judicieux si vous ne tournez pas rond de choisir une table carrée ?
– Monsieur auriez un centimètre pour que je puisse les mesurer car mon intérieur n’est pas très grand et l’espace est déjà très occupé, par des tables notamment.
– voudriez-vous entendre cette table près de la porte qui récite des fables de La Fontaine,
– oh non, je suis agrégée de langues françaises alors je connais- Je vous sens tendue.
)- Me permettriez-vous avant d’arrêter votre choix de vous offrir un chocolat chaud au café du coin ?
– Avec plaisir lui dit-elle et d’une voix suave ajouta « ne dit-on pas que le chocolat est bien évidemment la matière dont sont faits les rêves. Des rêves riches, noirs, soyeux et doux qui troublent les sens et éveillent les passions. »
Ils s’assirent sur un tabouret haut au comptoir, et tout en buvant elle ajouta Le chocolat est, plutôt que le nectar ou l’ambroisie, la vraie nourriture des dieux.
Lui ajouta : Le chocolat nous rend pervers, il éveille en nous la culpabilité, il nous pousse au péché, il nous donne la santé, il nous rend chic et heureux.
Ils rirent de bon cœur et elle balbutia « nous ne pouvons pas en rester là, venez chez moi voir mes tables » dit-elle non sans malice.
Et c’est ainsi qu’on les vit partir bras dessus, bras dessous . ils formaient un joli couple ; de dos on aurait pu avec un peu d’imagination les prendre pour Grace Kelly et James Stewart.
Personne ne les revit ,ni elle chez la voyante, ni lui dans le magasin des tables parlantes..
Ils tiendraient, soi-disant, un des meilleurs salons de chocolat de paris et participeraient au salon du chocolat qui se tient chaque année porte de Versailles et elle au défilé en robe de chocolat.
Désillusion
Sa voyante lui avait recommandé
De façon TRES insistante…
Un revendeur de tables parlantes
Qui officiait dans son quartier !
Proposition indécente ?
Sa curiosité était piquée
Il fallait qu’elle en ait le cœur net
Affaire sérieuse ou simple gadget ?
– Mademoiselle, vous désirez ?
– J’ai ouï dire qu’il se passe de drôles de choses chez vous ?
– Comment ça, mais que me dites-vous ?
– J’ai entendu parler d’objets parlants …
– D’objets …quoi ?
– D’objets qui peuvent converser parfois …
– Je ne vois vraiment pas de quoi vous parlez !
– Ah bon, vous ne voyez rien, je vous prie de bien vouloir m’excuser
– Si, si je vois parfaitement mais je ne comprends pas
– Pardon, désolée, vous n’entendez pas non plus ?
– Mais si, bien entendu, il doit juste y avoir un malentendu
-Alors, mille excuses, j’ai dû me tromper d’adresse
Je pensais pouvoir communiquer avec l’au-delà
Bavarder un peu avec mon papa
Décidément, que de déceptions ici-bas
Sur ce, Ophélie quitta les lieux avec un peu de dépit et beaucoup de tristesse.
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double. Une vendeuse s’approcha :
– Puis-je vous renseigner ?
Ce matin, elle avait choisi une robe rouge. Sa préférée. Elle avait épinglé une broche- fleur en or, au cœur de laquelle un diamant scintillait.
Elle remit une mèche en place derrière l’oreille.
Elle jeta un coup d’oeil à son agenda pour s’assurer du lieu où elle devait se rendre.
Quelques instants plus tard, elle descendait les escaliers, le pas sûr et la tête haute. Elle était divine.
Arrivée sur la dernière marche, elle s’arrêta et tourna lentement la tête. Il n’y avait personne. Elle se dirigea vers la large baie où dansait un voilage dans la lumière matinale. Un parfum suave d’iris embaumait….
Elle recula la chaise et s’assit à la table ronde. Elle posa ses deux mains à plat, l’une à côté de l’autre. Lentement, elle écarta les doigts puis ses mains se mirent à dessiner des cercles.
– Oui, c’est exactement cela, murmura-t-elle.
Ses gestes s’amplifièrent et ses doigts se crispèrent. Ses ongles griffaient le bois patiné.
– Oui, cela s’est précisément comme ça….
Mais fallait-il que se déroulât une fois encore ce film, derrière ses paupières fatiguées ?
Sa voyante, vêtue de couleurs criardes, les mains posées sur la boule de cristal, les ombres rougeoyantes, les ongles noirs, le regard ensorceleur. Elle entendait sa voix rauque lui conseiller un revendeur de tables parlantes.
Un vieux schnock vêtu d’un costume chiffonné, les paupières lourdes, un regard lubrique, des besicles posées sur un nez aquilin. Il lui montra les tables. Toutes rondes. Il y en avait des dizaines, alignées depuis le guéridon miniature en bois de rose jusqu’à la lourde table de fer forgé.
Et puis, sortie de nulle part, une frêle silhouette, toute de blanc vêtue qui s’approchait d’elle lui demandant d’une voix douce:
– Puis-je vous renseigner ?
La conversation avait débuté sur un ton très professionnel puis, il devint plus complice, plus amical, plus confidentiel.
Elles se présentèrent.
La dame en rouge se prénommait Elsa. La dame en blanc, Elisa.
Etait-ce un signe du destin ? Celle-ci avait le même prénom que la mère d’Elsa, décédée trop tôt.
La conversation continua encore quelques instants et la vente fut conclue.
La table ronde en loupe de myrthe serait livrée chez Elsa, une semaine plus tard, car elle nécessitait quelques retouches.
Un après-midi, le téléphone sonna et Elsa fut avertie que la table pourrait être livrée plus tôt. Elle battit des mains de joie et esquissa quelques pas de danse. Elle imagina très vite un rituel auquel elle se plierait sans la moindre réticence.
Le premier jour, elle observa les veines du bois de sa table ronde : elles s’entrecroisaient, pareilles à des alvéoles un peu folles.
Le deuxième jour, elle imagina des routes qui la faisaient voyager au bout du monde.
Le troisième jour elle associa des alvéoles à des lieux où elle avait vécu.
Le quatrième jour, elle rechercha les failles, les défauts.
Le cinquième jour, elle fut étonnée: en observant le bois, elle y voyait se dessiner des visages, d’abord flous, puis plus précis.
Le sixième jour, elle fut stupéfaite. Plus elle fixait les visages, plus ceux-ci prenaient vie. Un surtout. C’était une femme aux yeux bleus dont la chevelure noire encadrait un visage au teint clair. Elsa en était sûre, elle avait déjà vu ce visage. Mais quand ? Et où ?
Les jours qui suivirent, Elsa s’asseyait à sa table, munie d’un carnet et d’un crayon.
– Je ne dois rien oublier, se répétait-elle. Il faut que j’écrive. Pour ne rien oublier.
Au fil des jours, le carnet fut rempli d’une écriture fine, parfois, un dessin, un croquis, quelques flèches. Un mot en imprimé souligné.
Un second carnet prit la relève. L’écriture était plus hachée et le style avait changé. Ce n’était plus un long discours, mais un dialogue.
Et ce dialogue écrit fut bientôt doublé par des voix aux tons discordants.
– Mais qu’est-ce qui t’a pris de faire cela ! criait une voix de femme.
– Mais je n’ai rien fait de mal….pleurnicha la voix d’une enfant.
– Viens ici, baisse les yeux…
– S’il te plaît, non….pas ça !
Seule, devant sa table ronde, Elsa revivait son cauchemar. Tour à tour, une voix vociférante puis une voix implorante.
Un vent de panique affola le voisinage lorsque ces mots déchirèrent l’air :
– Tu as mis le feu ! Tu as mis le feu dans ma chambre, hurlait une voix hystérique.
– Tu étais si méchante ! Tu ne m’aimais pas, sanglotait la voix enfantine, la voix d’Elsa….
Assise à sa table ronde, vêtue d’une robe rouge où brillait une broche-fleur en or où scintillait un diamant, Elsa faisait tourner ses mains, lentement, sur le plateau de bois précieux.
Une silhouette blanche s’avança et posa une main sur son épaule.
– C’est fini…
Mais pour Elsa, cela ne finirait jamais.
Elle se souvenait de tout.
Elle n’avait rien oublié.
Rien du tout.
Sauf qu’un matin d’automne, elle avait franchi la porte d’un hôpital psychiatrique….
© Clémence.
– Euh ! Excusez-moi Madame, je viens de la part de Anita la…
– Oui, oui, Anita ! Je vois…
– Vous êtes voyante aussi ?
– Mais non Monsieur. Je vois…de qui vous voulez parler. Et en quoi puis-je vous aider ?
– Je recherche une table…
– Alors, là ! Vous avez le choix !
– …une table …parlante…
– Vous me décevez ! Les tables parlantes, c’est ringard ! Mais si c’est vraiment ce que vous désirez, j’en ai tout un assortiment, là-bas, au fond, à gauche. Mais je vous recommande une table chantante.
– Qui parle et qui chante ?
– Et qui danse aussi ?
– Ce serait merveilleux !
– Faut pas rêver non plus ! Une chose à la fois, c’est déjà extraordinaire. J’en ai une qui, dès qu’on lui parle, elle crie !
– Ah non ! Pas de ça chez moi !
– Une table murmurante, peut-être ?
– Cela doit être reposant.
– Sûr ! Mais on ne comprend rien à ce qu’elle marmonne ! On dirait du chinois !
– La diversité de vos tables me laisse coi. La plus admirable à vos yeux ?
– Celle-ci ! Elle ne dit pas un mot mais elle écoute !
– Intéressant ! Une table utilitaire ?
– Pour vous qui êtes jeune, cher Monsieur, une table à langer ! Multi fonctions !
– Mais je n’ai pas de bébé !
– Bon, alors, vu l’état de votre chemise, une table à repasser !
– D’accord, j’ai compris ! Vous vous moquez de moi ! Mais sans rancune ! Votre humour me ravit ! Je vous invite ! Allons déjeuner et nous apprivoiser autour d’une même table.
– Génial !
– Et nous finirons peut-être par acheter deux sublimes tables de chevet…
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double. Une vendeuse s’approcha : Puis-je vous renseigner ?
-Volontiers, je cherche …
-Laissez-moi deviner, une table parlante ?
-Oh madame est perspicace, à moins que vous ne soyez devin ?
-Devin non, mais vendeuse oui ! Allons, je vais vous aider. C’est pour une occasion particulière, un usage personnel, pour offrir ?
-C’est pour offrir.
-Ah excellent ! Nous avons ici un modèle « alphabet », la table s’exprime en épelant. Son avantage : elle connait tous les alphabets du monde. C’est une valeur sûre qui s’adapte très rapidement à son environnement. Vous ne décevrez pas en offrant cette table.
-Son prix ?
-C’est un modèle haut de gamme et recherché, mais vous tombez bien en ce moment, elle fait l’objet d’une promotion, les accents sont offerts !
-Mmh, c’est intéressant. Est-ce le prix affiché sur l’étiquette, là ? Dit l’ acheteuse, en se penchant sur le discret bout de papier.
-5 000 constellations ? Ciel ! Je ne connais pas cette monnaie !
-Vraiment ? Vous m’étonnez. Ici on paye en constellations mais aussi en boule de cristal…
-Dans ce cas, je vais devoir trouver une autre boutique.
-N’en faites rien, pour les clientes aimables comme vous nous pouvons faire des exceptions.
-Et 5 000 constellations, c’est combien en écus ?
-10 000 écus. Pour une table parlante de cette qualité, c’est donné !
-Certes ! Cependant, l’ami à qui elle est destinée n’est pas si bon et je me contenterai d’un modèle plus classique.
-Ah je vois…
Avec autorité, la vendeuse guida l’acheteuse par le coude vers le fond de la boutique. Elle tendit son bras, gonfla sa poitrine qu’elle avait fort généreuse et annonça d’un ton présomptueux : voici la table « ronde ».
Elle désignait par là un guéridon très classique en chêne.
-Il me semble que c’est un guéridon.
-Madame, un guéridon ! Vous n’y pensez pas ! Non seulement cette table parle, mais en plus elle se déplace au son de la voix de son propriétaire.
-Ce n’est pas d’un animal domestique dont j’ai besoin mais d’une table parlante, capable de répondre à des questions classiques « Esprit es-tu là ? » « Qui es-tu ? »
-Cette table ronde est parfaite pour ce type d’utilisation ! Et lorsque je dis qu’elle se déplace, elle peut tourner sur elle-même, désigner des personnes. Nos clients en sont très satisfaits. Elle peut même supporter une théière, quatre tasses, un sucrier et un pot à lait en cas d’extrême nécessité.
-C’est tentant, quoique mon ami apprécie davantage un bon whisky que du Darjeeling.
-Elle ne coûte que 500 constellations, soit 1 000 écus.
-C’est décidé, je la prends, vous m’avez convaincu. J’achète cette table « ronde ».
-Très bon choix madame. On vous fait un paquet cadeau ?
-Oui, s’il vous plait. Au nom de Arthur Camelot et si vous pouviez la livrer ?
-Parfaitement, c’est inclus dans le prix. À quelle adresse ?
-13 rue de l’enchanteur à Merlin.
UBER étant un jeune homme très branché, consultait régulièrement une astrologue sur internet. Celle-ci le surprenait souvent en lui promettant incessamment sous peu de charmantes rencontres ou bien une rentrée d’argent inattendue, un déménagement dans un appart plus grand, un voyage aux Seychelles …. et à tous les coups la prédiction se réalisait.
Autant dire qu’il avait en elle une confiance inébranlable : son pifomètre était d’une exactitude sidérante, toujours le présage positif, celui-ci chaque fois suivi d’effet, et survenant pile à la date annoncée. En ce début d’année il se précipita sur le site où il se dépêcha de renouveler son abonnement, à la fois curieux et inquiet de voir si 2019 lui serait aussi favorable que 2018.
Et voici que sa conseillère numérique l’informa qu’il se trouvait dans un alignement de planètes encore plus favorable pour lui cette année, avec cependant un petit bémol : toujours à la pointe du progrès, le site avait évolué, il lui faudrait désormais passer sous les arcanes d’une table parlante qui lui fournirait des prévisions encore plus précises et davantage au fait de ses desiderata.
S’en suivaient quelques adresses de marchands de meubles. Étant donné qu’il ne jurait que par le mobilier contemporain, les objets “déco” et innovants, pour lui une seule adresse (prix avantageux et pratique pour le parking) IKEA.
Des tables, il y en avait tant et plus, des basses, des hautes, des grandes, des petites, des pour la télé, des spéciales informatique, des pour la cuisine, des pour le bureau, des pour le salon, même des tables de chevet …
Tout à coup, il la vit. Ronde, pas trop haute, pas trop basse, laquée blanc, et le top du top : accompagnée de quatre tabourets de même facture.
Et là, ça a fait tilt, c’était Elle ! Il regarda l’étiquette : elle s’appelait “ Herregud ” (Oh ! Mon Dieu !) elle était la nouveauté de l’année puisqu’elle était la première table parlante, c’était garanti. 400€ tabourets compris, aucune hésitation, emballé, c’est pesé, et hop dans le coffre de la voiture et bientôt les cartons du kit à plat sur le parquet du salon.
Il avait placé beaucoup d’espoir dans son achat : Herregud, dernière sortie, dernier cri, serait à coup sûr encore plus performante qu’Alexa, Cortana, Siri, ou OK-Google, autres assistantes vocales, intelligentes artificielles produites par la concurrence.
UBER très excité déballa, déplia la notice, saisit la petite clé et entreprit le montage. Il y passa la nuit, vissant la bonne pièce à la mauvaise place et vice versa, dévissant, revissant, belote et rebelote. Il s’arracha quelques cheveux, s’esquinta un index, pleura presque, jura beaucoup et très grossièrement, il en vit enfin le bout en même temps qu’il vit le jour se lever.
Il prit un bon petit-déjeuner le temps de retrouver ses esprits, c’était le cas de le dire. Ensuite il fit la plouf pour choisir sur quel tabouret s’asseoir et connecta la table.
Plutôt balèze en informatique et technologie de pointe, sûr de lui mais un peu anxieux quant au résultat, il se coiffa de son casque et régla le son.
Horreur, cruelle déception, achat trompeur faute de vendeuse dans ce magasin pour le renseigner : ce n’étaient que Radio Londres, embrouillamini, bouillie, méli-mélo, salmigondis de mots incompréhensibles, en plus la table et les tabourets parlaient tous en même temps … en suédois.
L’année commençait mal : Auspices favorables, tu parles !
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double. Une vendeuse s’approcha :
– Puis-je vous renseigner ?
– Bonjour, madame. Je m’interrogeais sur la différence de prix entre ces deux tables parlantes qui me paraissent pourtant identiques.
– Vous n’êtes pas au rayon des tables roulantes, elles sont là-bas au fond de l’allée centrale.
– Je sais quand même faire la différence entre une table roulante et une parlante. Je ne suis pas aveugle, je vois bien que celles-ci n’ont pas de roulettes.
– Je vois ! s’exclama la vendeuse avec un sourire en coin. Vous y croyez-vous à ces âneries de tables tournantes et aux esprits frappeurs. Vous avez peut-être lu cinq heures vingt-cinq d’Agatha Christie.
– Non, je ne lis pas beaucoup vous savez. C’est mon dernier espoir de savoir où ma grand-tante a caché son magot. Elle était riche à millions et elle n’a jamais voulu me le dire.
– Et vous croyez qu’elle va vous le dire de l’au-delà, s’amusa la vendeuse.
– Pourquoi pas, elle a peut-être fait son mea-culpa depuis qu’elle me voit tirer le diable par la queue.
– Celle-ci est à mille cinq cents euros et sera beaucoup plus efficace que l’autre que nous avons dû réparer. Elle avait un pied branlant, alors je pense qu’elle ne supporterait pas trop de danser la gigue.
– C’est bien un peu cher, mais bon. Il faut savoir investir pour remporter la mise. Là, le jeu en vaut vraiment la chandelle, croyez-moi. Je la prends.
La table s’obstina à rester muette jusqu’au jour où le diable s’en mêla. La main tremblante, l’infortunée ouvrit la lettre d’un notaire qui, après lecture, la laissa effondrée. Sa grand-tante avait fait don de toute sa fortune à une association pour la protection des arbres.
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix va-riaient du simple au double. Une vendeuse…
S’avança vers elle et lui demanda d’une voix presque mielleuse :
-puis-je vous aider ? Recherchez-vous quelque chose en particulier ?
-Oui peut-être, c’est-à-dire…
Elle hésita un instant avant de formuler sa requête ayant peur du ridicule pour ne pas dire de la honte qu’elle ressentait à exprimer une demande aussi saugrenue que celle d’une table parlante, d’autant plus qu’elle errait dans le magasin depuis un moment et pas une fois encore elle n’avait entendu une table proférer le moindre son. Elle se ravisa, en repensant à sa voyante en qui elle avait une totale confiance. Elle le lui avait bien prouvé par le passé alors pourquoi ne pas se lancer ? Elle attendit tout de même que les deux clients qui déambulaient se soient éloignés et dit d’une voix discrète :
-Je viens sur les conseils de madame Delavenir, je souhaiterais une table parlante…
Le visage de la vendeuse se fit plus grave et cérémonieux et elle s’approcha pour lui dire d’un ton complice :
-Suivez-moi, c’est dans la pièce du fond que ça se passe…
Elle suivit donc avec soulagement mais appréhension la vendeuse qui s’effaça pour la faire passer derrière une lourde porte qu’elle avait du mal à ouvrir complètement. Elle la referma pourtant promptement derrière elles et la cliente regarda bouche bée, le contenu de cette pièce qu’elle n’avait pas remarquée.
Devant elle, trônaient plusieurs tables de formats et de styles toute différentes séparées par de lourds rideaux aux étoffes de velours savamment disposés afin de préserver une sorte d’intimité entre les espaces ainsi délimités.
Interdite, elle n’osait plus bouger, fascinée par les murmures et soubresauts qui agitaient chacune d’entre elles. Elles semblaient avoir leur vie propre et converser avec des fantômes. Certaines riaient même franchement, c’était à la fois féérique et inquiétant.
La vendeuse qui était restée légèrement en retrait s’avança vers elle et lui susurra :
-Ici ce sont les tables qui vous choisissent et pas l’inverse. Je vous invite à déambuler entre les tables, la vôtre vous trouvera. N’hésitez pas à les toucher, les effleurer, elles adorent qu’on les flatte !
Elle s’avança et timidement commença à circuler autour des tables laissant glisser d’abord maladroitement puis de plus en plus surement ses doigts graciles sur les plateaux de bois. Elle s’arrêta devant les prix qui figuraient sur les étiquettes et interrogea du regard la vendeuse qui d’un large sourire la rassura :
-Oui, il y a tous les prix. Vous devrez donc vous acquitter de celui qui figurera sur la table qui vous choisira. Cela peut représenter un certain investissement, mais personne ne s’est jamais plaint. N’ayez crainte, votre table sait tout, elle connait aussi vos moyens !
Encouragée par la vendeuse, elle continua son cheminement jusqu’à ce qu’elle sentît des vibrations intenses la traverser en caressant un petit guéridon joliment marqueté dans le coin de la pièce.
-ah vous voilà Marie ! Je vous attendais ! Je commençais à désespérer ! En fait, non, pas vraiment, puisque je savais que vous viendriez ! J’ai tant de choses à vous dire ! Je suis heureux de vous rencontrer !
-Rassurée par le prix et enchantée par cette rencontre incongrue, elle se réjouissait par avance de toutes les révélations que son guéridon allait lui faire. Sur les recommandations de la vendeuse, elle avança sa voiture près de la porte de derrière et elles chargèrent ensemble la fameuse table qu’elle protégea d’une couverture. A chaque fois que sa main touchait ce bois précieux elle se sentait régénérée comme jamais, pleine d’une énergie nouvelle et d’espoirs qu’elle souhaitait ne pas voir déchus.
Arrivée chez elle, elle lui trouva une place de choix dans sa chambre, tira les rideaux, s’assied devant elle et posa ses mains à plat sur le petit plateau. Elle prit une respiration profonde. La séance pouvait commencer…
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes.Elle s’y rendit,le choix était grand,mais les prix allaient du simple au double.
Une vendeuse s’approcha:
» Je sais ce que vous cherchez,votre voyante a averti mon esprit.Peu d’argent mais beaucoup d’attente.Je me trompe? »
Ebahie, elle acquiescât en regardant autour d’elle.
Un hangar rempli de tables à l’air innocent,de toutes tailles, de bois divers et formes variées.Elle ne savait où poser son regard.
La jeune femme derrière elle l’observait,attentive,une boule de cristal entre les mains.
» Laissez vous aller,vous trouverez ainsi votre bonheur « .
Petit à petit la visiteuse se sentie mystérieusement poussée par un main invisible.Elle contournait les tables sans se cogner,sans errer,comme dans un lieu familier.
A plusieurs reprises elle aurait bien voulu s’arrêter,mais la pression se faisait ferme et elle s’enfonçait dans les profondeurs du bâtiment,laissant derrière elle tables de chêne,merisier,Louis XV,à pied central ou plateau brillant en marqueterie.
Se retournant,elle vit au loin une main qui l’encourageait à poursuivre son chemin.
Etourdie,exaltée,elle obéit .La poussée cessa brusquement,l’acheteuse faillit trébucher.
Il faisait sombre.
Quand ses yeux se furent accommodés ,elle vit devant elle un meuble tout simple,une petite table rustique ,vieillotte,en bois brut dont quelques échardes apparaissaient ça et là.
La table semblait l’attendre elle, et non pas une acheteuse anonyme! Une connivence attentive se dégageait d’elle et la visiteuse crut bien la voir se hausser sur ses quatre pieds pour attirer son attention.
Cette petite chose lui était destinée,elles le savaient toutes les deux.
La pression avait disparue d’entre ses omoplates.
Profondément troublée, elle caressât avec précaution le vieux plateau rugueux.
L’acheteuse souleva délicatement la table,retrouva sans difficulté son chemin vers la sortie où l’attendait le vendeuse.
» C’est 50 euros,je vous fait cadeau de cette boule.Vous allez en avoir des choses à vous dire! ».
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit une fin d’après-midi. Elle connaissait le quartier et la rue pour l’avoir empruntée des dizaines de fois, sans pour cela remarquer particulièrement le petit marchand de meubles à l’angle de la place. Tout au plus était-elle passée devant la vitrine en jetant un coup d’œil distrait aux meubles exposés, assez quelconques. La devanture elle-même ne payait pas de mine : une seule face entre deux piliers imposants en faux bronze, coincée entre un grand magasin à trois étages et un immeuble d’habitations à la façade délabrée. Peu éclairée, la boutique se cachait dans la pénombre.
Elle poussa la porte. Il faisait plutôt frais. Elle franchit une sorte de couloir assez inattendu, avant de se retrouver, à sa grande surprise, dans une salle lumineuse et vaste, aux murs tapissés de miroirs
qui renvoyaient à l’infini les divers spots disposés ça et là. Une véritable galerie des glaces, une salle de bal pour princesse de contes de fées.
Mais point de danseurs. A leur place des tables de toutes tailles, en compagnie de quelques autres meubles destinés sans doute à donner le change au curieux non averti qui se risquerait ici. Elle se promena fascinée entre les tables. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double. Elle en inspecta plusieurs, mais devant sa perplexité une vendeuse s’approcha : « Puis-je vous renseigner ? »
La voix, pourtant douce et avenante, parut résonner. Sans doute la taille de la pièce, pensa-t-elle. Mais elle eut la désagréable impression que les mots se répercutaient dans sa tête, comme si elle était prise de migraine. Elle se retourna et vit une femme de petite taille sans être naine, vêtue de couleurs vives, d’une jupe à godets en fin lainage et d’un chemisier à fleurs. Une toilette sans élégance particulière mais classique. Un chignon posé au sommet du crane lui donnait dix centimètres de plus, et accentuait son visage poupin, sans âge, aux grosses joues rouges.
La cliente expliqua ce qu’elle cherchait et qui l’envoyait. La voyante l’avait invitée à se recommander d’elle auprès du vendeur. Elle avoua aussi être totalement novice dans ce genre d’articles et donc prête à se laisser guider dans son choix. Elle souhaitait cependant rester dans un prix raisonnable, pour un premier achat.
La vendeuse sourit et lui présenta un petit guéridon simple, au plateau rond et aux pieds en trapèze. Il ne payait pas de mine et elle louchait plutôt sur la petite table « Empire » aux décorations dorées
juste à côté. Mais la femme pinça les lèvres et dans un geste de déni lui expliqua qu’il en allait des tables parlantes comme du Saint Graal. Celles qui attiraient l’œil étaient non seulement les plus chères mais aussi les plus trompeuses. Elles ne tenaient pas les promesses de leur beauté.
Mais la cliente continuait sa promenade, passant de l’une à l’autre des tables. Elle les inspectait minutieusement, cherchait à comprendre le mécanisme qui leur permettait de tourner et de parler, la petite clé à remonter peut-être comme pour un automate, la caresse qui déclencherait le phénomène.
La vendeuse la suivait, vantait ou non la qualité et les mérites de tel ou tel article, racontait son histoire, souvent ancienne, son vécu comme pour une personne humaine.
Quand l’acheteuse demanda une démonstration, la petite bonne femme se mit à rire et lui assura que malheureusement elle ne pouvait pas lui donner satisfaction et qu’elle était obligée de la croire sur parole. Les « esprits » ne pouvaient être convoqués ainsi, d’un claquement de doigts. Mais elle lui promit aussi qu’un mode d’emploi, auto-destructible cependant, lui serait remis et qu’elle pourrait également demander à sa voyante des renseignements complémentaires. Cependant, elle n’avait pas de souci à se faire, la maison était une maison sérieuse, et, bien conseillée, elle ne serait pas déçue.
« Et toutes ces tables parlent et tournent ? » s’enquit la curieuse.
« Bien sûr ! Il n’y a vraiment que les non-initiés pour qui une table n’est qu’une table et rien d’autre. Sans quoi, pourquoi porteraient-elles le nom de « meuble » si elles restaient immobiles ? »
La cliente empruntait une allée, puis une autre. Il semblait qu’elle n’épuiserait jamais le vaste espace d’exposition qui s’offrait à elle, et la multitude de tables diverses qui se succédaient. La vendeuse, patiemment, faisait l’article, racontait la provenance, les qualités, des péripéties toutes plus passionnantes les unes que les autres…
Soudain, on entendit dans le lointain douze coups qui sonnaient.
Le bruit était assourdi par la distance mais résonna pourtant dans la tête de la cliente, lui rappelant la même sensation de migraine que quelques heures auparavant.
« Je dois fermer ! » dit brutalement la marchande en se précipitant dans le couloir d’entrée.
Elle appuya sur un interrupteur et la cliente s’attendait à voir s’éteindre d’un coup tous les spots qui illuminaient la salle. Mais.
Au lieu de cela, sans avoir bougé, elle se retrouva à l’extérieur sous le soleil resplendissant de midi, au milieu de la petite place, hagarde, hésitant à poser un pas devant l’autre. Elle regarda autour d’elle, cherchant des repères, comme si elle se trouvait dans une ville inconnue. Elle finit par situer le coin de rue d’où elle venait, la façade d’immeuble délabré, celle du grand magasin, l’étroite vitrine entre les deux piliers, au rideau baissé.
Elle fit deux pas en arrière en fixant la grille. Elle se demandait si elle oserait revenir un jour.
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variant du simple au double. Une vendeuse s’approcha: Puis je vous renseigner ?
– Les soldes, c’est pour quand!
– Jamais Madame, jamais, on ne brade pas avec l’au delà, ce serait trop aisé!
– Ah bon, et pourquoi donc, c’est une place de parking comme les autres, toujours éloignée et le plus souvent dans le courant d’air.
– Oui, bien…hum…que cherchez vous exactement, en quoi puis vous être utile ?
– Ben, si vous en aviez une petite, pas chère, avec des roulettes…comme çà, s’il ne m’entend pas dans la salle à manger, je pourrai le traîner dans la cuisine.
– Ah oui…je vois….???
– Un modèle pliable, comme pour le camping, vous n’auriez pas çà…
– ????????
– Ben oui quoi, qu’on puisse poser dessus le barbecue…pour les braises de l’enfer!
– Je ne vois pas….je vais consulter le catalogue…de notre nouveau collection…2019 !
– Oui, hein, siouplaît, parce que ça commence à urger !!!
– Je consulte Madame, je consulte…, mais où a- t-on bien pu ranger ce catalogue ??
– Oui parce qu’on se parlait plus depuis déjà 3 ans, et ce con, juste le jour de mon divorce, il va se planter contre un platane qui ne lui avait rien fait , le pauvre. Jusqu’au bout, il aura fait chier quelqu’un!
– Oui ??
– Et moi, je suis dehors, on a jamais retrouvé les clefs de l’appartement….
– Oui, évidemment…
– Sérieux, si vous n’avez aucune garantie qu’il vienne me causer, et si vous n’avez pas moins cher, autant appeler un serrurier!
Quiproquo:
– On m’a recommandé de voir Joseph
– Désolé madame. Il est parti en Suisse. Il lange Gabriel, le fils de Marie, qu’il a rencontré par les petites annonces à Sion. Je le remplace au pied levé. Puis-je tout de même vous être Utile ?
– Euh oui… Je voudrais pouvoir parler avec mon mari…
– A bon, lui aussi travaille ici ?
– Non. Vous ne m’avez pas compris, il est décédé. J’aimerai beaucoup entrer en communication avec lui.
– Je suis confuse. Mais je ne vois pas comment je peu aider car nous vendons des meubles ici ?
– Justement, je cherche une table parlante.
– Des tables qui vous parlent… oui, bien sûr. Nous avons des tables rondes pour entrer en négociation, des tables pliantes pour se déplacer dans le temps, des tables de jardin pour être bien dans son Eden, des tables de jeu pour faire parler les cartes, des tables de chevet pour veiller ceux que l’on aime, et de jolis guéridons pour la discrétion.
– Je crois qu’un guéridon pourrait convenir. Pourvu qu’il tourne ou qu’il soit frappeur.
– Oui madame. J’en vois qui sont bien tournés et d’autres qui sont frappés du sceau de leur fabriquant.
– Je voudrais surtout un bon médium qui me parle.
– J’entends bien. Moins chers que dans le massif, nos meilleurs médiums sont stratifiés.
– Il y a donc des strates, des niveaux différents de qualité de communication parmi ces meubles ?
– Bien sûr. Certains communiquent mieux la chaleur que d’autres suivant la nature du bois.
Deux heures plus tard, la cliente ressortit du magasin avec un charment guéridon qui décora gentiment son salon mais qui ne parla uniquement qu’à son sens de la décoration.
Sa voyante lui avait recommandé un revendeur de tables parlantes. Elle s’y rendit. Le choix était grand, mais les prix variaient du simple au double. Une vendeuse s’approcha : Puis-je vous renseigner ?
– Je cherche une table pour me faire la conversation. Je vis seule avec un chat qui m’est d’agréable compagnie mais dont le langage est limité.
– Je vois, je vois. Suivez-moi. En voici une toute simple ronde à trois pieds et peu encombrante. Qu’en pensez-vous ?
– L’apparence me convient mais de quelle utilité sont les secteurs qui divisent son cercle ?
– C’est très simple. Ce quartier symbolisé par un paysan revenant des champs est spécialisé dans les adages et les dictons. Parmi son inventaire vous trouverez par exemple « Pierre qui roule n’amasse pas mousse » ou encore « Une hirondelle ne fait pas le printemps ».
– Intéressant ! Et celui-ci dont le dessin est un livre ouvert ?
– De la poésie, Madame. Ah la poésie, quel meilleur moyen de s’échapper des contingences quotidiennes ! Hugo vous déclamera ses célèbres vers : « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. ».
– J’adore ! Et ce dernier où je vois comme un smartphone ?
– Langage SMS, Madame. Que voulez-vous, il faut bien sacrifier à la modernité ! Cela pourra vous servir d’entraînement pour échanger avec vos petits enfants. Ils seront surpris d’avoir une grand-mère branchée.
– Mouais ! Je suis moyennement enthousiasmée. Mais dites-moi, comment la faire parler cette table ?
– Il faut être au minimum trois à table, un par secteur. Chaque personne appose ses mains à plat et lorsque la table se soulève, elle prend la parole.
– Trois personnes ! Mais je suis seule. Et en quelle langue parle-t-elle ?
– Celle-ci ne connaît que le mandarin mais avec un bon logiciel de traduction vous vous en sortirez sans problème.
– Un logi quoi ?
– Un logiciel autrement dit un programme de traduction.
– Oui, je vois et je pourrai aussi apprendre le mandarin… Et si j’arrive à dégoter deux personnes, nul doute qu’il me sera plus facile d’engager la conversation avec elles plutôt qu’avec cette table chinoise.
– J’en conviens mais nous avons une infinité d’autres modèles. Voulez-vous les voir ?
– Un autre jour, peut-être car il est temps que je passe à table. Mais, dites-moi, vous n’auriez pas une TSF ?
Elle s’approcha de la table parlante qui lui dit : J’ai 30 secondes pour vous annoncer qu’à l’occasion des soldes je fais des réductions sur toutes mes fenêtres publicitaires :
« Pour faire des économies sur le temps
J’ai deux causeuses en bon état,
Je fais des promos sur les horloges parlantes
Et treize paires d’oreillers et de taies font la douzaine,
Pour brader, à tout prix le bavardage,
Je vous fais une remise sur un confident qui a perdu son double
Un rabais sur une boudeuse visible de dos
Et un homme-debout, qui ouvre son tiroir à 70% en fin de journée »
🐀 AU PAYS DE L’HERBE BLEUE
Harold avait hérité du château de Barbe-Bleue. C’était il y a bien longtemps et, par la magie du sort, ce sans famille se vit attribuer cette demeure peu banale dans un pays où tout, même l’herbe est bleue.
Seul dans cette grande maison sans toit ni plafond, il ne faisait que regarder le ciel bleu ceruleum, lui parlait, l’interrogeait… Le ciel avait bien compris sa solitude et de temps en temps lui répondait en images parfois se nuageait sous forme de rébus.
Un jour qu’ Harold lui avait demandé s’il trouverait chaussure à son pied, sur la toile du temps était apparue une paire de lunettes puis, comme il ne comprenait pas arriva un second indice: une boule transparente dans laquelle il se vit ainsi que sa vie dans un camaïeu de bleu.
Il partit sur le chemin qui mène à la cabane en bois-cyan où habite Sybille, la prophétesse.
‹‹ Dis-moi ce que tu vois pour moi dans ton tarot››
– Rien que du bleu, mes animaux peut-être…
Elle se tourna vers la pieuvre aux anneaux bleus qui, trop occupée à maquiller ses yeux ne répondit pas.
– Et toi Maître-Merle Azuréen? Toi non plus tu ne vois rien ?
L’oiseau fit le malin, sur le coin d’une table se percha, claqua du bec trois fois et s’immobilisa.
‹‹ mais que veut dire tout ça ?›› s’impatienta Harold.
– Sybille le regarda dans les yeux, lui conseilla de reprendre le chemin, le suivre jusque là où les pierres deviennent turquoises et finissent vert émeraude. Au croisement, tu verras un cabanon en jonc où tu trouveras des guéridons.
Méfie-toi, il y en a de toutes sortes, fais-toi conseiller pour en prendre un qui parle. Lui te dira ce que tu veux entendre.
La route fut courte car recouverte de gravillons et bordée de pierres précieuses elle menait rapidement à destination.
Des tables et des guéridons il y en avait, mais il y en avait !..
Des en miroirs qui grimaçaient lorsqu’il s’y regardait, des qui dansaient la valse sur leurs trois pattes, et des carrées qui se caressaient avec des ronds, d’autres qui entre elles tenaient conversation.
Quelle animation… Et que choisir ? Un mâle rond ou une pipelette carrée ?
Une jeune demoiselle apparut et s’enquit de ses vœux.
‹‹ C’est la voyante Sybille qui m’ envoie quérir une table parlante pour meubler ma solitude››
– Je vois je vois dit la donzelle, ici vous avez le choix. Côté pratique, si vous en prenez une qui danse vous n’aurez pas à la porter, c’est déjà ça, mais elle ne parle pas, juste elle s’agite.
Vous avez aussi la table toilette, avec un grand miroir. Elle vous peigne et vous maquille…
‹‹ Mais je suis un garçon… Non non, elle a bien dit qui parle.
– Oui mais comment ? Je veux bien vous aider mais expliquez-moi vos souhaits.
‹‹ Mais c’est ce que je ne sais pas ! Voilà pourquoi je suis là ! il faut qu’ elle me parle.
– Je vous conseillerais bien la table de trois, elle multiplie tout et il n’y a rien à faire.
‹‹ Les tartes aussi ? Fit Harold soudain intéressé
– Ça oui, tout ! tout ce que vous touchez, mais elle ne répond que par des multiples de trois.
‹‹ Ah ! Fit Harold dépité…
Et pour la conversation ?
– Sans hésitation prenez celle du bar, elle est haute sur pattes et s’occupe des boissons. Pas prude, elle fait comptoir et ramène les ivrognes à la maison.
‹‹ Vous savez, je ne vois jamais personne !
– Avec elle si ! Elle est connue pour ses largesses et gentille avec ça, jamais un mot de trop. Si vous voulez, je vous l’amène.
‹‹ J’allais vous le proposer !
La belle à apporté son stock et s’est installée. Le samedi on tangotte, les carrées papotent. Depuis il y a de la vie dans la maison au ciel bleu et souvent sur sa toile ceruleum quand il regarde en bas, il dessine un sourire.
🐀 Souris-Verte
Puis-je vous renseigner ?
– heu…..je ne sais pas
– vous ne savez pas ?
– Non….je ne sais pas
– alors, choisissez celle là et vous saurez
– je saurai quoi ?
– ce que vous ne savez pas justement
– combien ?
– 500
– un peu cher
– mais vous saurez tout !
– ha… et celle là ?
– 300
– c’est mieux
– oui, mais vous ne saurez pas tout
– ha !
– et celle là ?
– 150
– ha, c’est raisonnable
– oui mais le raisonnable n’est pas spectaculaire sachez-le
– je sais…. je sais….
– ha vous voyez…. vous commencez à savoir
– au fait, celle à 150, elle parle facilement ?
– Elle parle… elle parle…. mais elle ne dit pas tout
– mais elle parle ?
– Oui… elle parle, mais pas autant que celle à 300 ou à 500
– puis-je l’essayer ?
– Non… elle n’est pas encore connectée à votre mental
– alors comment savoir si elle me convient ?
– demandez à votre voyante
très fin ce dialogue, j’aime beaucoup!
PS: celle à 500, il faut la prendre elle a ses cinq sens ouverts, c’est la bonne 🙂
Amicalement,
Maryse
Ha oui…..c’est vrai!
Merci infiniment Maryse pour votre aide,
suis très touchée 😉
Françoise
très fin ce dialogue, j’aime beaucoup!
PS: celle à 500, il faut la prendre elle a ses cinq sens ouverts, c’est la bonne 🙂
Amicalement,
Maryse