371e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par…
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Compte-rendu d’une psychose en marge d’un sommet : un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde. » Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre. »
L’alarme fut déclenchée sur un réseau. Mais le 1er Avril, personne ne crut à ce spot farfelu, apparemment sans conséquence.
L’auteur ! Les observateurs supposèrent qu’un enfant s’était trompé de mot ou, peut-être, en avait oublié un, ou un ado envoyait une missive codée à sa copine ou bien encore, un adulte avait déraillé, la dépêche humait la farce. Dans tous les cas, si « l’info » contenait un message, celui-ci ne devait pas être dangereux. Le jour de la galéjade, des poignées qui rendent l’âme, ça interpelle mais sans plus, sauf si on fait allusion à la pêche électrique. Mais on pensa que le jeu n’avait pas de logique, sinon celle à pousser à sourire du moins à l’indifférence. Le canular passa comme lettre à la poste.
Le 1er du mois suivant, même alerte. Un réseau inconnu, créé dans un lieu dont on ne révélait pas la position géographique, comme la première fois, diffusait par les réseaux habituels, cette phrase en tous points identique, sauf pour le verbe conjugué au futur. Le jour choisi conduisait à la même conclusion. Un 1er mai, personne ne travailla à la résolution de cette énigme qui fut classée sans suite. Tant pis ! » Les poignées rendront l’âme l’une après l’autre. » Laissons les poignées de muguet rendre l’âme au bord des routes. A vot’ bon coeur M’sieur Dame ! Personne n’y crut non plus.
Le 2 Juin, c’est à dire, le lendemain du message en question, cette fois-ci rédigé ainsi : » C’est imminent, des poignées rendront l’âme l’une après l’autre. », un journal européen titrait : » Un industriel prépare-t-il une opération publicitaire ? »
« L’info » du journal intrigua beaucoup d’observateurs. Chaque jour, dans ses pages de pub, on révélait de nouveaux éléments. Depuis deux mois que la rumeur avait été diffusée et maintes fois relayée par les réseaux traditionnels, des annonceurs anonymes promettaient que des événements tragiques surviendraient à des cibles non identifiées. On craignit l’amorce d’une psychose. Le caractère flou de l’affaire justifia les recherches de notre équipe décidée à trouver le fin mot de cette histoire, disait le quotidien.
On supposa que le but de ce canard fut de profiter de l’occasion, pour orienter l’opinion de ses lecteurs vers des informations que seul il contrôlait, en ayant comme point de mire, son chiffre d’affaires.
Au soir du 1er Juillet, d’autres investigateurs se mirent en quête de la vérité. Ce journal était-t-il en cheville avec l’industriel ? Un fabricant de moulinets de pêche à la ligne sèmerait-il le doute parmi les passionnés pour les inciter à en changer, l’âme étant une pièce des moulinets ? Encore une fois, cette explication ne tenait pas la route.
Un chroniqueur eut l’idée de se tourner vers l’interprétation des prophéties de Nostradamus puis vers les messages diffusés sur Radio-Londres pendant la dernière guerre. Là encore il fit chou-blanc. Il n’y avait, évidemment aucun rapport. C’est alors qu’il pensa à l’âme d’un canon puisque toutes les explications avaient été épuisées. » Demain des poignées rendront l’âme l’une après l’autre. » L’aspect menace n’avait jamais été pris au sérieux alors que, de prime abord, il paraissait le plus plausible. Lors du sommet européen, beaucoup de poignées se serreraient, non pas l’une contre l’autre mais pour se séparer.
Les services de sécurité épluchèrent, à la hâte, la liste des participants. Les badges furent scannés une nouvelle fois, les identités revérifiées. Un intrus doté d’une bague spéciale s’apprêtait à serrer des mains ennemies, lors du sommet pour la paix dans le monde.
Grâce à la perspicacité du journaliste, qui fut récompensé du prix Nobel de la paix l’année suivante, la paix dans le monde put être envisagée, non pas comme une virtualité mais comme une réalité.
Vu d’ici, de notre correspondant spécial…
Dans un pays du lointain ouest, se manifeste depuis plus d’un an un curieux phénomène. Les portes, des maisons particulières tout comme des bâtiments publics, n’ont pas – ou plutôt n’ont plus – de poignées . Ce pour une raison simple : les habitants sont désormais incapables de les utiliser correctement.
L’ opération, qui nécessite une main ouverte, pour saisir la poignée, puis un mouvement de torsion pour la tourner, paraît trop difficile et surtout trop longue d’ exécution pour des citoyens habitués à la facilité et à la rapidité. D’ailleurs, il semblerait que, pour eux, le son « gn » à lui seul résume un effort trop important à fournir, d’où le bannissement du mot concerné.
Ce renoncement coïncide avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau président, dont l’empreinte sur les mœurs de ses concitoyens devient de jour en jour plus évidente.
Depuis son accession à la tête de l’État, les pays partenaires ont pu remarquer un changement brutal dans les relations internationales. Ainsi la politique de la main tendue – au moins pour la forme – a rapidement cédé la place à celle du poing fermé, dont Mr Windbag vante sans retenue la franchise directe et expéditive.
Un comportement qui ne parvient même plus à surprendre de la part de ce personnage peu orthodoxe.
Car ce n’est pas la première fois qu’il déconcerte :
Ainsi, quand il ne passe pas ses journées à envoyer des messages infantiles sur la Toile à propos de n’importe quoi, il défonce à grands coups les boutons de service installés sur son bureau : il s’est pris de prédilection pour le rouge – le plus gros, – qu’il prend pour une arme de destruction colossale – alors qu’il s’agit de l’alarme pompiers. Et il menace de l’actionner pour pulvériser les pays qu’il juge hostiles.
Assurément chez Mr Windbag, l’action prime sur la pensée.
Voilà sans doute pourquoi, en adepte du style direct, loin des sinuosités de la diplomatie et des subtilités de raisonnement, il a conditionné toute la population à n’admettre aucun obstacle et à foncer droit au but en toute occasion.
Aussi, foin du maniement délicat des poignées d’ouverture ! Désormais toute porte est condamnée à être défoncée. Qui désire entrer se présente poing en avant et défonce la porte.
Alors les habitants ont pris l’habitude de laisser la leur ouverte à la belle saison et se contentent de simples rideaux en hiver. Une situation guère confortable, mais qui évite des réparations constantes.
On imagine mal ce qui se produira quand les mêmes citoyens trouveront trop contraignant de faire un détour pour passer par l’entrée…
Aucun n’a encore osé se plaindre, par crainte de se voir accuser d’entraver la grande marche en avant du pays.
Dans le monde entier, on surveille de près le pays de Mr Windbag.
Tous les états subiront-ils à son exemple la disparition des poignées de porte, et, par extension, de la civilité basique ? Ou résisteront – ils à la vague fracassante venue du grand ouest ?
Les spéculations vont bon train.
Ce jour-là, trois patients avaient été envoyés en urgence chez le professeur Atakal, grand spécialiste de la chirurgie de la main, pour des phalanges broyées à la suite d’une poignée de mains.
Simple coïncidence ou vengeance d’une brute ?
Le prof connaissait la symbolique de la poignée de mains et la force de préhension d’un adulte normal. Il n’avait jamais observé de tels dégâts, sauf chez des victimes d’une presse hydraulique ou d’un crocodile. Il a donc interrogé longuement son troisième patient qui n’avait pas compris comment cet ami de toujours avait pu lui faire ça.
– Cet individu est devenu dangereux, a dit le spécialiste, sa poignée de mains a perdu son âme.
– Vous voulez me faire croire que ce garçon est possédé par le Diable ?
– Non, c’est peut-être un trouble nerveux dû à un virus : il ne connaît plus sa force. Vous n’êtes pas la première victime. Je crains une épidémie.
– C’est grave, docteur ?
– J’en ai peur. Donnez-moi son nom. Mes services vont s’occuper de lui.
– Et ma main, docteur ?
– Rassurez-vous, après l’opération et huit jours de repos tout ira bien pour vous.
Le professeur était tout excité. Il était peut-être sur la piste d’un nouveau virus qu’il baptisera « Pognovirus Atakalam » si on arrive à l’isoler. Il est donc allé voir son directeur pour obtenir des crédits pour ses recherches.
Grâce à la dextérité du professeur, les trois patients se sont parfaitement remis, mais, malgré des gros moyens et des recherches coûteuses, pas la moindre trace d’un quelconque virus chez les broyeurs de phalanges. Juste un gros accès de colère au mauvais moment.
Le professeur Atakal a eu moins de chance : il a serré la main de son directeur au moment où celui-ci avait sous les yeux le coût exorbitant des recherches sur le pognovirus. Le professeur a dû être envoyé en urgence dans ses services où il s’est fait opérer par son assistant, et il n’a jamais pu recouvrer la dextérité nécessaire pour manipuler le bistouri.
Toutefois, il a pu aider son assistant à devenir un chirurgien encore meilleur que lui.
Il a ensuite été muté dans un centre de recherches où il a découvert un nouveau virus qui s’attaque au foie.
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde. Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.L’alarme avait été donnée par les bagagistes des aéroports, des gares et tout bonnement par les particuliers. Les Pompes Funèbres ne pouvaient plus remplir leur office, les morgues ne pouvaient plus recevoir de nouveaux entrants. Fini le temps ou en moins de trois jours le mort était consigné à sa nouvelle adresse.
Mais à quoi étaient dus ces bouleversements. Et bien il fallut se rendre à l’évidence Saint-Pierre n’était plus en possession de la clef du paradis ni de celle du purgatoire et Satan ne voulait accueillir aucun émigré qui n’avait pas l’âme assez noire pour avoir son visa pour l’enfer.Donc plus aucune âme ne pouvait trouver une place pour l’éternité.
Les responsables : des serruriers qui entendaient remplacer la clef de Saint-Pierre par une autre plus moderne. Devant son refus, ils mirent la pagaille, sur terre pour commencer, en s’attaquant à toutes les poignées existantes, et puis au paradis mais ils ne purent rien en ce qui concerne la clef de Saint-Pierre.
Un phénomène survint que les serruriers n’avaient pas prévu : de gigantesques feux s’élevèrent de par le monde du fait du manque de poignées car on était obligé de brûler tout ce qui n’avait plus d’utilité, les avions par exemple dont on ne pouvait ouvrir ni fermer les portes, les voitures, les trains. La fumée envahissait la terre, et ceux qui échappaient aux incendies mourraient par la pollution.
Devant le danger que courait l’humanité, Spiderman et Batman décidèrent d’intervenir et on ne sait par quel miracle les serruriers se calmèrent et tout rentra dans l’ordre. Il paraîtrait qu’ils ont écopé de quelques années de purgatoire supplémentaires mais ceci n’est pas notre affaire.
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par une grand-mère toute désemparée, voulant prendre son cabas pour ses courses elle ne trouva qu’une pognée sans formes dont elle dût se contenter pour aller au marché.
Même embarras devant sa porte close pour un Papé pourtant peu dérangé, seule sa clé le sauva lorsqu’il voulut franchir sa porte dorénavant sans espagnolette.
Et ces deux collègues cherchèrent comment se saluer sans échanger leur geste usuel.
Les savants, avec un bel ensemble, se déclarèrent d’abord fort étonnés du phénomène, et cherchèrent avec zèle une cause éventuelle.
Un jeune garçon lettré leur suggéra « une seule lettre vous manque, et tout est dépeuplé », cette pensée nouvelle : « quelle est donc cette lettre manquante », faisant référence à la découverte de quelques auteurs farfelus d’une époque récente, se logea au plus profond de leur pensée, leur permettant d’évoquer secrètement cette lettre manquante pour retrouver le mot défectueux, retrouvant tous ses usages.
Vexée, la lettre fugueuse projeta un retour en fanfare, hélas pour elle, elle ne fut plus recherchée par personne !
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par des nutritionnistes inquiets de voir fondre les poignées d’amour. Les sexologues déclaraient que cette disparition des poignées était une sorte de tue-l’amour. Les vendeurs de fringues se lamentaient de devoir mettre au rebut les grandes tailles. Dans ce concert de réprobations, seuls les stylistes se réjouissaient d’avoir désormais un choix pléthorique d’individus à la taille mannequin disponibles pour les podiums.
Au fin fond de la Celtie, un petit village faisait de la résistance. Son maire arborait sur sa photo officielle un embonpoint de bon aloi. Ses administrés affichaient des rondeurs dignes de la Grèce antique.
Une poignée d’experts déboula dans le Grand ouest. Les conclusions de leur étude mit en lumière le régime alimentaire des villageois où dominaient le chou-fleur, le kig-ha-farz et les galettes beurrées.
De partout on accourut vers cet Eldorado pour se remettre en formes. Le village lui-même grossit atteignant les dimensions d’une bourgade. Le maire, soucieux de distraire les nouveaux arrivants, organisa un concours du plus beau tour de ceinture que son adjoint à la culture lui conseilla de baptiser Concours Obélix. Le succès fut tel qu’en ces lieux, en guise de salut, on se serre les poignées d’amour.
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde. Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre. L’alarme avait été donnée…
par le téléphone arabe, relayé par le tam-tam de la brousse. Mais, distraite, je n’avais rien entendu. Il me sembla pourtant, ce matin, que le gros œil électronique qui commandait l’ouverture automatique de la porte de mon immeuble me lançait un clin d’œil complice lorsque je me plaçais dans son champ de vision… Le gyrophare qui tournait en émettant un sifflement d’ordinaire plutôt lugubre, semblait aujourd’hui tourner sur une musiquette joyeuse quand le portail glissait sur ses rails. Tous ces signes auraient dû m’alerter, mais je ne pensais qu’au déroulement de ma journée. Arrivée à ma voiture, je ne la vis pas clignoter gaiment lorsque j’appuyai sur le petit cadenas ouvert ! Elle semblait s’excuser, mais de quoi ? Devant la portière, force me fut de constater que l’emplacement de la poignée était vide ! Eberluée, je pensai soudain à examiner le monde autour de moi : des gens battaient le pavé devant leur porte qui demeurait close, faute de moyens pour l’ouvrir, d’autres tournaient autour de leur véhicule, sans pouvoir, visiblement, entrer à l’intérieur… bizarre !
J’en étais là de mes constatations, lorsque mon supérieur hiérarchique vint à passer par là. Je m’élançai pour lui serrer la main, il me tendit la sienne, mais curieusement, la chaleureuse poignée de mains que nous nous apprêtions à échanger ne put avoir lieu… nous nous saluâmes donc de la tête et il passa son chemin. Dans la rue, de plus en plus de silhouettes semblaient errer, le regard scrutant le sol, à la recherche de quelque chose. L’une d’elle m’interpelle : « Vous n’auriez pas vu une poignée en bronze, 19e siècle ? Elle a disparu ! » Mais je ne pouvais le renseigner et me demandais quel plaisantin avait bien pu chiper toutes poignées de la rue… Un type passa alors près de moi, sifflotant allègrement. Je me permis de lui demander la raison de sa joie. Il me répondit que, des années durant, il avait fait régime sur régime pour tenter de perdre ses poignées d’amour, sans succès, mais aujourd’hui, miracle ! elles avaient disparu comme par enchantement. Et il repartit, tout joyeux… Ainsi, qu’elles soient de porte, de mains ou d’amour, quelqu’un avait fait main basse sur les poignées ! A cet instant, un crieur des rues passa en coup de vent, annonçant : « En Asie aussi, les poignées rendent l’âme ! En Asie aussi… » J’en restai scotchée, appuyée sur ma voiture. Alors comme ça, les poignées avaient une âme ? Et elles avaient décidé, toutes ensemble, de rendre la leur, mais à qui ?
Non, décidément, tout cela me dépassait ! Je repris ma serviette et rentrai à mon logis. Arrivée devant la porte de mon immeuble, je levai la tête vers l’œil électronique qui semblait me dire : « Tu vois, heureusement que je suis là ! » Et là j’étais bien d’accord avec lui et, souriante, lui adressai un clin d’œil appuyé. Et soupirai d’aise de pouvoir rentrer dans mon petit chez-moi, tout en sortant la carte magnétique grâce à laquelle la porte de mon appartement s’ouvrirait comme par magie. Une poignée ? Quelle poignée ?
Un curieux phénomène se manifestait à travers le monde. Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par Pia Monti, une lanceuse d’alerte. Elle avait pris la première une décision radicale, les portes resteraient ouvertes. Salle de bains et toilettes seraient isolés par un rideau. Personne n s’offsuqua de ce système qui permettait de gagner du temps et facilitait l’été les échanges d’air. On se passa aussi de l’air conditionné. Le mari de Pia fit ôter les portes qui n’avaient plus leur raison d’être. L’évolution se fit partout. Les verrous aussi tombèrent. Les clés furent perdues. Tout un pan de l’économie s’en ressentit mais les bienfaits compensaient largement les inconvénients : moins de luxe, moins de jaloux, plus de fraternité. Les mots solidarité, partagé furent à l’ordre du jour et quand un inventeur génial trouva un modèle électronique de serrure le produit ne trouva jamais acquéreur sauf peut-être dans ces quartiers où les riches apeurés avaient trouvé refuge, protégés par leur propre milice privée.
Mise en garde
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement
Tout autour du monde
C’était comme une ronde
Les poignées rendaient l’âme
L’une après l’autre
Les poignées des hommes, des femmes et des enfants
Personne n’avait rien vu venir
Personne n’avait pu avertir :
» Attention, retenez-le, il va partir »
Alors,
Mamans, cajolez vos bébés
Amants, caressez vos compagnes
Partout, entretenez la flamme
Petits vieux, ne vous quittez pas des yeux
Jeunes gens
Prenez-vous dans les bras
Dites-vous des mots doux
Faites-vous des bisous
Ne le laissez pas filer
Si vous n’y prenez garde, il va crever
Faites cogner vos cœurs
Pour faire reculer le malheur
Serrez-vous les mains
Pour chasser le chagrin
Entrelacez vos doigts
Fort, fort, plus fort
Encore et encore
Sinon il va partir pour toujours
L’Amour …
Joli texte plein de sentiments
Merci Odile !
Petit à petit, discrètement, partout dans le monde, les poignées disparaissaient mystérieusement. Au début, il y en a beaucoup que ça faisait rigoler, mais vu les conséquences que cela entraîna, les rires tournèrent rapidement au jaune.
Seules les fenêtres à guillotine avaient été épargnées, excepté les fenêtres françaises, cette population les ayant en aversion aux souvenirs tranchants de la Révolution. Les portes, les volets, plus rien ne fermait. Cela avait foutu une sacrée pagaille et surtout avait mis les voleurs en joie qui partout trouvaient porte ouverte.
Les commerces, les villas, les appartements, les caves, les banques, tout avait été dévalisé. Sauf que les voleurs se trouvèrent pris à leur propre piège, plus rien ne fermant et donc ne pouvant plus rien enfermer, comment dissimuler leur butin ?
Quel casse-tête pour la police… les agents du monde entier étaient sur les dents et furent rapidement sur les rotules.
Et comme si ça ne suffisait pas, la pagaille générale fut déclenchée lorsque disparurent aussi les serrures et les cadenas. Tous les systèmes d’alarme se déclenchèrent en même temps, ce fut si violent que quasiment la population mondiale s’en trouva irrémédiablement sourdingue.
Les policiers, droit dans leurs bottes, un peu moins ensuqués que les autres grâce à leurs casques, mais pas mal quand même, s’efforçaient d’accomplir leur devoir en poursuivant leurs enquêtes. Un peu partout, et bien que leurs oreilles leur sifflassent, certains restés finauds n’en perdirent pas leur flair.
C’est ainsi que la police de chaque pays élucida le mystère : Le gang mondial des serruriers, après avoir comploté et mis leurs pendules à l’heure sur Internet pour démarrer tous en même temps, avait sévi.
La police toujours efficace même au moment des pires avanies, coinça presque toute la corporation. Et cela faisait du monde !
Partout elle reçut félicitations et médailles de son chef d’État. Les populations se réjouirent de trouver enfin revanche envers ces artisans qui les avaient si souvent escroqués dans les grandes largeurs lorsque, ayant égaré leurs clés, il leur était arrivé de se trouver coincés sur leur palier. Le plus scandaleux étant que ces gros malins sans scrupules avaient cru avoir ainsi trouvé la solution pour d’un seul coup multiplier par millions leur chiffre d’affaires.
Les avoir arrêtés c’était bien joli mais le problème ne fut pas réglé pour autant.
Que faire d’eux, puisque plus rien ne fermait ?
Tout est bien qui finit bien : Ils furent cependant tous jugés, et condamnés à la peine la plus juste et la plus efficace : chacun dut remettre chaque chose à sa place. Et tout rentra dans l’ordre excepté pour les malchanceux dont les alarmes avaient définitivement cassé les oreilles.
Une belle fable merci
Merci Odile et bonne année « portes ouvertes »
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par l’organisation mondiale des serruriers (OMS). Une épidémie de poignicite sévissait et précipitait l’humanité dans l’ère des portes virtuelles.
L’OMS, même si elle était consciente des conséquences économiques pour les serruriers et les menuisiers, ne voyait pas d’autres solutions pour éviter les pillages et les émeutes. Si à l’intérieur des bâtiments, il était possible de supprimer les portes, ou pour les pudiques, de les remplacer par des rideaux ou des paravents, il en allait autrement des portes extérieures.
Invisibles et intelligentes, les portes virtuelles s’ouvraient ou se fermaient à l’aide de la reconnaissance faciale ou de la reconnaissance vocale. Elles étaient en train d’être distribuées aux populations à des prix modiques.
Des journalistes et des associations de consommateurs commençaient cependant à dénoncer un complot international pour imposer l’intelligence artificielle dans tous les foyers de la planète.
C’est alors qu’un serrurier de Tarbes, fort de dix ans d’expérience dans le métier, osa ce que ni l’OMS ni aucun de ses confrères n’avait osé : il se mit à réfléchir. Il observa de nombreuses portes, questionna différents corps de métiers, serruriers, menuisiers, maçons. Et à force de s’interroger, il comprit : il fallait monter les poignées dans l’autre sens.
Ô vous, poignées d’amour si souvent décriées,
Ici, je vous célèbre !
Les plaisirs qu’on savoure ont été oubliés,
Plongés dans les ténèbres !
A coups de « Comme j’aime ! », on vous fait disparaître
Ou par liposuccion !
On ne sait même plus ce qui vous a fait naître,
Et votre évolution !
On fait la guerre aussi aux abdos Kronenbourg
Et autres cellulites !
Sur la voie du plaisir, on avance à rebours !
Le bonheur se délite !
Même sur les clichés, à coup de Photoshop
Voilà que l’on vous gomme !
Vous pourtant gracieuses, on vous efface et « hop ! »
Fini le bibendum !
Vous avez rendu l’âme, et nous perdons la nôtre
Avec tous les diktats
Des diététiciens, Messieurs ces bons apôtres
Qui nos bourrelets tâtent !
Qui disent : « la santé ! », « Gare au cholestérol ! »
Et qui prônent l’étique,
Sans « H », bien entendu ! Ils donnent le beau rôle
A des looks faméliques !
Eh bien, non !
Debout, les bien-en-chair, debout, les gras du bide !
Les ventres rebondis !
Une peau bien tendue, ça efface les rides !
Foutons-nous des « on-dit » !
Pas poignant, si excellent !
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre, l’alarme avait été donnée par un groupe de féministes désespérées.
Depuis cette hécatombe universelle,elles se sentaient démunies,rejetées.
Voir leur mari,leur amant,parfois les deux, perdre petit à petit, jour après jour, leurs merveilleuses et douces poignées d’amour en désolait plus d’une.
Elles les chérissaient, les femmes voluptueuses qui savaient ce qu’aimer veut dire, ces petites imperfections.
Longtemps décriés, ces tendres bourrelets étaient redevenus aimables auprès des vraies femmes qui revendiquaient leurs propres défauts avec fierté.
Alors pourquoi pas une petite calvitie,une légère bouée de sauvetage pour leur partenaire face à leurs seins qui s’alourdissaient,un ventre plus aussi plat,cette vilaine cellulite quasiment inévitable.
Et voilà qu’on les privait d’une parité qu’elles réclamaient à « corps »et à cri.
Leurs hommes se redressaient imperceptiblement, changeaient de taille de pantalon.Ils faisaient les étonnés, mais réclamaient des légumes et supprimaient la bière du soir.
Ah!non,il fallait cesser,ils n’allaient pas redevenir minces et fringants pour permettre aux jeunettes sans défaut de trouver les quinquagénaires à leur goût.
Mine de rien, ces suffragettes se mirent à une cuisine raffinée, à concocter des desserts auxquels ils ne pouvaient résister.
Une bonne petite bouteille par ci, des chips bio par là.
« Goûte moi ce chocolat noir une pure merveille
-Et ce Beaufort de Printemps n’est-il pas divin? »
Les nouveaux hommes sans poignées, ravis par ces attentions,se laissèrent dorloter,lassés des sacrifices consentis sans grande conviction.
Ils récupérèrent leur silhouette aimable et les bras accueillants de leurs compagnes que le pouvoir rendait encore plus belles et désirables qu’auparavant.
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par le ministère des solidarités et de la santé en concordance avec le secrétaire d’état chargé du numérique.
En cette nouvelle année, 2058, la frustration était à son comble ! On avait déjà usurpé depuis belle lurette le traditionnel « french kiss », trop érotique, lapidé le baiser esquimau, trop dangereux pour le microbiote nasale, vilipendé le baise-main trop mondain, et imposé le baiser internaute, un baiser virtuel, net et précis, sans danger pour l’organisme et affublé d’une petite bulle anonyme dans laquelle vous pouviez insérer un émoticône de circonstance …
Jusque-là tout se déroulait à merveille, hormis quelques nostalgiques du contact physique, des dinosaures bientôt effacés de la modernité par un astéroïde virtuel, la majorité de la population se suffisait à s’observer par le biais de sa petite lorgnette virtuelle.
La nouvelle génération était dotée d’une interface virtuelle qui pouvait se déplacer et évoluer à distance. Depuis son iPhone 2058, chacun pouvait se téléporter à l’autre bout du monde, danser la java à la Havane, surfer sur les chutes du Niagara, escalader l’Everest sans s’essouffler… Bref tout était possible, à portée de clic… tout paraissait formidable, accessible…
Pourtant, le ministère de la santé déplorait depuis plus d’une décennie une maladie incurable, une pandémie des plus virulentes jamais recensée…
On avait convoqué les plus hautes autorités de veille sanitaire, les laboratoires étaient en ébullition, il fallait trouver un antidote à ce virus. Du jamais vu, aucune crise sanitaire n’avait connu une telle ampleur, la peste et le choléra faisaient presque sourire en comparaison de ce nouveau virus.
Il était temps peut-être de tout recommencer, de faire machine arrière, de retrouver le plaisir du dehors, la pluie, le vent, la brulure du soleil, les crevasses au bout des doigts, les ampoules dans chaque main, la terre qui vous résiste, le mal de dos qui vous terrasse et puis toutes ces sensations oubliées: les grosses ruades dans le dos ou les palpitations secrètes vibrant dans le creux de la main, les caresses intimes, les amoureux se tenant par la main…
Un mal pour un bien avait murmuré le ministre de la santé, mais l’addiction était trop forte, comment se passer de son jumeau virtuel, un héros en toute circonstance, jamais froid, jamais faim, jamais malade…
A présent plus personne n’osait bouger, le moindre contact pouvait être fatidique, mortel. Un slogan tournait en boucle à la radio : ne bougez plus, ne sortez pas, évitez toute relation physique…
Il suffisait qu’un enfant, qu’un vieillard, qu’un inconscient vous donne une poignée de main pour que vous perdiez instantanément chacun de vos doigts.
Un texte qui a (encore) échappé à la relecture….
La nouvelle tomba dans toutes les gazettes
Un curieux phénomène parcourait la planète
Les poignées rendaient l’âme, les unes après les autres
Succombant sans savoir. Pourquoi ? à qui la faute ?
Les portes inaugurèrent la funeste ablation
Et se virent obligées de remettre les clés
Désormais supprimées de toute utilité
Pour rester grandes ouvertes, jusque dans les prisons
Les mains leur succédant se trouvèrent privées
Bientôt de leurs poignées d’accord-merci- salut.
Faudrait-il maintenant, se servir de ses pieds,
Pour shaker ou checker les gestes révolus ?
Comme la planète est ronde, elle a passé son tour
Aux sensuelles poignées que l’on nomme d’amour.
Préservées du carnage, elles en ont profité
Pour recharger la terre en collines sucrées…
…En fleuves délectables, en gazons capiteux
En maisons aguichantes, en êtres délicieux…
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde. Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre. L’alarme avait été donnée par…
La Bellissima avait les yeux rivés sur l’écran de son téléviseur et s’extasiait. Le décor était féerique, les bijoux éblouissants. Les robes, au tomber sensuel, dansaient comme une nuée de papillons.
– Cette fois, « il » s’est encore surpassé ! murmura-t-elle en sirotant son café.
L’espace d’une seconde, son regard quitta les parures somptueuses pour scruter les visages.
– Mais quelle horreur, elles font toutes la gueule! Pas l’ombre d’un sourire.
Ses doigts se crispèrent sur l’anse de sa tasse de porcelaine de Chine alors qu’un souvenir lui traversa l’esprit. Elle se rappela une phrase entendue en fin d’une interview donnée à un de ces magazines au papier et au titre glacés. « … Elles ne sont que des porte-manteaux, je ne veux pas que leur beauté éclipse celle de mes créations. Les mannequins doivent les sublimer … »
– Stupidité ! gronda-t-elle en tendant la main vers le plateau d’argent où s’empilait une tour de macarons pastels, aux parfums délicats.
Elle se leva, posa ses mains sur ses hanches, tâta ses poignées d’amour et se mit à chanter : « Casta Diva », enchaîna avec « Libiamo, libiamo ne’lieti calici » puis s’effondra en pensant à toutes les jeunes filles emportées par l’anorexie….
Ce curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde. Les poignées d’amour avaient rendu l’âme et l’amour même avait perdu son âme.
La Bellissima se dit qu’il était temps de donner un signe fort.
A défaut de lancer une alarme, elle donna l’alerte en appelant à la création d’une charte de bonne conduite.
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par…
Toutes les chaînes d’infos qui croulaient sous les témoignages d’anonymes qui envoyaient éberlués leurs vidéos pour illustrer leurs propos.
C’était la panique la plus complète, un grand désordre terrestre. Comment remédier à ce phénomène ? Qui était responsable ? Si les poignées rendaient l’âme, il était urgent de les remplacer par un système plus fiable.
On sortit planches, clous, fers à souder, outils d’un autre temps, expressions d’une autre époque. Ainsi le fameux « barrer la porte » encore à l’usage ici au fond des campagnes allait retrouver son sens premier et l’on équipa ici et là chaque porte de patères solidement ancrés dans la structure sur lesquelles venaient se poser une planche en bois ou en fer et ainsi bloquer toute ouverture. Alors certes pour sortir, il fallait soulever la planche, cela demandait un effort. Mais avait-on le choix ? Chacun priait pour que ces installations ne cèdent pas à leur tour. La panique n’était pas loin.
En ville, les gens qui ne se voyaient jamais firent connaissance, échangèrent d’abord leurs peurs, leur crainte puis unirent leurs efforts, discutèrent, débattirent sur ce sujet incompréhensible. Cela terrorisa le monde. Les ingénieurs les plus audacieux planchèrent sur cette énigme. Tous absolument tous les systèmes d’ouverture furent automatisés le plus vite que possible, les poignées de porte des maisons, celles des voitures, des magasins. Le mot poignée ne mit qu’une génération à disparaître, on ne le retrouvait dès lors que dans la poésie ou dans de vieilles notices égarées.
Ce chambardement mondial avait traumatisé les populations. Les gouvernements avaient, pendant de nombreuses années,allouer des crédits exceptionnels à la recherche de haute technologie pour pouvoir à nouveau pallier ce désordre planétaire si les nouveaux systèmes mis en place défaillaient.
Mais surtout se posait la question à la portée hautement symbolique et philosophique sur tous les continents et dans tous les pays sur l’enfermement et ses modalités. Pouvait-on vivre ensemble sans poignée, sans enfermer ?
Un très joli texte très cohérent merci
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde. Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre. L’alarme avait été donnée par Georges. Mais personne ne lui avait répondu.
462 jours sans voir l’un de ses potes, ça commençait à le miner sérieusement.
Pourtant, ils n’étaient qu’une bande copains de sabord, une poignée de résistants au cours des choses.
Ils vivaient entre 8 et 12 (selon les passages et les trépassages) dans une ferme au fond de la Concave, toute proche de la Creuse.
Leur code de bonne route leur faisait éviter la télé et la bagnole, tout ce qui polluait directement les poumons de l’esprit.
Ils ne couraient jamais, pas de courses. Tout était cultivé sur place et ce qui manquait forcément n’était pas indispensable.
Parfois, ils marchaient un peu, histoire de ne pas oublier le fonctionnement….mais le plus souvent, ils restaient plantés comme des girouettes à suivre les variations du vent.
Ils fabriquaient des cerfs-volants pour empêcher les chasseurs de les attraper. Ca les faisait marrer pour toute la saison.
En fait, ils s’amusaient bien et ils n’emmerdaient personne. De plus, il n’y avait plus de voisins depuis qu’ils avaient fracturé le canal pour rendre sa liberté au fleuve. Tous les ras du sol avaient été naturellement évacués.
Ils avaient reconstruit un moulin pour la beauté du geste des ailes…et de leurs chants.
Quand il eut fini de rêvasser, Georges se mit en route. Il traversa 5 collines, 2 montagnes, 54 prairies et 12 ponts.
Parvenu à l’autoroute solaire….il constata que toutes les voitures étaient imbriquées les unes dans les autres. Ca dessinait un vaste serpent de ferraille…immobile…déjà repu de rouille!
C’était ce que Georges craignait! Le Monde s’était limité à deux castes. Les agglomérés et ceux qui avaient le grain…les singuliers, les seuls!
Tous ceux s’étant trop rapproché des foules avaient été aspiré par et dans la masse. Le corps social n’était qu’un gigantesque boudin faisant au moins, d’après ses calculs, 3 fois le tour de la Terre.
Georges se demandait ce qu’il était advenu de ses amis. S’étaient ils tous laissé piéger par la cohue ?? Certains n’étaient ils pas demeurés planqués comme lui ??? Fallait-il tenter de les retrouver, risquer déjà à deux de tomber dans la gueule du Grand Siamois aux yeux qui louchent.
Foncièrement, il savait que c’était foutu, qu’il allait rester seul.
Il regarderait tourner les ailes du moulin dans le vide. Sans grains de douce folie à moudre, sa petite éternité risquait de lui paraître bien longue.
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par une coopérative de quincaillers français qui avaient vu leurs ventes de poignées s’envoler brutalement après le nouvel an… Contactant leurs fournisseurs partout dans le monde pour répondre à cette soudaine frénésie d’achat, ils avaient réalisé que le phénomène était en réalité mondial ! Le plus étonnant est que toutes les poignées étaient touchées mais pas toutes de la même façon… Apparemment, certaines poignées ne fermaient plus quand d’autres refusaient de s’ouvrir
La situation menaçait de devenir critique, des familles se retrouvaient enfermées à l’intérieur de leur domicile, d’autres ne pouvaient plus fermer une seule porte de leur maison. Et il en était de même dans le monde des affaires et de l’industrie, sans qu’on puisse trouver une logique à cette étrange manifestation…
La presse, informée, faisait ses gros titres de l’étonnante information et les présentateurs de journaux télévisés fronçaient les sourcils en échafaudant des scénarios plus fous les uns que les autres pour trouver la raison de ce fait surprenant. Les plus grands savants du monde passaient des nuits blanches et s’arrachaient les cheveux sur ce problème qui dépassait toutes les lois connues de la physique.
Mais c’est Zoé, une petite fille de 11 ans qui découvrit la réponse. La maison où elle vivait avec ses parents et son petit frère était maintenant ouverte à tout vent. Celle de leur voisin grognon et désagréable était, elle, indiscutablement fermée. Zoé remarqua que dans sa rue, toutes les maisons des gens connus pour leur gentillesse étaient ouvertes, alors que celles des gens qu’elle n’aimait pas parce qu’ils étaient méchants, orgueilleux, égoïstes, restaient fermées, empêchant leurs occupants de sortir. Elle en parla à ses parents, qui en parlèrent à leur ami le maire de la ville, qui en parla lui-même au député, lequel s’empressa d’en parler au ministre des afffaires sociales, qui courut en informer le Président. Ce dernier, après avoir quand même pris la peine de faire vérifier cette très surprenante information, demanda leur avis aux savants et informa les gouvernants des autres pays qui, ébahis, ne tardèrent pas à confirmer que le phénomène se manifestait exactement de la même façon chez eux. D’ailleurs, certains présidents étaient enfermés dans leurs palais, dans l’incapacité de sortir, et ils étaient bien honteux de ce que cela signifiait…
Les plus grands psychologues, physiciens et philosophes encore libres se réunirent en un exceptionnel colloque qui dura plusieurs semaines. Ils avaient fini par comprendre que l’énergie libérée par tous les vœux de bonheur, de joie et de bonne santé échangés aux 12 coups de minuit, la nuit du nouvel an, avaient produit un phénomène paranormal et extraordinaire… Mais ils ne savaient pas comment enrayer ledit phénomène !
Pendant que les savants discutaient, on trouvait des moyens pour que les personnes enfermées chez elles ou dans leurs entreprises, les prisons ou tout autre lieu ne meurent pas de faim. On descendait des paniers repas par les cheminées, on glissait des crêpes ou de la viande séchée sous les portes, bref, on s’organisait…
La vérité finit par éclater quand certaines portes commencèrent à s’ouvrir. C’étaient celles de gens qui avaient mis à profit ces semaines d’enfermement forcé pour réfléchir et se poser des questions sur leur façon de vivre et de se comporter, et qui avaient fait, d’une façon sincère et désintéressée, amende honorable. La nouvelle se répandit de par le monde comme une trainée de poudre et en fit réfléchir beaucoup… On vit bientôt nombre de portes s’ouvrir sur un monde où l’amour et la fraternité n’étaient plus de vains mots seulement gravés aux frontons de certains édifices.
Quant aux ronchons chroniques, aux nombrilistes avérés, aux méchants de tout poil, puisqu’on ne pouvait rien faire pour eux et qu’eux seuls pouvaient changer leur triste destin, des volontaires compatissants et bienveillants continuèrent de les nourrir par cheminée ou dessous de portes interposés. Et si certains finirent un jour par voir leur porte s’ouvrir, d’autres, englués dans leurs mauvaises pensées, finirent leur vie doublement enfermés dans leurs quatre murs et leurs mauvaises pensées…
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde. Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre. L’alarme avait été donnée par…
L’alarme avait été donnée par une poignée d’hommes.
Refusant une poignée de dollars, ils avaient pris le risque de dénoncer les complots scellés par de vigoureuses poignées de mains .
Pour une poignée de feuillets édités au nom de la liberté d’expression, ils avaient été enfermés dans des cachots dont les poignées avaient rendu l’âme.
Sur les murs noircis et suintants,
A l’encre blanche du grattage,
Ils dispersèrent, telles des poignées de fleurs,
des mots de liberté
des mots d’espoir.
© Clémence
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
Les poignées rendaient l’âme l’une après l’autre.
L’alarme avait été donnée par…le docteur Cohen, éminent nutritionniste qui voyant disparaitre les poignées d’amour de ses patients, s’en attribuait la raison. Il passait d’une chaîne à l’autre vantant les mérites de son régime. Sa salle d’attente ne désemplissait pas et il fallait de longs mois pour obtenir rendez-vous.
Pourtant il n’y était pour rien, car si les petits replets des bidons avaient été les premiers à disparaitre, ils furent suivis par les poignées des casseroles ou des ustensiles de cuisine. Difficile de tenir une poêle encore chaude sans manique, impossible de se servir une poignée de cacahouètes ou de riz, non la quantité devait toujours être inférieure ou supérieure à ce que pouvait contenir sa main. Certains commencèrent à grignoter comme des oiseaux, d’autres s’empiffrèrent… sans prendre un gramme sur le ventre.
Ce n’était que le début du phénomène, les poignées des valises rendirent l’âme peu après, il fallait voir le regard hébété des voyageurs dans les gares et aéroports, leur valise tombant à leurs pieds, certains porteurs de grosses valises s’en accommodaient, chevauchant leur bagage comme des destriers. Mais quand il fallait les soulever pour les mettre dans les coffres, c’était une autre paire de manche.
Les voyages furent de toute façon rapidement abandonnés, impossible d’ouvrir les voitures, plus de poignées, impossible d’ouvrir les fenêtres à part celles à guillotine, non tout ce qui possédait une quelconque poignée s’en trouvait démuni.
Les gens restaient seuls, prostrés, enfermés dedans ou dehors selon le cas, on ne voyait plus de poignées de manifestants, ni même de longs cortèges, la solidarité avait disparu en même temps que les poignées de main. Quant aux embrassades par temps de grippe ou de gastro, elles étaient plutôt déconseillées.
Un curieux phénomène se manifestait sournoisement à travers le monde.
L’alarme avait été donnée par Monsieur Urbino, le directeur de la célèbre prison, ultra moderne et sécurisée, de la capitale mondiale, Uluberlu !
La nervosité des geôliers, robots humanoïdes mais idiots, avait éveillé l’attention des prisonniers. Chacun put entendre un brouhaha de cliquetis.
Non seulement, les poignées avaient rendu l’âme, les unes après les autres, mais toutes les fermetures, serrures, cadenas, verrous etc…furent déverrouillées.
En un éclair, la famille Twitter alerta le monde entier.
Ce fut le point de départ d’un immense et déplorable chambardement.
Les prisons et les asiles se vidèrent.
Les banques furent ruinées.
Les criminels jubilaient.
Les autres priaient.
Les « grands » de ce monde étaient impuissants.
Les créateurs, ingénieurs, inventeurs avaient verrouillé leurs neurones.
Blocage total.
Gangrène de la bêtise humaine.
Ce fut le chaos.
Ce fut la Bérézina à la puissance un milliard.
Ce fut l’élimination du peuple entier.
Depuis, sécheresse, désolation, fertilité, obscurité…
Règnent sur la planète Utopie.