339e proposition d’écriture créative imaginée par Pascal Perrat
Appliquant le conseil de Flaubert,
il relut son poème à voix haute
et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet,
que certains mots chantaient faux.
Il ajouta quelques vers d’O.
C’était déjà mieux, mais pas encore ça…
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Appliquant le conseil de Flaubert, il relut son poème à voix haute et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet, que certains mots chantaient faux.
Il ajouta quelques vers d’O. C’était déjà mieux, mais pas encore ça…
Et il persista. Et il clama, jour et nuit, sans rime ni raison sur des rythmes endiablés, des hémistiches et des acrostiches, des sonnets et des quatrains.
Toute cette cacophonie était insupportable pour ses voisins. Ces hiatus mal inspirés, ces onomatopées hurlées, ces liaisons malvenues … Tous ces galimatias, à leurs yeux, leur écorchaient les oreilles
Et pourtant, s’ils avaient su, que ce scribouillard, ce prosateur encore acnéique, ce rimailleur à peine pubère qui s’exerçait aux dépens de leurs esgourdes, nuitamment et bruyamment, deviendrait un jour un géant de la littérature française.
Mais pour l’heure, peu leur importait l’avenir de ce jeune écrivaillon, fut-il de génie, seule comptait la quiétude de leurs nuits.
Ils étaient si exaspérés que l’un d’eux, resté jusqu’à nos jours un illustre inconnu, lança une pétition que tous signèrent, les illettrés avec une croix, pour réclamer l’expulsion de ce jeune Charles, surnommé Charlie par les plus jeunes, un peu irrespectueux, de ses admirateurs, Charlot par ses critiques qui ne le prenaient pas au sérieux. Patronyme : Baudelaire.
Appliquant le conseil de Flaubert,
il relut son poème à voix haute
et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet,
que certains mots chantaient faux.Il ajouta quelques vers d’O.
C’était déjà mieux, mais pas encore ça, était-ce Flaubert dans l’au-delà qui se moquait de lui
sa mère décida sur les conseils de Monsieur Homais, pharmacien et ami, d’aller consulter un médecin phoniatre
celui-ci lui expliqua que tout bonnement sa voix muait et que les choses s’arrangeraient avec le temps
Dépité, le jour il cessa de versifier, la nuit il fit des cauchemars, on l’entendait crier Emma, Emma ; il cessa ses essais littéraires
Son père se présenta aux élections sous l’étiquette des Républicains alors qu’il était étudiant. Il se rappela alors la citation de Flaubert
» Les républicains ne sont pas tous voleurs, mais les voleurs sont
tous républicains »
Il s’inscrivit à la bibliothèque de sa ville et passa des heures et des
heures le nez dans les bouquins tout en poursuivant ses études.Et
puis Il entra dans la vie active, se maria, eut deux enfants ; il
appela sa première fille Emma…
Octave était un jeune homme charmant qui aimait les costumes à billets pourvu de nombreuses poches dans lesquelles il gardait des mots qu’il allait pécher dans l’O. L’O était un élément de son prénom qui le transportait, auquel il était doublement accroché. En aucun cas, il n’aurait voulu en changer. Octave lui allait si bien. D’abord agréable, c’est un choix qui ne lui appartenait pas, et puis entrer dans la vie par l’O, quel beau début pour une bio ! Voguer sur les vagues musicales était une obligation consentie volontiers. Sa mère musicienne, avec intuition l’avait orienté dans une voie faite pour lui. Il n’avait semble-t-il qu’à se laisser glisser vers un cap tracé par Océane qui était d’origine Hollandaise. Entouré de tous ces O, il se considérait chanceux. Ce n’était pas trop pour être bien élevé dans une ambiance admirative, porté par une volonté maternelle qui l’avait sécurisé dès son premier cri.
Dans une de ses poches, il prit un billet au hasard et le lut à voix haute. Le hasard, pas rancunier l’avait souvent aidé. Il lui devait bien un retour. Après une heure d’exercices avec les do, il se détendit à la lecture d’un écrit qu’il chantonna haut, pour se faire la voix aux si. Mais à cette heure, l’eau lui vin à la bouche avec les arômes du coq au vin qui mijotait dans la cocotte, en bas. Il entendit le lourd couvercle retomber sur la fonte. Océane venait de goûter si l’animal était prêt à réveiller leurs papilles. Le pas de maman O monta. Elle fit une ouverture théâtrale et dit dans son accent habituel :
– Octave, viens prendre l’apéro ! Le poulet est à point, je viens juste de rajouter un demi-verre d’eau et,…
– Pourquoi verses-tu des verres à moitié ? J’essaye de faire des vers longs et toi tu les coupes en deux !
– Arrête de faire de l’esprit, d’abord tu chantes faux ! Je t’écoutais derrière la porte.
Il regarda sa mère avec un air offusqué.
– Oh ! Maman tu me donnes le blues, répondit-il en mimant une larme coulant de son oeil, en la grossissant dans la paume de sa main et en la faisant tomber lourdement sur le sol comme une triste goutte dévastatrice.
– Arrête de faire ton fifrelot, viens boire ton jus d’orange, le dîner va être froid. Travaille tes gammes plus tôt. A midi, ta voix a faim et tu commences tes vers trop haut.
– Ils descendirent jusqu’à la cuisine. Là, l’odeur les enivra.
– Quand un mot se termine par un e, tu dois le chanter de manière plus liée et un peu plus haut. Tes phrases auront moins le hoquet.
– J’y penserai, maman O, quand je répéterai tantôt !
Appliquant le conseil de Flaubert, il relut son poème à voix haute et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet, que certains mots chantaient faux.
Il ajouta quelques vers d’O.
C’était déjà mieux, mais pas encore ça… .
« Les genoux cagneux ne supportaient plus
Le poids du corps tors
De ce pauvre hère
Héros désenchanté
Ses bras décharnés dans les airs
Dessinaient des arcs désespérés
Les pieds claquaient sur le sol
En un hoquet spasmodique… »
Le poète laissa sa plume divaguer dans les éthers délétères.
– Muse, Ô ma muse,
Ne vois-tu rien venir ?
Érato, Ô ma muse bien-aimée…
– Mon doux ami, abandonne ton livret et ta plume
Et plonge dans les classiques
Et Boileau….
« Ses genoux étaient comme des citrouilles racornies au soleil, ils ne supportaient plus les kilos de l’homme décharné qui n’avait plus rien d’un héros ! Ses brandillons comme des branches d’un arbre mort dessinaient des ronds sans but.
Ses panards claquaient à terre en faisant hic-hic… »
Le prosateur s’enfila un petit jaune sans trop d’eau.
– Muse, Ô ma muse,
Ne vois-tu rien venir ?
Calliope, Ô ma muse bien-aimée…
– Mon doux ami, oublie ton papelard et ton aniline
Troque ton bagout
Pour un éclaireur du « Bon usage »
« La guerre avait laissé des traces sur son corps et dans son esprit.
Sur le socle de marbre blanc
Les lettres romaines alignées
Sans alinéa
Chantaient de ce malheureux
Les combats sans peur et sans reproche.
L’hymne national fendait les airs
Au rythme des béquilles et hommes las… »
L’historien consulta une dernière archive alors que des trombes d’eau s’abattaient sur son jardin…
– Muse, Ô ma muse,
Ne vois-tu rien venir ?
Clio, Ô ma muse bien-aimée…
– Mon doux ami, oublie ton histoire majuscule
Sois modeste
L’Histoire appartient aux Hommes qui l’ont faite….
« Cette valse est un vin qui ressemble au Saumur
Cette valse est le vin que j’ai bu dans tes bras
Tes cheveux en sont l’or et mes vers s’en émurent
Valsons-la comme on saute un mur
Ton nom s’y murmure Elsa valse et valsera. »
– Muse, Ô ma muse,
Ne vois-tu rien venir ?
Terpsichore, Ô ma muse bien-aimée…
– Là, tu fais fort, ça saute aux yeux.
Même Elsa te le dira !
C’est du plagiat
Rends à Aragon ce qui appartient à Aragon…
Uranie observait cette gesticulation hoquetante d’un air faussement lointain..
– Si ce n’est pas une tragédie, de tarabiscoter ainsi notre belle langue, se morfondait Melpomène…
– Et de malmener la rhétorique, enchaîna Polymnie, sur un air funéraire…
– J’en perds mes arpèges et mes accords, pleurait Euterpe…
– N’est-ce pas là le drame de la misère humaine ? Une divine comédie.
© Clémence
Appliquant le conseil de Flaubert, il relut son poème à voix haute
et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet, que certains mots chantaient faux. Il ajouta quelques vers d’O. C’était déjà mieux, mais pas encore ça…
Rythme encore haché,
Avec le H aspiré le pire arrivait, le H muet, plus discret bien sûr,
Les É, È exagéraient, posaient leurs accents n’importe comment,
Les R roulaient , rocailleux à souhaits
Les O fermés, les O ouverts changeaient complètement le ton ,
Les S sifflaient, sifflaient comme une nuit sans sommeil, sans nuage et dans lune
Alors laissant liaisons, allitérations , élisions et autres assonances, il prit un grand verre d’eau, pour fluidité et parfait phrasé.
Appliquant le conseil de Flaubert,
il relut son poème à voix haute devant son miroir.
« foutaise », pensait-il, mais il essaya quand même.
Au début, tout allait bien, il se laissait bercer par la douce sonorité des mots soigneusement choisis pour chanter les vertus du contenu de la barrique.
Toutefois, en prononçant ce mot, sa voix a déraillé, ce qui donna : « bar… hic ! », et il s’aperçut alors que c’était son phrasé qui avait le hoquet, et cela le rendait très amer (…hic ! bien-sûr).
Un peu d’alcool c’est bon pour le moral, mais pas pour les paroles.
Certains mots chantaient faux.
Pour limiter les dégâts, sobriété il faut.
Alors, après quelques verres d’eau,
Il ajouta quelques vers d’O ;
Par le mot « tonneau »,
« barrique » il remplaça ;
La rime la plus riche était « ton eau ! »
C’était déjà mieux, mais pas encore ça …
Un poète dans l’embarras
Appliquant le conseil de Flaubert
Il relut son poème à haute voix
Comme il le faisait quelquefois.
C’est alors qu’il s’aperçut que son phrasé avait le hoquet
Et il en eut quasiment le souffle coupé
Car certains mots chantaient faux
Quand d’autres descendaient trop bas
Sur ce, il ajouta quelques vers d’O
Des eaux, au, ot , ô …
En veux-tu, en voilà
C’était déjà mieux, mais pas encore ça,
Alors il prit la liberté
D’ajouter quelques rimes en A
Ma, ta, sa, ra et caetera …
Ah la la
Le tout restait bancal et pas vraiment musical.
Ses oreilles ont continué à grincer
Son front s’est furieusement crispé
Son nez a fait des plis
Sa bouche n’a plus souri
Ses yeux se sont humectés
La poésie était donc fâchée avec lui ?
Mais quel crime avait-il commis ?
Contrarié, il est parti se coucher.
Et pendant la nuit,
Les mots ont décidé de s’organiser
Petits et grands se sont équilibrés
Tous les sons se sont harmonisés
Pas de bavure, pas de rature
Une écriture appliquée,
Alors au petit matin, envolé le chagrin,
La lecture pouvait commencer :
Rythme régulier
Accords parfaits
Travail ciselé.
Ouf ! Notre poète fut rasséréné.
Ne souhaitant pas Mallarmé, il Boileau de La Fontaine tandis que je me sers Du Bellay. Les Maupassant, J’enracine au fond de mon gosier la crème des alcools en l’écoutant versifier. Faut-il aux verres s’y fier ? Je ne sais. Je perçois encore le hoquet dans sa voix. Sans alcool c’est assurément un hockey sur glace car ses rîmes froides sonnent faux dans son palet. Elles sont empruntes de vers glas.
Dans le Prévert je perçois Lamartine qui nous fixe. Même sans ses lunettes elle persévère. Elle se croit encore dans le coltar en voyant boire ses Coqs tôt. Il est vrai qu’avec les poètes les vers se noient souvent dans l’alcool. Après s’être vers C quelques verres d’O, il se tourne enfin vers L. Il la voit belle dans son vert G. Mais la teinte chaude de ses rimes brûlantes risquent d’être vers d’âtre. S’il parle de ses Rimbaud c’est toujours un peu trop Vers l’aine. Aux bords de ses lèvres il joue des mots, démons vulgaires pour sa Vénus. Il court après sa chair dans une triviale poursuite. Il déclame sa passion tandis qu’elle réclame des vers missel, des vers demi-sel comme dans les petits beurs bretons, un consommé qui élève la vertu plutôt que le vers Je de son ego poétique.
Sa sensualité, moi je la réclame et j’en fais même la publicité. J’aime mieux des vers olé que les vers sots de la vertu.
Appliquant le conseil de Flaubert, il relut son poème à voix haute et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet, que certains mot chantaient faux. Il ajouta quelques vers d’o. C’était déjà mieux, mais pas encore ça.
L’o évoquant les flots, comme aurait pu le dire Flaubert, cela coulait de source. Les embûches s’atténuaient, mais elles heurtaient vaguement. Ses idées ne s’orientaient pas dans la bonne direction et son hoquet jetait un froid dans son babillage austère. Il fallait un peu de chaleur pour faire fondre la glace. Se surprenant lui-même, il fronça les sourcils, ce n’était pas le bon hockey qu’il avait choisi. Ouille ! Ouille ! Ouille ! Jacquouille la fripouille et sa dentition ultra blanche n’étaient les bienvenus dans cet exercice, ni les Canadiens de l’équipe de Montréal, OK !
Il devait bien s’entendre avec son sujet, réchauffer l’atmosphère et trouver un juste milieu pour la fluidité de son message. Aux bons maux les bons remèdes. Le bon remède était dans le bon mot. Sa poésie trébuchait aux endroits clés. Il fallait ouvrir pour une bonne continuité. Il réfléchit et son sourire revint. La cohérence de ses pensées laissait à désirer. Elles arrivaient par a-coups et se reportaient sur le hoquet en question, induites qu’elles étaient, par une contraction incontrôlée de son diaphragme. Des e, pas ceux marquant le scepticisme ou l’hésitation, mais des vrais e qui aèrent manquaient à son discours. Dans ses os, il insuffla donc de l’air avec des e francs et riches en oxygène et le cours d’o devint léger. Ses phrases ainsi délestées flottaient mieux, OK !
Il avait déjà bien travaillé. Mais ne mets pas des OK partout, se dit-il, on dirait des tics ou des tocs. La poésie, c’est du sérieux; elle doit chanter juste. Sur ce point, son père était formel, il lui avait bien mis les points sur les i et il avait raison. Le i fait penser au rire. Il est donc nécessaire de mettre un peu de i partout, pour faire passer l’amertume du spleen, insista-t-il. Plus aucune limite, il en sema à tire-larigot. Cela devenait rigolo, mais trop. Dans la vie, tout est une question de dosage, il envisagea des arrêts suggérant la respiration et des changements de lignes pour parvenir au terminus. Il largua quelques i et ses poèmes n’en souffrirent point. Il était presque satisfait.
Il n’était pas sot. Le u manquait à la pelle. Le seul u fouettant l’imaginaire qu’il connaissait, se trouvait dans une chanson. Crac ! Boum ! Ni une, ni deux ! Il pensa à mettre un hurluberlu comme principal personnage dans un de ses écrits. Cela paraîtra vivant et quelque peu rassurant. Mais il se posa la question. Le u est-il vraiment nécessaire ? Quelques fois, il passe inaperçu surtout à côté du Q.
Ah ! Il était joyeux. Il pourrait faire éditer son livre en ana à condition d’y mettre une nana. Le a signifie le contentement. Ce sera le mot de la fin. Sûrement pas, se dit-il enfin. Car à partir du a recommence une longue histoire, celle de l’alpha et de l’oméga.
Il relut son poème à voix haute
et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet,
que certains mots chantaient faux.
Il avait pourtant bien compté les pieds et les rimes,
Bon artisan, rabotant tout ce qui dépassait,
Son poème paraissait parfait
Mais toujours hoquetant.
Il ajouta quelques vers d’O.
C’était déjà mieux, mais pas encore ça…
Alors, il consulta,
Dictionnaires, encyclopédies, grammaires,
Et les plus grands spécialistes de l’Ecriture,
Il y trouva une réponse unanime :
«Il faut suivre les Règles
Tu n’es plus un enfant,
Tu dois domestiquer ruisseaux et rivières,
Ne pas les laisser errer où bon leur semble…»
Il essaya, il s’appliqua, rien n’y fit,
Sa poésie restait inaudible.
Désespéré, il s’abandonna,
Se noya même dans un verre de vin,
Et hurla sa détresse
Alors, oh miracle, ce fut un long poème qui jaillit
Fleuve puissant qui roulait entre les rochers,
Prenant à témoins montagnes et nuages
Riche d’une détermination farouche
Vers son destin immuable :
Se fondre dans l’infini de l’Océan.
Il relut son poème à haute voix
et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet,
que certains mots chantaient faux.
Il ajouta quelques vers d’O.
C’était déjà mieux,
mais pas encore ça.
Mon poème n’est point beau, j’y mets pourtant tout mon coeur mais,
mes mots ne chantent pas assez haut que faire.
J’essai encore se dit-il.
Appuyé sur le bastingage
l’homme regarde au loin
il guette le front sombre
qui vient se fondre dans
le ciel mouvant, l’oiseau
semble lui parler, lui dire de
regagné vite fait la côte qui
est tout près.
L’homme hoche la tête
il écoute la tempête
Le voilier rapide
fin coursier se dresse
fend la mer enragée,
enfin, il louvoie se trouve
comme un roi en vue
de son encrage,
l’oiseau cri de joie.
(yl
Flaubert cet illustre à dit:
» Si vous vous acharner à une tournure ou une expression qui n’arrive pas, c’est que vous n’avez pas l’idée. L’image ou le sentiment bien net dans la tête, amène le mot sur le papier. L’un coule de l’autre. »)
Ah! j’ai compris je crois,
je laisse donc la poésie
à ceux qui écrivent sans
que les mots ne se sauvent
de leurs esprit fertile.
Que suis-je face à tant de merveille!
Goguenard quand même car…
il se croyait l’écrivain suprême,
digne de Hugo,D’Adrian Grima,
Paul Celan, Luis Cernuda,
Raphael Alberti,
Blaise Cendars…
et bien d’autres encore…
il laissa son esprit
captif des mots et s’en allant,
il pensa aux mots de Flaubert
: »J’en reviens toujours à mon vieil exemple de Boileau. Ce gredin-là vivra autant que Molière, autant que la langue française »…
Le rêve restera sa muse,un jour peut-être!
La fin de l’année scolaire approchait, l’inévitable fête qui en découlait, et la prestation théâtrale qui allait avec, aussi. Pour Malick et Malouf dégoter un texte en vers parmi les classiques au programme de leur classe de troisième n’était pas une mince affaire.
Leur prof de français, Monsieur Octave Flobère, les avait bien dirigés vers quelques pistes dans lesquelles il pourrait puiser. Mais dur dur, Racine, Corneille, pas des rigolos ceux-là. Alors, choisir parmi les Romantiques ? L’idée fut vite repoussée, l’un et l’autre, leurs éloquentes envolées, ça les faisait trop marrer. Un fou rire en pleine déclamation ce serait trop craignos. Ils ne voulaient pas décevoir Monsieur Flobère, surtout ne pas lui faire de peine, un aussi bon prof, le prof le plus kiffé du lycée.
Indulgent, patient, juste, il avait l’art de calmer ou de consoler, d’encourager, de soutenir envers et contre tous, en toutes circonstances, jusqu’en conseil de discipline. Des heures de colle, il avait su leur en éviter en pagaille. Il s’était même interposé lors d’une confrontation qui menaçait de virer aux baffes et aux gnons, en réussissant à raisonner l’élève Momo (quinze ans–1,85m–100kg) qui menaçait d’aplatir le prof de gym, Monsieur Halter (trente ans-1,65m-50kg) à cause d’un 100 mètres selon lui chronométré de travers.
Finalement, ils se dirent que vu qu’il y avait peu de chance qu’ils s’en sortent bien, tragédie pour tragédie, autant y aller franco, ils se tournèrent vers Racine, Sophocle, Shakespeare et c’est sur Corneille et son Cid qu’ils s’arrêtèrent. Et les répétitions commencèrent. Voulant respecter scrupuleusement les conseils de Monsieur Flobère, c’est maintes et maintes fois et à voix haute qu’ils relurent le dialogue : ces mots classiques bien ordonnés, trop élégants, démodés, dans leur bouche ça sonnait faux, bref ça ne fonctionnait pas. Ils essayèrent bien en rajoutant quelques vers d’O, « O’rage, O’désespoir, O’ vieillesse ennemie… » d’un ridicule ! Ça ne marchait pas, mais alors pas du tout.
C’est leur copain Bouba qui trouva la solution. Il savait bien lui qu’en débitant du Corneille avec leur accent de banlieue, ils couraient le risque que l’on se moque d’eux et que, vu leur fierté et leur tempérament, les choses tournent rapidement au vinaigre. Il leur suggéra d’être nature, d’écrire leur propre texte avec leurs propres mots et lui il se chargerait de la musique, justement il avait chouré un tout nouveau CD de NTM impec.
Et ça donna ce court dialogue scandé sec sec, inspiré d’un événement intervenu trois jours plus tôt devant la cité Berlioz :
– Ecoute, caillera, deux mots
– J’t’attends bouffon,
– J’suis rageux
– Ouais, toi t’es toujours vénère
– Ôte-moi d’un doute, tu connais son daron à ce boulos ?
– Ah, ce rebeu …
– Tu sais qu’y est un peu mytho
– Ouais, un vrai beauf, relou et zarbi
– Ben son cave de dab, personne y chouffait, alors il s’est fait prendre en flag par les keufs, embarqué dans la boîte de six, maintenant il est Alcatraz, il va payer cash.
La musique elle était super bonne, le rythme ‘rapé’ à mort, ils étaient beaux ces deux d’jeuns dans les costumes d’époque, un sacré mariage mais vachement réussi. Public debout, applos à tout péter, des sifflets, des Bis, un triomphe, je vous dis ! Et Octave Flobère, pourtant il n’était pas moderne moderne, eh ben, il avait quand même les larmes aux yeux, c’est qu’ils avaient un sacré potentiel ses petits.
Le jeune Corneille, dans une salle d’audience du tribunal de Rouen, fermement s’ennuyait.
Devenu avocat pour plaire à son père,son désir le plus cher il tenait secret.
Il voulait écrire,écrire,écrire.
Ce qu’il faisait le soir en sa chambre de la place du Vieux Marché,tandis que le reste de la maisonnée reposait.
Il avait commis un premier ouvrage : »Pertharite » dont son frère Thomas, quand il le lut, se gaussât sans vergogne:
» C’est fade,convenu et ne vaut pas un pet de lapin.Passe à autre chose »
Pierre cependant persistait,débutant une autre pièce en vers: « Surena », avec la même insatisfaction.
A douter sérieusement il commençât.
Or leurs voisins les plus proches,les Flaubert,étaient gens fort cultivés.Emile, le grand père, était poète.
Pierre s’en alla lui demander conseil.
Le vieillard,le connaissant de longue date,le reçu fort civilement.
Il lut les opus du jeune homme puis lui tint ce langage:
» Mon ami,votre phrasé a le hoquet,certains mots chantent faux.Vous ne semblez point vous en apercevoir et c’est ainsi que vous gagne le découragement.Prenez l’habitude à haute voix de vous lire.
Ajoutez donc aussi quelques vers d’O , vous verrez… »
Revenu en son logis, Pierre Corneille prit sa plume d’oie,regarda par la fenêtre se lever le soleil sur les clochers de Rouen, les conseils à la lettre suivit.
O rage quand tu es là
O désespoir quand jamais tu ne t’en vas
O vieillesse ennemie……
Il lisait,relisait tout haut, mais jamais n’était satisfait.
Il malaxa le texte,ratura,réécrivit,joncha le sol de boules de vélin rageuses.Quand soudain, un éclair jaillit dans sa tête,un mot miraculeux:
ALEXANDRIN !
Mais oui, la clef était là!
« O rage ô désespoir,ô vieillesse ennemie
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie
Et ne suis je ……
A présent sur les feuilles courrait la phrase,elles s’amoncelaient sur sa table de travail,le temps ne comptait plus.
Il ne s’arrêtât qu’au soir,heureux,épuisé,comprenant qu’un chef d’oeuvre impérissable était en train de naître sous ses doigts.
O!ce n’était pas ce vieux Flaubert
Qui dirait cette fois le contraire.
Appliquant le conseil de Gustave Flaubert,
il relit son poème à haute et forte voix
et s’aperçoit alors sans bien savoir pourquoi
que ses mots chantent faux, que son phrasé hoquette
Il ajoute à l’amère Hic, quelques vers d’O.
que ça passe un peu mieux dans l’R de ses propos.
Il appl(hic) la théor(hic) du grand Flauber(hic)
Il relit son panégyr(hic) à grands cris superson(hic)
Mais sans qu’il s’expl(hic) sur l’harmon(hic)
Ses saillies obl(hic), ses écrits claud(hic).
Alors il ajoute à l’amère (hic), quelques vers d’O
Et bientôt, à contrario de Gustavio
Au lieu de tonner fortissimo comme un dingo
Il met de l’R dans ses propos, pianissimo
De l’R pour la rythmique, de l’O pour le tempo
Pour offrir au poème son plus beau vibrato
Ca lui donne des couleurs, et c’est plus eurythmique
Parce l’OR vaut le RO en terme anagramme(hic)
Appliquant le conseil de son ami Gustave il relut son poème et trouva que le phrase avait le hoquet. Certains mots sonnaient faux. Il ajouta quelques vers d’O mais le rythme s’en trouva noyé. Il décida d’élaguer un mot par ci un vers par la. Finalement il resta un haïku dont la métrique était bancale. De désespoir il se fit hara-kiri et la poésie se trouva orpheline d’un talent maudit
Appliquant le conseil de Gustave il relut son poème à voix haute et s’aperçut que son phrasé avait le hoquet, que certains mots sonnaient faux, il ajouta des vers d’O. C’était déjà mieux mais pas encore ça. Trop de fluidité, le rythme semblait noyé. Il décida d’élaguer. Un mot par ci, un vers par la. Finalement il se trouva à réciter un haïku. La métrique n’y était pas. Il,ne lui resta alors qu’une solution se faire hara-kiri et la poésie devint orpheline.
Il suait à grosses gouttes. Ouvrant et refermant la fenêtre violemment pour déclamer ses bouts-rimés à qui voulait l’entendre (et tant pis pour les autres !).
Haussant le ton en faisant trembler les murs, puis brusquement le baissant pour susurrer imperceptiblement une ou deux phrases, trois mots.
Les mouches volaient bas.
Écrire, écrire : c’était toute sa vie. Mais fi de la prose, cet art mineur ! Désormais, ce serait de la poésie ! Il composerait des vers, alternant rimes, syllabes et césures. Multipliant les figures de style et soignant tout particulièrement le rythme.
Sauf qu’à l’épreuve du « gueuloir », ça ne collait toujours pas.
Invariablement ses alexandrins perdaient pied : il avait beau les compter, tenter de les discipliner, il en manquait toujours un et ça boitait.
En désespoir de cause, il opta pour l’hémistiche, vira tous les « e » muets, brisant quelques vers au passage. Peine perdue.
Les mouches se planquaient au plafond.
Bientôt, il se mit à vociférer que Baudelaire n’était qu’un fat, et Verlaine un foutriquet ; Mallarmé un paltoquet et Victor-Hugo un jean-foutre. Seul Rabelais échappait encore à sa vindicte.
Les mouches se firent la malle et les voisins portèrent plainte.
Interné dans un établissement spécialisé, près du lac où un certain Alphonse trouva l’inspiration, on le soigna pour un hoquet récidivant.
Des années plus tard, le barde méconnu se noya dans un vers d’O. La poésie lui en fut reconnaissante. Les mouches aussi.
Appliquant le conseil de Flaubert, son pote de cour de récréation, il relut son poème à voix haute. Son phrasé avait le hoquet. Certains mots chantaient faux.
Avec un texte aussi mal tourné qu’elle l’était bien, elle, il ne risquait pas de la séduire, Lisette.
Gugusse lui avait aussi sorti: « Il ne faut pas rêver en vers. Mais donner des coups de poing »(1). Pourtant, il n’y avait pas beaucoup de concurrence autour de Lisette. Tout ça parce qu’elle venait à l’école en sabots. Mais lui, il trouvait qu’elle sentait bon la paille et le lait frais.
Un matin, Gugusse lui déclama: « Il n’y a ni beaux ni vilains sujets et on pourrait presque établir comme axiome, en se posant du point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses »(2)
Alfred était un peu écœuré. Tout ce travail de rédaction pour un amour si peu scolaire. Pourquoi ça tombait sur lui et pas sur l’autre, le petit gros ?
Gugusse lui expliqua,encore, qu’il fallait séparer la poésie des sensations qu’elle complète. Que la musique n’a pas été faite pour les sérénades, la peinture pour le portrait et la poésie pour les consolations du cœur. Et qu’à vouloir mettre du soleil dans sa culotte, on brûle sa culotte, et on pisse sur le soleil.(3)
Alfred en avait déjà marre des filles. Il aimait bien son pote Flaubert. Il aurait bien voulu qu’avec lui, sous les tilleuls, plutôt que de bavasser, il vienne jouer aux billes.
Jean de Marque (1872.2017…)
(1)Pensée de Flaubert, le gugusse, page 167 de l’édition du Cherche midi.
(2) idem. page 162.
(3) d’après idem page161.