1 avis sur écrit est souhaité par Laurence Noyer

1-avis-sur-ecritBonjour,

Dans le cadre d’une participation à un concours de nouvelles dont le thème est « la période 1914-1918 » j’ai rédigé ce récit que j’aimerais vous soumettre

Le récit a été envoyé, votre avis viendra donc a-postériori. Mais peu importe, ma motivation ici est de me soumettre à la critique et de partager autour de l’écrit.
La critique d’un tiers me semble importante, souvent ce sont nos proches qui nous lisent, et leur avis n’est pas toujours impartial (cf l’article de Pascal du 8 octobre : l’avis de ceux qui n’y connaissent rien)
Je ressens le besoin d’une analyse plus approfondie, plus argumentée. Alors, à vos flèches, et moi, aux abris !

Laurence Noyer

Vendanges amères

Soudain il se mit à pleurer.

Nous marchions, mon père et moi, à travers les vignes du domaine familial. L’été encore proche avait laissé trainer sa lumière sur octobre et quelques couleurs dorées polissaient les feuillages du vignoble.

Je le vis passer sa main sur ses yeux pour cacher les larmes naissantes et en tarir le flux.

«  La saison des vendanges, pour moi, c’est toujours triste ; lâcha-t-il après quelques pas. En octobre 1914, mon père avait 30 ans et il est parti sur le front, désertant le nid familial, et nous laissant ma mère et moi. De loin en loin, ses lettres nous parvenaient. Quelques mots en réalité. Dans la famille, nous ne sommes pas habitués aux grandes phrases. Mais ces mots se sont tatoués dans un coin de ma tête. Des mots comme des coups, comme des bleus – Indélébiles – : il écrivait ‘’froid, horrible, mort’’. Et je lisais ‘’ peur, peur, peur ’’. Ses mots, tâches sanglantes, sont venus gâter l’insouciance de mes 8 ans.  »

Son regard s’égara au loin, sollicitant peut-être l’appui du ciel.

Nous progressions tous les deux côte à côte, soudain plus proches. Ma main sur son bras l’invita à poursuivre.

«  Evidemment la vie quotidienne devint difficile, outre le travail et les privations, l’angoisse s’était installée dans tous les foyers. La plupart des communes du canton avait demandé aux viticulteurs – c’est ce qu’on appelait l’effort de guerre –de donner le produit d’une partie de leur récolte, pour l’envoyer aux soldats. Ce fut pour nous une sorte de réconfort, nous avions l’impression de participer, nous aussi. De mener notre propre bataille. Jamais vigne ne fut mieux soignée que cette année-là ! »

Un petit soleil traversa ses prunelles à cette évocation, et descendit jusque dans son sourire.

Il tapa en passant sur une feuille de vigne, large comme la main, puis continua.

« L’année suivante, nous avons donné tout notre vin. Et cela, jusqu’à la fin de la guerre. Puis, un jour mon père est rentré. Traumatisé et vieilli comme beaucoup d’hommes. La vie a repris son cours, entre les rives de l’après-guerre. Mais la force, l’entrain, la santé de mon père étaient restés dans les tranchées, son existence était brisée. »

Son coup de pied, vif, dans une motte de terre me fit sursauter.

Nous continuâmes à remonter le sentier du temps.

« Il souffrait tellement ! Ses blessures de guerre lui gangrénaient la tête. Il avait été choqué par ce qu’il avait vu, par ce qu’il avait dû supporter. Sur le front, le vin donnait du courage aux soldats. Il leur permettait de « tenir le coup », l’alcool par ses effets désinhibants, euphorisants collaborait à narguer leur sinistre quotidien.»

La grappe de raisin à portée de sa main, se recroquevilla sous la pression brusque et inattendue qu’il lui imposa.

« La guerre, il l’avait ramenée avec lui, ses visions d’horreur l’avaient accompagné. L’intolérable, l’intenable, l’avait escorté dans sa maison, dans ses nuits. Alors pour supporter sa souffrance, il avait continué à boire. Mon père est devenu alcoolique. Il ne faisait plus que s’enivrer, à longueur de journée. Son travail, c’est moi qui le faisais. Et son travail, c’était de produire du vin »

Le visage durci, la voix plus âpre s’éleva au milieu des coteaux.

« Je me suis toujours senti un peu responsable, d’avoir envoyé ce vin pendant la guerre, d’avoir participé à cet effort de guerre. Ce vin a détruit la vie de mon père, et un peu la mienne aussi. Alors, depuis, chaque année, les vendanges ont une saveur amère »

Soudain, il se mit à pleuvoir.